Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

CHOSE JUGEE

Soc., 21 septembre 2022, n° 20-16.841, (B), FS

Rejet

Autorité du pénal sur le civil – Décisions auxquelles elle s'attache – Décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique – Motifs soutien nécessaire du dispositif – Preuve – Moyen de preuve – Licéité – Contestation devant le juge prud'homal – Possibilité (non) – Portée

Une cour d'appel ayant constaté que le licenciement du salarié était motivé par des faits de violences volontaires pour lesquels il avait été condamné par le tribunal de police, c'est à bon droit qu'elle a décidé que l'autorité absolue de la chose jugée au pénal s'opposait à ce que l'intéressé soit admis à soutenir devant le juge prud'homal, l'illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 30 avril 2020), M. [U] a été engagé par la société Jung, à compter du 1er septembre 2009, en qualité de conducteur routier.

3. Le 7 mars 2017, une altercation l'a opposé à un chauffeur, salarié d'une autre entreprise.

Le 3 avril 2017, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire puis son licenciement pour faute grave lui a été notifié par lettre du 28 avril 2017.

4. Contestant le bien-fondé de ce licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

5. Par jugement du 6 septembre 2018, le tribunal de police a déclaré les deux salariés coupables de violences volontaires.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexées

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse et de le débouter de ses demandes d'indemnités au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « que l'enregistrement du salarié à son insu constitue un procédé déloyal et illicite qui le rend irrecevable devant le juge civil, auquel il incombe de se prononcer sur la loyauté et la licéité de la preuve qui lui est soumise, quelle qu'en soit l'appréciation précédemment portée par le juge pénal devant lequel l'enregistrement obtenu à l'insu d'une personne est recevable ; qu'en l'espèce, la lettre de licenciement reproche au salarié des coups portés à M. [Y] et s'appuie exclusivement sur le film pris par ce dernier avec son téléphone à l'insu du salarié ; que la cour d'appel a énoncé que le juge pénal avait considéré qu'il ressortait « des éléments de la procédure et du film visionné à l'audience à la demande des parties que les coups ont été portés réciproquement sans qu'il soit possible de déterminer précisément l'origine » et qu'elle ne pouvait pas rechercher si le salarié était à l'origine des coups échangés, puisqu'analysant le film, le tribunal de police ayant porté, sur ce moyen de preuve, une appréciation liant le juge prud'homal, et qu'il n'y avait donc pas lieu d'écarter ce moyen de preuve ou d'ordonner une expertise technique ; qu'en statuant ainsi, sans vérifier, ainsi qu'elle y était invitée, la licéité de l'enregistrement vidéo sur lequel s'appuyait la lettre de licenciement, la cour d'appel a violé ensemble les articles 9 du code de procédure civile, 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et par fausse application, le principe de l'autorité de la chose jugée au pénal et les articles 1351 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l'action publique ont au civil autorité absolue en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l'existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l'innocence de ceux auxquels le fait est imputé.

L'autorité de la chose jugée au pénal s'étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef de dispositif prononçant la décision.

9. La cour d'appel ayant constaté que le licenciement était motivé par les faits de violences volontaires commis le 7 mars 2017, pour lesquels le salarié avait été condamné par le tribunal de police, c'est à bon droit qu'elle a décidé que l'autorité absolue de la chose jugée au pénal s'opposait à ce que le salarié soit admis à soutenir devant le juge prud'homal, l'illicéité du mode de preuve jugé probant par le juge pénal.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement n'est pas fondé sur une faute grave, alors :

« 1°/ que la participation volontaire à une rixe peut être constitutive d'une faute grave sans qu'il soit nécessaire de démontrer que le salarié est à l'origine de celle-ci ou a porté les premiers coups ; qu'en écartant la faute grave au motif qu'il n'était pas possible de déterminer de façon certaine qui était à l'origine de la rixe, quand la société Jung faisait valoir qu'au mépris des instructions formelles qu'il avait reçues, le salarié, à l'intérieur d'un site classé Seveso, était volontairement descendu de son camion, chargé d'un produit dangereux, en laissant les portes ouvertes et le moteur en fonctionnement, pour aller s'expliquer avec M. [Y], sans rechercher si ce comportement, à lui seul ne caractérisait pas une faute grave, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1234-1 du code du travail ;

2°/ que l'autorité de la chose jugée ne s'attache qu'aux éléments constitutifs de l'infraction poursuivie et ne fait pas obstacle à ce que d'autres éléments étrangers à cette dernière soient soumis à l'appréciation de la juridiction civile ; qu'en s'estimant liée par les motifs du jugement pénal indiquant n'avoir pu déterminer qui de M. [Y] ou du salarié avait initié la bagarre du 7 mars 2017 et en refusant de statuer elle-même sur ce point, au besoin par l'examen de la vidéo réalisée par M. [Y] après avoir statué sur l'admissibilité de cette preuve, la cour d'appel a violé par fausse application le principe de l'autorité, au civil, de la chose jugée par la juridiction pénale, ensemble les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et implique son éviction immédiate.

13. La cour d'appel, après avoir constaté qu'il était établi que le salarié avait donné des coups à M. [Y], sans qu'il soit avéré qu'il se défendait d'une agression, a retenu que ces faits s'étaient produits hors de l'entreprise, qu'ils avaient opposé l'intéressé à un tiers et non à un collègue et que l'employeur, comme il l'indiquait dans la lettre de licenciement, était informé d'une situation de tension entre ces deux chauffeurs. Elle a ensuite relevé que le salarié avait immédiatement porté plainte le 7 mars 2017, quelques heures après l'altercation, alors que l'autre chauffeur avait attendu près d'un mois, lors de son audition par les services de gendarmerie, pour porter plainte et que le salarié, en plus de sept années de collaboration, n'avait fait l'objet d'aucune sanction.

