Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

Com., 21 septembre 2022, n° 21-12.218, (B), FRH

Rejet

Cautionnement – Principe de proportionnalité – Critère d'appréciation – Biens et revenus déclarés – Fiche de renseignements – Eléments qui ne sont affectés d'aucune anomalie apparente – Nécessité de vérifier l'exactitude d'autres éléments de la fiche (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 novembre 2020), le 25 janvier 2011, la société VDL a ouvert un compte dans les livres de la société HSBC France, devenue HSBC Continental Europe (la banque).

Par un acte du 29 août 2013, M. [S] s'est rendu caution des engagements de la société VDL au profit de la banque dans la limite de 360 000 euros.

La société VDL ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné M. [S], qui lui a opposé la nullité de son engagement ainsi que sa disproportion.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. [S] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande visant à voir prononcer la nullité du cautionnement et, en conséquence, de le condamner à payer à la banque une certaine somme, alors « que l'engagement de caution du gérant d'une société est entaché de violence, et doit à ce titre être annulé, lorsqu'il est intervenu postérieurement à l'octroi de facilités de caisse et sous la menace, exercée par le créancier, de cesser immédiatement ses crédits ; que c'est au moment où le cautionnement est donné qu'il convient de se placer pour déterminer s'il a été librement consenti ; qu'en l'espèce il est constant qu'alors que des facilités de caisse avaient été accordées à la société VDL pendant des années, il a été demandé à M. [S] d'apporter sa caution au regard d'un découvert en compte courant de 254 513,02 euros, sous la menace implicite de mettre fin à ces facilités ; qu'en décidant cependant que de telles circonstances n'étaient pas constitutives de violence donnant lieu à l'annulation de l'engagement de caution litigieux, aux motifs inopérants qu'en toute hypothèse, la banque ne pouvait pas retirer son concours financier sans en avoir averti sa cliente plus de soixante jours à l'avance, et que la société VDL ayant eu dans ces deux mois suivant l'engagement de caution un compte courant créditeur, aucun risque ne pesait sur elle, soit en se fondant sur des circonstances postérieures à l'échange des consentements, la cour d'appel a violé l'article 1109 (ancien, désormais 1143) du code civil. »

Réponse de la Cour

3. L'arrêt retient qu'au moment où M. [S] s'est porté caution au profit de la banque, cette dernière n'avait envoyé à la société VDL aucune demande de régularisation du solde débiteur de son compte, et qu'il n'est justifié d'aucune demande adressée à M. [S] subordonnant le maintien des relations contractuelles de la banque avec la société VDL à son cautionnement. Il retient encore que le compte de la société VDL est redevenu créditeur seulement deux mois après l'engagement de caution de M. [S], et l'est resté plusieurs mois. Il en déduit que ni la panique à l'idée que la société VDL déposerait le bilan s'il ne la cautionnait pas, alléguée par M. [S], ni l'état de dépendance de cette société à l'égard de la banque ne sont établis.

4. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui pouvait prendre en compte l'évolution des comptes de la société VDL dans les semaines ayant suivi le cautionnement litigieux afin d'apprécier la réalité de sa situation de dépendance économique à la date où ce cautionnement a été donné, a pu statuer comme elle l'a fait.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué de le débouter de sa demande visant à voir prononcer l'inopposabilité de son engagement et de le condamner, en conséquence, à payer à la banque une certaine somme, alors « que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, sauf à ce que la fiche présente des anomalies apparentes sur les informations déclarées ; que du moment que des anomalies figurent dans la fiche de renseignement, les juges du fond ont le devoir de vérifier la réalité du patrimoine, sans se fonder sur cette seule fiche de renseignements, pour déterminer si le cautionnement est ou non disproportionné ; qu'en l'espèce il était fait valoir que la fiche présentait pour la banque des anomalies apparentes dès lors que les deux sociétés appartenant à M. [S] étaient évaluées à deux millions d'euros quand le capital social de VDL n'était que de 50 000 euros et que la banque savait, pour en tenir les livres, qu'elle était gravement endettée, et que la société Lille vacances présentait pour les exercice 2011/2012 et 2012/2013, au moment du cautionnement, un endettement colossal après une baisse d'activité de près de 50 % ; qu'en refusant d'examiner si la fiche présentait des anomalies aux motifs inopérants que sur la fiche étaient mentionnés d'autres biens, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable aux faits de l'espèce, devenu L. 332-1 du même code. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que M. [S] a certifié l'exactitude des renseignements mentionnés dans la fiche patrimoniale, l'arrêt retient que, même en faisant abstraction des sommes indiquées au titre des participations détenues par ce dernier dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, de celles inscrites en compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et de leurs bénéfices, l'engagement litigieux, souscrit à hauteur de 360 000 euros, ne présente aucun caractère excessif au regard des valeurs déclarées au titre du bien immobilier, du contrat d'assurance-vie, du portefeuille boursier et des dépôts sur différents comptes bancaires, d'un montant total de 980 000 euros.

8. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que ceux des éléments figurant dans la fiche de renseignement qui n'étaient affectés d'aucune anomalie apparente permettaient de considérer que l'engagement souscrit n'était pas disproportionné aux biens et revenus de la caution, la cour d'appel a, à bon droit, jugé que la banque n'était dès lors pas tenue de vérifier l'exactitude des sommes mentionnées dans ladite fiche, correspondant, aux titres de participation dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, au compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et à leurs bénéfices.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SARL Corlay ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-21.254, Bull., (cassation).

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 20-20.826, (B), FRH

Cassation partielle

Clauses abusives – Caractère abusif – Appréciation – Eléments pris en considération – Exclusion – Cas – Clauses d'un contrat de prêt multidevises – Informations suffisantes et exactes permettant d'évaluer le risque des conséquences économiques négatives potentiellement significatives

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 février 2020), suivant offre de prêt acceptée le 20 juin 2007 et acte authentique du 30 octobre 2007, la société Jyske Bank (la banque) a consenti à Mme [H] (l'emprunteur) un prêt multidevises d'un montant de 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ».

Le prêt a été tiré pour un montant de 834 750 francs suisses.

Le 16 juin 2011, la banque a procédé à la conversion en euros.

2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que l'offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit condamnée à rembourser le prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 500 000 euros, alors « que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles, sans constater que le contrat informait l'emprunteuse du risque de dépréciation de l'euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La banque conteste la recevabilité partielle du moyen en faisant valoir que l'emprunteur n'a pas invoqué, devant la cour d'appel, le caractère abusif de l'article 2 du contrat de prêt.

5. Cependant, la cour d'appel, tenue d'examiner d'office si les clauses du contrat de prêt étaient abusives, dès lors qu'elle disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, a retenu que cet article 2 définissait l'objet du contrat et était clair et compréhensible.

6. Le moyen, qui est né de la décision attaquée, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

7. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

8. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

9. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l'arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l'emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l'objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que la banque n'a pas manqué à son obligation d'information et de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors « que le banquier est tenu de délivrer à son client une information sincère et complète quant à l'opération envisagée, en ce compris ses inconvénients et ses caractéristiques les moins favorables ; qu'en retenant que la banque n'avait pas manqué à son obligation d'information au motif que les clauses du contrat de prêt étaient claires, que quant à la variation possible du taux de change euro/franc suisse, et à ses conséquences sur le prêt, il est mathématiquement connu par tout investisseur normalement avisé » que l'article 11 de l'offre de prêt intitulé « Variation des taux de change » était rédigé en des termes de nature à attirer l'attention de l'emprunteur sur la possibilité qu'ensuite de la variation du taux de change, le capital emprunté ne devienne excessif » et que, dans un courrier du 24 avril 2007, la Jyske Bank AS avait informél'emprunteur que si elle envisageait de souscrire son prêt dans une devise autre que celle de ses revenus et biens, elle devez prendre en considération le fait que le taux de change sont sujets aux fluctuations du marché, que toute dépréciation de sa devise de base/revenu par rapport à la devise choisie se traduirait par une augmentation effective du coût de ses échéances de remboursements et que souscrire un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme à « haut risque », sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'établissement bancaire avait informé l'emprunteur du risque de dépréciation de l'euro et de ses conséquences précises et concrètes sur ses obligations financières, en lui présentant des données prospectives à titre indicatif, notamment les moins favorables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

13. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l'emprunteur avait pris connaissance de l'article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d'augmentation du capital à rembourser au delà d'un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l'emprunteur, avant la signature de l'offre, une lettre l'informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d'un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs du dispositif de l'arrêt condamnant l'emprunteur à payer à la banque, en exécution du contrat de prêt, la somme de 106 498,93 euros au titre des échéances des intérêts et capital du prêt échus à la date du 30 août 2019, disant que la Jyske Bank AS n'avait pas respecté les termes du contrat de prêt en procédant le 16 juin 2011 à une conversion dans une monnaie différente de celle prévue par les parties et a rejeté la demande de résolution du contrat de prêt, lesquelles s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable comme tardif l'appel incident de Mme [H] en ce que le jugement déféré a déclaré irrecevable la demande de nullité de l'article 4 du contrat de prêt et a rejeté la demande de publication, et en ce que la banque n'avait pas manqué à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.599, Bull., (cassation partielle) ; 1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-17.996, Bull., (cassation partielle).

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 21-16.254, (B), FRH

Cassation

Démarchage et vente à domicile – Contrat – Nullité – Office du juge

Modifie l'objet du litige et viole ainsi l'article 4 du code de procédure civile le tribunal qui prononce, d'office, la nullité d'un contrat de prestation de services sur le fondement des articles L. 221-3, L. 221-5 et L. 242-1 du code de la consommation, alors que le débiteur proposait à l'audience un paiement échelonné de sa dette et ne contestait pas celle-ci dans son principe.

Faits et procédure

1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire d'Agens, 8 avril 2021), rendu en dernier ressort, le 7 novembre 2019, à l'occasion d'un démarchage, M. [W], exerçant comme auto-entrepreneur une activité de nettoyage automobile, a signé un bon de commande établi par la société Memo.Com (la société) et portant sur la parution d'une publicité dans un annuaire.

