Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

TIERCE OPPOSITION

2e Civ., 29 septembre 2022, n° 21-14.926, (B), FRH

Cassation partielle sans renvoi

Effet dévolutif – Portée – Portée limitée à la remise en question des points jugés critiques par son auteur – Conséquences – Défendeur – Prétentions – Demandes n'ayant pas pour objet d'écarter celles du tiers opposant – Possibilité (non)

Il résulte de l'article 582 du code de procédure civile que l'effet dévolutif de la tierce opposition étant limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique, le défendeur n'est pas recevable à présenter d'autres prétentions que celles tendant à faire écarter celles du tiers opposant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 9 février 2021) et les productions, à l'issue d'une adjudication, datant de 1967, en plusieurs lots, d'une parcelle située à [Localité 26] comportant une maison principale et des bâtiments annexes, et à la suite des cessions, et sous-divisions, successives des lots, M. et Mme [ZN] sont devenus propriétaires des lots désignés comme ceux de la maison principale.

2. Selon le cahier des charges de l'adjudication, il était prévu que l'allée menant à la maison principale resterait commune à tous les lots et que les acquéreurs des écuries, de la laiterie et du pré auraient un droit de passage de 4 mètres pour accéder à leurs lots.

3. Un litige étant né sur le statut de cette allée commune, dénommée [Adresse 22] instituée sur la parcelle BD [Cadastre 11], et desservant, à partir de la voie publique, au nord, jusqu'à sa partie sud, rétrécie sur 4 mètres, les parcelles le bordant, notamment la maison principale, un arrêt de la cour d'appel de Rennes du 17 janvier 2012, rendu entre M. et Mme [ZN] et les différents riverains, notamment Mmes [V] et [W] [N] (les consorts [N]), a dit que les droits cédés à M. et Mme [ZN] sur la parcelle BD [Cadastre 11] portaient sur la propriété privative de la partie sud, délimitée à partir du rétrécissement de la voie à 4 mètres, et sur la propriété indivise entre les riverains de la partie nord.

4. Cet arrêt a également débouté les consorts [N] de leur demande en revendication d'un droit de passage sur la partie sud de la parcelle BD [Cadastre 11] au profit de leur parcelle contigüe et leur a interdit de l'utiliser.

5. À la suite de cet arrêt, la parcelle BD [Cadastre 11] a été divisée en deux parcelles, en sa partie nord, BD [Cadastre 16], constituant le [Adresse 22], soumis à une indivision perpétuelle, et en sa partie sud, BD [Cadastre 17], constituant le chemin privé d'accès à la propriété bâtie de M. et Mme [ZN]. Parmi ces propriétés riveraines du chemin privé se trouvent celle des consorts [N] et celle de M. et Mme [D], qui ont acquis en 1987 différentes parcelles, notamment des consorts [N], et qui n'ont pas été appelés dans l'instance jugée par l'arrêt du 17 janvier 2012.