14. Elle a pu en déduire, sans être tenue de préciser lequel des deux protagonistes était à l'origine de l'altercation, que les faits ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Barincou - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Principe de l'autorité de la chose jugée au pénal ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1351 du code civil ; articles 9 et 480 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil, à rapprocher : 2e Civ., 21 mai 2015, pourvoi n° 14-18.339, Bull. 2015, II, n° 119 (cassation sans renvoi), et les arrêts cités.

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 21-12.263, (B), FS

Rejet

Identité de cause – Obligation de concentration des moyens – Domaine d'application – Exclusion – Procédure de reconnaissance ou d'exequatur – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 17 décembre 2020), le 8 juillet 2015, saisi à la requête de la Commission européenne, sur le fondement du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, le greffier en chef d'un tribunal de grande instance a déclaré exécutoire en France un jugement d'une juridiction croate ayant condamné M. [N] à lui payer une certaine somme.

2. Statuant sur le recours formé par M. [N] contre cette déclaration, un arrêt du 21 octobre 2016 a dit que le règlement n'était pas applicable, infirmé la décision du greffier en chef et déclaré irrecevable la requête de la Commission européenne en ce qu'elle était fondée sur ce règlement.

3. Celle-ci a ensuite introduit une action en exequatur fondée sur le droit commun.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. M. [N] fait grief à l'arrêt de déclarer l'action de la Commission européenne recevable, alors :

« 1°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que la cour d'appel a retenu, pour écarter la fin de non-recevoir fondée sur le principe de concentration des moyens, que l'arrêt du 21 octobre 2016 avait seulement déclaré irrecevable la demande de la Commission européenne tendant à voir reconnaître la force exécutoire du jugement du tribunal d'instance de Buje du 2 avril 2012, sans se prononcer sur le fond de la demande de celle-ci ; qu'en statuant par ce motif inopérant, cependant qu'elle avait constaté que les demandes successives de la Commission européenne, opposant les mêmes parties et fondées sur les mêmes faits, certes reposant sur un fondement juridique différent, étaient identiques dans leur objet en ce qu'elles tendaient l'une comme l'autre à obtenir en France la reconnaissance du caractère exécutoire du jugement rendu le 2 avril 2012 par le tribunal d'instance de Buje, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile ;

2°/ qu'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci ; que le demandeur à l'exequatur, dans le cadre du recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire prévu à l'article 43 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, peut solliciter, à titre subsidiaire, l'exequatur de droit commun ; qu'en retenant, pour exclure l'application du principe de concentration des moyens, que la Commission européenne n'aurait pas pu utilement formuler, dès l'instance relative à la première demande, des moyens fondés sur le droit commun de l'exequatur, lorsqu'elle pouvait le faire, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil, 480 du code de procédure civile, ensemble les articles 43 et 45 du règlement précité. »

Réponse de la Cour

6. En application de l'article 41 du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, une décision rendue dans un Etat membre est d'abord déclarée exécutoire dès l'achèvement des formalités prévues à l'article 53, sans examen des critères prévus aux articles 34 et 35.

7. L'article 43 prévoit que l'une ou l'autre partie peut former un recours contre la décision relative à la demande de déclaration constatant la force exécutoire.

8. Selon l'article 45, la juridiction saisie de ce recours ne peut refuser ou révoquer une déclaration constatant la force exécutoire que pour l'un des motifs prévus aux articles 34 et 35.

9. Par arrêt du 13 octobre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que ce texte doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que le juge saisi d'un recours prévu aux articles 43 ou 44 de ce règlement refuse ou révoque une déclaration constatant la force exécutoire d'une décision pour un motif autre que ceux indiqués aux articles 34 et 35 de celui-ci, tels que l'exécution de celle-ci dans l'État membre d'origine (C-139/10).

10. Enfin, l'article 509-2, alinéa 1er, du code de procédure civile, dans sa version issue du décret n° 2011-1043 du 1er septembre 2011, donne compétence au greffier en chef du tribunal de grande instance pour déclarer exécutoire les décisions rendues dans les Etats membres de l'Union européenne.

En vertu de l'annexe III du règlement, le recours prévu à l'article 43 est porté, en France, devant les cours d'appel.

11. Il résulte de l'article 45 de ce règlement, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, que la cour d'appel, saisie d'un recours formé en application de l'article 43, ne peut que soit le rejeter, soit refuser de déclarer exécutoire la décision, soit révoquer la déclaration délivrée par le greffier, son office étant limité à la vérification de l'applicabilité au litige du règlement et à l'examen des critères définis aux articles 34 et 35 de celui-ci.

12. Ayant ainsi exactement énoncé qu'aucun autre moyen que ceux prévus par le règlement ne pouvait être soulevé devant la cour d'appel qui avait été saisie d'un recours en révocation de la déclaration du caractère exécutoire en France de la décision croate et que le droit commun de l'exequatur ne pouvait pas être invoqué à l'occasion de ce recours, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que l'introduction par la Commission européenne d'une nouvelle action en exequatur fondée sur le droit commun ne se heurtait pas à l'autorité de la chose jugée.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation de section.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Sevaux et Mathonnet ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Articles 43 et 45 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

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