Numéro 9 - Septembre 2022

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2022

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 15 septembre 2022, n° 21-12.278, (B), FRH

Cassation partielle

Garantie – Déchéance – Clause de déchéance de garantie – Opposabilité – Connaissance par l'assuré – Cas – Mauvaise foi – Conséquences – Indifférence de la fraude

Viole les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances la cour d'appel qui, au visa de l'article 1134 du code civil et en vertu du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, rejette les demandes d'un assuré dirigées contre son assureur au motif que la mauvaise foi de l'assuré est caractérisée, alors qu'elle retenait que l'assureur ne démontrait pas que l'assuré avait eu connaissance, avant le sinistre, de la clause de déchéance de garantie invoquée par l'assureur et l'avait acceptée, de sorte que l'assureur ne pouvait l'opposer à l'assuré.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 22 octobre 2020), M. [L] et Mme [Z], ayant souscrit auprès de la société BMW Finance un contrat de location avec option d'achat portant sur un véhicule de marque BMW, ont adhéré à une assurance de groupe facultative souscrite par la société BMW Group auprès de la société SwissLife assurances de biens (la société SwissLife), garantissant pendant trois ans l'indemnisation de la valeur à neuf du véhicule en cas de vol.

2. M. [L] a, en outre, assuré le véhicule auprès de la société MACIF, aux termes d'une police incluant également une garantie en cas de vol.

3. M. [L] et Mme [Z] ont signalé le vol du véhicule, qui sera ultérieurement retrouvé incendié, et M. [L] a déclaré le sinistre à la société MACIF, qui lui a opposé une déchéance contractuelle de garantie au motif, notamment, qu'il aurait commis une fausse déclaration sur la date et les circonstances du vol.

4. La société MACIF a, ensuite, porté plainte pour tentative d'escroquerie et M. [L], qui a indiqué avoir commis une erreur sur la date du vol, s'est vu notifier un rappel à la loi par le procureur de la République.

5. M. [L] et Mme [Z] ayant été condamnés à payer à la société BMW Finance les loyers restant dus au titre du contrat de location, ont assigné la société MACIF et la société SwissLife en exécution des garanties souscrites.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

7. M. [L] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à condamner la société MACIF à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule assuré, et de le condamner, in solidum avec Mme [Z], à payer à la société MACIF une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral, alors « que l'assureur ne peut se prévaloir d'une clause de déchéance qui n'a pas été portée à la connaissance de l'assuré ; qu'il n'est pas dérogé à cette règle en cas de mauvaise foi de l'assuré, seule la faute intentionnelle ou dolosive de celui-ci, impliquant la volonté de causer le dommage, permettant d'écarter la garantie de l'assureur en application de l'article L. 113-1 du code des assurances ; qu'en retenant en l'espèce que la mauvaise foi de M. [L] dans sa demande tendant à voir écarter les conditions générales du contrat imposait de rejeter sa demande d'indemnisation, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations selon lesquelles la clause de déchéance de garantie pour fausse déclaration invoquée par la MACIF était inopposable à M. [L], faute d'avoir été portée à sa connaissance, et a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances :

8. Selon le premier de ces textes, avant la conclusion du contrat, l'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix et les garanties et il remet à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions, ainsi que les obligations de l'assuré.

9. Selon le second, la police d'assurance indique les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions, qui ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.

10. L'arrêt, pour débouter M. [L] et Mme [Z] de leurs demandes dirigées contre la société MACIF, retient, au visa de l'article 1134 du code civil et en vertu du principe général du droit selon lequel la fraude corrompt tout, que la procédure pénale de rappel à la loi était de nature à caractériser la mauvaise foi de M. [L] lorsqu'il demandait que soient écartées les conditions générales du contrat et à être indemnisé du vol et de l'incendie du véhicule BMW par la société MACIF.

11. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que la société MACIF ne démontrait pas, en l'absence de production des conditions générales du contrat signées par l'assuré ou d'un renvoi à celles-ci dans les conditions particulières, que ce dernier avait eu connaissance, avant le sinistre, de la clause de déchéance de garantie invoquée par l'assureur et l'avait acceptée, et que l'assureur ne pouvait l'opposer à M. [L] et à Mme [Z], la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

12. M. [L] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à dire que la garantie souscrite auprès de la société SwissLife devait s'appliquer, et de dire que cette société devait être condamnée à l'indemniser pour le vol et l'incendie du véhicule assuré, alors « que le juge ne peut faire application d'office d'une clause du contrat d'assurance non invoquée par les parties, sans les inviter à s'en expliquer ; qu'en l'espèce, la société SwissLife invoquait la clause de déchéance de la garantie prévue par l'article IV de l'avenant n° 1 des dispositions personnelles du contrat, imposant à l'emprunteur ou au locataire de déclarer le sinistre dans un délai de quinze jours ; qu'en retenant que les consorts [C] ne justifiaient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit bien au-delà du délai de deux jours prévu par l'article 11.1 du contrat, la cour d'appel, qui a fait d'office application d'une clause de déchéance de la garantie différente de celle invoquée par l'assureur, sans inviter les parties à produire leurs observations, a violé le principe du contradictoire et l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

13. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

14. L'arrêt, pour débouter M. [L] de ses demandes dirigées contre la société SwissLife, énonce que force est de constater que M. [L] et Mme [Z] ne justifient pas avoir mobilisé l'assurance SwissLife avant le 2 septembre 2015, soit avant l'expiration du délai de deux jours prévu au contrat.

15. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, tiré de la mise en oeuvre d'une clause du contrat d'assurance dont la société SwissLife ne s'était pas prévalue, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déboutant M. [L] de sa demande de condamnation de la MACIF entraîne la cassation du chef du dispositif le condamnant, in solidum avec Mme [Z], à payer à la société MACIF une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

Mise hors de cause

17. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société MACIF et la société SwissLife, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il condamne Mme [Z] à payer, in solidum avec M. [L], à la société MACIF une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 22 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société MACIF et la société SwissLife assurances de biens ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Brouzes - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : Me Galy ; SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SARL Le Prado - Gilbert -

Textes visés :

Articles L. 112-2 et L. 112-4 du code des assurances ; article 1134 du code civil.

2e Civ., 15 septembre 2022, n° 21-15.528, (B), FRH

Cassation partielle

Personnel – Courtier – Responsabilité – Faute – Défaut de conseil – Garantie insuffisante à l'activité envisagée

Manque à son obligation d'information et de conseil le courtier qui, admettant que les risques que les assurés, organisateurs d'un spectacle de cascades automobiles, lui avaient demandé de faire garantir ne se limitaient pas aux risques automobiles relevant de l'assurance obligatoire prévue par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006 relatif aux concentrations et manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, n'a pas spécialement attiré leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire pour garantir les risques, qui étaient ceux advenus, inhérents aux conséquences dommageables de l'installation, par des bénévoles, des équipements et matériels nécessaires à la manifestation.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 24 février 2021), et les productions, M. [K], gérant de la société Allo express multi services, a organisé un spectacle de cascades et de rodéo en automobiles et motocyclettes, le 15 juillet 2007, à [Localité 5] (29).

2. Par l'intermédiaire de la société Gras Savoye (le courtier) M. [K] et la société Allo express multi services (les assurés) ont souscrit, auprès de la société GAN eurocourtage, aux droits de laquelle sont successivement venues la société Groupama, la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama et la société Allianz Iard (l'assureur) une « police d'assurance de la responsabilité civile pour les concentrations et manifestations (véhicules terrestres à moteur) », temporaire, garantissant, pour les sinistres survenant lors de la manifestation organisée le 15 juillet 2007, les risques prévus par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006, jusqu'à concurrence des montants figurant dans l'arrêté d'application du 27 octobre 2006.

3. Dans la matinée du 15 juillet 2007, quatre bénévoles qui installaient un mât métallique, faisant partie du décor du spectacle, situé à moins de cinq mètres d'une ligne à haute tension, ont été victimes d'une électrocution.

