Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

CAUTIONNEMENT

1re Civ., 28 septembre 2022, n° 21-14.673, (B), FRH

Cassation partielle

Caution – Action des créanciers contre elle – Responsabilité du créancier envers la caution – Manquement à l'obligation de mise en garde – Obligation de mise en garde – Proportionnalité de l'engagement – Critère d'appréciation – Biens et revenus à considérer – Détermination

Lorsqu'une caution invoque un manquement de la banque à son devoir de mise en garde en application de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les parts sociales dont elle est titulaire au sein de la société cautionnée doivent être prises en considération pour apprécier ses capacités financières au jour de son engagement.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la société Caisse d'épargne et de prévoyance Midi-Pyrénées (la banque) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société civile immobilière Magcerdur (la SCI) et la société Compagnie européenne de garanties et de caution (la caution professionnelle).

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 3 février 2021), par acte du 6 juin 2014, la banque a consenti à la SCI un prêt immobilier de 296 795 euros, garanti par le cautionnement solidaire de la caution professionnelle ainsi que de Mme [E] (la caution) dans la limite de la somme de 385 833,50 euros.

3. Le 7 octobre 2015, à la suite de la défaillance de la SCI dans le remboursement du prêt, la banque a prononcé la déchéance du terme.

4. Après avoir payé le solde du prêt à la banque, la caution professionnelle a assigné la SCI et la caution en paiement, lesquelles ont appelé la banque en intervention forcée et garantie, en invoquant une disproportion de l'engagement de caution et un manquement de celle-ci à son devoir de mise en garde.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, dont l'examen est préalable

Enoncé du moyen

5. La caution fait grief à l'arrêt de la condamner solidairement avec la SCI à payer à la caution professionnelle la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015 avec capitalisation des intérêts de retard par année entière, alors « qu'il résulte de l'article L. 332-1 du code de la consommation qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ; que la sanction ainsi prévue prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire ; que pour faire droit à la demande formée par la caution professionelle au titre de son recours personnel à l'égard de la caution et condamner cette dernière in solidum avec la SCI au paiement de la somme de 303 457,84 euros avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, l'arrêt attaqué retient que la caution n'était pas « fondée à opposer à son cofidéjusseur les exceptions qu'elle aurait pu opposer à la banque, notamment au titre du caractère disproportionné de son engagement de caution (...) » ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 332-1 du code de la consommation, ensemble les articles 2305 et 2310 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation et l'article 2310 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 :

6. Aux termes du premier de ces textes, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

7. Selon le second, lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette, a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion.

8. Il en résulte que la sanction prévue au premier de ces textes prive le contrat de cautionnement d'effet à l'égard tant du créancier que des cofidéjusseurs lorsque, ayant acquitté la dette, ils exercent leur action récursoire, que ce soit sur le fondement de leur recours subrogatoire ou personnel.

9. Pour condamner la caution à payer à la caution professionnelle les sommes qu'elle a acquittées, l'arrêt retient que celle-ci ne peut se voir opposer les exceptions opposables au créancier principal, comme la disproportion de l'engagement de la caution.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

11. La banque fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la caution la somme de 303 457,84 euros, outre les intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2015, alors « que les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses biens et revenus à la date de souscription de son engagement ; qu'en se bornant à énoncer, pour juger que l'engagement de la caution n'était pas adapté à ses capacités financières, que cette dernière avait des revenus de 3 500 euros, comprenant 500 euros de revenus locatifs, et des charges constituées de remboursement de prêts personnels pour 1 295 euros et de remboursement d'un emprunt immobilier pour 1 500 euros ainsi qu'un patrimoine immobilier de 330 000 euros constitué par sa maison d'habitation grevé d'un emprunt immobilier de 234 000 euros, de sorte que les charges mensuelles de remboursement, qui s'élevaient à 2 795 euros, représentaient 79,85 % des revenus de la caution tandis que son patrimoine net s'élevait à 96 000 euros, soit à un montant inférieur à son engagement souscrit dans la limite de la somme de 385 833,50 euros, sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI, lesquelles devaient être prises en compte lors de l'appréciation du patrimoine de la caution à la date de souscription de son engagement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

12. Il résulte de ce texte que la banque est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou s'il existe un risque de l'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

13. Les parts sociales dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie du patrimoine devant être pris en considération pour l'appréciation de ses capacités financières au jour de son engagement.

