Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

CONFLIT DE JURIDICTIONS

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 21-12.263, (B), FS

Rejet

Effets internationaux des jugements – Reconnaissance ou exequatur – Procédure de reconnaissance ou d'exequatur – Recevabilité – Cas – Précédente action en exequatur sur le fondement de l'article 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000

Il résulte de l'article 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, qu'une cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.

A l'occasion de ce recours, aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne peut être soulevé et le droit commun de l'exequatur ne peut pas être invoqué.

Dès lors, l'introduction par un créancier d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 17 décembre 2020), le 8 juillet 2015, saisi à la requête de la Commission européenne, sur le fondement du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le greffier en chef d'un tribunal de grande instance a déclaré exécutoire en France un jugement d'une juridiction croate ayant condamné M. [N] à lui payer une certaine somme.

2. Statuant sur le recours formé par M. [N] contre cette déclaration, un arrêt du 21 octobre 2016 a dit que le règlement n'était pas applicable, infirmé la décision du greffier en chef et déclaré irrecevable la requête de la Commission européenne en ce qu'elle était fondée sur ce règlement.

3. Celle-ci a ensuite introduit une action en exequatur fondée sur le droit commun.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [N] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de la Commission européenne recevable, alors :

« 1°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur le principe de concentration des moyens, que l'arrêt du 21 octobre 2016 avait seulement déclaré irrecevable la demande de la Commission européenne tendant à voir reconnaître la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance de Buje du 2 avril 2012, sans se prononcer sur le fond de la demande de celle-ci ; qu'en statuant par ce motif inopérant, cependant qu'elle avait constaté que les demandes successives de la Commission européenne, opposant les mêmes parties et fondées sur les mêmes faits, certes reposant sur un fondement juridique différent, étaient identiques dans leur objet en ce qu'elles tendaient l'une comme l'autre à obtenir en France la reconnaissance du caractère exécutoire du jugement rendu le 2 avril 2012 par le tribunal d'instance de Buje, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que le demandeur à l'exequatur, dans le cadre du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire prévu à l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, peut solliciter, à titre subsidiaire, l'exequatur de droit commun ; qu'en retenant, pour exclure l'application du principe de concentration des moyens, que la Commission européenne n'aurait pas pu utilement formuler, dès l'instance relative à la première demande, des moyens fondés sur le droit commun de l'exequatur, lorsqu'elle pouvait le faire, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil, 480 du code de procédure civile, ensemble les articles 43 et 45 du règlement précité. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 41 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une décision rendue dans un Etat membre est d'abord déclarée exécutoire dès l'achèvement des formalités prévues à l'article 53, sans examen des critères prévus aux articles 34 et 35.

7. L'article 43 prévoit que l'une ou l'autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

8. Selon l'article 45, la juridiction saisie de ce recours ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35.

9. Par arrêt du 13 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le juge saisi d'un recours prévu aux articles 43 ou 44 de ce règlement refuse ou révoque une déclaration constatant la force exécutoire d'une décision pour un motif autre que ceux indiqués aux articles 34 et 35 de celui-ci, tels que l'exécution de celle-ci dans l'État membre d'origine (C-139/10).

10. Enfin, l'article 509-2, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011, donne compétence au greffier en chef du tribunal de grande instance pour déclarer exécutoire les décisions rendues dans les Etats membres de l'Union européenne.

En vertu de l'annexe III du règlement, le recours prévu à l'article 43 est porté, en France, devant les cours d'appel.

11. Il résulte de l'article 45 de ce règlement, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, que la cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.

12. Ayant ainsi exactement énoncé qu'aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne pouvait être soulevé devant la cour d'appel qui avait été saisie d'un recours en révocation de la déclaration du caractère exécutoire en France de la décision croate et que le droit commun de l'exequatur ne pouvait pas être invoqué à l'occasion de ce recours, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'introduction par la Commission européenne d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 43 et 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

1re Civ., 21 septembre 2022, n° 19-15.438, (B), FS

Cassation sans renvoi

Succession – Compétence subsidiaire – Critères – Biens successoraux situés en France – Nationalité française – Office du juge

Par l'arrêt CJUE, arrêt du 7 avril 2022, C-645/20, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition.

