Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

CONCURRENCE

Com., 28 septembre 2022, n° 21-20.731, (B), FRH

Cassation

Entente illicite – Accords verticaux – Preuve – Préjudice – Présomption de preuve (non)

Aucune présomption de préjudice ne découle d'une entente verticale entre un concédant et son concessionnaire ayant eu pour objet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse au sens de l'article L. 420-1 du code de commerce, de sorte que, pour condamner le concédant à indemniser son concessionnaire du fait d'une telle pratique, il appartenait à la cour d'appel d'établir l'existence d'un préjudice subi par ce dernier.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 9 juin 2021), la société L'établissement Lorillard (la société Lorillard) est spécialisée dans la fabrication et l'installation de menuiseries industrielles sur mesure. Elle exploite la marque « Lorenove ».

2. Le 9 septembre 2010, la société [T] a conclu avec la société Lorillard un contrat de concession exclusive sous le numéro 20100831, pour une durée de trois ans, pour l'exploitation de la marque et du concept « Lorenove » sur une partie du territoire de la Marne. Un autre contrat de concession exclusive a été signé postérieurement sous le numéro 20111102, pour une même durée, portant sur une autre partie du territoire de la Marne.

3. Ces contrats comportaient un article VIII relatif à une obligation de respect de prix conseillés.

4. Le 4 septembre 2015, la société [T] et son gérant, M. [T], ont assigné la société Lorillard en annulation du contrat de concession n° 20100831, notamment sur le fondement de l'article L. 420-1 du code de commerce, et en paiement de dommages-intérêts.

Le 7 novembre 2016, la société [T] Châlons, devenue la société AVGR, et son dirigeant, M. [T], se prévalant du contrat n° 20111102, ont assigné la société Lorillard aux mêmes fins.

Les instances ont été jointes.

5. Par arrêt du 31 juillet 2019, la cour d'appel de Paris a dit que l'article VIII des contrats constituait une stipulation prohibée par l'article L. 420-1 du code de commerce, qu'elle était nulle sans que cette nullité affectât la validité de l'ensemble des contrats de distribution, et, rouvrant les débats, a invité les parties à conclure sur le principe, l'étendue et l'évaluation du préjudice subi à raison de l'annulation de cette clause.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Lorillard fait grief à l'arrêt de la condamner, au visa de l'arrêt du 31 juillet 2019, à verser à la société [T] la somme de 64 021,58 euros et à la société AVGR la somme de 62 952,93 euros en réparation du préjudice qu'elles ont subi à raison de l'annulation de la clause de prix, et de la débouter de ses propres demandes, alors « que la loi interdit les conventions qui « ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché », notamment en faisant « obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse » ; que la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, a jugé que tel était le cas de l'article VIII des deux contrats litigieux de concession exclusive, l'un du 9 septembre 2010, l'autre non daté, en ce qu'il obligeait le concessionnaire, d'une part, à respecter des tarifs applicables à certains comptes et clients négociés et, d'autre part, à respecter le tarif de vente conseillé par Lorenove, ce qui justifiait son annulation ; que la cour, avant dire droit, a alors, sur le préjudice dont la réparation était demandée de ce chef par les sociétés [T] et M. [T], invité les parties « à conclure sur le principe, l'étendue et l'évaluation du préjudice qu'ils ont subis à raison de l'annulation de ladite clause » ; qu'en faisant droit aux demandes des sociétés [T] et AVGR de ce chef, quand aucun préjudice ne pouvait résulter de l'annulation d'une clause jugée illégale, cette annulation supprimant cette illégalité et le préjudice susceptible d'en résulter, la cour a violé l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. Selon l'article L. 420-3 du code de commerce, est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par l'article L. 420-1 du même code. Il n'est pas exclu que l'application, le cas échéant, d'une telle clause, serait-elle nulle de plein droit, ait pu causer un préjudice aux cocontractants.

8. Le moyen, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. La société Lorillard fait le même grief à l'arrêt, alors « que, pour annuler l'article VIII des contrats d'exclusivité litigieux, jugé illégal, la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, avait constaté, d'une part, qu'il imposait le respect de tarifs applicables à certains clients négociés par Lorenove, d'autre part, qu'il avait imposé le tarif de vente conseillé par Lorenove ; qu'il ne s'ensuivait cependant pas qu'un préjudice fût établi ; que, dans son arrêt du 9 juin 2021, la cour s'est fondée exclusivement sur la seconde illégalité relevée ; que, cependant, dans son arrêt du 31 juillet 2019, elle avait constaté que si un tarif de vente conseillé était imposé, le concessionnaire « conserv[ait] la liberté de fixation de ses prix ou des coefficients multiplicateurs conseillés afin de pouvoir s'adapter à la concurrence locale », sous la seule réserve d'en informer la société Lorenove ; que si, comme l'a retenu la cour dans cet arrêt, cette liberté subsistante n'ôtait pas à la clause son illégalité de principe, en revanche elle établissait que la liberté du concessionnaire de fixer ses prix à sa convenance, en fonction de nécessités de concurrence locale dont il demeurait seul juge, n'avait jamais été entravée ; que, dès lors, ni la stipulation visée ni son annulation n'étaient susceptibles de causer au concessionnaire aucun préjudice résultant d'une fixation des prix conseillés ; qu'en condamnant dès lors la société Lorillard, de ce chef, à verser différentes sommes aux sociétés [T] et AVGR, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 420-1 du code de commerce :

10. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Selon le second, sont prohibées, lorsqu'elles ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre le jeu de la concurrence sur un marché, les conventions, notamment lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse.

11. Pour condamner la société Lorillard à payer diverses sommes aux sociétés [T] et AVGR à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient que la pratique de prix imposé par la société Lorillard a été établie par l'arrêt du 31 juillet 2019 qui a dit nul l'article VIII des contrats comme contraire aux dispositions de l'article L. 420-1 du code de commerce et qu'au regard de la date des faits générateurs du dommage entre 2010 et 2013, une entente entre concurrents a nécessairement causé un trouble commercial lorsqu'elle est reconnue, ce qui est le cas en l'espèce, de sorte que c'est vainement que la société Lorillard soutient que la preuve d'un préjudice découlant de l'annulation de l'article VIII des contrats ne serait pas rapportée.

