Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE

Soc., 21 septembre 2022, n° 19-12.568, (B), FS

Rejet

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Appréciation – Compétence du juge judiciaire – Exclusion – Cas – Salarié protégé – Licenciement pour motif économique – Autorisation administrative devenue définitive – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 26 octobre 2018), M. [P] a été engagé par la société Wimetal le 25 décembre 1995. Il exerçait les fonctions de délégué syndical, de représentant syndical au comité d'établissement et au comité central d'entreprise et de conseiller du salarié.

Le 2 juin 2014, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour motif économique. Il a été licencié le 4 juin 2014.

Le 25 août suivant, l'inspecteur du travail a retiré sa décision du 2 juin 2014 et pris une nouvelle décision autorisant le licenciement pour motif économique.

Par ordonnance du 11 mai 2015, le tribunal administratif a dit qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la requête en annulation de la décision du 2 juin 2014 formée par le salarié, cette décision ayant été retirée.

2. Le 7 août 2014, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de constat d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'une demande de paiement de certaines indemnités.

3. Par l'arrêt du 26 octobre 2018, la cour d'appel a partiellement sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de la question de la légalité de la décision du 25 août 2014 autorisant le licenciement du salarié.

Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal administratif a déclaré que cette décision d'autorisation n'est pas entachée d'illégalité.

Le pourvoi du salarié a été rejeté comme étant irrecevable par arrêt n° 445744 du Conseil d'Etat du 19 mai 2022.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que le retrait de l'autorisation administrative de licenciement du 2 juin 2014 ne produisait pas les effets d'une annulation et de déclarer sans objet ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour retrait de l'autorisation administrative, alors :

« 1°/ que le retrait de l'autorisation administrative de licenciement produit les mêmes effets que son annulation et prive de validité le licenciement déjà intervenu ; qu'en jugeant que M. [P] ne pouvait soutenir à l'appui de ses demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et retrait de la décision du 2 juin 2014 que ledit retrait produisait les effets d'une annulation, quand elle constatait que l'inspecteur du travail avait retiré l'autorisation de licenciement litigieuse qui était illégale eu égard à l'absence de vérifications du motif économique et du respect des obligations conventionnelles de reclassement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations, a violé les articles L. 1235-3 et L. 2422-1 du code du travail ;

2°/ qu'une nouvelle autorisation de licenciement accordée concomitamment au retrait d'une première autorisation ne saurait avoir d'incidence sur les effets de ce retrait en termes indemnitaires et de droit à réintégration, ni valider rétroactivement le licenciement intervenu sur la base de la décision initiale ; qu'en retenant, pour dire les demandes indemnitaires de M. [P] sans objet, que l'inspecteur du travail pouvait valablement retirer sa décision et en prendre une autre autorisant le licenciement, de sorte que le retrait ne produisait pas les effets d'une annulation, la cour d'appel a violé les articles L. 1235-3 et L. 2422-1 du code du travail ;

3°/ qu'en jugeant les demandes indemnitaires de M. [P] sans objet, au prétexte que l'inspecteur du travail pouvait valablement retirer sa décision et en prendre une autre autorisant le licenciement, sans dire en quoi la nouvelle autorisation viendrait tenir en échec les effets du retrait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1235-3 et L. 2422-1 du code du travail ;

4°/ qu'en s'abstenant de répondre aux conclusions d'appel de M. [P], selon lesquelles il relevait de la compétence du conseil de prud'hommes d'apprécier la validité du licenciement prononcé de sorte que les demandes indemnitaires portant sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et sur le retrait devaient être jugées recevables, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement devenue définitive, apprécier le caractère réel et sérieux du motif de licenciement au regard de la cause économique ou du respect par l'employeur de son obligation de reclassement.

6. Ayant constaté que l'inspecteur du travail avait, par décision du 25 août 2014, décision dont la légalité ne peut plus être contestée, autorisé le licenciement pour motif économique du salarié, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'elle ne pouvait se prononcer sur la cause réelle et sérieuse du licenciement et sur les demandes indemnitaires présentées sur ce fondement.

7. Le moyen, inopérant en ses deux premières branches, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Rejette le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Huglo - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de séparation des pouvoirs.

Rapprochement(s) :

Sur les limites de la compétence du juge judiciaire lorsque la rupture du contrat de travail d'un salarié protégé a fait l'objet d'une autorisation administrative devenue définitive, à rapprocher : Soc., 22 janvier 2014, pourvoi n° 12-22.546, Bull. 2014, V, n° 32 (cassation), et les arrêts cités ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 19-18.898 (1), Bull., (cassation partielle sans renvoi), et l'arrêt cité.

Soc., 21 septembre 2022, n° 21-13.045, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Faute du salarié – Défaut – Cas – Droit d'expression directe et collective des salariés – Exercice non abusif – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 juin 2020), M. [K] a été engagé, à compter du 19 septembre 2011, par la société Installux management gestion, en qualité d'employé au service d'approvisionnement.

2. Le 31 janvier 2015, l'employeur a notifié au salarié son licenciement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail sur leur lieu de travail et que les opinions émises dans ce cadre ne peuvent faire l'objet de sanction ; que le salarié s'est exprimé sur l'organisation de son travail au cours d'une réunion « expression des salariés loi Auroux » alors qu'il faisait l'objet d'une surcharge de travail ; qu'en retenant que l'expression du salarié dépassait le cadre de son droit à la libre expression dans l'entreprise et constituait une faute de nature à justifier son licenciement, sa surcharge de travail ne l'exonérant pas de cette faute, la cour d'appel a violé les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 :

4. Il résulte de ces textes que les salariés bénéficient d'un droit à l'expression directe et collective sur le contenu, les conditions d'exercice et l'organisation de leur travail. Sauf abus, les opinions que le salarié émet dans l'exercice de ce droit, ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement.

