Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

UNION EUROPEENNE

Soc., 21 septembre 2022, n° 21-12.590, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Cour de justice de l'Union européenne – Question préjudicielle – Interprétation des actes pris par les institutions de l'Union européenne – Directive n° 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 – Clause 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 19 mars 1999 – Interprétation – Exclusion – Cas – Régression du niveau général de protection des travailleurs

Il résulte de la clause 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 19 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 que les Etats membres ou les partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs et que la mise en oeuvre de l'accord-cadre ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs. La demande de renvoi préjudiciel, qui propose une interprétation de la directive n° 1999/70/CE de nature à entraîner une régression du niveau général de protection des salariés concernés, n'apparaît pas pertinente, faute d'influence sur le litige.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 22 janvier 2021), M. [D] a été engagé à effet du 1er juillet 2006 par la société Stade Toulousain Rugby (la société) en qualité de joueur de rugby, selon un contrat de travail à durée déterminée pour les saisons 2006/2007 à 2008/2009. Un avenant de prolongation a été conclu le 22 avril 2008 pour les saisons 2009/2010 et 2010/2011. Un deuxième avenant de prolongation a été conclu le 26 janvier 2011 pour les saisons 2011/2012 à 2014/2015. Un dernier contrat est intervenu le 9 janvier 2015 pour les saisons 2015/2016 et 2016/2017.

2. Le 19 juillet 2017, le joueur a saisi la juridiction prud'homale de demandes en requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes au titre de la rupture de la relation de travail.

Examen de la recevabilité de l'intervention de la Ligue nationale de rugby, contestée par la défense

3. Le joueur conteste la recevabilité de l'intervention volontaire de la Ligue nationale de rugby en soutenant qu'elle pas ne justifie pas d'un intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir une partie.

4. Il résulte des articles 327 et 330 du code de procédure civile que les interventions volontaires sont admises si elles sont formées à titre accessoire à l'appui des prétentions d'une partie et si leur auteur a intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir cette partie.

5. Le litige portant notamment sur les effets de l'homologation des contrats de travail à durée déterminée délivrée par elle, la Ligue nationale de rugby justifie d'un intérêt, pour la préservation de ses droits, à soutenir les prétentions du club.

6. L'intervention est donc recevable.

Examen des moyens

Sur la demande de question préjudicielle

Enoncé du moyen

7. L'employeur demande à la Cour de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante :

« 1°/ A la lumière de l'article 165 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, les spécificités attachées à la pratique du sport professionnel tirées notamment de l'incapacité physique pour les sportifs professionnels d'exercer leur métier au-delà d'un certain âge, de la nécessité de préserver l'équité sportive, l'intérêt des compétitions et de permettre aux joueurs de valoriser leur carrière, constituent-elles des « raisons objectives » au sens du a) du paragraphe 1 de la clause 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999 permettant aux sportifs professionnels de conclure avec leur club des CDD successifs pour l'exercice de leur activité ?

2°/ A la lumière du préambule (2e alinéa) et des considérations générales (point 8) de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée desquels il résulte notamment que le droit de l'Union européenne n'a pas entendu interdire l'utilisation de CDD successifs lorsque le recours à de tels contrats convient à la fois aux travailleurs et à leurs employeurs, quelles conséquences les juridictions nationales doivent-elles tirer de l'existence de conventions et accords collectifs par lesquels les partenaires sociaux expriment leur souhait de voir leur activité professionnelle s'exercer dans le cadre de CDD successifs ? »

Réponse de la Cour

8. D'abord, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la notion de raisons objectives doit être entendue comme visant des circonstances précises et concrètes caractérisant une activité déterminée et, partant, de nature à justifier dans ce contexte particulier l'utilisation de contrats de travail à durée déterminée successifs. Ces circonstances peuvent résulter notamment, de la nature particulière des tâches pour l'accomplissement desquelles de tels contrats ont été conclus et des caractéristiques inhérentes à celles-ci ou, le cas échéant, de la poursuite d'un objectif légitime de politique sociale d'un Etat membre (CJUE, 26 novembre 2014, C-22/13, C-61/13 et C-448/13, Mascolo et al.).

La Cour de justice de l'Union a précisé que si un Etat-membre est en droit, lors de la mise en oeuvre de la clause 5, point 1, de l'accord-cadre, de tenir compte des besoins particuliers d'un secteur spécifique, ce droit ne saurait toutefois être entendu comme lui permettant de se dispenser de respecter, à l'égard de ce secteur, l'obligation de prévoir une mesure adéquate pour prévenir et, le cas échéant sanctionner, le recours abusif aux contrats de travail à durée déterminée successifs (CJUE, 26 février 2015, C-238/14, Commission européenne c/ Grand-Duché du Luxembourg).