12. En statuant ainsi, alors que la pratique qu'elle avait retenue n'était pas une entente entre concurrents, qu'aucune présomption de préjudice ne découlait de la pratique relevée et qu'il lui appartenait d'établir le dommage causé par celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

13. La société Lorillard fait le même grief à l'arrêt, alors « que la loi interdit les conventions qui « ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché », notamment en faisant « obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse » ; que la cour, dans son arrêt du 31 juillet 2019, ayant jugé que tel était le cas de l'article VIII des deux contrats litigieux de concession exclusive, l'a annulé ; qu'elle avait cependant constaté, dans ce même arrêt, que les contrats contenant cet article avaient été conclus exclusivement entre la société Lorillard et la SAS [T], à l'exclusion de la société [T] Châlons ; qu'il s'ensuivait, sur le principe, que cette dernière, devenue société AVGR, n'ayant jamais été soumise à l'article VIII de ces contrats, n'avait pu subir aucun préjudice de son éventuelle application, non plus que de son annulation ; qu'en décidant dès lors, dans son arrêt du 9 juin 2021, de condamner la société Lorillard, à raison de cette annulation, à verser à la société AVGR la somme de 62 952,93 euros en réparation de son préjudice supposé, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 420-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article L. 420-1 du code de commerce :

14. Ayant retenu l'existence d'un préjudice dans les conditions à juste titre critiquées par la troisième branche, l'arrêt condamne la société Lorillard à payer une certaine somme à la société AVGR à titre de dommages-intérêts.

15. En se déterminant ainsi, après avoir relevé qu'il était vainement soutenu que le second contrat de concession avait été signé par la société [T] Châlons, aucune référence à cette société ne figurant dans le contrat qui ne faisait état que de la société [T] et sans établir en quoi cette société, tiers au contrat, avait pu subir un préjudice du fait de l'annulation d'une clause y figurant, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : Mme Darbois (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Champalaune - Avocat(s) : SCP Le Griel ; SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article L. 420-1 du code de commerce.

Com., 28 septembre 2022, n° 19-19.768, (B), FS

Cassation partielle sans renvoi

Transparence et pratiques restrictives – Barème de prix et conditions de vente – Conditions générales de vente – Obligation de communication – Portée – Obligation de vendre (non)

Il résulte de la combinaison des articles L. 441-6, I, et L. 442, I, 9°, du code de commerce que le débiteur des obligations prévues par ces dispositions doit communiquer les conditions générales de vente applicables à tout acheteur de produits ou demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle et que si, sauf abus de droit, il est toujours libre de ne pas lui vendre, il est tenu, lorsqu'il entre en négociation commerciale avec cet opérateur, de le faire sur la base de ces conditions de vente.

Engage dès lors sa responsabilité le fournisseur qui, n'ayant pas prétendu avoir fait usage de sa liberté de refuser de vendre des produits à une société qui en faisait la demande, est entré en négociation avec cette dernière sur la base de conditions de vente applicables à une catégorie d'acheteurs à laquelle elle n'appartenait pas.

Transparence et pratiques restrictives – Barème de prix et conditions de vente – Conditions générales de vente – Socle de la négocation commerciale – Conditions – Détermination

Transparence et pratiques restrictives – Barème de prix et conditions de vente – Conditions générales de vente – Socle de la négocation commerciale – Applications diverses – Fournisseur entré en négociation avec une société – Négociation sur la base de conditions de vente applicables à une catégorie d'acheteurs à laquelle elle n'appartenait pas – Responsabilité du fournisseur

Transparence et pratiques restrictives – Refus de vente – Liberté – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 juillet 2019), rendu sur renvoi après cassation (chambre commerciale, financière et économique, 29 mars 2017, pourvoi n° 15-27.811), MM. [S] et [D] [X] (MM. [X]), pharmaciens d'officine, ont créé la société Pyxis Pharma, devenue la société Mon Courtier en pharmacie, structure de regroupement à l'achat (SRA), afin de négocier, auprès des fournisseurs, les conditions d'achat de produits pour le compte de ses adhérents, ainsi que la société Sagitta Pharma, centrale d'achat pharmaceutique (CAP), intervenant en qualité de prestataire logistique.

2. Ces sociétés ont souhaité nouer une relation commerciale avec la société de Coopération pharmaceutique française (la société Cooper), établissement pharmaceutique spécialisé dans la fourniture aux pharmaciens de médicaments et accessoires, sur la base des conditions générales de vente applicables aux officines.

3. Un litige a opposé les parties, notamment, sur le bénéfice de ces conditions de vente, la société Cooper considérant que la société Pyxis Pharma, en sa qualité de SRA, n'y était pas éligible, dès lors qu'elle n'était pas une officine mais intervenait comme commissionnaire et qu'elle était assimilable, dans son modèle de distribution, aux grossistes répartiteurs.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses sixième, septième, huitième, neuvième, dixième, onzième, douzième et treizième branches dont l'examen est préalable

Enoncé du moyen

5. La société Cooper fait grief à l'arrêt, infirmant le jugement, de la condamner à communiquer à la société Pyxis Pharma, devenue Mon Courtier en pharmacie, les conditions générales de vente accordées aux officines indépendantes, comme base de négociation commerciale entre lesdites sociétés et à payer à cette dernière la somme de 20 000 euros en réparation de son préjudice au titre de la pratique restrictive de concurrence, alors :

« 6°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; que la cour d'appel a elle-même constaté que la société Cooper distingue trois catégories de clientèle, en fonction de l'activité de l'acheteur qui conclut le contrat de vente avec elle ; qu'elle propose ainsi des conditions générales de vente différentes selon qu'il s'agit d'une officine indépendante, qui effectue directement ses achats auprès d'elle sans recourir à un quelconque intermédiaire, d'officines groupées, qui justifient de l'affiliation à un groupement ayant conclu, en leur nom et pour leur compte, un contrat de référencement organisant la vente directe par la société Cooper de ses produits à ces officines, ou de grossistes et intermédiaires de toutes natures qui, agissant en leur nom, contractent directement avec la société Cooper pour organiser ensuite par eux-mêmes, selon des modalités qui leur sont propres, la distribution des médicaments acquis auprès d'elle ; qu'entre dans cette dernière catégorie la SRA qui contracte avec le laboratoire en qualité de commissionnaire à l'achat, acquérant les produits en son propre nom, sans révéler le nom des officines adhérentes pour le compte desquelles elle agit, et qui est seule tenue du paiement des produits et seule responsable à l'égard du laboratoire au titre du contrat de vente ; qu'en décidant que la société Cooper échouait à démontrer par des critères objectifs que la société Pyxis Pharma n'entrait pas dans la catégorie des officines indépendantes, tout en constatant que la société Pyxis Pharma était « un intermédiaire du réseau de distribution des médicaments en gros », qui, en tant que commissionnaire à l'achat, commandait en son nom les produits de la société Cooper, se les faisait facturer en son nom, les réglait ensuite à la société Cooper et engageait sa responsabilité personnelle à son égard au titre de cet achat, ce qui excluait toute vente directe conclue entre la société exposante et les officines adhérentes et justifiait objectivement que la société Pyxis Pharma, en tant qu'intermédiaire agissant en son propre nom, reçoive communication des conditions générales de vente proposées aux grossistes et intermédiaires de toute nature, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