14. Pour condamner la banque à payer à la caution des dommages-intérêts en réparation d'un manquement au devoir de mise en garde, l'arrêt retient que, si l'opération ne comportait pas de risque excessif pour la SCI, en revanche, la caution, qui n'était pas avertie, avait souscrit un engagement disproportionné à ses biens et revenus, dès lors qu'elle disposait d'un revenu mensuel de 3 500 euros, qu'elle remboursait des prêts à hauteur de 2 795 euros par mois, qu'elle était propriétaire d'un bien immobilier constituant sa résidence principale grevé d'un emprunt et que son patrimoine, net de 96 000 euros, était largement inférieur à l'engagement souscrit dans la limite de 385 833,50 euros.

15. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la caution n'était pas également titulaire de 99 % des parts de la SCI cautionnée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne la SCI Magcerdur à payer à la société Compagnie européenne de garanties et de caution la somme de 303 457,84 euros au titre du crédit souscrit auprès de la Caisse d'épargne et de prévoyance de Midi Pyrénée, avec intérêts au taux légal à compter du 25 novembre 2015, et en ce qu'il dit que les intérêts échus des capitaux produiront des intérêts, l'arrêt rendu le 3 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat(s) : SAS Buk Lament-Robillot ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle ; SCP Zribi et Texier -

Textes visés :

Article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Com., 15 novembre 2017, pourvoi n° 16-16.790, Bull. 2017, IV, n° 149 (rejet), et l'arrêt cité.

Com., 21 septembre 2022, n° 21-12.218, (B), FRH

Rejet

Conditions de validité – Acte de cautionnement – Proportionnalité de l'engagement (article L. 341-4 du code de la consommation) – Critère d'appréciation – Biens et revenus déclarés – Fiche de renseignements – Eléments qui ne sont affectés d'aucune anomalie apparente – Nécessité de vérifier l'exactitude d'autres éléments de la fiche (non)

Lorsque la fiche de renseignement établie par la caution comporte des éléments qui ne sont affectés d'aucune anomalie apparente et permettent à eux seuls de considérer que l'engagement souscrit n'est pas disproportionné aux biens et revenus de la caution, la banque n'a pas à vérifier l'exactitude d'autres éléments de cette fiche, fussent-ils affectés d'une telle anomalie.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 19 novembre 2020), le 25 janvier 2011, la société VDL a ouvert un compte dans les livres de la société HSBC France, devenue HSBC Continental Europe (la banque).

Par un acte du 29 août 2013, M. [S] s'est rendu caution des engagements de la société VDL au profit de la banque dans la limite de 360 000 euros.

La société VDL ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a assigné M. [S], qui lui a opposé la nullité de son engagement ainsi que sa disproportion.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. M. [S] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande visant à voir prononcer la nullité du cautionnement et, en conséquence, de le condamner à payer à la banque une certaine somme, alors « que l'engagement de caution du gérant d'une société est entaché de violence, et doit à ce titre être annulé, lorsqu'il est intervenu postérieurement à l'octroi de facilités de caisse et sous la menace, exercée par le créancier, de cesser immédiatement ses crédits ; que c'est au moment où le cautionnement est donné qu'il convient de se placer pour déterminer s'il a été librement consenti ; qu'en l'espèce il est constant qu'alors que des facilités de caisse avaient été accordées à la société VDL pendant des années, il a été demandé à M. [S] d'apporter sa caution au regard d'un découvert en compte courant de 254 513,02 euros, sous la menace implicite de mettre fin à ces facilités ; qu'en décidant cependant que de telles circonstances n'étaient pas constitutives de violence donnant lieu à l'annulation de l'engagement de caution litigieux, aux motifs inopérants qu'en toute hypothèse, la banque ne pouvait pas retirer son concours financier sans en avoir averti sa cliente plus de soixante jours à l'avance, et que la société VDL ayant eu dans ces deux mois suivant l'engagement de caution un compte courant créditeur, aucun risque ne pesait sur elle, soit en se fondant sur des circonstances postérieures à l'échange des consentements, la cour d'appel a violé l'article 1109 (ancien, désormais 1143) du code civil. »

