Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

BANQUE

Com., 21 septembre 2022, n° 21-12.335, (B), FRH

Rejet

Blanchiment de capitaux – Opération importante – Vigilance – Finalité – Définition

Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

Blanchiment de capitaux – Opération importante – Informations recueillies – Finalité – Définition

Blanchiment de capitaux – Opération importante – Vigilance – Responsabilité envers la victime de fraude (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 5 novembre 2020), [J] [K] a investi en 2015 auprès de plusieurs sociétés financières européennes des fonds transférés par quinze virements effectués à partir du compte joint qu'il détenait avec son épouse, ouvert dans les livres de la société Caisse de crédit mutuel de [Localité 6] (la banque).

2. Faisant valoir qu'ils avaient été victime d'une escroquerie et n'avaient pu obtenir la restitution de leurs avoirs, [J] [K] et Mme [T] [M], son épouse, ont assigné la banque en indemnisation, lui reprochant d'avoir contribué à la réalisation de leur dommage du fait de manquements à ses obligations d'information et de vigilance. [J] [K] étant décédé en cours d'instance, son action a été reprise par M. [I] et Mmes [V] et [E] [K], ses ayants droit.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

4. Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes de dommages-intérêts, alors :

« 2°/ que le fait, pour un banquier, d'autoriser dix-huit virements, dont certains après avoir fait signer à son client une décharge de responsabilité, ayant pour objet l'achat de valeurs mobilières pour la somme totale de 2 838 873,33 euros auprès de sociétés domiciliées en Roumanie, en Bulgarie, en Pologne, en République tchèque et à Malte sur des comptes ouverts dans les livres de banques étrangères régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements et ayant fait l'objet de signalement par l'AMF dès 2011, constitue un manquement à son obligation de vigilance ; qu'en retenant qu'« aucun manquement ne peut être reproché à la CCM dans le cadre de son obligation contractuelle de vigilance et de prudence », la cour d'appel a méconnu l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ qu'en tout état de cause, le devoir de vigilance impose au banquier de déceler, parmi les opérations qu'on lui demande de traiter, celles qui présentent une anomalie apparente et, en présence d'une telle anomalie, de tout mettre en oeuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour le client ou pour un tiers de la réalisation de cette opération ; qu'en se bornant en l'espèce à retenir que « les consorts [K] n'expliquent pas en quoi ces opérations devaient être considérées par la CCM comme constitutives d'anomalies manifestes ou auraient pu apparaître comme irrégulières (à plus forte raison constituer des escroqueries)", sans rechercher, alors qu'elles y étaient expressément invitées, si la circonstance que la banque avait autorisé des virements vers des banques régulièrement mises en cause dans des escroqueries aux investissements par l'AMF ne constituait pas un manquement à son devoir de vigilance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ que la cour d'appel a relevé que la banque avait constaté, en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K], l'existence d'anomalies et avait fait signer par [J] [K] une décharge de responsabilité circonstanciée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans rechercher si les décharges de responsabilité couvraient l'ensemble des virements opérés à compter de la découverte des anomalies par la banque, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir constaté qu'aucune des opérations de virement n'est affectée d'une anomalie matérielle, l'arrêt retient que les montants des virements effectués ne sont pas en eux-mêmes constitutifs d'anomalies, dès lors que le compte de [J] [K] et de son épouse est toujours resté créditeur et que ces montants doivent être mis en rapport avec l'importance du patrimoine des époux [K]. Il retient également que le libellé des virements litigieux ne faisait nullement apparaître qu'ils étaient destinés au financement d'opérations spéculatives sur le Forex (marché des changes) et que, selon les documents dont la banque avait connaissance, [J] [K] et son épouse vendaient des titres boursiers pour procéder à l'achat de valeurs mobilières via des sociétés financières européennes ayant leurs comptes domiciliés en Bulgarie, à Malte, en Roumanie, en Pologne, en République tchèque ou en Géorgie. Il retient encore qu'il n'est pas établi que la TBI Bank, où l'un des comptes à créditer était domicilié, aurait déjà été mise en cause dans des escroqueries aux investissements sur le Forex.

6. L'arrêt ajoute que le fait que la banque ait fait preuve, à compter de septembre 2015, d'une vigilance dépassant le cadre légal de ses obligations en effectuant des recherches sur l'identité des organismes bénéficiant des derniers virements ordonnés par [J] [K] ne saurait être retenu contre elle et relève que, même informé de certaines anomalies découvertes par la banque aux termes de recherches auxquelles elle n'était pas tenue, [J] [K] a persisté dans sa volonté de poursuivre ce type d'opérations en signant une décharge de responsabilité circonstanciée au bénéfice de la banque.

7. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche invoquée par la troisième branche et n'était pas tenue d'effectuer celle invoquée par la quatrième branche, que ses constatations rendaient inopérante, a pu retenir que la banque n'avait commis aucun manquement à son obligation de vigilance.

Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

8. Mme [T] [M], veuve [K], et, en leur qualité d'héritiers de [J] [K], M. [I] et Mmes [V] et [E] [K] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes en paiement de dommages-intérêts, alors « que le manquement de la banque à son devoir de vigilance et de déclaration de soupçon qui cause à autrui un préjudice oblige la banque à le réparer ; qu'en retenant que la sanction de la méconnaissance de l'obligation de l'examen particulier des opérations est exclusivement sanctionnée disciplinairement ou administrativement par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire, mais que M. et Mmes [K] ne peuvent se prévaloir d'un défaut de surveillance et de déclaration à raison de la réglementation Tracfin pour voir engager la responsabilité de la banque et solliciter des dommages-intérêts sur ce fondement, la cour d'appel a méconnu l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause, antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

9. Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

10. Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36.

Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs.

Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

11. Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

12. Le moyen qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Mollard (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Boutié - Avocat(s) : SARL Cabinet Rousseau et Tapie ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Articles L. 561-5 à L. 561-22, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, L. 561-29, I, et L. 561-36 du code monétaire et financier.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité pour la victime d'agissements frauduleux de se prévaloir de l'inobservation d'obligations en matière de lutte anti-blanchiment afin d'obtenir des dommages-intérêts à l'établissement financier, à rapprocher : Com., 28 avril 2004, pourvoi n° 02-15.054, Bull. 2004, IV, n° 72 (cassation).

1re Civ., 7 septembre 2022, n° 20-20.826, (B), FRH

Cassation partielle

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation d'information du client – Défaut – Applications diverses – Prêt multidevises

Prive sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, la cour d'appel qui, pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives des clauses d'un contrat de prêt multidevises, retient que celles-ci, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l'emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l'objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 6 février 2020), suivant offre de prêt acceptée le 20 juin 2007 et acte authentique du 30 octobre 2007, la société Jyske Bank (la banque) a consenti à Mme [H] (l'emprunteur) un prêt multidevises d'un montant de 500 000 euros ou « l'équivalent, à la date de tirage du prêt, dans l'une des principales devises européennes, dollars américains ou yens japonais ».

Le prêt a été tiré pour un montant de 834 750 francs suisses.

Le 16 juin 2011, la banque a procédé à la conversion en euros.

2. Invoquant l'irrégularité d'une telle conversion et le manquement de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde, l'emprunteur l'a assignée en annulation de la conversion, en déchéance du droit aux intérêts pour l'avenir et en paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que l'offre de prêt ne comporte pas de clauses abusives et de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit condamnée à rembourser le prêt sur la base du capital originellement emprunté en euros soit la somme de 500 000 euros, alors « que l'exigence selon laquelle les clauses définissant l'objet principal du contrat doivent être rédigées de façon claire et compréhensible implique que les clauses indexant le remboursement d'un prêt sur le cours d'une devise étrangère soient comprises par le consommateur à la fois sur les plans formel et grammatical, mais également quant à leur portée concrète, en ce sens qu'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, puisse non seulement avoir conscience de la possibilité de dépréciation de la monnaie nationale par rapport à la devise étrangère dans laquelle le prêt a été libellé, mais aussi évaluer les conséquences économiques, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières ; qu'en se bornant à affirmer que les articles 2 et 4 du contrat de prêt étaient clairs et compréhensibles, sans constater que le contrat informait l'emprunteuse du risque de dépréciation de l'euro et des conséquences potentiellement significatives que les clauses litigieuses pouvaient avoir sur le montant des remboursements, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à justifier sa décision et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-1, devenu L. 212-1, du code de la consommation.

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La banque conteste la recevabilité partielle du moyen en faisant valoir que l'emprunteur n'a pas invoqué, devant la cour d'appel, le caractère abusif de l'article 2 du contrat de prêt.

5. Cependant, la cour d'appel, tenue d'examiner d'office si les clauses du contrat de prêt étaient abusives, dès lors qu'elle disposait des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet, a retenu que cet article 2 définissait l'objet du contrat et était clair et compréhensible.

6. Le moyen, qui est né de la décision attaquée, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

7. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

L'appréciation du caractère abusif de ces clauses ne concerne pas celles qui portent sur l'objet principal du contrat, pour autant qu'elles soient rédigées de façon claire et compréhensible.

8. Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 4, § 2, de la directive 93/13 du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs doit être interprété en ce sens que, lorsqu'il s'agit d'un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l'exigence de transparence des clauses de ce contrat qui prévoient que la devise étrangère est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et qui ont pour effet de faire porter le risque de change sur l'emprunteur, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.

9. Pour rejeter la demande tendant à faire déclarer abusives les articles 2 et 4 du contrat, l'arrêt retient que ces clauses, relatives au montant du prêt, à la devise choisie par l'emprunteur, au taux d'intérêt, aux modalités de remboursement et au coût du crédit, portent sur l'objet du contrat et sont rédigées de manière claire et compréhensible.

10. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

11. L'emprunteur fait grief à l'arrêt de dire que la banque n'a pas manqué à son obligation d'information et de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts, alors « que le banquier est tenu de délivrer à son client une information sincère et complète quant à l'opération envisagée, en ce compris ses inconvénients et ses caractéristiques les moins favorables ; qu'en retenant que la banque n'avait pas manqué à son obligation d'information au motif que les clauses du contrat de prêt étaient claires, que quant à la variation possible du taux de change euro/franc suisse, et à ses conséquences sur le prêt, il est mathématiquement connu par tout investisseur normalement avisé » que l'article 11 de l'offre de prêt intitulé « Variation des taux de change » était rédigé en des termes de nature à attirer l'attention de l'emprunteur sur la possibilité qu'ensuite de la variation du taux de change, le capital emprunté ne devienne excessif » et que, dans un courrier du 24 avril 2007, la Jyske Bank AS avait informél'emprunteur que si elle envisageait de souscrire son prêt dans une devise autre que celle de ses revenus et biens, elle devez prendre en considération le fait que le taux de change sont sujets aux fluctuations du marché, que toute dépréciation de sa devise de base/revenu par rapport à la devise choisie se traduirait par une augmentation effective du coût de ses échéances de remboursements et que souscrire un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme à « haut risque », sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'établissement bancaire avait informé l'emprunteur du risque de dépréciation de l'euro et de ses conséquences précises et concrètes sur ses obligations financières, en lui présentant des données prospectives à titre indicatif, notamment les moins favorables, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

12. Lorsqu'elle consent un prêt libellé en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur, la banque est tenue de fournir à celui-ci des informations suffisantes et exactes lui permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, d'une telle clause sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat, notamment en cas de dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l'État où celui-ci est domicilié et d'une hausse du taux d'intérêt étranger.

13. Pour écarter tout manquement de la banque à son obligation d'information, l'arrêt retient que la variation possible du taux de change euro/franc suisse et ses conséquences sur le prêt sont connus par tout investisseur normalement avisé, que l'emprunteur avait pris connaissance de l'article 11 du contrat prévoyant les mesures pouvant être prises par la banque en cas d'augmentation du capital à rembourser au delà d'un certain montant en livres sterling et que celle-ci avait adressé à l'emprunteur, avant la signature de l'offre, une lettre l'informant des possibles variations du marché, du risque de dépréciation de la devise choisie se traduisant par une augmentation du coût des échéances de remboursement et précisant que la souscription d'un prêt en devise étrangère pouvait en conséquence être considéré comme « à haut risque ».

14. En se déterminant ainsi, sans rechercher si la banque avait fourni aux emprunteurs des informations suffisantes et exactes leur permettant de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d'évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du contrat, dans l'hypothèse d'une dépréciation importante de la monnaie dans laquelle ils percevaient leurs revenus par rapport à la monnaie de compte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

15. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, celle des chefs du dispositif de l'arrêt condamnant l'emprunteur à payer à la banque, en exécution du contrat de prêt, la somme de 106 498,93 euros au titre des échéances des intérêts et capital du prêt échus à la date du 30 août 2019, disant que la Jyske Bank AS n'avait pas respecté les termes du contrat de prêt en procédant le 16 juin 2011 à une conversion dans une monnaie différente de celle prévue par les parties et a rejeté la demande de résolution du contrat de prêt, lesquelles s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable comme tardif l'appel incident de Mme [H] en ce que le jugement déféré a déclaré irrecevable la demande de nullité de l'article 4 du contrat de prêt et a rejeté la demande de publication, et en ce que la banque n'avait pas manqué à son devoir de mise en garde, l'arrêt rendu le 6 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Robin-Raschel - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SAS Buk Lament-Robillot -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 20 avril 2022, pourvoi n° 19-11.599, Bull., (cassation partielle) ; 1re Civ., 30 mars 2022, pourvoi n° 19-17.996, Bull., (cassation partielle).

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