7°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en l'espèce, la société Cooper distingue trois catégories de clientèle, en fonction de l'activité de l'acheteur concluant le contrat de vente avec elle, officines indépendantes, officines groupées ou intermédiaires ; que l'application de ce critère objectif ne peut se faire qu'au regard de la nature et des caractéristiques de la relation existant entre la société Cooper et son cocontractant ; que dans l'hypothèse où celui-ci est un commissionnaire à l'achat qui conclut le contrat en son nom, cela exclut nécessairement que le contrat de vente soit conclu avec une officine indépendante ou des officines groupées, peu important la façon dont le commissionnaire organise sa relation juridique avec les officines commettantes en vue de la distribution des produits acquis auprès de la société exposante ; qu'en retenant cependant que la catégorie d'acheteur dont relevait la société Pyxis Pharma devait être déterminée au regard, non pas des caractéristiques de la relation unissant celle-ci à la société Cooper, mais de celles de la relation l'unissant aux officines adhérentes, définies par le « contrat de commission » conclu avec ces dernières, et auquel la société Cooper demeure étrangère, la cour d'appel a fait une application erronée des critères mis en place par la société exposante et violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

8°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en l'espèce, la société Cooper distingue trois catégories de clientèle, en fonction de l'activité de l'acheteur concluant le contrat de vente avec elle, officines indépendantes, officines groupées ou intermédiaires ; que l'application de ce critère objectif ne peut se faire qu'au regard de la nature et des caractéristiques de la relation existant entre la société Cooper et son cocontractant ; que dans l'hypothèse où celui-ci est un commissionnaire à l'achat qui conclut le contrat en son nom, cela exclut nécessairement que le contrat soit conclu avec une officine indépendante ou des officines groupées, peu important que les effets réels de ce contrat, et notamment le transfert de propriété, se produisent dans le patrimoine des officines commettantes, celles-ci n'en devenant pas pour autant les cocontractantes de la société Cooper aux lieu et place de la société Pyxis Pharma ; qu'en retenant cependant que le fait que cette société n'acquiert pas la propriété des produits achetés auprès de la société Cooper en vertu du contrat de vente les liant suffisait en soi à l'exclure de la catégorie des grossistes et intermédiaires de toutes natures, la cour d'appel a fait une application erronée des critères mis en place par la société exposante et violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

9°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en l'espèce, la société Cooper distingue trois catégories de clientèle, en fonction de l'activité de l'acheteur concluant le contrat de vente avec elle, officines indépendantes, officines groupées ou intermédiaires ; que l'application de ce critère objectif ne peut se faire qu'au regard de la nature et des caractéristiques de la relation existant entre la société Cooper et son cocontractant ; que dans l'hypothèse où celui-ci est un commissionnaire à l'achat qui conclut le contrat en son nom, cela exclut nécessairement que le contrat soit conclu avec une officine indépendante ou des officines groupées, peu important que les modalités selon lesquelles le commissionnaire à l'achat organise ensuite la distribution des médicaments auprès des officines adhérentes diffèrent de celles d'un grossiste répartiteur qui n'est qu'un type de grossiste au sein de la catégorie des grossistes et intermédiaires de toute nature ; qu'en retenant cependant, pour juger que la société Pyxis Pharma devait bénéficier des conditions générales de vente accordées aux officines indépendantes, que l'activité de la société Pyxis Pharma, dans la mesure où celle-ci n'acquérait pas la propriété des produits achetés auprès de la société Cooper en vertu du contrat de vente les liant, différait de celle d'un grossiste-répartiteur, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

10°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en affirmant, pour décider que la société Cooper échouait à démontrer par des critères objectifs que la société Pyxis Pharma n'entrait pas dans la même catégorie que les officines indépendantes, que l'absence de relation contractuelle directe entre la société Pyxis Pharma et le consommateur final – en d'autres termes sa qualité d'intermédiaire non détaillant – ne constituait pas un critère objectif, cependant que ce critère, tenant à la nature de l'activité exercée par la société Pyxis Pharma dans le réseau de distribution, ne présentait aucune subjectivité et était susceptible de s'appliquer à tout intermédiaire dans la même situation, la cour d'appel a derechef violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

11°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en retenant en l'espèce que l'absence de relation contractuelle directe entre la société Pyxis Pharma et le consommateur final – en d'autres termes sa qualité d'intermédiaire non détaillant – ne constituait pas un critère objectif dans la mesure où le transfert de la propriété des produits achetés par l'intermédiaire se faisait dans le patrimoine de l'officine commettante, cependant que cette dichotomie entre les effets personnels et les effets réels du contrat de vente conclu par la société Pyxis Pharma n'avait aucune incidence sur l'activité exercée par celle-ci au sein du réseau de distribution, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier sa décision, a violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

12°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; qu'en affirmant, pour décider que la société Cooper échouait à démontrer par des critères objectifs que la société Pyxis Pharma n'entrait pas dans la même catégorie que les officines indépendantes, que la relation privilégiée dont la société Cooper se prévalait avec les officines constituait un critère subjectif, cependant que la qualité de la personne procédant à l'achat des produits, selon qu'il s'agit d'une officine, d'un mandataire des officines ou d'un intermédiaire agissant en son propre nom, constitue au contraire un critère objectif sur lequel la société Cooper ne peut avoir aucune influence ni porter aucune appréciation subjective, la cour d'appel a violé l'article L. 441-6 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause ;

13°/ qu'un fournisseur de produits peut refuser à un acheteur la communication des conditions générales de vente applicables à une catégorie de clientèle s'il établit, selon des critères objectifs, c'est-à-dire indépendants de sa volonté et susceptibles de s'appliquer à tous de la même façon, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée ; que les conditions de stockage des médicaments, nécessairement plus limitées lorsque ceux-ci sont acquis directement par des officines indépendantes ou groupées que lorsqu'ils sont gérés par un intermédiaire qui pratique une activité de distribution en gros et dispose de moyens de stockage plus importants, constituent en soi un critère objectif permettant de distinguer des catégories de clientèle ; qu'en affirmant, pour décider que la société Cooper échouait à démontrer par des critères objectifs que la société Pyxis Pharma n'entrait pas dans la même catégorie que les officines indépendantes, que l'absence pour la société Pyxis Pharma de contrainte de stockage, à la différence des officines indépendantes et groupées, n'était pas un critère distinctif, dans la mesure où cette société était obligée d'avoir recours à une CAP à cette fin, cependant que l'existence même de cette possibilité pour une SRA de s'adosser à une CAP pour les opérations de stockage la distingue par là même des officines indépendantes, la cour d'appel a violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt rappelle d'abord qu'en vertu de l'article L. 441-6 du code de commerce, les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services, ensuite, que depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, le fournisseur définit librement les différentes catégories d'acheteurs auxquelles sont applicables ses conditions de vente, à condition que les critères définissant ces catégories soient objectifs et ne créent pas un déséquilibre significatif, une entente anticoncurrentielle ou encore un abus de position dominante et, enfin, qu'en application de l'article L. 442-6, I, 9° du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, un fournisseur de produits est tenu de communiquer ses conditions générales de vente dans les conditions prévues à l'article L. 441-6 du code de commerce et ne peut refuser à un acheteur la communication des conditions catégorielles de vente que s'il établit, selon des critères objectifs, que cet acheteur n'appartient pas à la catégorie concernée.