5. Pour dire le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse, l'arrêt, après avoir écarté les autres griefs imputés au salarié, retient que lors de la réunion d'expression collective des salariés du 14 janvier 2015, il a, en présence de la direction et de plusieurs salariés de l'entreprise, remis en cause les directives qui lui étaient données par sa supérieure hiérarchique, tentant d'imposer au directeur général un désaveu public de cette dernière. Il ajoute que le médecin du travail a constaté, deux jours plus tard, l'altération de l'état de santé de la supérieure hiérarchique. Il en déduit que ce comportement s'analyse en un acte d'insubordination, une attitude de dénigrement et constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement.

6. En statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'abus par le salarié dans l'exercice de son droit d'expression directe et collective, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [K] repose sur une cause réelle et sérieuse, rejette ses demandes de dommages-intérêts consécutive et d'indemnité fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et dit que chaque partie conserve ses dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 10 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Grandemange - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 2281-1 et L. 2281-3 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007.

Rapprochement(s) :

Sur l'exercice par le salarié de son droit d'expression directe et collective dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 2 mai 2001, pourvoi n° 98-45.532, Bull. 2001, V, n° 142 (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 21 septembre 2022, n° 20-16.841, (B), FS

Rejet

Licenciement – Cause – Cause réelle et sérieuse – Faute du salarié – Faute constitutive d'une infraction – Faits sanctionnés par le juge pénal – Autorité absolue de la chose jugée – Portée

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 avril 2020), M. [U] a été engagé par la société Jung, à compter du 1er septembre 2009, en qualité de conducteur routier.

3. Le 7 mars 2017, une altercation l'a opposé à un chauffeur, salarié d'une autre entreprise.

Le 3 avril 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire puis son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 28 avril 2017.

4. Contestant le bien-fondé de ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

5. Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal de police a déclaré les deux salariés coupables de violences volontaires.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexées

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes d'indemnités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que l'enregistrement du salarié à son insu constitue un procédé déloyal et illicite qui le rend irrecevable devant le juge civil, auquel il incombe de se prononcer sur la loyauté et la licéité de la preuve qui lui est soumise, quelle qu'en soit l'appréciation précédemment portée par le juge pénal devant lequel l'enregistrement obtenu à l'insu d'une personne est recevable ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reproche au salarié des coups portés à M. [Y] et s'appuie exclusivement sur le film pris par ce dernier avec son téléphone à l'insu du salarié ; que la cour d'appel a énoncé que le juge pénal avait considéré qu'il ressortait « des éléments de la procédure et du film visionné à l'audience à la demande des parties que les coups ont été portés réciproquement sans qu'il soit possible de déterminer précisément l'origine » et qu'elle ne pouvait pas rechercher si le salarié était à l'origine des coups échangés, puisqu'analysant le film, le tribunal de police ayant porté, sur ce moyen de preuve, une appréciation liant le juge prud'homal, et qu'il n'y avait donc pas lieu d'écarter ce moyen de preuve ou d'ordonner une expertise technique ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, la licéité de l'enregistrement vidéo sur lequel s'appuyait la lettre de licenciement, la cour d'appel a violé ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et par fausse application, le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal et les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

9. La cour d'appel ayant constaté que le licenciement était motivé par les faits de violences volontaires commis le 7 mars 2017, pour lesquels le salarié avait été condamné par le tribunal de police, c'est à bon droit qu'elle a décidé que l'autorité absolue de la chose jugée au pénal s'opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud'homal, l'illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, alors :

« 1°/ que la participation volontaire à une rixe peut être constitutive d'une faute grave sans qu'il soit nécessaire de démontrer que le salarié est à l'origine de celle-ci ou a porté les premiers coups ; qu'en écartant la faute grave au motif qu'il n'était pas possible de déterminer de façon certaine qui était à l'origine de la rixe, quand la société Jung faisait valoir qu'au mépris des instructions formelles qu'il avait reçues, le salarié, à l'intérieur d'un site classé Seveso, était volontairement descendu de son camion, chargé d'un produit dangereux, en laissant les portes ouvertes et le moteur en fonctionnement, pour aller s'expliquer avec M. [Y], sans rechercher si ce comportement, à lui seul ne caractérisait pas une faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;

2°/ que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux éléments constitutifs de l'infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d'autres éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l'appréciation de la juridiction civile ; qu'en s'estimant liée par les motifs du jugement pénal indiquant n'avoir pu déterminer qui de M. [Y] ou du salarié avait initié la bagarre du 7 mars 2017 et en refusant de statuer elle-même sur ce point, au besoin par l'examen de la vidéo réalisée par M. [Y] après avoir statué sur l'admissibilité de cette preuve, la cour d'appel a violé par fausse application le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée par la juridiction pénale, ensemble les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

13. La cour d'appel, après avoir constaté qu'il était établi que le salarié avait donné des coups à M. [Y], sans qu'il soit avéré qu'il se défendait d'une agression, a retenu que ces faits s'étaient produits hors de l'entreprise, qu'ils avaient opposé l'intéressé à un tiers et non à un collègue et que l'employeur, comme il l'indiquait dans la lettre de licenciement, était informé d'une situation de tension entre ces deux chauffeurs. Elle a ensuite relevé que le salarié avait immédiatement porté plainte le 7 mars 2017, quelques heures après l'altercation, alors que l'autre chauffeur avait attendu près d'un mois, lors de son audition par les services de gendarmerie, pour porter plainte et que le salarié, en plus de sept années de collaboration, n'avait fait l'objet d'aucune sanction.

14. Elle a pu en déduire, sans être tenue de préciser lequel des deux protagonistes était à l'origine de l'altercation, que les faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Principe de l'autorité de la chose jugée au pénal ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1351 du code civil ; articles 9 et 480 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, à rapprocher : 2e Civ., 21 mai 2015, pourvoi n° 14-18.339, Bull. 2015, II, n° 119 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités.