9. Ensuite, la Cour de cassation juge de façon constante que s'il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail que dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi (Soc., 23 janvier 2008, n° 06-43.040, Bull. V, n° 16 ; Soc., 17 décembre 2014, n° 13-23.176, Bull. V, n° 295 ; Soc. 4 décembre 2019, n° 18-11.989 ; Soc., 13 octobre 2021, n° 18-21.232, B).

10. La Cour de cassation juge par ailleurs que la détermination par accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d'usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné (Soc., 9 octobre 2013, n° 12-17.882, Bull. V, n° 226).

11. Enfin, il résulte de la clause 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 19 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE que les Etats membres ou les partenaires sociaux peuvent maintenir ou introduire des dispositions plus favorables pour les travailleurs et que la mise en oeuvre de l'accord-cadre ne constitue pas une justification valable pour la régression du niveau général de protection des travailleurs.

12. En l'état du droit antérieur à la loi n° 2015-1541du 27 novembre 2015, qui a organisé le recours à un contrat de travail à durée déterminée spécifique pour l'engagement des sportifs professionnels, la demande de renvoi préjudiciel propose une interprétation de la directive n° 1999/70/CE de nature à entraîner une régression du niveau général de protection des salariés concernés. Cette demande de question préjudicielle n'apparaît donc pas pertinente, faute d'influence sur la solution du litige.

13. Il n'y a, en conséquence, pas lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle.

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche, ci-après annexé

14. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche, qui est préalable

Enoncé du moyen

15. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée et de le condamner au paiement de diverses sommes au titre de la rupture, alors « que la décision par laquelle la Ligue nationale de rugby, personne morale de droit privé chargée de l'exécution d'une mission de service public administratif au titre de la réglementation, de la gestion des compétitions professionnelles et de l'homologation des contrats des sportifs participant aux compétitions qu'elle organise, constitue un acte administratif qui s'impose au juge judiciaire, de sorte que celui-ci ne peut requalifier en contrat à durée indéterminée la relation de travail résultant de contrats à durée déterminée successifs homologués par la Ligue nationale de rugby ; qu'en énonçant néanmoins que l'homologation des contrats de travail à durée déterminée successifs de M. [D] par la Ligue nationale de rugby ne faisait pas obstacle au contrôle du juge judiciaire sur leur conformité aux règles d'ordre public en matière de contrat à durée déterminée, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires, ensemble les articles R. 132-12 et L. 222-2-6 du code du sport. »

Réponse de la Cour

16. Les dispositions prévues par les articles L. 1242-1 et suivants du code du travail, relatives au contrat de travail à durée déterminée, ont été édictées dans un souci de protection du salarié, qui seul peut se prévaloir de leur inobservation.

17. Selon l'article L. 222-2-6 du code du sport, le règlement de la fédération sportive ou, le cas échéant, de la ligue professionnelle peut prévoir une procédure d'homologation du contrat de travail du sportif et de l'entraîneur professionnels et déterminer les modalités de l'homologation ainsi que les conséquences sportives en cas d'absence d'homologation du contrat.

18. Le contrôle des conditions de recours au contrat de travail à durée déterminée n'entre pas dans le champ des vérifications effectuées par une fédération ou une ligue professionnelle, qui, dans le cadre de sa mission de service public relative à l'organisation des compétitions, procède à l'homologation d'un contrat de travail.

19. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches

Enoncé du moyen

20. L'employeur fait le même grief, alors :

« 1° / que la nature et les caractéristiques particulières des tâches confiées au travailleur sont susceptibles de constituer des raisons objectives de nature à justifier la conclusion de contrats à durée déterminée successifs ; que, dans le secteur d'activité du rugby professionnel, constituent de telles raisons objectives l'incapacité physique pour un joueur de rugby professionnel d'exercer son métier au-delà d'un certain âge sans qu'une telle circonstance caractérise une discrimination ; qu'en énonçant que la spécificité de l'activité sportive ne justifie pas en soi le caractère par nature temporaire de l'emploi, que la nécessité d'adaptation pour tenir compte des performances du salarié ne permet pas d'établir le caractère temporaire d'un emploi et que l'argument de l'âge est contraire à l'interdiction de discrimination, la cour d'appel a violé les articles L. 122-1, L. 122-1-1, 3° et D. 121-2 du code du travail (devenus les articles L. 1242-1, L. 1242-2, 3° et D. 1242-1, 5° du même code), ensemble les clauses 1 et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;

2°/ qu'en écartant l'existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par M. [D], sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions d'appel de la SASP Stade Toulousain Rugby), si l'incapacité physique d'un individu à exercer une activité de joueur de rugby tout au long de sa carrière professionnelle n'était pas susceptible d'établir le caractère par nature temporaire de l'emploi occupé par l'intéressé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 122-1, L. 122-1-1, 3° et D. 121-2 du code du travail (devenus les articles L. 1242-1, L. 1242-2, 3° et D. 1242-1, 5° du même code), ensemble les clauses 1 et 5 de l'accord- cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999 ;

