Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

SUCCESSION

1re Civ., 21 septembre 2022, n° 20-22.139, (B), FS

Rejet

Rapport – Libéralités rapportables – Conditions – Intention libérale du défunt – Remise – Moment

Une cour d'appel qui retient souverainement qu'un de cujus a renoncé dans une intention libérale à recouvrer des fermages lui étant dûs et que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n'étaient pas prescrits en déduit exactement l'existence d'une libéralité rapportable à la succession.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 16 juin 2020), [S] [D] et [Y] [E], époux communs en biens, sont décédés respectivement les 26 mai 2005 et 9 mai 2011, en laissant pour leur succéder leurs filles, [T] et [I].

2. Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession de [Y] [E].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris dans sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme [I] [G] fait grief à l'arrêt de dire que le montant des fermages dus par elle à [Y] [E] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 devra être réintégré dans l'actif de la succession, alors « que seule une dette existante peut faire l'objet d'une libéralité ; qu'en décidant que le montant des fermages dus à [Y] [E] épouse [D] entre le 1er janvier 1994 et son décès le 9 mai 2011 par Mme [G] devra être réintégré dans l'actif de la succession cependant qu'elle constatait que les fermages échus entre 1994 et 2005 étaient prescrits, la cour d'appel a violé les articles 843 et 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 17 juin 2008, applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

5. Ayant retenu souverainement que la renonciation de [Y] [E] à recouvrer les fermages échus entre 1994 et 2005 l'avait été dans une intention libérale, la cour d'appel, qui s'est ainsi justement fondée sur le rapport des libéralités et non pas sur le rapport des dettes et qui a considéré que la remise de ces fermages était intervenue à une époque où ceux-ci n'étaient pas prescrits, en a exactement déduit l'existence d'une libéralité rapportable par Mme [G] à la succession.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Dard - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 843 du code civil.

1re Civ., 21 septembre 2022, n° 19-15.438, (B), FS

Cassation sans renvoi

Succession internationale – Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 – Juridiction compétente – Compétence subsidiaire – Critères – Biens successoraux situés en France – Nationalité française – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), [Y] [H], de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [F], et ses trois enfants issus d'une première union, [S], [R] et [U] (les consorts [H]).

2. Les consorts [H] ont assigné Mme [F] devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, au motif que la résidence habituelle de [Y] [H] au jour de son décès était située en France.

3. [S] [H] étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

4. Par un arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité.

5. Par un arrêt du 7 avril 2022 (C-645/20), la CJUE a répondu à la question posée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité :

8. Selon ce texte, titré « Compétences subsidiaires », lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.

9. Par son arrêt précité du 7 avril 2022, la CJUE a dit pour droit que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition. »

10. Pour déclarer la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession de [Y] [H] et désigner un mandataire successoral, l'arrêt retient que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, la cour d'appel, qui n'a pas, en conséquence, relevé d'office sa compétence subsidiaire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Comme suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La cour d'appel ayant constaté que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, les juridictions françaises sont donc compétentes pour statuer sur l'ensemble de sa succession en application de l'article 10, § 1, sous a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] ;

Confirme l'ordonnance rendue 12 décembre 2017 en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Nanterre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

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