6. Se prévalant du droit de passage institué par le cahier des charges de 1967 reproduit dans leur acte d'acquisition, M. et Mme [D] ont utilisé depuis 1987 le [Adresse 22], depuis la voie publique, au nord, jusqu'à leur propriété, au sud du chemin. Sommés par M. et Mme [ZN], qui leur ont signifié l'arrêt du 17 janvier 2012, de cesser de passer sur leur parcelle privative BD [Cadastre 17] pour rejoindre leur propriété, M. et Mme [D] ont formé tierce opposition à cet arrêt.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. M. et Mme [ZN] font grief à l'arrêt de déclarer recevable la tierce opposition, de dire que la disposition de l'arrêt du 17 janvier 2012 par laquelle la cour a « débouté les consorts [N] de leur demande en revendication d'un droit de passage sur la partie Sud de la parcelle cadastrée BD [Cadastre 11] au profit de la parcelle jointive BD [Cadastre 5] » [en fait [Cadastre 8]] a uniquement porté sur l'absence de servitude de passage bénéficiant à la parcelle BD [Cadastre 8] sans se prononcer sur la servitude de passage grevant le fonds de M. et Mme [ZN] au profit des autres parcelles dépendant du lot n° 4 ayant fait l'objet de l'adjudication sur surenchère du 15 mars 1968 actuellement propriété de M. et Mme [D], de dire que la disposition par laquelle l'arrêt « fait interdiction aux consorts [N] d'user de ce passage sous astreinte de 40 euros par infraction constatée passé le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt » est strictement personnelle aux consorts [N] en ce qu'ils sont propriétaires de la parcelle BD [Cadastre 8] et que cette interdiction ne concerne pas M. et Mme [D] en leur qualité de propriétaires des parcelles cadastrés section 177 BD [Cadastre 9] et [Cadastre 6], de dire que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rennes le 17 janvier 2012 ne comporte, relativement à la servitude créée par le cahier des charges dressé le 30 janvier 1967 au profit des parcelles dépendant du lot n° 4 actuellement cadastrées section 177 BD [Cadastre 9] et [Cadastre 6], aucune disposition affectant les droits de M. et Mme [D] sur cette servitude, de dire en conséquence qu'il n'y a pas lieu à rétracter ou à réformer l'arrêt rendu le 17 janvier 2012 et de condamner in solidum M. et Mme [J] [ZN] à payer aux consorts [N] une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1° / que seule une personne y ayant intérêt est recevable à former tierce opposition ; que pour juger recevable la tierce opposition des époux [D], la cour d'appel a retenu que « M. et Mme [ZN] interprètent l'arrêt rendu par la cour d'appel de Rennes le 17 janvier 2012 comme ayant supprimé la servitude de passage stipulée au profit de la propriété des époux [D] par le cahier des charges rédigé en 1967 » et que « se fondant exclusivement sur ledit arrêt pour interdire à M. et Mme [D] de continuer à utiliser le passage existant depuis la division du fonds en sept lots, ils lui attribuent une portée préjudiciable aux droits de M. et Mme [D], donnant ainsi à ceux-ci un intérêt à former tierce opposition à l'encontre de cette décision » ; qu'elle a cependant jugé que « la cour n'avait pas été saisie d'une demande portant sur la servitude instaurée en 1967 sauf à titre reconventionnel, de manière très limitée, par les consorts [N] qui en demandaient le bénéfice au seul profit de la parcelle BD n° [Cadastre 8] dont ils étaient restés propriétaires », ce dont elle a conclu que « l'arrêt n'a donc pas statué sur la servitude de passage stipulée par le cahier des charges de 1967 au profit des écuries, de la laiterie ainsi que du pré qui appartenaient à des tiers à ladite procédure », soulignant que « la disposition de l'arrêt invoquée par M. et Mme [ZN] est d'ailleurs parfaitement claire et dénuée de toute équivoque » ; qu'ainsi, en jugeant recevable la tierce opposition de M. et Mme [D], quand il s'évinçait de ses propres constatations qu'il était manifeste qu'aucun chef du dispositif de l'arrêt du 17 janvier 2012 ne concernait M. et Mme [D], lesquels n'avaient donc pas d'intérêt à le contester, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles 31 et 583 du code de procédure civile ;

2°/ qu'est irrecevable la tierce opposition qui ne tend qu'à l'interprétation de la décision attaquée ; que pour déclarer recevable la tierce opposition de M. et Mme [D], la cour d'appel a considéré que « l'article 461 du code de procédure civile réserve le recours en interprétation aux parties à la procédure de sorte que les tiers n'ont d'autre alternative, lorsqu'une décision de justice leur est opposée, que d'agir par la voie de la tierce opposition à son encontre pour en discuter la portée » ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles 461 et 582 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen pris en sa première branche

8. M. et Mme [D] et les consorts [N] contestent la recevabilité du moyen pris en sa première branche. Il soutiennent, respectivement, que le grief est irrecevable en ce qu'il critique l'arrêt pour des motifs relatifs au bien-fondé de la demande de rétractation, et qu'il est contraire aux écritures de M. et Mme [ZN].

9. Cependant, d'une part, la première branche ne critique que pour partie des motifs relatifs au fond et, d'autre part, si M. et Mme [ZN] ont soutenu, dans leurs conclusions devant la cour d'appel, que la tierce opposition formée par M. et Mme [D] était irrecevable en l'absence de chef de dispositif les concernant dans l'arrêt du 17 janvier 2012, ce n'est qu'à titre subsidiaire, et partant, sans contradiction, qu'ils ont développé, au fond, des moyens tendant à démontrer qu'il résultait de cet arrêt que le droit de passage revendiqué par M. et Mme [D] était dénié.