3°/ que la prise en compte des évolutions affectant les compétences du travailleur et les besoins de l'employeur sont susceptibles de constituer des raisons objectives de nature à justifier la conclusion de contrats à durée déterminée successifs ; que, dans le secteur d'activité du rugby professionnel, constituent de telles raisons objectives, les évolutions affectant les performances d'un joueur, celles portant sur le projet tactique de l'entraîneur ou afférentes aux objectifs sportifs et économiques fixés par la direction du club ; qu'en énonçant que la spécificité de l'activité sportive ne justifie pas en soi le caractère par nature temporaire de l'emploi, que la nécessité d'adaptation pour tenir compte des performances du salarié ne permet pas d'établir le caractère temporaire d'un emploi, que les considérations relatives aux attentes du public, des supporteurs, l'influence sur la billetterie, les choix tactiques de l'entraîneur sont étrangères à l'emploi intrinsèquement occupé par M. [D], la cour d'appel a violé les articles L. 122-1, L. 122-1-1, 3° et D. 121-2 du code du travail (devenus les articles L. 1242-1, L. 1242-2, 3° et D. 1242-1, 5° du même code), ensemble les clauses 1 et 5 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée annexé à la directive 1999/70/CE du 28 juin 1999. »

Réponse de la Cour

21. Aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

22. S'il résulte de la combinaison des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et D. 1242-1 du code du travail que dans les secteurs d'activité définis par décret ou par voie de convention ou d'accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats de travail à durée déterminée lorsqu'il est d'usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée, en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999 et mis en oeuvre par la directive 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999, qui a pour objet, en ses clauses 1 et 5, de prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l'utilisation de contrats successifs est justifié par des raisons objectives qui s'entendent de l'existence d'éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l'emploi.

23. D'abord, la cour d'appel a retenu, sans encourir le grief visé par la première branche, que les justifications avancées par l'employeur et relatives à l'incapacité physique pour un joueur de rugby professionnel d'exercer son métier au-delà d'un certain âge et les évolutions affectant ses performances, avancées par l'employeur, qui sont liées à la personne même du salarié et non à l'emploi concerné, n'étaient pas de nature à établir le caractère par nature temporaire de cet emploi.

24. Ensuite, l'employeur s'étant borné à invoquer des justifications d'ordre général, tenant notamment aux évolutions du projet tactique de l'entraîneur et des objectifs sportifs et économiques fixés par la direction du club, la cour d'appel, qui a retenu que l'employeur n'établissait pas le caractère par nature temporaire de l'emploi concerné, a pu décider que la relation de travail devait être requalifiée en contrat à durée indéterminée.

25. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais, sur le second moyen

Enoncé du moyen

26. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une certaine somme au titre des congés payés afférents au préavis, alors « que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en énonçant, d'une part, qu'il sera alloué au salarié la somme de 6 666 euros au titre des congés payés afférents au préavis et, d'autre part, qu'il lui sera alloué la somme de 7 992,92 euros à ce même titre, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 455 du code de procédure civile :

27. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

La contradiction de motifs équivaut à une absence de motif.

28. Pour condamner la société au paiement de la somme de 7 999,92 euros au titre des congés payés afférents au préavis, l'arrêt énonce qu'il devait être alloué au joueur la somme de 66 666 euros au titre du préavis, outre 6 666 euros au titre des congés payés afférents. Il retient ensuite que, s'agissant des congés payés, l'article 5.2.2 de la convention collective du rugby professionnel prévoit que la durée des congés payés est de trois jours et qu'il sera donc alloué au joueur la somme brute de 7 999,92 euros de ce chef.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui s'est contredite, n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

30. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

31. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

32. Conformément à l'article 5.2.2 du titre II de la convention collective du rugby professionnel, qui prévoit l'acquisition de trois jours de congés payés par mois travaillé, le salarié peut prétendre à la somme brute de 7 999,82 euros au titre des congés payés afférents au préavis.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Stade Toulousain Rugby à payer à M. [D] la somme de 7 999,92 euros bruts au titre des congés payés afférents au préavis, l'arrêt rendu le 22 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : M. Desplan et Mme Rémery - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Articles 327 et 330 du code de procédure civile ; articles L. 1242-1 et suivants du code du travail ; article L. 222-2-6 du code du sport ; clause 8 de l'accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 19 mars 1999, mis en oeuvre par la directive n° 1999/70/CE du Conseil du 28 juin 1999.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation du caractère temporaire de l'emploi en matière de contrat à durée déterminée, à rapprocher : Soc., 17 décembre 1997, pourvoi n° 93-43.364, Bull. 1997, V, n° 448 (cassation).