Soc., 21 septembre 2022, n° 20-18.511, (B), FS

Cassation partielle

Licenciement économique – Cause – Cause réelle et sérieuse – Motif économique – Appréciation – Existence de difficultés économiques – Caractérisation – Office du juge – Détermination – Cas – Absence de l'indicateur économique relatif à la baisse des commandes ou du chiffre d'affaires – Portée

Lorsque n'est pas établie la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement, telle que définie à l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Doit en conséquence être censuré l'arrêt qui, pour dire sans cause réelle et sérieuse un licenciement pour motif économique, retient que la baisse du chiffre d'affaires sur trois trimestres consécutifs incluant celui au cours duquel la rupture du contrat de travail a été notifiée, n'est pas établie, sans procéder à cette recherche, alors que l'employeur invoquait également des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un niveau élevé d'endettement.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 19 mai 2020), M. [L] a été engagé en qualité de chargé d'études le 14 décembre 2006 par la société Stein énergie chaudières industrielles, aux droits de laquelle vient la société Viessmann industrie France (la société), entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés.

2. Après avoir été convoqué par lettre du 16 février 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement, il a adhéré le 7 mars 2017 au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait, alors, été proposé, de sorte que la rupture de son contrat de travail est intervenue le 20 mars suivant.

3. Contestant le bien-fondé de cette rupture, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement du salarié était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de lui ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail, alors « que si la cause économique de licenciement s'apprécie à l'époque du licenciement, cela n'implique pas nécessairement la production de documents relatifs à la situation de l'entreprise au jour même de la rupture ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la rupture avait été notifiée par lettre du 8 mars 2017 et que la société Viessmann industrie France produisait ses bilans 2013, 2014, 2015 et 2016 ; que l'employeur soulignait qu'il résultait de ces bilans que les pertes subies par la société avaient progressé chaque année depuis 2013 (768 949 euros fin 2013, 900 407 euros fin 2014, 1 837 782 euros fin 2015) jusqu'à atteindre 5 690 884 euros fin 2016 ; qu'en affirmant cependant, pour dire que la preuve n'était pas rapportée de la réalité des difficultés économiques, que le contrat de travail avait pris fin le 20 mars 2017 et que la société ne justifiait pas de sa situation à la date exacte du licenciement, la cour d'appel, qui a ainsi exigé la production d'éléments relatifs à la situation au jour même du licenciement, voire de la date de fin du contrat, au lieu de rechercher si les bilans 2013 à 2016 n'établissaient pas suffisamment la situation économique largement dégradée de la société à l'époque de la rupture, a violé l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

5. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.

6. Il en résulte que si la réalité de l'indicateur économique relatif à la baisse du chiffre d'affaires ou des commandes au cours de la période de référence précédant le licenciement n'est pas établie, il appartient au juge, au vu de l'ensemble des éléments versés au dossier, de rechercher si les difficultés économiques sont caractérisées par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés par ce texte, tel que des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, ou tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

7. Pour dire que le motif économique du licenciement du salarié n'est pas avéré et que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que la société se réfère pour preuve de ses difficultés aux bilans qu'elle produit des années 2013, 2014, 2015 et 2016 et ne justifie pas de sa situation à la date du licenciement autrement qu'en évoquant des résultats prévisionnels, en tout cas n'apporte pas la preuve de la baisse sur trois trimestres consécutifs courant 2016/1er trimestre 2017 des commandes et/ou du chiffre d'affaires.

8. En se déterminant ainsi, quand l'employeur invoquait également des capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et un niveau d'endettement s'élevant à 7,5 millions d'euros à fin décembre 2016, sans rechercher si ce dernier ne justifiait pas de difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un des autres indicateurs économiques énumérés au 1° de l'article L. 1233-3 du code du travail, soit par tout autre élément de nature à les justifier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité de non-concurrence pour la deuxième année, alors « que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis ; qu'en l'espèce, l'article 13 des contrats de travail du 14 décembre 2006 et du 30 octobre 2012 prévoyait une clause de non-concurrence assortie d'une contrepartie financière et réservait à l'employeur une faculté de la dénoncer et de se décharger de l'indemnité mensuelle afférente sous condition de prévenir le salarié par écrit dans les 8 jours suivant la notification de la rupture du contrat ; qu'il précisait en outre que « la durée de cette interdiction de non-concurrence sera d'un an, renouvelable une fois » ; qu'il résultait ainsi de cette clause claire et précise qu'en l'absence de dénonciation dans les huit jours de la notification de la rupture du contrat, l'interdiction de non-concurrence et l'indemnité afférente avait une durée d'un an, sauf si elle faisait l'objet d'un renouvellement par l'employeur ; que la cour d'appel a constaté que l'interdiction de concurrence d'une durée d'un an n'avait pas été renouvelée ; qu'en énonçant que la dénonciation de l'interdiction de concurrence étant prévue en une fois, dans les huit jours suivant la notification de la rupture du contrat, le salarié avait pu croire, à défaut de dénonciation expresse et claire, eu égard à l'ambiguïté née de l'emploi du terme « renouvelable », qu'il restait tenu du respect de la clause pendant encore une année à l'expiration des douze premiers mois et en lui allouant en conséquence l'indemnité de non-concurrence pour la deuxième année, la cour d'appel a dénaturé ladite clause, exempte de toute ambiguïté, et violé le principe susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

10. Pour condamner l'employeur à payer au salarié une certaine somme au titre de l'indemnité de non-concurrence pour la deuxième année, l'arrêt retient que l'interdiction de concurrence d'une durée d'un an n'a certes pas été renouvelée, mais que la dénonciation de l'interdiction de concurrence étant prévue en une fois, dans les huit jours suivant la notification de la rupture du contrat, le salarié a pu croire à défaut de dénonciation expresse et claire, eu égard à l'ambiguïté née de l'emploi du terme « renouvelable », qu'il restait tenu du respect de la clause pendant encore une année à l'expiration des douze premiers mois.

11. En statuant ainsi, alors que le contrat de travail du salarié stipulait que « la durée de cette interdiction de concurrence sera d'un an, renouvelable une fois » et qu'elle avait constaté que cette interdiction n'avait pas été renouvelée pour une nouvelle période d'un an, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. La cassation des chefs de dispositif disant le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamnant l'employeur à payer une indemnité de non-concurrence pour la deuxième année n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que le licenciement de M. [L] est dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société Viessmann industrie France à lui payer les sommes de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de 21 601,5 euros au titre de l'indemnité de non-concurrence pour la deuxième année, ce avec intérêts au taux légal à compter du 22 juin 2017, et ordonne le remboursement à Pôle emploi à la charge de la société Viessmann industrie France des indemnités de chômage versées à M. [L] dans la limite de six mois d'indemnités, sous déduction de la contribution prévue à l'article L. 1233-69 du code du travail, l'arrêt rendu le 19 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur la caractérisation de l'existence de difficultés économiques depuis la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, à rapprocher : Soc., 1 juin 2022, pourvoi n° 20-19.957, Bull., (cassation).