2. En l'absence de règlement par celui-ci, la société l'a assigné en paiement de la somme principale de 1 264,03 euros.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief au jugement de constater la nullité du contrat et de rejeter ses demandes, alors « qu'il ressort des commémoratifs du jugement que M. [W] acceptait d'honorer la facture dont le paiement était sollicité par la société Memo.Com pour l'année 2020, moyennant des délais de paiement, auxquels la société Memo.com ne s'opposait pas ; qu'en rejetant toutefois l'ensemble des demandes de la société Memo.Com, le tribunal judiciaire a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

4. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

5. Pour rejeter les demandes de la société, après avoir relevé que le bon de commande ne comportait aucune référence à l'article L. 221-5 du code de la consommation et n'était pas accompagné d'un formulaire de rétractation, le tribunal a prononcé d'office la nullité du contrat sur le fondement de l'article L. 242-1 du même code.

6. En statuant ainsi, après avoir relevé que M. [W], qui proposait à l'audience un paiement échelonné de sa dette, ne contestait pas celle-ci dans son principe, le tribunal, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 avril 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire d'Agen autrement composé.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger -

Textes visés :

Article 4 du code de procédure civile.

3e Civ., 28 septembre 2022, n° 21-19.829, (B), FS

Rejet

Prescription – Prescription biennale – Domaine d'application – Exclusion – Cas – Syndicat des copropriétaires

L'article L. 218-2 du code de la consommation, qui réserve aux seuls consommateurs le bénéfice de la prescription biennale de l'action des professionnels pour les biens et les services qu'ils fournissent, n'est pas contraire à l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales puisque les consommateurs, personnes physiques, ne sont pas placés dans une situation analogue ou comparable à celle des non-professionnels, personnes morales.

Dès lors, c'est à bon droit qu'une cour d'appel retient qu'un syndicat de copropriétaires ne peut se prévaloir de cette prescription biennale.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2021), en 2016, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble [Adresse 2] (le syndicat) a chargé la société A l'Abri de réaliser divers travaux.

2. Le 26 mai 2020, cette société l'a, en référé, assigné en paiement d'une provision correspondant à des factures impayées.

3. Par l'arrêt attaqué, la cour d'appel de Paris a rejeté la fin de non-recevoir tirée d'une prescription biennale de l'action.

4. A l'occasion du pourvoi qu'il avait formé contre cet arrêt, le syndicat a demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire relative à la constitutionnalité de l'article L. 218-2 du code de la consommation.

5. La Cour de cassation (3e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 21-19.829, publié) a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le syndicat fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la prescription, alors :

« 1°/ que la déclaration d'inconstitutionnalité, après renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité posée par écrit distinct et motivé, privera l'arrêt attaqué de tout fondement juridique, au regard des articles 61-1 et 62 de la Constitution ;

2°/ que la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ; que la même Convention prévoit toute personne a droit au respect de ses biens ; que les restrictions de propriété doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu ; qu'en appliquant les dispositions de l'article L. 218-2 du code de la consommation, qui ne prévoient pas expressément que la prescription biennale qui s'applique à l'action des professionnels pour les biens ou les services qu'ils fournissent aux consommateurs, bénéficie aux non-professionnels, et en se fondant ainsi sur la seule qualité de personne morale du syndicat des copropriétaires pour lui dénier le bénéfice de la prescription, la cour d'appel a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné avec l'article 1, § 1, du Protocole additionnel n° 1 à cette Convention. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, la question prioritaire de constitutionnalité n'ayant pas été transmise au Conseil constitutionnel, le grief, tiré d'une annulation par voie de conséquence de la perte de fondement juridique de l'arrêt, est devenu sans portée.

9. D'autre part, la violation de l'article 14 de Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales suppose une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables (CEDH, arrêt du 13 novembre 2007, D.H. et autres c. République tchèque [GC], n° 57325/00, § 175 ; CEDH, arrêt du 29 avril 2008, Burden c. Royaume-Uni [GC], n° 13378/05, § 60).

10. L'article liminaire du code de la consommation dispose que, pour l'application de celui-ci, on entend, par consommateur, toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole et, par non-professionnel, toute personne morale qui n'agit pas à des fins professionnelles.

11. Cette différence de statut juridique, issue de la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2011 relative aux droits des consommateurs, est fondée sur la personnalité morale des non-professionnels qui ne les place pas dans une situation analogue ou comparable à celle des personnes physiques.

12. A la différence d'une personne physique, un syndicat de copropriétaires est ainsi, en application de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, pourvu de trois organes distincts : le syndic, le conseil syndical et l'assemblée générale des copropriétaires, dont le fonctionnement, régi par cette loi, est également encadré par un règlement de copropriété.

13. Dès lors, en l'absence de différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le syndicat ne pouvait se prévaloir de la prescription biennale de l'action des professionnels, pour les biens et les services qu'ils fournissent aux consommateurs, prévue par l'article L. 218-2 du code de la consommation.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Teiller - Rapporteur : M. Jariel - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 218-2 du code de la consommation ; article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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