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 21-12.263, (B), FS

Rejet

Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 – Article 45 – Exclusion du droit commun de l'exequatur – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 17 décembre 2020), le 8 juillet 2015, saisi à la requête de la Commission européenne, sur le fondement du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le greffier en chef d'un tribunal de grande instance a déclaré exécutoire en France un jugement d'une juridiction croate ayant condamné M. [N] à lui payer une certaine somme.

2. Statuant sur le recours formé par M. [N] contre cette déclaration, un arrêt du 21 octobre 2016 a dit que le règlement n'était pas applicable, infirmé la décision du greffier en chef et déclaré irrecevable la requête de la Commission européenne en ce qu'elle était fondée sur ce règlement.

3. Celle-ci a ensuite introduit une action en exequatur fondée sur le droit commun.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [N] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de la Commission européenne recevable, alors :

« 1°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur le principe de concentration des moyens, que l'arrêt du 21 octobre 2016 avait seulement déclaré irrecevable la demande de la Commission européenne tendant à voir reconnaître la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance de Buje du 2 avril 2012, sans se prononcer sur le fond de la demande de celle-ci ; qu'en statuant par ce motif inopérant, cependant qu'elle avait constaté que les demandes successives de la Commission européenne, opposant les mêmes parties et fondées sur les mêmes faits, certes reposant sur un fondement juridique différent, étaient identiques dans leur objet en ce qu'elles tendaient l'une comme l'autre à obtenir en France la reconnaissance du caractère exécutoire du jugement rendu le 2 avril 2012 par le tribunal d'instance de Buje, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que le demandeur à l'exequatur, dans le cadre du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire prévu à l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, peut solliciter, à titre subsidiaire, l'exequatur de droit commun ; qu'en retenant, pour exclure l'application du principe de concentration des moyens, que la Commission européenne n'aurait pas pu utilement formuler, dès l'instance relative à la première demande, des moyens fondés sur le droit commun de l'exequatur, lorsqu'elle pouvait le faire, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil, 480 du code de procédure civile, ensemble les articles 43 et 45 du règlement précité. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 41 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une décision rendue dans un Etat membre est d'abord déclarée exécutoire dès l'achèvement des formalités prévues à l'article 53, sans examen des critères prévus aux articles 34 et 35.

7. L'article 43 prévoit que l'une ou l'autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

8. Selon l'article 45, la juridiction saisie de ce recours ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35.

9. Par arrêt du 13 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le juge saisi d'un recours prévu aux articles 43 ou 44 de ce règlement refuse ou révoque une déclaration constatant la force exécutoire d'une décision pour un motif autre que ceux indiqués aux articles 34 et 35 de celui-ci, tels que l'exécution de celle-ci dans l'État membre d'origine (C-139/10).

10. Enfin, l'article 509-2, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011, donne compétence au greffier en chef du tribunal de grande instance pour déclarer exécutoire les décisions rendues dans les Etats membres de l'Union européenne.

En vertu de l'annexe III du règlement, le recours prévu à l'article 43 est porté, en France, devant les cours d'appel.

11. Il résulte de l'article 45 de ce règlement, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, que la cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.

12. Ayant ainsi exactement énoncé qu'aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne pouvait être soulevé devant la cour d'appel qui avait été saisie d'un recours en révocation de la déclaration du caractère exécutoire en France de la décision croate et que le droit commun de l'exequatur ne pouvait pas être invoqué à l'occasion de ce recours, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'introduction par la Commission européenne d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 43 et 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 19-25.108, (B), FS

Cassation sans renvoi

Règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 – Gel d'avoirs libyens – Mesure d'exécution – Mise en oeuvre – Conditions – Détermination – Portée

Il résulte des articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 et de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11, § 2, du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 septembre 2019) et les productions, sur le fondement d'une sentence arbitrale revêtue de l'exequatur, portant condamnation à paiement de l'Etat libyen, la société [P] [D] [F] et fils (la société [F]) a fait pratiquer en France, le 5 juillet 2013, des saisies-attributions au préjudice de la Libyan Investment Authority (LIA) et de sa filiale à 100 %, la société Libyan Arab Foreign Investment Company (la société LAFICO), entre les mains de la banque BIA et de la Société générale, et, le 13 août 2013, une saisie de droits d'associés et de valeurs mobilières détenus par la société CER, filiale à 100 % de la société LAFICO.

2. L'arrêt du 5 septembre 2019 a rejeté les demandes de la LIA et de la société LAFICO en contestation de ces saisies.

3. Devant la Cour de cassation, la LIA a fait état du gel de ses avoirs en application de résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies mises en oeuvre, au sein de l'Union européenne, par le règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye.

4. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 655), il a été sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d'un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l'égard de l'Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement n° 2016/44, s'opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle qu'une saisie conservatoire.

5. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.

Examen des moyens

Sur le moyen relevé d'office

6. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1, 5 § 4 et 11 § 2 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution :

7. Le premier de ces textes dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :

i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;

ii) les dépôts auprès d'établissements financiers ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;

iii) les titres de propriété et d'emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu'ils soient négociés en Bourse ou fassent l'objet d'un placement privé ;

iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;

[...]

b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »

8. Selon le deuxième, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l'annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.