Soc., 28 septembre 2022, n° 21-19.092, (B), FRH

Rejet

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Mise en oeuvre – Conditions – Appréciation – Cadre – Unité économique et sociale – Exclusion – Cas – Jugement ayant reconnu l'existence d'une unité économique et sociale – Jugement frappé d'appel – Portée

D'abord, il résulte des articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur. Il n'en va autrement que lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale (UES), la décision de licencier a été prise au niveau de l'UES.

Ensuite, aux termes de l'article 539 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire suspend l'exécution du jugement. Le recours exercé dans le délai est également suspensif. Il en résulte qu'une décision frappée d'appel ne peut servir de base à une demande en justice tendant à la réalisation des effets qu'elle comporte.

Est en conséquence approuvé, l'arrêt, qui, après avoir constaté que le jugement ayant reconnu l'existence de l'UES non assorti de l'exécution provisoire faisait l'objet d'un appel formé par la société employeur, toujours pendant lors de l'engagement de la procédure de licenciement, décide que c'est au seul niveau de la société employeur que doivent s'apprécier les conditions de mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Licenciement économique – Licenciement collectif – Plan de sauvegarde de l'emploi – Mise en oeuvre – Conditions – Appréciation – Cadre – Entreprise que dirige l'employeur – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 mai 2021), M. [J] a été engagé à compter du 2 décembre 2013 en qualité d'exploitant par la société Modulaire Système Service (MSS), qui appartenait à un groupe de huit sociétés dont la société Elteo, société holding.

2. Par jugement du 3 janvier 2017, dont les sociétés MSS et Elteo ont relevé appel le 9 janvier 2017, un tribunal d'instance a déclaré que ces huit sociétés formaient une unité économique et sociale (UES) au sein de laquelle devaient être organisées les élections du personnel.

3. Par jugement du 4 septembre 2017, un tribunal de commerce a ordonné l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société MSS et désigné M. [R] [P] en qualité de liquidateur.

4. Convoqué le 6 septembre 2017 à un entretien préalable au licenciement, fixé au 14 septembre 2017, le salarié s'est vu notifier, le 18 septembre 2017 le motif économique de la rupture du contrat de travail et a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle qui lui avait été proposé.

5. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de voir dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire le licenciement justifié par un motif économique et de le débouter de ses demandes indemnitaires au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, alors :

« 1°/ que lorsque les projets de licenciement ont été décidés au niveau d'une UES, c'est à ce niveau qu'il convient se placer pour vérifier si les conditions d'effectif et de nombre de licenciements imposant la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi sont remplies ; qu'en l'espèce, le salarié soutenait expressément que la décision de licencier les salariés pour motif économique avait été prise au niveau de l'UES ; qu'il appartenait en conséquence à la juridiction judiciaire, dès lors qu'il était soutenu devant elle que les licenciements avaient été décidés au niveau de cette UES, d'apprécier l'incidence de la reconnaissance d'une UES quant à la mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi et à la validité des licenciements ; qu'en retenant, pour débouter le salarié, que si en principe le jugement reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date introductive d'instance, en l'espèce il était établi qu'au jour du licenciement du salarié par M. [P], la procédure d'appel étant toujours en cours, la décision du Tribunal d'instance n'était pas définitive, que celle-ci n'était au demeurant pas assortie de l'exécution provisoire et donc qu'elle ne s'imposait pas à M. [P] peu important que celui-ci se soit ultérieurement désisté de son appel, que le licenciement du salarié n'avait pu être décidé au niveau de l'UES dont la reconnaissance était alors privée d'effet, que c'était donc au seul niveau de la société MSS que devaient s'apprécier les conditions pouvant justifier la mise en place d'un PSE, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision, la privant de toute base légale au regard des articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du code du travail ;

2°/ que le jugement reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère simplement déclaratif à la date introductive d'instance ; que le jugement reconnaissant l'existence d'une UES, même frappée d'appel et non assortie de l'exécution provisoire, a autorité de chose jugée entre les parties jusqu'à réformation éventuelle devant la cour d'appel pour tout ce qui concerne les éléments établis par les premiers juges ; qu'il s'en déduit que le jugement reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale, ayant un caractère déclaratif et rétroactif, a autorité de chose jugée, même si le jugement est frappé d'appel et non assorti de l'exécution provisoire ; qu'en retenant, pour débouter le salarié, que si en principe le jugement reconnaissant l'existence d'une unité économique et sociale a un caractère déclaratif à la date introductive d'instance, en l'espèce il était établi qu'au jour du licenciement du salarié par M. [P], la procédure d'appel étant toujours en cours, la décision du Tribunal d'instance n'était pas définitive, que celle-ci n'était au demeurant pas assortie de l'exécution provisoire et donc qu'elle ne s'imposait pas à M. [P] peu important que celui-ci se soit ultérieurement désisté de son appel, que le licenciement du salarié n'avait pu être décidé au niveau de l'UES dont la reconnaissance était alors privée d'effet, que c'était donc au seul niveau de la société MSS que devient s'apprécier les conditions pouvant justifier la mise en place d'un PSE, la cour d'appel a violé l'article 539 du code de procédure civile, ensemble des articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du code du travail. »

Réponse de la Cour

7. D'abord, il résulte des articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, que les conditions d'effectifs et de nombre de licenciements dont dépend l'obligation d'établir un plan de sauvegarde de l'emploi s'apprécient au niveau de l'entreprise que dirige l'employeur. Il n'en va autrement que lorsque, dans le cadre d'une unité économique et sociale (UES), la décision de licencier a été prise au niveau de l'UES.

8. Ensuite, aux termes de l'article 539 du code de procédure civile, le délai de recours par une voie ordinaire suspend l'exécution du jugement.

