Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

OUTRE-MER

Soc., 28 septembre 2022, n° 21-12.776, (B), FRH

Cassation partielle

Polynésie française – Code du travail de Polynésie française – Représentation des salariés – Règles communes – Statut protecteur – Période de protection – Durée – Détermination – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 17 décembre 2020), Mme [K] a été engagée, selon contrat à durée indéterminée du 3 juin 2005, par la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française en qualité de responsable du département psychologie à tiers temps et au service psychologie de la direction de l'enseignement catholique à deux tiers de temps, puis a été nommée, par avenant du 30 avril 2014, responsable pédagogique des filières en sciences humaines à temps complet.

2. Par lettre du 28 février 2017, elle a été convoquée à un entretien pour reclassement eu égard à la réduction de son temps de service pour motif économique, entretien dont la date a été reportée au 21 mars 2017.

3. Par lettre du 22 mars 2017, la directrice diocésaine a proposé à la salariée une modification de son contrat de travail, avec réduction de son temps de travail à treize heures par semaine, afin d'assurer la responsabilité des deuxième et troisième années de licence de psychologie. Il lui a été proposé d'autres postes à deux tiers de temps. Suite au refus par la salariée de ces postes de reclassement, la directrice diocésaine lui a, par lettre du 19 mai 2017, proposé deux nouveaux postes.

4. Par lettre du 29 mai 2017, la salariée a été désignée déléguée syndicale.

Par requête du 12 juin 2017, le conseil d'administration de la mission catholique de [Localité 4] et dépendances et la direction diocésaine ont sollicité l'annulation de cette désignation.

5. Après nouveau refus des propositions de reclassement, la salariée a été convoquée, par lettre du 26 juin 2017, à un entretien préalable au licenciement pour motif économique, entretien dont la date a été reportée au 7 juillet 2017.

6. Par jugement du 11 juillet 2017, le tribunal de première instance de Papeete a annulé la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical.

7. Par lettre du 22 juillet 2017, la salariée a été licenciée pour motif économique, avec dispense de préavis de quatre mois, en raison de difficultés économiques de l'Institut entraînant la fermeture de certaines filières dont elle est responsable.

8. Le 25 octobre 2017, la salariée, invoquant une violation de son statut protecteur et contestant le motif économique de son licenciement, a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire son licenciement, à titre principal, nul et illicite et, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse et de condamner le conseil d'administration de la mission catholique de [Localité 4] et dépendances et la direction diocésaine au paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. La salariée fait grief à l'arrêt d'ordonner la mise hors de cause du CAMICA, alors « qu'en affirmant péremptoirement, pour dire que le CAMECA devait être mis hors de cause, qu'il était justifié que la DDEC constituait un établissement distinct du CAMICA qui a une autonomie suffisante pour disposer de son propre personnel sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait et alors que la DDEC et le CAMICA reconnaissaient dans leurs écritures que la DDEC ne disposait pas d'existence juridique propre, la cour d'appel, qui n'a pas motivé sa décision, a violé l'article 268 du code de procédure civile polynésien. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. La direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et le conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française soulèvent l'irrecevabilité du moyen comme étant contraire à la thèse soutenue devant la cour d'appel par la salariée, revendiquant que la direction diocésaine soit reconnue comme étant son employeur.

11. Cependant, la salariée sollicitait devant la cour d'appel la condamnation solidaire de la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et du conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française au paiement de diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail.

12. Le moyen, qui n'est pas incompatible avec la thèse soutenue devant les juges du fond et qui est né de la décision attaquée, est dès lors recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 268 du code de procédure civile polynésien :

13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.

14. Pour infirmer le jugement ayant mis hors de cause la direction diocésaine de l'enseignement catholique et mettre hors de cause le conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française, l'arrêt retient que la salariée a signé avec la direction diocésaine de l'enseignement catholique de [Localité 4] et dépendances un contrat de travail à durée indéterminée, lequel a fait l'objet ultérieurement d'un avenant, et qu'il est justifié de ce que la direction diocésaine est un établissement distinct du CAMICA qui a une autonomie suffisante pour disposer de son propre personnel.

15. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et du conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française faisant valoir que la première n'avait pas de personnalité juridique propre et n'était qu'un établissement distinct du second, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La salariée fait grief à l'arrêt de dire régulier et valable son licenciement pour motif économique, alors « que l'employeur est tenu de demander l'autorisation administrative de licencier un salarié lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable ; qu'en jugeant que Mme [K] n'était pas fondée à faire valoir que son employeur aurait dû solliciter l'autorisation préalable de la licencier auprès de l'inspection du travail après avoir pourtant relevé, d'une part, que Mme [K] avait été désignée déléguée syndicale par lettre du 29 mai 2017 et d'autre part, qu'elle avait été convoquée à un entretien préalable par lettre du 26 juin 2017, enfin, qu'elle avait été licenciée par lettre en date du 22 juillet 2017 sans que ne soit sollicitée l'autorisation préalable de l'inspection du travail, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations dont il résultait que Mme [K] bénéficiait du statut de salarié protégée à la date de la convocation à l'entretien préalable et avait néanmoins été licenciée sans autorisation préalable de l'inspection du travail, violé les articles Lp. 2511-1 et Lp. 2511-2 du code du travail polynésien. »

Réponse de la Cour

Vu l'article Lp. 2511-1 et l'article Lp. 2511-2 devenu l'article Lp. 2512-1 du code du travail polynésien :

17. Il résulte de ces textes que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement.

18. Pour rejeter la demande en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que la demande d'autorisation administrative est nécessairement postérieure à l'entretien préalable au licenciement et que les textes ne fixent pas de délai à respecter par l'employeur pour solliciter une autorisation administrative de licenciement, sous le seul risque du non respect du délai maximum de notification du licenciement s'il tarde à saisir l'inspection du travail.

L'arrêt ajoute qu'au moment de l'envoi de la lettre datée du 22 juillet 2017 portant notification du licenciement pour motif économique, force est de constater que la désignation de la salariée en tant que délégué syndical a été annulée le 11 juillet 2017 par jugement réputé contradictoire en dernier ressort, exécutoire dès son prononcé et, la salariée ayant perdu sa qualité de salarié protégé postérieurement à l'entretien préalable du 7 juillet 2017, il ne peut dès lors être fait grief à l'employeur de ne pas avoir sollicité une autorisation administrative qui n'avait plus lieu d'être demandée.

19. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'elle avait constaté que la salariée avait été désignée, le 29 mai 2017, déléguée syndicale avant l'envoi de la lettre du 16 juin 2017 la convoquant à l'entretien préalable au licenciement et qu'il était constant que l'employeur n'avait pas sollicité l'autorisation administrative de licenciement et alors, d'autre part, que l'annulation de la désignation d'un délégué syndical n'a pas d'effet rétroactif, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

20. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article Lp. 2511-1 6° du code du travail polynésien, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des anciens délégués syndicaux, représentants du personnel, ou représentants syndicaux pendant six mois après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement de Mme [K], désignée déléguée syndicale par lettre en date du 29 mai 2017 n'était pas soumis à autorisation préalable de l'inspection du travail, que celle-ci ne contestait pas n'avoir jamais exercé de fonctions syndicales, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoyait pas, a violé l'article susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article Lp. 2511-1, 6°, du code du travail polynésien :

21. Selon ce texte, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois, après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat.

22. Il résulte de ce texte que la protection bénéficie au salarié, titulaire d'un mandat de délégué syndical, sans condition d'exercice effectif de ses fonctions, et qu'elle s'applique au salarié dont le mandat est annulé par une décision de justice, l'annulation de la désignation n'ayant pas d'effet rétroactif.

23. Pour rejeter la demande en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que la protection de six mois de l'ancien délégué syndical prévue par l'article Lp. 2511-1 du code du travail polynésien ne commence qu'après la cessation de ses fonctions ou de son mandat et que la salariée ne conteste pas n'avoir jamais exercé ses fonctions syndicales.

24. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le mandat de délégué syndical dont la salariée avait été investi le 29 mai 2017 avait été annulé par jugement du 11 juillet 2017, ce dont elle aurait dû déduire que la salariée bénéficiait à compter de cette date de la protection complémentaire de six mois, la cour d'appel, qui a ajouté une condition non prévue par la loi, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

25. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur entraîne la cassation du chef du dispositif déboutant la salariée de ses demandes subsidiaires au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel recevable et déboute la salariée de sa demande au titre de la majoration pour ancienneté, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Articles Lp 2511-1 et Lp 2511-2, devenu l'article Lp 2512-1, du code du travail de Polynésie française.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de solliciter l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé dès lors que l'envoi de la convocation à l'entretien préalable intervient pendant la période de protection, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-16.057, Bull., (cassation partielle) et les arrêts cités.

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