9. Le troisième dispose :

« 2.Par dérogation à l'article 5, § 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :

a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, § 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, § 4 ;

b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. »

10. Le quatrième dispose :

« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.

La notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.

Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.

Lorsqu'une saisie-attribution se trouve privée d'effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »

11. La CJUE a été saisie par l'Assemblée plénière d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, dont l'article 1° dispose :

« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :

[...]

h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »

12. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de « gel des fonds » englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n'a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).

13. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement n° 423/2007 selon lesquels :

 - « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d'Iran ont une vocation préventive en ce sens qu'elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§§ 52 et 54) ;

 - « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l'avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;

 - « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » revêtent une interprétation large parce qu'il s'agit d'empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d'exploiter les failles du système » (§ 56).

14. La CJUE ajoute qu'elle « a déjà jugé que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n'ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l'adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété [...], de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n'est pas pertinente » (§§ 66 et 67).

15. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l'Iran et par celui relatif à la Libye.

Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l'Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l'occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l'ancien régime de [S] [G], susceptibles d'être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (deuxième considérant).

16. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11, § 2, du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.

17. Pour rejeter la demande de mainlevée des saisies-attributions diligentées en juillet et août 2013 par la société [F] sur des actifs détenus en France par la LIA et par sa filiale à 100 %, la société LAFICO, l'arrêt retient que la LIA est une émanation de l'Etat libyen et que les fonds ne bénéficient pas de l'immunité d'exécution.

18. En statuant ainsi, alors que tous les fonds et ressources économiques qui appartenaient à la LIA ou que celle-ci avait en sa possession, détenait ou contrôlait à compter du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient hors de Libye à cette date étaient gelés et alors qu'il n'était pas justifié d'une autorisation préalable du directeur du Trésor, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

19. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

20. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

21. La société [F] n'ayant pas sollicité l'autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies, il convient de confirmer le jugement qui en a donné mainlevée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 septembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME le jugement rendu le 10 juillet 2018 par le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SARL Delvolvé et Trichet ; SCP Rousseau et Tapie ; SCP Bénabent -

Textes visés :

Articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 ; article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 29 avril 2022, pourvoi n° 18-18.542, Bull., (Cassation partielle partiellement sans renvoi).

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 19-21.964, (B), FS

Rejet

Règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 – Gel d'avoirs libyens – Mesure d'exécution – Mise en oeuvre – Conditions – Détermination – Portée

Il résulte des articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011et de l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11, § 2, du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 juin 2019), par actes séparés du 11 mars 2016, la société [H] [X] [M] et fils ([M]), bénéficiaire d'une sentence arbitrale rendue au [Localité 3] contre l'Etat libyen, a, après avoir obtenu l'exequatur de cette décision, fait pratiquer, entre les mains de la Société générale, une saisie-attribution des sommes détenues au nom de l'Etat de Libye ou de la Libyan investment authority (LIA), ainsi qu'une saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières, laquelle en a demandé la mainlevée.

2. Par un arrêt du 3 novembre 2021 (n° 653), il a été sursis à statuer jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), saisie par un arrêt de l'assemblée plénière de la Cour de cassation (Ass. plén., 10 juillet 2020, pourvois n° 18-18.542 et 18-21.814) de la question de savoir si les dispositions d'un autre règlement européen, relatif à des mesures restrictives à l'égard de l'Iran et comportant une définition des mesures de gel analogue à celle du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011, s'opposaient à ce que soit diligentée sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l'autorité nationale compétente, une mesure dépourvue d'effet attributif, telle qu'une saisie conservatoire.

3. Par un arrêt du 11 novembre 2021 (C-340/20), la CJUE a répondu à la question préjudicielle.

Examen du moyen

Sur le moyen unique

Enoncé du moyen

4. La société [M] fait grief à l'arrêt d'ordonner la mainlevée de la saisie-attribution et de la saisie de droits d'associés ou de valeurs mobilières pratiquées le 11 mars 2016 auprès de la Société générale option Europe à l'encontre de la société LIA, alors :

« 1°/ qu'en vertu des principes du droit international relatifs à l'immunité d'exécution, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure est engagée, qu'en décidant que « les Etats étrangers bénéficient en effet, par principe, d'une immunité d'exécution. Il en est autrement lorsque les biens concernés se rattachent, non à l'exercice d'une activité de souveraineté, ce qui signifie que les biens sont utilisés ou sont destinés à être utilisés à des fins publiques, mais à une opération économique, commerciale ou civile relevant du droit privé qui donne lieu à la demande en justice », l'arrêt attaqué a été rendu en violation du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;