Le recours exercé dans le délai est également suspensif. Il en résulte qu'une décision frappée d'appel ne peut servir de base à une demande en justice tendant à la réalisation des effets qu'elle comporte.

9. La cour d'appel, qui a constaté que le jugement ayant reconnu l'existence de l'UES non assorti de l'exécution provisoire faisait l'objet d'un appel formé par les sociétés, dont la société MSS, toujours pendant lors de l'engagement de la procédure de licenciement, en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que c'était au seul niveau de la société employeur que devaient s'apprécier les conditions de mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Mariette (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Prache - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles L. 1233-61 et L. 1233-58 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 ; article 539 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'appréciation des conditions de mise en oeuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi au niveau de l'entreprise, à rapprocher : Soc., 16 novembre 2010, pourvoi n° 09-69.485, Bull. 2010, V, n° 258 (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 21 septembre 2022, n° 21-13.552, (B) (R), FS

Cassation partielle

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Réparation du préjudice subi au cours de la période d'éviction – Etendue – Départ à la retraite – Portée

Il résulte des articles L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-6 du code du travail et de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, interprétés à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêts du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria et Iccrea Banca, C- 762/18 et C-37-19 ; CJUE, 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15) que, lorsque le salarié protégé, dont le licenciement est nul en l'absence d'autorisation administrative de licenciement et qui a demandé sa réintégration, a fait valoir, ultérieurement, ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration dans l'entreprise, l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur ouvre droit au paiement, au titre des congés payés afférents, à une indemnité compensatrice de congés payés. Dans l'hypothèse où le salarié a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de son départ à la retraite, il ne saurait toutefois prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi.

Licenciement – Nullité – Effets – Réintégration – Réparation du préjudice subi au cours de la période d'éviction – Etendue – Droit à congés payés – Nouvel emploi pendant la période d'éviction – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 20 janvier 2021), M. [Z] a été engagé à compter du 6 juillet 2015 par la société Impair, devenue la société Impairoussot (la société), en qualité de directeur des opérations.

2. Par lettre recommandée du 17 juillet 2016, le salarié a demandé à son employeur la mise en place des élections des délégués du personnel en l'informant de sa candidature.

3. Le 11 août 2016, il a été convoqué à un entretien préalable au licenciement avec mise à pied à titre conservatoire. Il a été licencié le 7 septembre 2016 pour insuffisance professionnelle et faute grave sans que l'employeur ait sollicité de l'inspecteur du travail une autorisation de licenciement.

4. Le 31 octobre 2016, le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins de déclarer son licenciement nul, d'ordonner sa réintégration et de condamner l'employeur à lui verser diverses sommes.

5. Il a fait valoir ses droits à la retraite le 30 juin 2019.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement des heures supplémentaires accomplies, des contreparties obligatoires en repos, et de l'indemnité pour travail dissimulé et de limiter à certaines sommes les condamnations de la société au titre de l'indemnité pour violation du statut protecteur, à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; qu'ayant constaté que le salarié avait produit des relevés quotidiens extraits de la pointeuse détaillant les heures de travail qu'il prétendait avoir effectuées entre juillet 2015 et juin 2016, des agendas reportant ses heures de travail, des notes de frais, des courriels faisant état d'un travail le week-end, des tableaux récapitulatifs de ses heures de travail semaine après semaine et plusieurs attestations de collègues, tout en refusant de constater que le salarié avait présenté, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées afin de permettre à l'employeur, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments, la cour d'appel a violé les articles L. 3171-2 et L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

7. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés.

Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié.

La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

8. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

9. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d' heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

10. Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires au motif que celle-ci n'était pas suffisamment étayée, l'arrêt retient, après avoir dit que la convention de forfait était privée d'effet et ne pouvait être opposée au salarié, que le salarié verse aux débats les relevés quotidiens des heures de travail qu'il prétend avoir effectuées entre juillet 2015 et juin 2016, des agendas, des notes de frais ainsi que les tableaux récapitulatifs de ses heures de travail, semaine après semaine, et plusieurs attestations de collègues, que cependant ces tableaux sont établis en fonction d'une amplitude théorique de travail sans que le salarié produise les éléments lui ayant permis de déterminer ses horaires de début et de fin de journée, que l'agenda retrace son activité professionnelle, au jour le jour, mais les indications horaires que le salarié a lui-même relevées sont lacunaires, très imprécises et impossibles à contrôler, que les attestations se bornent à évoquer la disponibilité et la charge importante de travail de l'intéressé sans indication de date ni éléments suffisamment précis permettant de corroborer les décomptes de son temps de travail et que l'examen des notes de frais ne permet pas davantage de reconstituer la durée de travail de l'intéressé.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre et, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

12. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement des congés payés assis sur l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur, alors « qu'un salarié dont le licenciement est annulé par une décision judiciaire en raison de la violation de son statut protecteur contre le licenciement a droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de son départ à la retraite ; qu'en refusant en l'espèce au salarié, dont le licenciement a été annulé pour violation de son statut protecteur, et qui est parti à la retraite le 1er juillet 2019, le droit à des congés payés afférents à l'indemnité réparant son préjudice pour la période comprise entre son licenciement et son départ à la retraite, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-6 et L. 3141-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

13. La société conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau puisque le salarié ne s'est aucunement prévalu, dans ses conclusions d'appel pourtant postérieures à l'arrêt du 25 juin 2020 de la Cour de justice de l'Union européenne, de la position prise par cette juridiction qui a retenu que la période d'éviction d'un salarié entre son licenciement jugé nul et sa réintégration peut être assimilée à du temps de travail effectif permettant l'ouverture du droit aux congés payés.

14. Cependant le salarié, licencié en violation de son statut protecteur, a réclamé le paiement des congés payés afférents à l'indemnité devant lui être allouée au titre de la violation du statut protecteur.

15. Le moyen, qui est de pur droit, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-6 du code du travail et l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail :

16. Il résulte des articles L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-6 du code du travail que le licenciement d'un salarié protégé, sans autorisation administrative de licenciement ou malgré refus d'autorisation de licenciement, ouvre droit à ce dernier à une indemnité pour violation du statut protecteur.

17. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 25 novembre 1997, pourvoi n° 94-43.651, Bull. 1997, V, n° 405), la sanction de la méconnaissance par l'employeur du statut protecteur d'un représentant du personnel, illégalement licencié et qui ne demande pas sa réintégration, est la rémunération que le salarié aurait perçue jusqu'à la fin de la période de protection en cours et non la réparation du préjudice réellement subi par le salarié protégé pendant cette période. Cette indemnité est due quand bien même le salarié a retrouvé un emploi durant la période en cause.

18. De même, l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur est une indemnité forfaitaire, de sorte que le salarié qui ne demande pas sa réintégration ne peut prétendre au paiement des congés payés afférents (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-12.984 ; Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-15.874 ; Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.653).

19. Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne, dans son arrêt du 25 juin 2020 (CJUE, 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, aff. C- 762/18 et Iccrea Banca, aff. C-37-19), a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 1, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une jurisprudence nationale en vertu de laquelle un travailleur illégalement licencié, puis réintégré dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de son licenciement par une décision judiciaire, n'a pas droit à des congés annuels payés pour la période comprise entre la date du licenciement et la date de sa réintégration dans son emploi, au motif que, pendant cette période, ce travailleur n'a pas accompli un travail effectif au service de l'employeur.

20. La Cour de justice a précisé dans cette décision que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit au congé annuel, consacré à l'article 7 de la directive 2003/88, a une double finalité, à savoir permettre au travailleur de se reposer par rapport à l'exécution des tâches lui incombant selon son contrat de travail, d'une part, et disposer d'une période de détente et de loisirs, d'autre part (arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15, EU :C :2016 :576, point 34 et jurisprudence citée) (point 57).

21. Cette finalité, qui distingue le droit au congé annuel payé d'autres types de congés poursuivant des finalités différentes, est basée sur la prémisse que le travailleur a effectivement travaillé au cours de la période de référence.

En effet, l'objectif de permettre au travailleur de se reposer suppose que ce travailleur ait exercé une activité justifiant, pour assurer la protection de sa sécurité et de sa santé visée par la directive 2003/88, le bénéfice d'une période de repos, de détente et de loisirs. Partant, les droits au congé annuel payé doivent en principe être déterminés en fonction des périodes de travail effectif accomplies en vertu du contrat de travail (arrêt du 4 octobre 2018, Dicu, C-12/17, EU :C :2018 :799, point 28 et jurisprudence citée) (point 58).

22. Dès lors, la période comprise entre la date du licenciement illégal et la date de la réintégration du travailleur dans son emploi, conformément au droit national, à la suite de l'annulation de ce licenciement par une décision judiciaire, doit être assimilée à une période de travail effectif aux fins de la détermination des droits au congé annuel payé (point 69).

23. Enfin, la Cour de justice a précisé, que, dans l'hypothèse où le travailleur concerné a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de sa réintégration dans son premier emploi, ce travailleur ne saurait prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi (points 79 et 88).

24. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 14 novembre 2018, pourvoi n° 17-14.932, publié), pour percevoir sa pension de retraite, le salarié doit rompre tout lien professionnel avec son employeur. Il en résulte que le salarié dont le contrat a été rompu par l'employeur et qui a fait valoir ses droits à la retraite ne peut ultérieurement solliciter sa réintégration dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Dans ce cas, le salarié qui a fait valoir ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration, a droit au titre de la violation du statut protecteur à la rémunération qu'il aurait perçue depuis la date de son éviction jusqu'à celle de son départ à la retraite (Soc., 13 février 2019, pourvoi n° 16-25.764 publié).

25. A cet égard, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui prive du droit à une indemnité financière pour congé annuel payé non pris le travailleur dont la relation de travail a pris fin suite à sa demande de mise à la retraite et qui n'a pas été en mesure d'épuiser ses droits avant la fin de cette relation de travail (CJUE, 20 juillet 2016, Maschek, aff. C-341/15).

26. La Cour de justice a précisé, dans les motifs de sa décision, que l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, tel qu'interprété par la Cour, ne pose aucune condition à l'ouverture du droit à une indemnité financière autre que celle tenant au fait, d'une part, que la relation de travail a pris fin et, d'autre part, que le travailleur n'a pas pris tous les congés annuels payés auxquels il avait droit à la date où cette relation a pris fin (arrêt du 12 juin 2014, Bollacke, C-118/13, EU :C :2014 :1755, point 23). Il s'ensuit, conformément à l'article 7, paragraphe 2, de la directive 2003/88, qu'un travailleur, qui n'a pas été en mesure de prendre tous ses droits à congé annuel payé avant la fin de sa relation de travail, a droit à une indemnité financière pour congé annuel payé non pris. N'est pas pertinent, à cet égard, le motif pour lequel la relation de travail a pris fin. Dès lors, la circonstance qu'un travailleur mette, de son propre chef, fin à sa relation de travail, n'a aucune incidence sur son droit de percevoir, le cas échéant, une indemnité financière pour les droits au congé annuel payé qu'il n'a pas pu épuiser avant la fin de sa relation de travail (points 27 à 29).

27. Il en résulte que, lorsque le salarié protégé, dont le licenciement est nul en l'absence d'autorisation administrative de licenciement et qui a demandé sa réintégration, a fait valoir, ultérieurement, ses droits à la retraite, rendant ainsi impossible sa réintégration dans l'entreprise, l'indemnité due au titre de la violation du statut protecteur ouvre droit au paiement, au titre des congés payés afférents, à une indemnité compensatrice de congés payés. Dans l'hypothèse où le salarié a occupé un autre emploi au cours de la période comprise entre la date du licenciement illégal et celle de son départ à la retraite, il ne saurait toutefois prétendre, à l'égard de son premier employeur, aux droits au congé annuel correspondant à la période pendant laquelle il a occupé un autre emploi.

28. Après avoir fixé l'indemnité pour violation du statut protecteur due au salarié au montant de la rémunération dont ce dernier a été privé entre son éviction de l'entreprise et son départ à la retraite le 30 juin 2019, l'arrêt retient que cette indemnité n'ouvre pas droit à congés payés.

29. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

30. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du dispositif de l'arrêt ayant rejeté la demande du salarié en paiement des heures supplémentaires entraîne la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt rejetant les demandes du salarié au titre des contreparties obligatoires en repos et au titre de l'indemnité pour travail dissimulé, ainsi que des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant la société à payer au salarié les sommes de 4 129,58 euros à titre de rappel de salaire durant la période de mise à pied à titre conservatoire, de 412,95 euros correspondant aux congés payés afférents et de 160 577,12 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur et ordonnant à la société de remettre au salarié un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation Pôle emploi, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de M. [Z] au titre du préjudice moral, en ce qu'il dit que la convention de forfait en jours n'est pas opposable à M. [Z] et dit que son licenciement est nul ainsi qu'en ce qu'il condamne la société Impairoussot à payer à M. [Z] au titre de la prime d'objectifs les sommes de 4 333 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2015 et 433,30 euros correspondant aux congés payés et 7 333 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2016 et 733,30 euros correspondant aux congés payés, et en ce qu'il condamne la société Impairoussot à payer à M. [Z] la somme de 3 000 euros pour la procédure suivie en première instance et en appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande au même titre de la société Impairoussot et condamne celle-ci aux dépens, l'arrêt rendu le 20 janvier 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Articles L. 2411-1, L. 2411-2 et L. 2411-6 du code du travail ; article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

Rapprochement(s) :

CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Varhoven kasatsionen sad na Republika Bulgaria, C- 762/18 ; CJUE, arrêt du 25 juin 2020, Iccrea Banca, C-37-19 ; CJUE, arrêt du 20 juillet 2016, Maschek, C-341/15.

Soc., 28 septembre 2022, n° 21-12.776, (B), FRH

Cassation partielle

Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Domaine d'application – Critères – Date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable – Application diverses – Code du travail de Polynésie française – Portée

D'une part, il résulte de l'article Lp 2511-1 et de l'article Lp 2511-2, devenu l'article Lp 2512-1, du code du travail polynésien que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement.

D'autre part, il résulte de l'article Lp 2511-1, 6°, du code du travail polynésien, selon lequel ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat, que la protection bénéficie au salarié, titulaire d'un mandat de délégué syndical, sans condition d'exercice effectif de ses fonctions, et qu'elle s'applique au salarié dont le mandat est annulé par une décision de justice, l'annulation de la désignation n'ayant pas d'effet rétroactif.

Code du travail de Polynésie française – Licenciement – Salarié protégé – Mesures spéciales – Autorisation administrative – Domaine d'application – Anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux – Période de protection après la cessation des fonctions – Durée – Conditions – Exercice effectif des fonctions – Exclusion – Cas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 17 décembre 2020), Mme [K] a été engagée, selon contrat à durée indéterminée du 3 juin 2005, par la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française en qualité de responsable du département psychologie à tiers temps et au service psychologie de la direction de l'enseignement catholique à deux tiers de temps, puis a été nommée, par avenant du 30 avril 2014, responsable pédagogique des filières en sciences humaines à temps complet.

2. Par lettre du 28 février 2017, elle a été convoquée à un entretien pour reclassement eu égard à la réduction de son temps de service pour motif économique, entretien dont la date a été reportée au 21 mars 2017.

3. Par lettre du 22 mars 2017, la directrice diocésaine a proposé à la salariée une modification de son contrat de travail, avec réduction de son temps de travail à treize heures par semaine, afin d'assurer la responsabilité des deuxième et troisième années de licence de psychologie. Il lui a été proposé d'autres postes à deux tiers de temps. Suite au refus par la salariée de ces postes de reclassement, la directrice diocésaine lui a, par lettre du 19 mai 2017, proposé deux nouveaux postes.

4. Par lettre du 29 mai 2017, la salariée a été désignée déléguée syndicale.

Par requête du 12 juin 2017, le conseil d'administration de la mission catholique de [Localité 4] et dépendances et la direction diocésaine ont sollicité l'annulation de cette désignation.

5. Après nouveau refus des propositions de reclassement, la salariée a été convoquée, par lettre du 26 juin 2017, à un entretien préalable au licenciement pour motif économique, entretien dont la date a été reportée au 7 juillet 2017.

6. Par jugement du 11 juillet 2017, le tribunal de première instance de Papeete a annulé la désignation de la salariée en qualité de délégué syndical.

7. Par lettre du 22 juillet 2017, la salariée a été licenciée pour motif économique, avec dispense de préavis de quatre mois, en raison de difficultés économiques de l'Institut entraînant la fermeture de certaines filières dont elle est responsable.

8. Le 25 octobre 2017, la salariée, invoquant une violation de son statut protecteur et contestant le motif économique de son licenciement, a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire son licenciement, à titre principal, nul et illicite et, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse et de condamner le conseil d'administration de la mission catholique de [Localité 4] et dépendances et la direction diocésaine au paiement de diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

9. La salariée fait grief à l'arrêt d'ordonner la mise hors de cause du CAMICA, alors « qu'en affirmant péremptoirement, pour dire que le CAMECA devait être mis hors de cause, qu'il était justifié que la DDEC constituait un établissement distinct du CAMICA qui a une autonomie suffisante pour disposer de son propre personnel sans préciser les éléments sur lesquels elle se fondait et alors que la DDEC et le CAMICA reconnaissaient dans leurs écritures que la DDEC ne disposait pas d'existence juridique propre, la cour d'appel, qui n'a pas motivé sa décision, a violé l'article 268 du code de procédure civile polynésien. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

10. La direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et le conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française soulèvent l'irrecevabilité du moyen comme étant contraire à la thèse soutenue devant la cour d'appel par la salariée, revendiquant que la direction diocésaine soit reconnue comme étant son employeur.

11. Cependant, la salariée sollicitait devant la cour d'appel la condamnation solidaire de la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et du conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française au paiement de diverses sommes au titre de la rupture de son contrat de travail.

12. Le moyen, qui n'est pas incompatible avec la thèse soutenue devant les juges du fond et qui est né de la décision attaquée, est dès lors recevable.