7. Il constate que les conditions générales de vente de la société Cooper prévoient des conditions générales différenciées selon trois catégories de clients, les officines indépendantes, les officines groupées et les grossistes (intermédiaires détaillants).

8. L'arrêt retient ensuite qu'il résulte de l'extrait K-bis de la société Pyxis Pharma, de son objet tel qu'énoncé dans ses statuts, ainsi que du « contrat de commission » conclu avec les officines adhérentes, que cette société exerce une activité de structure de regroupement à l'achat, dite « SRA », et agit toujours « d'ordre et pour le compte » des officines adhérentes, et non pour son compte. Il ajoute que cette société négocie des conditions d'achat plus favorables pour les officines adhérentes, dont elle est le mandataire, et que lorsqu'elle procède à l'achat groupé en négociant, recueillant et centralisant les commandes des officines adhérentes, celles-ci peuvent choisir de se faire directement livrer les produits par le fournisseur ou de recourir aux services de la CAP Sagitta Pharma avec laquelle la société Pyxis Pharma a conclu un contrat de prestation de services, pour le stockage des produits et leur livraison ultérieure, la CAP Sagitta Pharma agissant comme un prestataire logistique.

L'arrêt relève encore que, dans tous les cas, contrairement aux grossistes répartiteurs, la société Pyxis Pharma n'est pas propriétaire des produits dont elle passe la commande auprès du laboratoire d'ordre et pour le compte des officines adhérentes, qu'elle règle personnellement au laboratoire pour le compte des officines et qu'elle refacture à ces dernières sans percevoir de commission, celles-ci s'acquittant seulement d'un droit d'adhésion annuelle.

9. L'arrêt en déduit que la société Pyxis Pharma agit vis-à-vis de la société Cooper en qualité de commissionnaire à l'achat, qu'elle constitue un opérateur intermédiaire entre le laboratoire et les officines adhérentes, dont elle est le mandataire, lesquelles acquièrent directement la propriété des produits acquis d'ordre et pour leur compte par la SRA.

10. L'arrêt relève encore que l'absence de relation contractuelle directe entre la société Pyxis Pharma et le consommateur final, ne constitue pas un motif pertinent de refus de lui appliquer des conditions de vente prévues pour les officines, dès lors que le transfert de propriété se fait dans le patrimoine de l'officine commettante qui a un rôle de conseil envers le consommateur final et que l'absence de contrainte de stockage pour la société Pyxis Pharma ne l'est pas davantage, dans la mesure où, comme les pharmaciens titulaires d'officine, elle a recours à des CAP pour assurer le stockage des médicaments commandés à la société Cooper, ce qui lui est imposé par la réglementation.

11. De ces énonciations, constatations et appréciations, abstraction faite de son appréciation surabondante du caractère subjectif du critère de la relation privilégiée, la cour d'appel qui, analysant exactement les relations des parties dans leur ensemble, a souverainement retenu, d'une part, qu'il existait une relation directe entre la société Cooper et les officines de pharmacies passant leurs commandes par l'intermédiaire de la société Pyxis Pharma, d'autre part, que celles-ci supportent, comme les officines commandant directement, des charges de stockage, a pu, sans encourir les griefs inopérants des neuvième, dixième et onzième branches, déduire que la société Pyxis Pharma était fondée à solliciter la communication des conditions générales de vente de la société Cooper accordées aux officines indépendantes, acheteurs dont elle se rapprochait le plus au regard des trois catégories établies par la société Cooper dans son modèle de distribution, et leur application comme socle de la négociation commerciale.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

13. La société Cooper fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que si tout fournisseur a l'obligation de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur qui lui en fait la demande, afin que puisse être assurée de cette manière une transparence tarifaire dans le secteur concerné, cette obligation est limitée à la seule communication de ces conditions, à l'exclusion de toute obligation de les appliquer à l'acheteur ou même d'entrer en négociation avec celui-ci ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la société Cooper avait communiqué l'ensemble de ses conditions générales de vente à la société Pyxis Pharma, ce dont il s'induisait qu'elle avait respecté l'obligation de transparence tarifaire mise à sa charge ; qu'en énonçant cependant que la société Pyxis Pharma était bien fondée à solliciter « l'application à son bénéfice des conditions générales d'achat de la société Cooper accordées aux officines indépendantes » et que la société Cooper avait engagé sa responsabilité en refusant « de lui appliquer les conditions générales correspondant aux officines et d'en faire le socle de leur négociation commerciale », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause ;

2°/ qu'en vertu du principe de libre négociabilité des prix, toute entreprise est libre de définir l'organisation de son réseau de distribution et de négocier, de manière différenciée, ses tarifs en fonction de ses clients ; que, depuis la loi du 4 août 2008 qui a mis fin à l'interdiction des pratiques discriminatoires, la discrimination ne constitue plus en elle-même une faute civile, sauf à constituer une entente illicite, un abus de position dominante ou un abus de droit ; qu'en retenant en l'espèce, pour décider que la responsabilité de la société Cooper était engagée, que celle-ci « ne saurait objectivement réserver l'application de ses conditions d'achat favorables aux seules officines indépendantes (...) et appliquer à la SRA Pyxis Pharma (...) les conditions commerciales moins favorables réservées aux grossistes, voire aux officines groupées », que cette pratique « illustre un déséquilibre concurrentiel au sein de la chaîne de distribution, au détriment des intermédiaires », et que la société Pyxis Pharma était en conséquence bien fondée à solliciter « l'application à son bénéfice des conditions générales d'achat de la société Cooper accordées aux officines indépendantes », sans caractériser ni un abus de droit commis par la société Cooper, ni une entente illicite ou un abus de position dominante, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et violé par fausse application les articles L. 441-6 et L. 442-6, I, 9°, du code de commerce, dans leur rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

14. Selon l'article L. 441-6, I, du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle, celles-ci constituent le socle de la négociation commerciale et les conditions générales de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de prestation de services.

15. L'article L. 442, I, 9° du même code, dans sa rédaction également applicable en la cause, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de ne pas communiquer ses conditions générales de vente, dans les conditions prévues à l'article L. 441-6, à tout acheteur de produits ou tout demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour l'exercice d'une activité professionnelle.

16. Il résulte de la combinaison de ces textes que la personne assujettie à ces obligations doit communiquer les conditions générales de vente applicables à tout acheteur de produits ou demandeur de prestations de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle et que, si sauf abus de droit, il est toujours libre de ne pas lui vendre, il est tenu, lorsqu'il entre en négociation commerciale avec cet opérateur, de le faire sur la base de ces conditions de vente.

