Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

TRANSACTION

1re Civ., 14 septembre 2022, n° 17-15.388, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Homologation – Compétence – Président du tribunal de grande instance – Contrôle – Etendue – Détermination – Portée

Il résulte de l'article 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et de l'article 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction.

Homologation – Effets – Etendue – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 janvier 2017, rectifié le 8 juin 2021), le 30 avril 2007, MM. [E] et [C] [I] et Mme [Y] (les consorts [I]), d'une part, MM. [A] et [K] [F] (les consorts [F]), d'autre part, ont conclu « un protocole transactionnel » aux termes duquel les consorts [I] ont accepté de rembourser aux consorts [F], en trois versements, outre une mensualité de 800 euros jusqu'à complet paiement, le compte courant détenu par ces derniers dans la société civile immobilière [Adresse 10] (la SCI) dont ils étaient les associés.

En contrepartie, les consorts [F] se sont engagés, après parfait paiement de leur créance, à céder à M. [C] [I] la totalité de leurs parts sociales au prix d'un euro.

2. Le 29 octobre 2008, M. [E] [I] a consenti à ses trois enfants mineurs, [R], [N] et [M], une donation portant sur la propriété indivise d'un appartement, avec réserve d'usufruit au profit de Mme [O], son épouse.

3. Par ordonnance du 16 septembre 2009, confirmée le 5 avril 2011, le président du tribunal de grande instance de Paris a donné force exécutoire au protocole.

4. Invoquant la défaillance de M. [E] [I], les consorts [F] ont vainement diligenté diverses mesures d'exécution à son encontre.

5. Le 2 juillet 2013, ils ont assigné M. [E] [I], Mme [O] et leurs enfants, représentés par ceux-ci, en inopposabilité de l'acte de donation aux fins de pouvoir procéder à la saisie de l'appartement et en paiement de dommages-intérêts au titre de leurs préjudices matériel et moral. M. [E] [I] et Mme [O] ont opposé la nullité du protocole en l'absence de concessions réciproques, invoqué une clause léonine et contesté leur insolvabilité.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

6. M. [E] [I] et Mme [O] font grief à l'arrêt de déclarer l'acte de donation inopposable aux consorts [F] et de dire qu'ils pourront procéder à la saisie de l'appartement, dans la limite de leurs créances, alors « que la révocation prévue à l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, suppose établie l'insolvabilité du débiteur, à la date de l'introduction de la demande ; qu'en se satisfaisant de l'état d'insolvabilité apparente de M. [I], tant à la date de l'acte de donation litigieux qu'au jour où l'action a été engagée, comme le démontre l'absence de tout règlement de la dette des consorts [F], postérieur au 15 septembre 2007, les multiples voies d'exécution diligentées sans succès et l'opacité de sa situation professionnelle, au lieu de vérifier si le patrimoine du débiteur ne lui permettait pas de répondre à son engagement, la cour d'appel a violé l'article 1167 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

7. Sous le couvert d'un grief non fondé de violation de la loi, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis et au vu desquels elle a estimé que M. [E] [I] n'établissait pas disposer de biens d'une valeur suffisante pour désintéresser les consorts [F] à la date d'introduction de leur demande.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. M. [E] [I] et Mme [O] font le même grief à l'arrêt, alors « que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue, en application de l'article 1441-4 du code de procédure civile, sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne peut porter que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs ; qu'il s'ensuit que l'homologation de la transaction du 30 avril 2007 n'interdisait pas aux consorts [I] d'en solliciter l'annulation, en tant qu'elle avait été conclue en fraude de leurs droits, en violation de la prohibition des clauses léonines, en tant qu'elle leur faisait supporter l'intégralité du passif de la SCI [Adresse 10] ; qu'en affirmant, à l'inverse, qu'il n'était plus au pouvoir des consorts [I] de remettre en cause le principe de la créance des consorts [F], dès lors qu'elle trouvait son origine dans un protocole transactionnel du 30 avril 2007, auquel le président du tribunal de grande instance de Paris avait reconnu force exécutoire en l'homologuant par ordonnance sur requête définitive, après rejet de la requête en rétractation, la cour d'appel a violé la disposition précitée, ensemble les articles 1167 et 2052 du code civil dans leur rédaction applicable en l'espèce et l'article 1844-1 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, et 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998 :

10. Il résulte de ces textes que, lorsque le président du tribunal de grande instance statue sur une demande tendant à conférer force exécutoire à une transaction, son contrôle ne porte que sur la nature de la convention qui lui est soumise et sur sa conformité à l'ordre public et aux bonnes moeurs et n'exclut pas celui opéré par le juge du fond saisi d'une contestation de la validité de la transaction.