Bien fondé du moyen

Vu l'article 268 du code de procédure civile polynésien :

13. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.

Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motifs.

14. Pour infirmer le jugement ayant mis hors de cause la direction diocésaine de l'enseignement catholique et mettre hors de cause le conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française, l'arrêt retient que la salariée a signé avec la direction diocésaine de l'enseignement catholique de [Localité 4] et dépendances un contrat de travail à durée indéterminée, lequel a fait l'objet ultérieurement d'un avenant, et qu'il est justifié de ce que la direction diocésaine est un établissement distinct du CAMICA qui a une autonomie suffisante pour disposer de son propre personnel.

15. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de la direction diocésaine de l'enseignement catholique de Polynésie française et du conseil d'administration de la mission catholique de Polynésie française faisant valoir que la première n'avait pas de personnalité juridique propre et n'était qu'un établissement distinct du second, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.

Sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

16. La salariée fait grief à l'arrêt de dire régulier et valable son licenciement pour motif économique, alors « que l'employeur est tenu de demander l'autorisation administrative de licencier un salarié lorsque ce dernier bénéficie du statut protecteur à la date de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable ; qu'en jugeant que Mme [K] n'était pas fondée à faire valoir que son employeur aurait dû solliciter l'autorisation préalable de la licencier auprès de l'inspection du travail après avoir pourtant relevé, d'une part, que Mme [K] avait été désignée déléguée syndicale par lettre du 29 mai 2017 et d'autre part, qu'elle avait été convoquée à un entretien préalable par lettre du 26 juin 2017, enfin, qu'elle avait été licenciée par lettre en date du 22 juillet 2017 sans que ne soit sollicitée l'autorisation préalable de l'inspection du travail, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations dont il résultait que Mme [K] bénéficiait du statut de salarié protégée à la date de la convocation à l'entretien préalable et avait néanmoins été licenciée sans autorisation préalable de l'inspection du travail, violé les articles Lp. 2511-1 et Lp. 2511-2 du code du travail polynésien. »

Réponse de la Cour

Vu l'article Lp. 2511-1 et l'article Lp. 2511-2 devenu l'article Lp. 2512-1 du code du travail polynésien :

17. Il résulte de ces textes que l'autorisation administrative de licenciement est requise lorsque le salarié bénéficie de la protection à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement.

18. Pour rejeter la demande en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que la demande d'autorisation administrative est nécessairement postérieure à l'entretien préalable au licenciement et que les textes ne fixent pas de délai à respecter par l'employeur pour solliciter une autorisation administrative de licenciement, sous le seul risque du non respect du délai maximum de notification du licenciement s'il tarde à saisir l'inspection du travail.

L'arrêt ajoute qu'au moment de l'envoi de la lettre datée du 22 juillet 2017 portant notification du licenciement pour motif économique, force est de constater que la désignation de la salariée en tant que délégué syndical a été annulée le 11 juillet 2017 par jugement réputé contradictoire en dernier ressort, exécutoire dès son prononcé et, la salariée ayant perdu sa qualité de salarié protégé postérieurement à l'entretien préalable du 7 juillet 2017, il ne peut dès lors être fait grief à l'employeur de ne pas avoir sollicité une autorisation administrative qui n'avait plus lieu d'être demandée.

19. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'elle avait constaté que la salariée avait été désignée, le 29 mai 2017, déléguée syndicale avant l'envoi de la lettre du 16 juin 2017 la convoquant à l'entretien préalable au licenciement et qu'il était constant que l'employeur n'avait pas sollicité l'autorisation administrative de licenciement et alors, d'autre part, que l'annulation de la désignation d'un délégué syndical n'a pas d'effet rétroactif, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

20. La salariée fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'en application de l'article Lp. 2511-1 6° du code du travail polynésien, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des anciens délégués syndicaux, représentants du personnel, ou représentants syndicaux pendant six mois après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat ; qu'en retenant, pour dire que le licenciement de Mme [K], désignée déléguée syndicale par lettre en date du 29 mai 2017 n'était pas soumis à autorisation préalable de l'inspection du travail, que celle-ci ne contestait pas n'avoir jamais exercé de fonctions syndicales, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne prévoyait pas, a violé l'article susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article Lp. 2511-1, 6°, du code du travail polynésien :

21. Selon ce texte, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail, le licenciement des anciens délégués syndicaux, représentants du personnel ou représentants syndicaux pendant six mois, après la cessation de leurs fonctions ou de leur mandat.

22. Il résulte de ce texte que la protection bénéficie au salarié, titulaire d'un mandat de délégué syndical, sans condition d'exercice effectif de ses fonctions, et qu'elle s'applique au salarié dont le mandat est annulé par une décision de justice, l'annulation de la désignation n'ayant pas d'effet rétroactif.

23. Pour rejeter la demande en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur, l'arrêt retient que la protection de six mois de l'ancien délégué syndical prévue par l'article Lp. 2511-1 du code du travail polynésien ne commence qu'après la cessation de ses fonctions ou de son mandat et que la salariée ne conteste pas n'avoir jamais exercé ses fonctions syndicales.

24. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le mandat de délégué syndical dont la salariée avait été investi le 29 mai 2017 avait été annulé par jugement du 11 juillet 2017, ce dont elle aurait dû déduire que la salariée bénéficiait à compter de cette date de la protection complémentaire de six mois, la cour d'appel, qui a ajouté une condition non prévue par la loi, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

25. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant la salariée de ses demandes en nullité du licenciement pour violation du statut protecteur entraîne la cassation du chef du dispositif déboutant la salariée de ses demandes subsidiaires au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare l'appel recevable et déboute la salariée de sa demande au titre de la majoration pour ancienneté, l'arrêt rendu le 17 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Ott - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés -

Textes visés :

Articles Lp 2511-1 et Lp 2511-2, devenu l'article Lp 2512-1, du code du travail de Polynésie française.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité de solliciter l'autorisation administrative de licencier un salarié protégé dès lors que l'envoi de la convocation à l'entretien préalable intervient pendant la période de protection, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-16.057, Bull., (cassation partielle) et les arrêts cités.

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