17. La société Cooper n'ayant pas prétendu qu'usant de sa liberté, elle avait refusé de vendre ses produits à la société Pyxis Pharma, fût-ce aux conditions revendiquées par celle-ci, mais ayant admis au contraire qu'elle lui avait proposé d'entrer en négociations, en vue d'un partenariat, sur la base des conditions de vente applicables aux grossistes, ce que cette société avait refusé, c'est à bon droit qu'ayant retenu que ces conditions de vente n'étaient pas celles qui étaient applicables à la société Pyxis Pharma, la cour d'appel en a déduit que la société Cooper avait méconnu les dispositions précitées et avait ainsi engagé sa responsabilité.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa quinzième branche

Enoncé du moyen

19. La société Cooper fait grief à l'arrêt d'ordonner la publication d'un communiqué judiciaire, alors « que l'article L. 442-6, III, dans sa rédaction applicable au moment des faits, prévoit que « la juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise » ; qu'il en résulte que la publication de la décision ou d'un extrait de celle-ci est une faculté laissée au juge et ne peut être considérée comme étant de droit ; qu'en retenant cependant en l'espèce que la publication de la décision était de droit en application du texte susvisé, la cour d'appel a violé les dispositions de celui-ci. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 442-6, III, du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la cause :

20. Aux termes de ce texte, « La juridiction peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. »

21. Pour ordonner la publication d'un communiqué judiciaire, l'arrêt retient que la publication est de droit en application de l'article L. 442-6, III, du code de commerce.

22. En statuant ainsi, alors que la publication n'était qu'une faculté et devait faire l'objet d'une appréciation de sa part, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

23. Sur la suggestion de la société Cooper et après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

24. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

25. Compte tenu des éléments du dossier, en particulier des entraves, dont il témoigne, au développement des SRA mises en place par les pouvoirs publics dans l'intérêt des consommateurs, il est souhaitable que la décision de la cour d'appel soit portée à la connaissance des exploitants de pharmacies d'officine.

26. La publication de cette décision, dans les termes prévus au dispositif cassé, et à la charge de la société Cooper, serait donc justifiée. Il convient cependant de constater que cette publication a déjà été effectuée en exécution de l'arrêt cassé. Il n'y a donc pas lieu de l'ordonner à nouveau.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne la publication d'un communiqué judiciaire, l'arrêt rendu le 4 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Statuant à nouveau, vu l'évolution du litige,

Dit n'y avoir lieu à nouvelle publication.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Michel-Amsellem - Avocat général : M. Douvreleur - Avocat(s) : SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier ; SCP Zribi et Texier -

Com., 28 septembre 2022, n° 20-22.447, (B), FS

Rejet

Transparence et pratiques restrictives – Imposition d'un prix minimal ou d'une marge commerciale minimale – Exclusion – Cas – Inclusion de chaînes de télévision en clair dans un bouquet payant

Le fait pour un éditeur de chaînes de télévision de subordonner l'offre de mise à disposition de ses chaînes en clair de la télévision numérique terrestre (TNT) à leur inclusion, par un distributeur, dans un bouquet payant, ne peut être assimilé à l'imposition d'un prix minimal ou d'une marge commerciale minimale prohibée par l'article L. 442-5 du code de commerce, et n'est pas, en lui-même, attentatoire aux articles 3-1 et 96-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa version applicable au litige.

Transparence et pratiques restrictives – Sanctions des pratiques restrictives – Déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties – Applications diverses – Droit voisin – Preuve du déséquilibre

Au titre du droit voisin conféré par l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, l'éditeur privé de chaînes en clair de la télévision numérique terrestre (TNT) est en droit de définir les conditions économiques de diffusion de ses chaînes, sans exclure que ces conditions puissent revêtir un caractère abusif constitutif, le cas échéant, d'un déséquilibre significatif. La preuve d'un tel déséquilibre pèse sur le distributeur qui l'invoque et ne résulte ni du seul usage par l'éditeur de son droit de s'auto-distribuer parallèlement, ni de la seule atteinte alléguée par le distributeur à son modèle économique.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 18 novembre 2020) et les productions, la société Métropole télévision (la société Métropole), société mère du groupe M6, et ses filiales EDI-TV et M6 génération, éditent les chaînes de télévision M6, W9 et 6TER qu'elles diffusent en clair et gratuitement via la télévision numérique terrestre (TNT) et l'internet ouvert (OTT). Elles autorisent des distributeurs à reprendre les chaînes dans leurs offres de bouquets de télévision payants, accessibles via différents réseaux de distribution.

La société Molotov distribue, sur une plate-forme internet, des services de télévision dont une partie est accessible gratuitement au public et une autre est subordonnée au paiement d'un abonnement.

2. Le 5 juin 2015, la société Molotov a signé avec la société Métropole un contrat de distribution « OTT », portant sur la diffusion en clair des chaînes M6, W9 et 6TER et des chaînes thématiques qu'elles éditent, ainsi que des services de télévision de rattrapage d'autres chaînes.

3. A l'échéance de ce contrat, la société Métropole a envisagé de nouvelles conditions sur lesquelles des négociations se sont ouvertes et les parties ont prorogé l'accord en vigueur jusqu'au 31 mars 2018, date à laquelle devait intervenir le nouveau contrat.

4. Le 5 mars 2018, la société Métropole a demandé à la société Molotov son accord sur la rémunération et le principe d'une distribution des chaînes M6, W9 et 6TER et de leurs services de fonctionnalités associés exclusivement au sein de bouquets payants, ainsi que son engagement de faire payer ces chaînes à ses utilisateurs.

5. Aucun accord n'ayant pu être trouvé entre les parties sur les conditions de diffusion des chaînes gratuites de la TNT, la société Molotov, reprochant à la société Métropole de subordonner la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à la modification de son modèle économique pour lui imposer un bouquet basique payant incluant les chaînes gratuites de la TNT(M6, W9 et 6TER), et considérant que la clause 3.1 des conditions générales de distribution de cette société, dite de « paywall », dispositif par lequel l'éditeur bloque l'accès à une partie du contenu proposé par un site ou l'application pour des utilisateurs non abonnés, était illicite et discriminatoire, l'a assignée, le 4 avril 2018, en réparation de son préjudice.