En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui déclare la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession et désigner un mandataire successoral, au motif que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni, sans relever d'office sa compétence subsidiaire, alors qu'il résultait de ses constatations que le défunt avait la nationalité française et possédait des biens situés en France.

Compétence internationale – Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 – Compétence en matière successorale – Compétence subsidiaire – Critères – Biens successoraux situés en France – Nationalité française – Office du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 21 février 2019), [Y] [H], de nationalité française, est décédé en France le 3 septembre 2015, en laissant pour lui succéder son épouse, Mme [F], et ses trois enfants issus d'une première union, [S], [R] et [U] (les consorts [H]).

2. Les consorts [H] ont assigné Mme [F] devant le président d'un tribunal de grande instance statuant en la forme des référés afin d'obtenir la désignation d'un mandataire successoral en invoquant la compétence des juridictions françaises sur le fondement de l'article 4 du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, au motif que la résidence habituelle de [Y] [H] au jour de son décès était située en France.

3. [S] [H] étant décédé le 10 avril 2017, ses frère et soeur ont indiqué agir également en leur qualité d'ayants droit de celui-ci.

4. Par un arrêt du 18 novembre 2020, la Cour de cassation a saisi la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation de l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité.

5. Par un arrêt du 7 avril 2022 (C-645/20), la CJUE a répondu à la question posée.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

7. Les consorts [H] font grief à l'arrêt de dire que les juridictions françaises ne sont pas compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] et la demande de désignation d'un mandataire successoral, alors « que lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un Etat membre, les juridictions de l'Etat membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes, de manière subsidiaire, pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet Etat membre au moment du décès ; que ces dispositions, issues du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, sont d'ordre public et doivent être relevées d'office par le juge ; qu'en l'espèce, il est constant que [Y] [H] avait la nationalité française et qu'il possédait des biens situés en France, de sorte que la cour d'appel aurait dû vérifier sa compétence subsidiaire ; qu'en s'abstenant de le faire, la cour d'appel a violé l'article 10 du règlement n° 650/2012 du 4 juillet 2012. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 précité :

8. Selon ce texte, titré « Compétences subsidiaires », lorsque la résidence habituelle du défunt au moment du décès n'est pas située dans un État membre, les juridictions de l'État membre dans lequel sont situés des biens successoraux sont néanmoins compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession dans la mesure où le défunt possédait la nationalité de cet État membre au moment du décès.

9. Par son arrêt précité du 7 avril 2022, la CJUE a dit pour droit que ce texte « doit être interprété en ce sens qu'une juridiction d'un État membre doit relever d'office sa compétence au titre de la règle de compétence subsidiaire prévue à cette disposition lorsque, ayant été saisie sur le fondement de la règle de compétence générale établie à l'article 4 de ce règlement, elle constate qu'elle n'est pas compétente au titre de cette dernière disposition. »

10. Pour déclarer la juridiction française incompétente pour statuer sur la succession de [Y] [H] et désigner un mandataire successoral, l'arrêt retient que la résidence habituelle du défunt était située au Royaume-Uni.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, la cour d'appel, qui n'a pas, en conséquence, relevé d'office sa compétence subsidiaire, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Comme suggéré en demande, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

14. La cour d'appel ayant constaté que [Y] [H] avait la nationalité française et possédait des biens situés en France, les juridictions françaises sont donc compétentes pour statuer sur l'ensemble de sa succession en application de l'article 10, § 1, sous a), du Règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les juridictions françaises sont compétentes pour statuer sur l'ensemble de la succession de [Y] [H] ;

Confirme l'ordonnance rendue 12 décembre 2017 en la forme des référés par le président du tribunal de grande instance de Nanterre.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Fulchiron - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet -

Textes visés :

Article 10, § 1, sous a), du règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012.

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