Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

TESTAMENT

1re Civ., 21 septembre 2022, n° 19-22.693, (B), FS

Cassation partielle

Legs – Délivrance – Objet – Reconnaissance des droits du légataire – Portée

Il résulte de l'article 1014 du code civil que la délivrance d'un legs particulier a pour seul objet la reconnaissance des droits du légataire, permettant l'entrée en possession de l'objet du legs et l'acquisition des fruits, et se distingue du paiement du legs.

Dès lors, une décision accueillant une demande de délivrance d'un legs de somme d'argent ne constitue pas un titre exécutoire autorisant le légataire à procéder à des mesures d'exécution forcée en application de l'article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution.

Legs – Délivrance – Définition – Paiement du legs (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 27 juin 2019), [D] [A] est décédée le 3 janvier 1993, en laissant pour lui succéder son fils, [J] [A], lui-même décédé le 9 juin 2000, en laissant pour lui succéder son épouse, [I] [G], et sa fille, née d'une précédente union, Mme [Y] [A].

2. Se prévalant d'un testament authentique dressé le 20 juin 1991, par lequel [D] [A] l'avait institué légataire à titre particulier d'une somme d'argent, M. [F] a assigné [I] [G] et Mme [Y] [A] en délivrance de son legs.

3. L'arrêt rendu sur cette action, le 13 mars 2012, a été cassé et annulé (1re Civ., 3 juillet 2013, pourvois n° 12-19.146 et 12-20.467), sauf, notamment, en ce qu'il a dit que M. [F] était fondé à solliciter la délivrance de son legs dans les limites de la quotité disponible.

4. Par acte du 5 janvier 2016, M. [F] a fait délivrer, par la société civile professionnelle Plouchart et Barnier (la SCP Plouchart et Barnier), à Mme [Y] [A], un commandement de payer aux fins de saisie-vente sur le fondement des arrêts des 13 mars 2012 et 3 juillet 2013.

5. [I] [G] et Mme [Y] [A] ont saisi un juge de l'exécution en contestation de cette mesure d'exécution forcée.

6. [I] [G] est décédée le 8 novembre 2016, en laissant pour lui succéder sa fille, Mme [X], qui a repris l'instance en son nom.

Examen des moyens

Sur les moyens, en ce qu'ils sont formés par Mme [X], ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les moyens, en ce qu'il sont formés par Mme [X], qui sont irrecevables.

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il est formé par Mme [A]

Enoncé du moyen

8. Mme [A] fait grief à l'arrêt de dire que le commandement du 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et est valable, de rejeter sa contestation et sa demande de dommages-intérêts pour abus de saisie et de déclarer irrecevable la demande de réduction du legs, alors « que seul le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur ; que la délivrance d'un legs a pour seul objet de reconnaître les droits du légataire et doit être distingué du paiement du legs lequel ne peut intervenir que dans le cadre des opérations de partage par l'attribution au légataire de biens le remplissant de ses droits ; qu'en décidant que l'arrêt de la cour d'appel d'Aix en Provence du 13 mars 2012 qui se contente de dire que M. [F] est fondé à solliciter la délivrance de son legs consenti par le testament du 20 juin 1991 serait constitutif d'un titre exécutoire pour avoir paiement de ce legs, la cour d'appel a violé les articles L. 111-2 et L. 221-1 du code des procédures civiles d'exécution et 1014 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution et 1014 du code civil :

9. Aux termes du premier de ces textes, le créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut en poursuivre l'exécution forcée sur les biens de son débiteur dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution.

10. En application du second, la délivrance d'un legs particulier a pour seul objet la reconnaissance des droits du légataire, permettant l'entrée en possession de l'objet du legs et l'acquisition des fruits, et se distingue du paiement du legs.

11. Pour rejeter la contestation de Mme [A], l'arrêt retient que le commandement de payer afin de saisie-vente qui lui a été signifié le 5 janvier 2016 est fondé sur un titre exécutoire régulier et valable résultant des arrêts du 13 mars 2012 et du 3 juillet 2013 ayant définitivement jugé que M. [F] était fondé à solliciter la délivrance du legs consenti par le testament du 20 juin 1991 dans les limites de la quotité disponible, ce qui s'interprète comme une décision ordonnant la délivrance qui est la reconnaissance par le juge de la régularité du titre du légataire.

12. En statuant ainsi, alors qu'une décision accueillant une demande de délivrance d'un legs de somme d'argent ne constitue pas un titre exécutoire autorisant le légataire à procéder à des mesures d'exécution forcée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le quatrième moyen, en ce qu'il est formé par Mme [A]

Enoncé du moyen

13. Mme [A] fait grief à l'arrêt de mettre hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, alors « que les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes ; que lorsque l'acte a été rédigé par un autre officier ministériel, leur responsabilité n'est exclue que pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier ; que l'existence d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible ne constitue pas une indication matérielle que l'huissier ne serait pas en mesure de vérifier par lui-même ; que dès lors quand bien même elle n'aurait pas rédigé le commandement litigieux, la SCP Plouchart et Barnier a engagé sa responsabilité en signant et délivrant ce commandement en l'absence de titre exécutoire portant sur une créance liquide ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2, alinéa 2, de l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 :

14. Aux termes de ce texte, les huissiers sont responsables de la rédaction de leurs actes, sauf, lorsque l'acte a été préparé par un autre officier ministériel, pour les indications matérielles qu'ils n'ont pas pu eux-mêmes vérifier.

15. Pour mettre hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, l'arrêt, après avoir énoncé les termes de l'article 2, alinéa 2, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, retient, par motifs propres, que la lettre en date du 28 décembre 2015 démontre que la SCP Leroi, Wald-Reynaud-Ayache l'avait requise pour délivrer le commandement de payer qu'elle avait elle-même préparée et, par motifs adoptés, qu'il n'est pas contestable que la SCP Plouchart et Barnier, simple mandataire, n'est pas l'auteur du commandement de payer du 5 janvier 2016 et qu'elle n'est pas responsable de la rédaction de cet acte.

16. En statuant ainsi, alors que les dispositions susvisées n'intéressent que la rédaction des actes, la cour d'appel, qui a constaté qu'il était reproché à l'huissier de justice d'avoir diligenté la saisie-vente en l'absence de titre exécutoire portant sur une créance liquide, a violé, par fausse application, le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause la SCP Plouchart et Barnier, dit que le commandement de payer afin de saisie-vente signifié le 5 janvier 2016 à Mme [Y][A] est fondé sur un titre exécutoire régulier et est valable, rejette la contestation de Mme [Y] [A], rejette sa demande de dommages-intérêts pour abus de saisie et déclare irrecevable la demande de réduction du legs, l'arrêt rendu le 27 juin 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Buat-Ménard - Avocat général : Mmes Caron-Deglise et Marilly - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Article 1014 du code civil ; article L. 111-2 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 10 mai 1988, pourvoi n° 86-15.834, Bull. 1988, I, n° 141 (rejet).

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