Les sociétés EDI-TV et M6 génération sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. La société Molotov fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes, alors :

« 1°/ que l'article L. 442-5 du code de commerce (devenu L. 442-6 depuis l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019) prohibe le fait par toute personne d'imposer, directement ou indirectement, un caractère minimal au prix de revente d'un produit ou d'un bien, au prix d'une prestation de service ou à une marge commerciale ; que la liberté commerciale des distributeurs de déterminer les prix des biens qu'ils revendent et ceux des services qu'ils commercialisent implique celle de pouvoir les proposer à titre gratuit aux consommateurs sans que leurs fournisseurs y fassent obstacle ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le groupe M6, éditeur de services de télévision, avait indiqué le 30 octobre 2017 à la société Molotov que tout nouvel accord de distribution entre eux devrait s'insérer dans le cadre des conditions générales de distribution, lesquelles renfermaient une clause dite de « paywall » par laquelle le groupe M6 exigeait de ses distributeurs qu'ils ne rendent les chaînes de la TNT en clair éditées par ce groupe accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair et de leurs services de rattrapage ; qu'il ressortait en outre d'un courriel du 29 décembre 2017 que le groupe M6 avait précisé que « les montants des abonnements facturés [aux consommateurs] par Molotov pour l'accès aux Bouquets Payants ne pourront pas être assimilables à des offres gratuites et doivent permettre de préserver la valeur et l'attractivité des chaînes vis-à-vis de l'ensemble des distributeurs » ; qu'en jugeant qu'une telle clause ne pouvait être assimilée à l'imposition prohibée d'un prix minimal, cependant qu'elle constatait que son effet était d'empêcher que le distributeur ne distribue gratuitement par internet les chaînes gratuites de la TNT, ce qui revenait donc à lui imposer indirectement un prix minimal de distribution, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ qu'il appartient au juge judiciaire, à titre de mesure préventive de comportements illicites, d'annuler ou de réputer non écrites les clauses figurant dans les conditions générales d'un opérateur économique qui, dans l'hypothèse où ses distributeurs consentiraient à s'y soumettre, constitueraient des restrictions verticales caractérisées tombant sous le coup de la prohibition des ententes édictées par les articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; qu'il résulte des textes susvisées que sont notamment prohibées les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, étant précisé que l'article 4 du Règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, § 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées exclut du champ d'application de l'exemption les accords verticaux comportant des restrictions caractérisées et notamment ceux ayant directement ou indirectement pour objet de restreindre la capacité des distributeurs de déterminer leurs prix de vente, sans préjudice de la possibilité pour les fournisseurs d'imposer un prix de vente maximal ou de recommander un prix de vente, à condition que ces derniers n'équivaillent pas à un prix de vente fixe ou minimal sous l'effet de pressions exercées ou d'incitations par l'une des parties ; que, pour écarter le moyen par lequel la société Molotov faisait valoir que la clause dite de « paywall » figurant dans les conditions générales de distribution du groupe M6 encourait la nullité en ce qu'elle constituait une restriction verticale contraire aux articles L. 420-1 du code du commerce et 101 du TFUE, la cour d'appel retient que dans sa décision n° 20-D-08 du 30 avril 2020, l'Autorité de la concurrence a rejeté la saisine de la société Molotov au motif qu'elle n'apportait pas d'éléments suffisamment probants ; qu'en se prononçant de la sorte, cependant que, dans la décision précitée, l'Autorité n'avait écarté l'existence d'une entente verticale qu'en raison du fait que les conditions générales de distribution du groupe M6 avaient été établies de manière unilatérale par celui-ci et n'avaient fait l'objet d'aucun accord explicite ou tacite par Molotov, de sorte qu'aucun accord de volonté constitutif d'une entente verticale n'était constitué, la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier sa décision, l'entachant ainsi d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;

3°/ que le constat de ce qu'une clause des conditions générales de distribution d'un fournisseur de biens ou de services ne tombe pas sous le coup de la prohibition édictée par l'article L. 442-5 (devenu L. 442-6) du code de commerce ne suffit pas à en assurer la licéité au regard des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE ; qu'il résulte de ces deux derniers textes que sont notamment prohibées les ententes entre fournisseurs et distributeurs ayant pour objet ou pour effet d'empêcher, de fausser ou de restreindre la fixation des prix aux consommateurs par le libre jeu de la concurrence, tandis que l'article 4 du règlement d'exemption n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 exclut du champ d'application de l'exemption les accords verticaux comportant des restrictions verticales caractérisées et notamment ceux ayant directement ou indirectement pour objet de restreindre la capacité des distributeurs de déterminer leurs prix de vente ; qu'en jugeant que la clause dite de « paywall » figurant dans les conditions générales de distribution du groupe M6 ne pouvait être qualifiée de restriction verticale caractérisée au sens des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 TFUE et du règlement d'exemption de la Commission du 20 avril 2010 dès lors qu'elle ne constituait pas une pratique prohibée par l'article L. 442-5 (devenu L. 442-6) du code de commerce, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés. »

Réponse de la Cour

7. En premier lieu, l'arrêt retient que la clause litigieuse a pour effet d'empêcher que le distributeur ne diffuse gratuitement par internet les chaînes en clair de la TNT.

8. En cet état, et dès lors qu'il ne ressort ni de l'arrêt ni des productions que le niveau de prix de l'offre payante conçue par la société Molotov dans laquelle la société Métropole exigeait que les chaînes qu'elle édite fussent incluses, devait être établi à un niveau minimal fixé par cette dernière, c'est à bon droit que la cour d'appel a énoncé que la pratique en cause ne pouvait être assimilée à l'imposition d'un prix minimal ou d'une marge commerciale minimale prohibée par l'article L. 442-5 du code de commerce.

9. En second lieu, l'arrêt retient d'abord que par la décision n° 20-D-08 invoquée par la société Molotov, l'Autorité de la concurrence a rejeté la saisine au motif que cette société n'apportait pas d'éléments suffisamment probants. Il retient ensuite que dès lors que la clause litigieuse ne constituait pas une pratique prohibée de prix imposé, elle ne peut être contraire au règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, § 1, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.

