Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

TRAVAIL REGLEMENTATION, CONTROLE DE L'APPLICATION DE LA LEGISLATION

Soc., 21 septembre 2022, n° 21-13.045, (B), FS

Cassation partielle

Droit d'expression des salariés – Droit d'expression directe et collective – Exercice – Effets – Sanction ou licenciement – Limites – Exercice non abusif – Détermination – Portée

Selon les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail. Sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l'exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juin 2020), M. [K] a été engagé, à compter du 19 septembre 2011, par la société Installux management gestion, en qualité d'employé au service d'approvisionnement.

2. Le 31 janvier 2015, l'employeur a notifié au salarié son licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail sur leur lieu de travail et que les opinions émises dans ce cadre ne peuvent faire l'objet de sanction ; que le salarié s'est exprimé sur l'organisation de son travail au cours d'une réunion « expression des salariés loi Auroux » alors qu'il faisait l'objet d'une surcharge de travail ; qu'en retenant que l'expression du salarié dépassait le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise et constituait une faute de nature à justifier son licenciement, sa surcharge de travail ne l'exonérant pas de cette faute, la cour d'appel a violé les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 :

4. Il résulte de ces textes que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail. Sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l'exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

5. Pour dire le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir écarté les autres griefs imputés au salarié, retient que lors de la réunion d'expression collective des salariés du 14 janvier 2015, il a, en présence de la direction et de plusieurs salariés de l'entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique, tentant d'imposer au directeur général un désaveu public de cette dernière. Il ajoute que le médecin du travail a constaté, deux jours plus tard, l'altération de l'état de santé de la supérieure hiérarchique. Il en déduit que ce comportement s'analyse en un acte d'insubordination, une attitude de dénigrement et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'abus par le salarié dans l'exercice de son droit d'expression directe et collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [K] repose sur une cause réelle et sérieuse, rejette ses demandes de dommages-intérêts consécutive et d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et dit que chaque partie conserve ses dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 10 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Grandemange - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007.

Rapprochement(s) :

Sur l'exercice par le salarié de son droit d'expression directe et collective dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 2 mai 2001, pourvoi n° 98-45.532, Bull. 2001, V, n° 142 (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 21 septembre 2022, n° 21-10.718, (B) (R), FS

Rejet

Règlement intérieur – Formalités légales – Consultations préalables des représentants du personnel – Inobservation par l'employeur – Action en justice – Action exercée par un syndicat – Recevabilité – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 décembre 2020), la société Autoroute Paris Rhin Rhône APRR (la société) a engagé, fin 2007, une procédure de modification de son règlement intérieur datant du 27 novembre 2006.

2. Le 20 mars 2018, le syndicat Sud autoroute APRR (le syndicat) a fait assigner selon la procédure à jour fixe la société, en demandant au tribunal, notamment, d'annuler le règlement intérieur devant entrer en vigueur le 16 avril 2018 à raison de l'absence de consultation des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et des comités d'établissement.

Examen des moyens

Sur le second moyen et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexés

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le syndicat fait grief à l'arrêt de le déclarer irrecevable à agir en contestation de la validité, ou de l'opposabilité aux salariés de l'entreprise APRR, du règlement intérieur modifié d'entreprise de 2018, en raison de l'irrespect des procédures de consultation des comités d'établissement et CHSCT et de le débouter, en conséquence, de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour le préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession et d'indemnité pour frais irrépétibles, alors « que si les institutions représentatives du personnel sont habilitées à défendre en justice leurs propres intérêts concernant les modalités concrètes suivant lesquelles s'organisent leurs relations avec l'employeur, les syndicats professionnels gardent le monopole de la défense des intérêts collectifs de la profession lesquels sont atteints à chaque fois qu'est méconnue une disposition d'ordre public social, notamment, en cas de défaut de réunion, d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel lors de l'élaboration du règlement intérieur applicable à la collectivité des salariés d'une entreprise ; qu'en jugeant que les comités d'établissement et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société APRR n'ayant pas eux-mêmes sollicité devant le juge judiciaire l'annulation ou l'inopposabilité du règlement intérieur modifié de l'entreprise APRR, le syndicat Sud Autoroutes APRR serait irrecevable à agir de manière autonome en contestation de la validité du règlement intérieur pour défaut de consultation préalable des institutions représentatives du personnel, la cour d'appel a violé l'article L. 2132-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 1321-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, le règlement intérieur ne peut être introduit qu'après avoir été soumis à l'avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel ainsi que, pour les matières relevant de sa compétence, à l'avis du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

6. Il résulte de ce texte que le règlement intérieur ne peut entrer en vigueur dans une entreprise et être opposé à un salarié dans un litige individuel que si l'employeur a accompli les diligences prévues par l'article L. 1321-4 du code du travail qui constituent des formalités substantielles protectrices de l'intérêt des salariés.

7. Aux termes de l'article L. 2132-3 du même code, les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.

8. Il s'ensuit qu'un syndicat est recevable à demander en référé que soit suspendu le règlement intérieur d'une entreprise en raison du défaut d'accomplissement par l'employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel, en l'absence desquelles le règlement intérieur ne peut être introduit, dès lors que le non-respect de ces formalités porte un préjudice à l'intérêt collectif de la profession qu'il représente.

En revanche, un syndicat n'est pas recevable à demander au tribunal judiciaire par voie d'action au fond la nullité de l'ensemble du règlement intérieur ou son inopposabilité à tous les salariés de l'entreprise, en raison du défaut d'accomplissement par l'employeur des formalités substantielles tenant à la consultation des institutions représentatives du personnel.

9. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1321-4, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, et L. 2132-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité pour un syndicat professionnel de demander, en référé, la suspension d'une mesure prise par l'employeur, à rapprocher : Soc., 24 juin 2008, pourvoi n° 07-11.411, Bull. 2008, V, n° 140 (1) (cassation partielle). Sur la nécessité de soumettre le règlement intérieur à l'avis des institutions représentatives du personnel, à rapprocher : Soc., 9 mai 2012, pourvoi n° 11-13.687, Bull. 2012, V, n° 134 (rejet).

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