Réponse de la Cour

3. L'arrêt retient qu'au moment où M. [S] s'est porté caution au profit de la banque, cette dernière n'avait envoyé à la société VDL aucune demande de régularisation du solde débiteur de son compte, et qu'il n'est justifié d'aucune demande adressée à M. [S] subordonnant le maintien des relations contractuelles de la banque avec la société VDL à son cautionnement. Il retient encore que le compte de la société VDL est redevenu créditeur seulement deux mois après l'engagement de caution de M. [S], et l'est resté plusieurs mois. Il en déduit que ni la panique à l'idée que la société VDL déposerait le bilan s'il ne la cautionnait pas, alléguée par M. [S], ni l'état de dépendance de cette société à l'égard de la banque ne sont établis.

4. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui pouvait prendre en compte l'évolution des comptes de la société VDL dans les semaines ayant suivi le cautionnement litigieux afin d'apprécier la réalité de sa situation de dépendance économique à la date où ce cautionnement a été donné, a pu statuer comme elle l'a fait.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. M. [S] fait grief à l'arrêt attaqué de le débouter de sa demande visant à voir prononcer l'inopposabilité de son engagement et de le condamner, en conséquence, à payer à la banque une certaine somme, alors « que la caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine ne peut, ensuite, soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu'elle a déclarée au créancier, sauf à ce que la fiche présente des anomalies apparentes sur les informations déclarées ; que du moment que des anomalies figurent dans la fiche de renseignement, les juges du fond ont le devoir de vérifier la réalité du patrimoine, sans se fonder sur cette seule fiche de renseignements, pour déterminer si le cautionnement est ou non disproportionné ; qu'en l'espèce il était fait valoir que la fiche présentait pour la banque des anomalies apparentes dès lors que les deux sociétés appartenant à M. [S] étaient évaluées à deux millions d'euros quand le capital social de VDL n'était que de 50 000 euros et que la banque savait, pour en tenir les livres, qu'elle était gravement endettée, et que la société Lille vacances présentait pour les exercice 2011/2012 et 2012/2013, au moment du cautionnement, un endettement colossal après une baisse d'activité de près de 50 % ; qu'en refusant d'examiner si la fiche présentait des anomalies aux motifs inopérants que sur la fiche étaient mentionnés d'autres biens, la cour d'appel a violé l'article L. 341-4 du code de la consommation dans sa version applicable aux faits de l'espèce, devenu L. 332-1 du même code. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que M. [S] a certifié l'exactitude des renseignements mentionnés dans la fiche patrimoniale, l'arrêt retient que, même en faisant abstraction des sommes indiquées au titre des participations détenues par ce dernier dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, de celles inscrites en compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et de leurs bénéfices, l'engagement litigieux, souscrit à hauteur de 360 000 euros, ne présente aucun caractère excessif au regard des valeurs déclarées au titre du bien immobilier, du contrat d'assurance-vie, du portefeuille boursier et des dépôts sur différents comptes bancaires, d'un montant total de 980 000 euros.

8. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que ceux des éléments figurant dans la fiche de renseignement qui n'étaient affectés d'aucune anomalie apparente permettaient de considérer que l'engagement souscrit n'était pas disproportionné aux biens et revenus de la caution, la cour d'appel a, à bon droit, jugé que la banque n'était dès lors pas tenue de vérifier l'exactitude des sommes mentionnées dans ladite fiche, correspondant, aux titres de participation dans le capital des sociétés VDL et Lille vacances, au compte courant d'associé dans les livres de ces sociétés et à leurs bénéfices.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Guerlot - Avocat(s) : SARL Corlay ; SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Article L. 341-4, devenu L. 332-1, du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-21.254, Bull., (cassation).

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