2°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'immunité d'exécution doit être écartée lorsque le bien appréhendé est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé à des fins d'investissement ; qu'en l'espèce, pour juger que les sommes détenues par la LIA sur le compte-courant ouvert auprès de la Société générale option Europe ainsi que les droits d'associés ou les valeurs mobilières bénéficiaient d'une immunité d'exécution et ne pouvaient, par conséquent, être l'objet d'une saisie, la cour d'appel s'est bornée à constater que ces biens étaient « utilisés ou destinés à être utilisés à des fins publiques » ; qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait elle-même constaté que les fonds étaient spécialement affectés à des activités d'investissement à l'étranger, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers et notamment l'immunité d'exécution ;

3°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, le bénéfice de l'immunité d'exécution s'apprécie pour chaque bien appréhendé par la saisie ; qu'en jugeant que l'immunité d'exécution couvrait tous « les biens appartenant à l'Autorité libyenne d'investissement, quel que soit le produit financier de placement », la cour d'appel n'a pas pris en considération la finalité à laquelle était destiné le produit financier « Euro Medium Term Note », pourtant objet de la saisie, et a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;

4°/ que toute activité déployée par un Etat ou son émanation ne peut que poursuivre un intérêt général ; qu'à lui seul le critère fondé sur l'intérêt général n'est pertinent pour délimiter le champ de l'immunité d'exécution ; qu'en se référant exclusivement à l'idée que les opérations de placement réalisées par la LIA servaient l'intérêt du peuple libyen, notamment en visant la résolution 1973 du 17 mars 2011 du Conseil de sécurité de l'ONU sans rechercher si ces biens sont « spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé autrement qu'à des fins de service public non commerciales » pour décider que les fonds appréhendés étaient couverts par l'immunité d'exécution, l'arrêt attaqué a, ainsi, privé sa décision de base légale au regard des principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers ;

5°/ que porte une atteinte disproportionnée au droit fondamental à l'exécution des décisions de justice, toute protection des biens de l'Etat étranger allant au-delà de ce que prescrit le droit international coutumier tel que reflété par la Convention des Nations-Unies du 2 décembre 2004 ; qu'en l'espèce, pour prononcer la mainlevée de la saisie, la cour d'appel a jugé que les biens utilisés par le fond souverain de l'Etat libyen à des fins d'investissement étaient couverts par son immunité d'exécution ; qu'en statuant ainsi, alors que le droit international coutumier tel qu'il résulte de la Convention des Nations-Unies de 2004 autorise la saisie des biens utilisés par l'Etat ou l'une de ses émanations à des fins d'investissement, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les principes du droit international régissant les immunités d'exécution des Etats étrangers ;

6°/ que l'article 26 de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980, à laquelle se référait le contrat, dispose que « la conciliation et l'arbitrage se dérouleront conformément aux règles et aux procédures établies dans l'annexe de cette Convention » et que « cette annexe constitue une partie intégrante de celle-ci » ; qu'en l'espèce, pour juger que l'Etat libyen n'avait pas expressément accepté de se soumettre à la sentence arbitrale et ne s'était pas expressément engagé à exécuter cette sentence, la cour d'appel a retenu que n'était pas visé par la clause compromissoire du contrat passé avec l'exposante, l'article 2-8 de l'annexe de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 lequel prévoit que « la sentence arbitrale rendue conformément aux provisions de cet article sera définitive et liera les parties qui doivent s'y soumettre et qui doivent l'exécuter immédiatement » ; qu'en statuant ainsi, alors que l'article 29 du contrat passé entre l'Etat libyen et la société [M] stipulait qu'il devait être « recouru à l'arbitrage conformément aux dispositions de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 » laquelle, dans son article 26, énonce expressément que son annexe dont l'article 2-8 fait partie intégrante de ses dispositions, la cour d'appel a méconnu la force obligatoire du contrat, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 ;

7°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'acceptation par l'État étranger, signataire de la clause d'arbitrage, de se soumettre à la sentence arbitrale et de l'exécuter dans les termes de la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes signée le 26 novembre 1980 vaut renonciation expresse à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, alors qu'elle avait elle même constaté que l'Etat libyen avait, non seulement, expressément adhéré à cette Convention mais, également, expressément visé cette Convention dans la clause compromissoire du contrat qu'il a conclu avec l'exposante, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble la Convention unifiée pour l'investissement des capitaux arabes dans les pays arabes ;

8°/ qu'en vertu des principes du droit international régissant les immunités des États étrangers, l'engagement pris par l'Etat signataire de la clause d'arbitrage d'exécuter la sentence conformément à l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du commerce international du [Localité 3] lequel est expressément visé par la sentence arbitrale, vaut renonciation à son immunité d'exécution ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les principes du droit international régissant les immunités des Etats étrangers, ensemble l'article 34-2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] ;