10. En cet état, et dès lors que, contrairement à ce que soutient la deuxième branche, l'Autorité de la concurrence, après avoir estimé qu'aucun accord, au sens des articles 101, § 1, du TFUE et L. 420-1 du code de commerce, n'était établi et que la clause litigieuse procédait seulement d'un acte unilatéral, ce qui était exclusif de sa prohibition par les textes invoqués, ne s'est pas prononcée sur l'objet de la clause elle-même et son caractère restrictif, le cas échéant, de concurrence, et que, dans ses conclusions, la société Molotov faisait seulement valoir que la condition contestée lui imposait un prix minimal pour la diffusion des chaînes éditées par la société Métropole et aboutissait à fixer les prix au mépris des dispositions précitées, la cour d'appel, qui a écarté la matérialité de cette pratique, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. La société Molotov fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que le droit voisin du droit d'auteur dont un éditeur de services de communication audiovisuelle est titulaire sur les chaînes de télévision qu'il édite ne le dispense pas du devoir de se conformer aux prescriptions de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce dans ses rapports avec les distributeurs et ne justifie en rien d'apprécier plus strictement en cette matière qu'en d'autres la notion de déséquilibre significatif, ni même de reculer le seuil de significativité du déséquilibre entre les droits et obligations des parties ; qu'en l'espèce, la société Molotov rappelait dans ses écritures qu'après avoir conclu en 2015 un premier contrat de distribution avec le groupe M6, par lequel ce dernier, en contrepartie d'une rémunération de 1,5 millions d'euros par an, l'autorisait à distribuer ses chaînes de la TNT en clair (M6, W9 et 6TER) dans le cadre d'un bouquet de chaînes accessibles gratuitement pour le consommateur, le groupe M6 avait subordonné la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à un engagement du distributeur de ne rendre ces chaînes accessibles au public que dans le cadre d'une offre payante pour le consommateur ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair ; que, pour juger qu'en formulant une telle exigence à l'égard de la société Molotov, le groupe M6 n'avait pas enfreint les dispositions de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce, la cour d'appel retient que cette exigence « doit être appréciée (...) en fonction du contexte particulier né du droit voisin dont cette société est titulaire sur les programmes des chaînes en clair de la TNT qui sont en cause », que, par la clause litigieuse, le groupe M6 demande essentiellement que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante et qu'il s'agit là seulement de la mise en oeuvre, selon une modalité non dépourvue de contrepartie pour la société Molotov, des droits conférés à la société Métropole télévision en vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l'entreprise de communication audiovisuelle exploitant un service de communication audiovisuelle la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci, moyennant paiement d'un droit d'entrée ; qu'en se prononçant par de tels motifs, laissant apparaître que la nature du droit de l'éditeur de chaînes de télévision aurait commandé, en la matière, une appréciation restrictive de la notion du déséquilibre significatif, la cour d'appel a violé l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce dans sa rédaction applicable en la cause ;

2°/ que caractérise une tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la décision d'un éditeur de chaînes de télévision diffusées en clair sur le réseau public hertzien de subordonner le renouvellement du contrat de distribution conclu avec un distributeur sur Internet à l'engagement de celui-ci de ne rendre ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, lorsqu'il apparaît qu'une telle exigence ne trouve pas de contrepartie dans un engagement réciproque que l'éditeur aurait souscrit de s'interdire de rendre lui-même ces chaînes de télévision accessibles gratuitement sur son propre site internet ; qu'en l'espèce, la société Molotov rappelait dans ses écritures qu'après avoir conclu en 2015 un premier contrat de distribution avec le groupe M6, par lequel ce dernier, en contrepartie d'une rémunération de 1,5 millions d'euros par an, l'autorisait à distribuer ses chaînes de la TNT en clair (M6, W9 et 6TER) dans le cadre d'un bouquet de chaînes accessibles gratuitement pour le consommateur, le groupe M6 avait, toutes autres conditions demeurant égales par ailleurs, subordonné la conclusion d'un nouveau contrat de distribution à un engagement du distributeur de ne rendre ces chaînes accessibles au public que dans le cadre d'une offre payante pour le consommateur ne pouvant être constituée essentiellement de chaînes de la TNT en clair ; qu'en jugeant qu'une telle exigence n'était pas de nature à placer le distributeur en situation d'assumer une obligation sans contrepartie et ne caractérisait aucune autre forme de déséquilibre significatif, sans identifier de contrepartie spécifique qui aurait été offerte à la société Molotov en échange de cet engagement nouveau s'ajoutant à son obligation de payer le prix convenu, ni d'engagement réciproque et symétrique qu'aurait souscrit le groupe M6 de s'interdire lui-même de rendre les chaînes en cause accessibles gratuitement sur son propre site internet, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce ;

3°/ que caractérise une tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties la décision d'un éditeur de chaînes de télévision diffusées en clair sur le réseau public hertzien de subordonner le renouvellement du contrat de distribution conclu avec un distributeur sur Internet à l'engagement de celui-ci de ne rendre ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, lorsqu'une telle exigence, qui entrave la capacité du distributeur de déterminer librement son modèle d'affaires, ne repose sur aucun motif légitime tiré de la préservation de la valeur desdites chaînes de télévision ; qu'en l'espèce, la société Molotov faisait valoir que cette exigence nouvelle formulée par le groupe M6, de nature à modifier en profondeur son modèle économique et à menacer la pérennité même de son exploitation, ne reposait sur aucun motif légitime tiré de la préservation de la valeur desdites chaînes, lesquelles demeuraient diffusées gratuitement, tant sur le réseau public hertzien que sur internet par le groupe M6 lui-même au travers de son propre site Internet ; que pour juger qu'une telle exigence n'était pas de nature à caractériser un déséquilibre significatif, la cour d'appel retient que la circonstance que la position adoptée par le groupe M6 vienne fragiliser la pertinence et la pérennité du modèle d'affaires « freemium » de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué ; qu'en se prononçant de la sorte, sans caractériser un motif économique légitime qui aurait pu justifier une telle entrave au libre choix par la société Molotov de son modèle d'affaires, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce ;

4°/ que la société Molotov rappelait dans ses écritures, qu'après avoir stipulé dans leur contrat initial conclu en 2015 que les chaînes de la TNT en clair éditées par le groupe M6 seraient distribuées au sein d'une offre gratuite pour le consommateur, puis lui avoir indiqué, le 30 octobre 2017, qu'il subordonnerait désormais tout nouvel accord de distribution à l'exigence que le distributeur ne rende ces chaînes accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, le groupe M6 avait, les 29 décembre 2017 et 13 février 2018, précisé que, dans l'hypothèse où le groupe TF1 autoriserait la société Molotov à distribuer ses propres chaînes au sein d'offres gratuites, il se réserverait lui-même la faculté discrétionnaire de changer d'avis et d'imposer à la société Molotov, moyennant un simple préavis de six mois, le retour des chaînes de la TNT en clair au sein d'une offre gratuite ; qu'après avoir elle-même constaté que « compte tenu du nombre limité d'acteurs susceptibles de conférer des droits sur les chaînes en clair de la TNT susceptible de lui permettre de constituer les bouquets de son offre « freemium », il doit être reconnu en l'espèce l'existence d'un rapport de force au détriment de la société Molotov, qui dépend dans une large mesure de la société Métropole télévision laquelle, par l'adoption de la clause 3.1 de ses conditions générales de distributions a fait nécessairement perdre beaucoup d'intérêt du public pour ce type d'offre, par la nécessité de renoncer aux importantes chaînes en clair du Groupe M6 », la cour d'appel a néanmoins considéré que la circonstance que la position adoptée par le groupe M6 vienne fragiliser la pérennité du modèle d'affaires « freemium » de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué ; qu'en se prononçant de la sorte, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la tentative de soumission d'un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ne résultait pas de la volonté du groupe M6 de placer la société Molotov en situation de devoir de manière incessante adapter son modèle économique à ses décisions unilatérales et potestatives et de la précarité qui en résultait, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 442-6, I, 2 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