11. Pour accueillir la demande en inopposabilité de la donation, après avoir constaté que M. [E] [I] et Mme [O] invoquaient la nullité de la transaction litigieuse en raison de son caractère frauduleux et de l'absence de concessions réciproques, l'arrêt retient que le principe de créance des consorts [F] est certain, dès lors que celle-ci trouve son origine dans la transaction à laquelle l'arrêt du 5 avril 2011 a conféré force exécutoire et dont la validité ne peut plus être remise en cause.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. En premier lieu, en application de l'article 2052, alinéa 2, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, les transactions ne peuvent être attaquées pour cause de lésion.

16. Par ailleurs, il résulte des termes de la transaction litigieuse que, conformément à l'article 2044 du même code dans sa rédaction antérieure à celle issue de la même loi, elle renferme des concessions réciproques.

17. En effet, les consorts [I] reconnaissent que les consorts [F] disposent envers la SCI d'une créance de 189 711 euros qu'ils acceptent d'acquérir suivant acte de cession séparé joint à la transaction moyennant paiement du prix de 189 711 euros en trois mensualités et les consorts [F] acceptent en contrepartie de leur céder moyennant le prix symbolique d'un euro la totalité des parts qu'ils détiennent dans la SCI.

18. Les consorts [I] ne peuvent donc utilement soutenir que la transaction conclue conduirait à un enrichissement sans cause des consorts [F], qu'elle serait dépourvue de concessions réciproques, qu'elle contiendrait une clause léonine ou que la créance des consorts [F] serait déséquilibrée.

19. En second lieu, les consorts [I] se bornent à alléguer sans l'établir l'existence d'une fraude à la loi et d'un passif de la SCI lors de la transaction.

20. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'exception de nullité du protocole, soulevée par les consorts [I], doit être écartée.

21. En conséquence, toutes les conditions de l'action paulienne étant réunies, il y a lieu d'accueillir la demande en inopposabilité de la donation formée par les consorts [F] et d'autoriser ceux-ci à procéder à la saisie de l'appartement situé [Adresse 5] dans la limite de leurs créances en application de la transaction du 30 avril 2007.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

22. M. [E] [I] et Mme [O] font grief à l'arrêt de les condamner in solidum ainsi que leurs trois enfants, [R], [N] et [M] [I], représentés par leurs parents, à payer aux consorts [F], la somme de 4 000 euros en réparation de leur préjudice matériel et celle de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral, alors « que la défense à une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient alors au juge de spécifier, dégénérer en abus lorsque sa légitimité a été reconnue par le premier juge, malgré l'infirmation dont sa décision a été l'objet ; qu'en retenant que les consorts [F] se sont heurtés à la résistance abusive des consorts [I], ainsi qu'à leur volonté démontrée de ne pas honorer leurs engagements, bien qu'ils aient relevé appel du jugement entrepris les déboutant de leur action paulienne, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à caractériser l'existence d'une faute des consorts [I] ; qu'ainsi, elle a violé l'article 1382 du code civil dans sa rédaction applicable en l'espèce. »

Réponse de la Cour

23. La cour d'appel a retenu que la faute des consorts [I] résidait dans l'inexécution de leurs engagements envers les consorts [F] et non dans un abus de leur droit d'agir en justice.

24. Le moyen manque donc en fait.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare inopposable aux consorts [F] l'acte de donation de l'appartement situé [Adresse 5] et en ce qu'il dit que les consorts [F] pourront procéder à la saisie de cet appartement dans la limite de leurs créances, l'arrêt rendu le 26 janvier 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Statuant au fond, déclare inopposable à MM. [A] et [K] [F] l'acte de donation de la nue-propriété en indivision de l'appartement situé [Adresse 6] cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 7 et 81 faite par M. [E] [I] à [R] [W] [I], [N] [H] [I] et [M] [G] [I], représentés par leurs parents M. [E] [I] et Mme [Z] [O] épouse [I], avec réserve d'usufruit à M. [E] [I] et à Mme [Z] [O] par acte reçu par Me [V] notaire à Paris, le 29 octobre 2008, publié au service de la publicité foncière de Paris n° 8, le 9 décembre 2008, référence d'enliassement 2008P6985 ;

Autorise MM. [A] et [K] [F] à procéder à la saisie de l'appartement situé [Adresse 6] cadastré section BY n° [Cadastre 1], lot n° 7 et 81, dans la limite de leurs créances en application du protocole du 30 avril 2007, entre les mains des donataires.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier -

Textes visés :

Article 2052 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ; article 1441-4 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 98-1231 du 28 décembre 1998.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 28 septembre 2017, pourvoi n° 16-19.184, Bull. 2017, II, n° 190 (cassation) ; 2e Civ., 26 mai 2011, pourvoi n° 06-19.527, Bull. 2011, II, n° 120 (rejet).

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