9°/ que les parties ayant toutes deux admis que l'article 34.2 du règlement de procédure du centre régional d'arbitrage du [Localité 3] était applicable même s'il n'était pas visé par la clause compromissoire, la cour d'appel ne pouvait se fonder sur le silence de la clause sur ce texte sans méconnaître les termes du litige et violer l'article 4 du code de procédure civile ;

10°/ que, subsidiairement à supposer que la cour d'appel ait adopté les motifs des premiers juges, doit être qualifiée d'émanation, l'entité dépourvue de d'autonomie fonctionnelle et de patrimoine propre ; que cette qualité s'apprécie en droit mais surtout en fait selon la méthode du faisceau d'indices ;qu'en l'espèce, pour refuser de qualifier la L.I.A. d'émanation de l'Etat libyen, les juges du fond se sont exclusivement fondés sur l'autonomie juridique de l'entité ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher comme ils y étaient invités, si dans les faits, la L.I.A. n'était pas suffisamment indépendante dans son fonctionnement et si son patrimoine se confondait avec celui de l'Etat libyen, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des principes du droit international relatifs aux émanations des Etats étrangers. »

Réponse de la Cour

5. L'article 1 du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 et l'article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

a) « fonds », les actifs financiers et les avantages économiques de toute nature, y compris et notamment, mais pas exclusivement :

i) le numéraire, les chèques, les créances en numéraire, les traites, les ordres de paiement et autres instruments de paiement ;

ii) les dépôts auprès d'établissements financiers ou d'autres entités, les soldes en comptes, les créances et les titres de créances ;

iii) les titres de propriété et d'emprunt, tels que les actions et autres titres de participation, les certificats représentatifs de valeurs mobilières, les obligations, les billets à ordre, les warrants, les obligations non garanties et les contrats sur produits dérivés, qu'ils soient négociés en Bourse ou fassent l'objet d'un placement privé ;

iv) les intérêts, les dividendes ou autres revenus d'actifs ou plus-values perçus sur des actifs ;

[...]

b) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds ou tout accès à ceux-ci qui aurait pour conséquence une modification de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, y compris la gestion de portefeuilles. »

6. Selon l'article 5 § 4 du même règlement, tous les fonds et ressources économiques qui appartiennent aux entités énumérées à l'annexe VI, parmi lesquelles figure la LIA, ou que celles-ci avaient en leur possession, détenaient ou contrôlaient à la date du 16 septembre 2011 et qui se trouvaient en dehors de Libye à cette date restent gelés.

7. L'article 11, § 2, du même règlement dispose :

« 2.Par dérogation à l'article 5, § 4, et pour autant qu'un paiement soit dû au titre d'un contrat ou d'un accord conclu ou d'une obligation souscrite par la personne, l'entité ou l'organisme concerné avant la date de sa désignation par le Conseil de sécurité ou le comité des sanctions, les autorités compétentes des États membres, mentionnées sur les sites internet énumérés à l'annexe IV, peuvent autoriser, dans les conditions qu'elles jugent appropriées, le déblocage de certains fonds ou ressources économiques gelés, pour autant que les conditions suivantes soient réunies :

a) l'autorité compétente concernée a établi que le paiement n'enfreint pas l'article 5, § 2, ni ne profite à une entité visée à l'article 5, § 4 ;

b) l'État membre concerné a notifié au comité des sanctions, dix jours ouvrables à l'avance, son intention d'accorder une autorisation. »

8. Le quatrième dispose :

« L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation.

La notification ultérieure d'autres saisies ou de toute autre mesure de prélèvement, même émanant de créanciers privilégiés, ainsi que la survenance d'un jugement portant ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ne remettent pas en cause cette attribution.

Toutefois, les actes de saisie notifiés au cours de la même journée entre les mains du même tiers sont réputés faits simultanément. Si les sommes disponibles ne permettent pas de désintéresser la totalité des créanciers ainsi saisissants, ceux-ci viennent en concours.

Lorsqu'une saisie-attribution se trouve privée d'effet, les saisies et prélèvements ultérieurs prennent effet à leur date. »

9. La CJUE a été saisie par l'assemblée plénière d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation du règlement (CE) n° 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l'adoption de mesures restrictives à l'encontre de l'Iran, dont l'article 1° dispose :

« Aux seules fins du présent règlement, on entend par :

[...]

h) « gel des fonds », toute action visant à empêcher tout mouvement, transfert, modification, utilisation ou manipulation de fonds qui aurait pour conséquence un changement de leur volume, de leur montant, de leur localisation, de leur propriété, de leur possession, de leur nature, de leur destination ou toute autre modification qui pourrait en permettre l'utilisation, notamment la gestion de portefeuilles. »

10. De cette définition, la CJUE déduit que « la notion de « gel des fonds » englobe toute utilisation de fonds ayant pour conséquence, notamment, un changement de la destination de ces fonds, même si une telle utilisation des fonds n'a pas pour effet de faire sortir des biens du patrimoine du débiteur » (§ 49).