10. Le moyen, pris en sa première branche, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

11. Selon l'article 583 du code de procédure civile, la tierce opposition n'est recevable que si la personne, non partie ni représentée au jugement qu'elle attaque, y a intérêt, cet intérêt, souverainement apprécié par les juges du fond, n'impliquant pas nécessairement que la décision attaquée ait statué sur les droits et obligations de l'opposant.

12. D'une part, après avoir constaté que M. et Mme [ZN], qui interprétaient l'arrêt du 17 janvier 2012 comme ayant supprimé la servitude de passage stipulée au profit de la propriété de M. et Mme [D] par le cahier des charges de 1967, se fondaient exclusivement sur cet arrêt pour leur interdire de continuer à utiliser le passage existant depuis la division du fonds en plusieurs lots, la cour d'appel a estimé que M. et Mme [ZN] attribuaient à cet arrêt une portée préjudiciable aux droits de M. et Mme [D], leur donnant ainsi un intérêt à former tierce opposition à l'encontre de cette décision.

13. D'autre part, il résulte de l'arrêt que le recours formé par M. et Mme [D] ne tend pas à l'interprétation de l'arrêt du 17 janvier 2012, mais à sa rétractation.

14. Le moyen, qui, en sa première branche, ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation souveraine, par la cour d'appel, de l'intérêt de M. et Mme [D] à former tierce opposition, et qui, en sa seconde branche, manque en fait, n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

15. M. et Mme [ZN] font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à Mme [V] [N] et à Mme [W] [N] épouse [H], une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que l'effet dévolutif de la tierce opposition étant limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique, le défendeur n'est pas recevable à présenter d'autres prétentions que celles tendant à faire écarter celles du tiers opposant ; qu'en l'espèce, il ressort de la procédure que M. et Mme [D] ont cru devoir former une tierce opposition contre l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 17 janvier 2012 et de la diriger notamment contre les consorts [N] ; qu'en faisant droit à la demande d'indemnisation des consorts [N], défendeurs à la tierce opposition, contre M. et Mme [ZN] également défendeurs à la tierce opposition, la cour d'appel a méconnu les limites de l'effet dévolutif de la tierce opposition et violé les articles 125 et 582 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

16. Les consorts [N] contestent la recevabilité du moyen. Ils soutiennent qu'il est nouveau et qu'il est contraire à la position défendue par M. et Mme [ZN] devant les juges du fond, qui n'ont pas conclu sur la demande de dommages-intérêts ni contesté sa recevabilité.

17. Cependant, le moyen, pris de ce que l'effet dévolutif de la tierce opposition est limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique, est de pur droit.

18. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 582 du code de procédure civile :

19. Il résulte de ce texte que l'effet dévolutif de la tierce opposition étant limité à la remise en question, relativement à son auteur, des points jugés qu'elle critique, le défendeur n'est pas recevable à présenter d'autres prétentions que celles tendant à faire écarter celles du tiers opposant.

20. L'arrêt, statuant sur la demande des consorts [N], condamne M. et Mme [ZN] à leur payer une certaine somme à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice né de leur empêchement à réaliser la cession de leur immeuble en raison des allégations de M. et Mme [ZN], contraires à leurs moyens de défense invoqués dans le cadre de la procédure ayant abouti à l'arrêt du 17 janvier 2012 et de leur remise en cause injustifiée de l'existence des droits cédés à M. et Mme [D] en 1987.

21. En statuant ainsi, alors que la demande des consorts [N] était irrecevable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

22. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

23. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

24. Il résulte de ce qui est dit aux paragraphes 18 et 20 que la demande de dommages-intérêts formée par les consorts [N] est irrecevable.

Demande de mise hors de cause

25. La cassation étant prononcée sans renvoi, la demande de mise hors de cause de M. et Mme [D] est sans objet.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné in solidum M. et Mme [ZN] à payer à Mme [V] [N] et à Mme [W] [N] épouse [H], une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 9 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

DÉCLARE IRRECEVABLE la demande de dommages-intérêts formée par Mmes [V] [N] et [W] [N] épouse [H] à l'encontre de M. et Mme [ZN].

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Claire Leduc et Solange Vigand -

Textes visés :

Article 582 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 7 janvier 1999, pourvoi n° 95-21.197, Bull. (cassation).

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