13. L'arrêt rappelle d'abord qu'il doit être procédé à une appréciation concrète et globale des contrats en cause et du contexte dans lequel ils ont été conclus ou proposés à la négociation, et que la clause litigieuse doit être analysée, d'un côté, à la lumière de l'ensemble des clauses des conditions générales de distribution et du contrat dont la négociation a été rompue, notamment de celle par laquelle la société Métropole exige paiement pour la diffusion par internet des chaînes en clair de la TNT et, de l'autre, en fonction du contexte particulier né du droit voisin dont cette société est titulaire sur les programmes des chaînes en clair de la TNT qui sont en cause. Il estime que le groupe M6 demande essentiellement, au titre de la clause litigieuse, que les chaînes en clair de la TNT soient accessibles de manière indissociable au sein d'une offre de télévision payante, tandis que le distributeur fixe librement le prix de l'abonnement à ses offres et qu'il verse à la société Métropole une rémunération. Il retient qu'il s'agit seulement de la mise en oeuvre des droits conférés à la société Métropole en vertu de l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, qui soumet à autorisation de l'entreprise exploitant un service de communication audiovisuelle, au sens de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de la communication, la reproduction de ses programmes ainsi que leur mise à disposition du public par vente, louage ou échange, leur télédiffusion et leur communication au public dans un lieu accessible à celui-ci, moyennant paiement d'un droit d'entrée. Il retient encore que la circonstance que la société Métropole exige le paiement d'une redevance pour une telle autorisation, en même temps qu'elle impose au distributeur de ne pas diffuser ces mêmes chaînes en dehors de bouquets payants, ne caractérise nullement une absence de contrepartie à cette dernière obligation, ni aucune autre forme de déséquilibre significatif. Il retient enfin que la circonstance que la position adoptée par la société Métropole puisse fragiliser la pertinence et la pérennité du modèle d'affaires de la société Molotov est sans effet sur l'existence du déséquilibre significatif allégué.

14. En l'état de ces constatations et appréciations, c'est sans avoir à effectuer la recherche invoquée à la quatrième branche, étrangère à la clause des conditions générales de distribution en cause, et en se bornant à rappeler à juste titre que, disposant sur les chaînes qu'elle édite d'un droit voisin conféré par l'article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle, la société Métropole était en droit de définir les conditions économiques de diffusion de ses chaînes, sans exclure pour autant la possibilité d'un abus de ce droit constitutif, le cas échéant, d'un déséquilibre significatif, que la cour d'appel a estimé que la preuve incombant à la société Molotov, de ce dernier, qui ne pouvait résulter ni du seul usage par la société Métropole de son droit de s'auto-distribuer parallèlement ni de la seule atteinte alléguée au modèle économique de la société Molotov, n'était pas rapportée.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

16. La société Molotov fait encore le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication dans sa version applicable au litige que le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure l'égalité de traitement, veille à favoriser la libre concurrence et l'établissement de relations non discriminatoires entre éditeurs et distributeurs de services, quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé par ces derniers, conformément au principe de neutralité technologique, tandis que l'article 96-1 de la même loi dispose que les services nationaux de télévision en clair diffusés par voie hertzienne en mode numérique sont diffusés ou distribués gratuitement auprès de 100 % de la population du territoire métropolitain ; qu'en l'espèce, la société Molotov faisait valoir dans ses écritures que la clause dite de « paywall » des conditions générales de distribution du groupe M6, par laquelle ce dernier exigeait, au sujet de ses chaînes de la TNT conventionnées par le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA) en tant que chaînes gratuites, l'engagement de ne les rendre accessibles aux consommateurs que dans le cadre d'offres payantes ne pouvant être constituées essentiellement de chaînes de la TNT en clair, contrevenait aux principes précités d'égalité de traitement, de neutralité technologique et de gratuité de la distribution des chaînes de télévision en clair ; qu'elle soulignait qu'en obligeant les utilisateurs de la plateforme Molotov à payer un abonnement spécifique pour des chaînes pour lesquelles le groupe M6 s'est engagé envers le CSA à ne pas réclamer de paiement de la part des usagers lorsqu'elles sont diffusées en hertzien terrestre, celui-ci traitait différemment deux modes de transmission ne différant que par la technologie et discriminait ainsi la transmission par fil de cuivre ou optique par rapport à celle par les ondes hertziennes ; qu'en se bornant à énoncer qu'il ne résulte des dispositions de la loi du 30 septembre 2006, à la charge de l'éditeur privé du service gratuit M6, aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par toute autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou par internet, pour en déduire qu'il n'était nullement démontré que la société Molotov ait été traitée par le groupe M6 « de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse », la cour d'appel s'est déterminée par des motifs impropres à justifier de la conformité de la clause litigieuse au regard des articles 3-1 et 96-1 de la loi du 30 septembre 1986 et a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;

2°/ ensuite que la société Molotov soulignait qu'en tout état de cause, le groupe M6 avait bien accepté que les fournisseurs d'accès à internet ne subordonnent pas l'accès aux chaînes du groupe M6 à la souscription d'un abonnement à un bouquet payant de chaînes de télévision ; qu'en se bornant à affirmer qu'il n'était nullement démontré par la société Molotov qu'elle ait été traitée par la société Métropole de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse, sans analyser, même sommairement, les pièces versées aux débats par la société Molotov desquelles il ressortait qu'au titre du service « la télévision d'Orange », l'opérateur éponyme ne facture aucun montant récurrent en relation même indirecte avec un contenu, mais se contente de demander le versement d'une caution pour la mise à disposition de son décodeur TV, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

17. L'arrêt retient que les dispositions de la loi du 30 septembre 2006 à la charge de l'éditeur privé du service gratuit M6 ne prévoient aucune obligation légale de mise à disposition de son signal à un distributeur par tout autre moyen que la voie hertzienne, que ce soit par satellite ou, comme en l'espèce, par internet, et qu'il n'est nullement démontré par la société Molotov qu'elle ait été traitée par la société Métropole de manière discriminatoire dans la mise en oeuvre de la clause litigieuse.

18. En l'état de ces énonciations et appréciations, faisant ressortir que la subordination, par le groupe M6, de l'offre de mise à disposition de ses chaînes TNT en clair, aux conditions de leur inclusion dans un bouquet payant, n'était pas, en elle-même, attentatoire aux dispositions invoquées de la loi du 30 septembre 1986, la cour d'appel qui, sans avoir à entrer dans le détail de l'argumentation de la société Molotov, a estimé qu'en outre sa mise en oeuvre n'était pas intervenue dans des conditions fautives, a légalement justifié sa décision.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : Mme Mouillard (président) - Rapporteur : Mme Champalaune - Avocat général : Mme Beaudonnet - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SAS Hannotin Avocats -

Textes visés :

Article L. 442-5 du code de commerce ; article 3-1 et 96-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans sa version applicable au litige ; article L. 216-1 du code de la propriété intellectuelle.

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