11. La CJUE ajoute que cette interprétation est corroborée par les considérants du règlement 423/2007, selon lesquels :

 - « les mesures restrictives adoptées contre la République islamique d'Iran ont une vocation préventive en ce sens qu'elles visent à empêcher un risque de prolifération nucléaire dans cet Etat » (§§ 52 et 54) ;

 - « les mesures de gel des fonds et des ressources économiques visent par conséquent à éviter que l'avoir concerné par une mesure de gel soit utilisé pour procurer des fonds, des biens ou des services susceptibles de contribuer à la prolifération nucléaire en Iran » (§ 55) ;

 - « pour atteindre ces buts, il est non seulement légitime, mais également indispensable que les définitions des notions de « gel des fonds » et de « gel des ressources économiques » revêtent une interprétation large parce qu'il s'agit d'empêcher toute utilisation des avoirs gelés qui permettrait de contourner les règlements en cause et d'exploiter les failles du système » (§ 56).

12. La CJUE ajoute qu'elle « a déjà jugé que l'importance des objectifs poursuivis par un acte de l'Union établissant un régime de mesures restrictives est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs, y compris pour ceux qui n'ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l'adoption des mesures concernées, mais qui se trouvent affectés notamment dans leurs droits de propriété [...] de sorte que la circonstance que la cause de la créance à recouvrer sur la personne ou l'entité dont les fonds ou les ressources économiques sont gelés est étrangère au programme nucléaire et balistique iranien et antérieure à la résolution 1737 (2006) n'est pas pertinente » (§§ 66 et 67).

13. Les mesures de gel sont définies en termes similaires par le règlement concernant l'Iran et par celui relatif à la Libye.

Les considérants de celui-ci, comme ceux du règlement concernant l'Iran, soulignent la portée préventive des mesures de gel, en l'occurrence la prévention de « la menace que représentent les personnes et entités qui possèdent ou contrôlent des fonds publics libyens détournés sous l'ancien régime de [C] [Y], susceptibles d'être utilisés pour mettre en danger la paix, la stabilité ou la sécurité en Libye, ou pour entraver ou compromettre la réussite de sa transition politique » (2ème considérant).

14. Il en résulte que ne peut être diligentée, sur des fonds ou des ressources économiques gelés, aucune mesure d'exécution qui aurait pour effet, non seulement de les faire sortir du patrimoine du débiteur, mais aussi de conférer au créancier poursuivant un simple droit de préférence, sans une autorisation préalable du directeur du Trésor, autorité nationale désignée en application de l'article 11 § 2 du règlement n° 2016/44, une telle interprétation étant indispensable pour assurer l'efficacité des mesures restrictives, quels qu'en soient les effets sur les créanciers étrangers aux détournements de fonds publics opérés sous l'ancien régime libyen.

15. Il ressort de l'arrêt que la société [M] n'a pas sollicité l'autorisation du directeur du Trésor préalablement aux saisies.

16. Il en résulte que la mainlevée des saisies ne pouvait qu'être ordonnée.

17. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision déférée se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Hascher - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Bénabent ; SARL Delvolvé et Trichet -

Textes visés :

Articles 1, 5, § 4, et 11, § 2, du règlement (UE) n° 2016/44 du Conseil du 18 janvier 2016 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Libye et abrogeant le règlement (UE) n° 204/2011 du Conseil du 2 mars 2011 ; article L. 211-2 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

Ass. plén., 29 avril 2022, pourvoi n° 18-18.542, Bull., (Cassation partielle partiellement sans renvoi).

1re Civ., 21 septembre 2022, n° 19-15.438, (B), FS

Cassation sans renvoi

Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 – Article 10, § 1, sous a) – Compétence en matière successorale – Compétence subsidiaire – Critères – Biens successoraux situés en France – Nationalité française – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), [Y] [H], de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [F], et ses trois enfants issus d'une première union, [S], [R] et [U] (les consorts [H]).

2. Les consorts [H] ont assigné Mme [F] devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, au motif que la résidence habituelle de [Y] [H] au jour de son décès était située en France.

3. [S] [H] étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

4. Par un arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité.

5. Par un arrêt du 7 avril 2022 (C-645/20), la CJUE a répondu à la question posée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité :

8. Selon ce texte, titré « Compétences subsidiaires », lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.

9. Par son arrêt précité du 7 avril 2022, la CJUE a dit pour droit que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition. »

10. Pour déclarer la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession de [Y] [H] et désigner un mandataire successoral, l'arrêt retient que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, la cour d'appel, qui n'a pas, en conséquence, relevé d'office sa compétence subsidiaire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Comme suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La cour d'appel ayant constaté que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, les juridictions françaises sont donc compétentes pour statuer sur l'ensemble de sa succession en application de l'article 10, § 1, sous a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] ;

Confirme l'ordonnance rendue 12 décembre 2017 en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Nanterre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

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