4. L'un des bénévoles est décédé et les trois autres ont été blessés.

5. Les assurés ont été déclarés coupables des faits d'homicide involontaire par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité et de prudence imposée par la loi ou le règlement et de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas trois mois par un tribunal correctionnel, dont le jugement a été confirmé en appel.

Statuant sur les intérêts civils, la cour d'appel a indemnisé les victimes et précisé que l'assureur n'était pas tenu à garantie.

6. Estimant que ce défaut de garantie relevait d'un manquement de l'assureur et du courtier à leur obligation de conseil, les assurés ont assigné ces derniers devant un tribunal de grande instance pour obtenir leur condamnation in solidum à réparer leur préjudice constitué des condamnations civiles mises à leur charge au profit des victimes de l'accident.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses cinq premières branches, ci-après annexé

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen relevé d'office

8. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1147, devenu 1231-1, du code civil et L. 520-1, II, 2°, du code des assurances, ce dernier dans sa rédaction alors applicable :

9. Selon le premier de ces textes, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages-intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une force majeure et, suivant le second, avant la conclusion de tout contrat d'assurance, l'intermédiaire doit préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d'assurance déterminé, ces précisions devant être adaptées à la complexité du contrat d'assurance proposé.

10. Pour débouter les assurés de toutes leurs demandes, l'arrêt relève que, selon le courtier, l'assurance obligatoire prévue par le décret n° 2006-554 du 16 mai 2006 relatif aux concentrations et manifestations comportant la participation de véhicules terrestres à moteur, intéresse non seulement le risque automobile mais également la responsabilité générale de l'organisateur et que la police souscrite, prévoyant un plafond de garantie de 6 100 000 euros pour les dommages corporels autres que ceux relevant de la responsabilité civile automobile, convenait parfaitement aux risques que ses clients lui avaient demandé de faire garantir, qui ne se limitaient pas aux dommages occasionnés par des véhicules.

11. L'arrêt relève encore que les assurés, confirmant les déclarations de leur courtier, indiquent que ce dernier était persuadé que la garantie souscrite couvrait non seulement les épreuves automobiles mais également l'ensemble de l'organisation de la manifestation.

12. Contredisant l'analyse juridique du courtier, l'arrêt retient que la garantie des risques prévus par le décret précité couvre exclusivement la responsabilité civile des assurés et des participants, pilotes et propriétaires des véhicules et leurs collaborateurs, en cas d'accident survenu au cours de la manifestation ou des essais préalables, causé par un véhicule terrestre à moteur, et ajoute que la simple lecture des documents précontractuels et contractuels rédigés en des termes précis permettait de connaître exactement l'objet et l'étendue de la garantie.

13. L'arrêt ajoute, au titre du devoir de conseil incombant au seul courtier, que l'analyse de ces mêmes documents démontre que ce dernier a proposé une assurance en adéquation avec le risque déclaré par les assurés, lesquels ne rapportent pas la preuve de lui avoir demandé de garantir, en plus de la garantie obligatoire instituée par le décret, les risques inhérents à l'installation, par des bénévoles, des équipements et matériels nécessaires à la manifestation. Il retient encore que le courtier n'avait aucune obligation d'attirer spécialement l'attention de ses clients, ou de les mettre en garde, sur les limites de la police souscrite, conforme à leur demande et adaptée aux besoins qu'il s'agissait de garantir.

14. En statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le courtier avait admis que les risques que les assurés lui avaient demandé de faire garantir ne se limitaient pas aux risques automobiles et qu'il soutenait, à tort, que le produit d'assurance conseillé couvrait le risque survenu, ce dont il résultait qu'il avait induit les assurés en erreur et qu'il avait ainsi manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas spécialement leur attention sur la nécessité de souscrire une assurance facultative complémentaire, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

16. En application de ce même texte, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Allianz dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'iI a infirmé le jugement en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, débouté M. [K] et la société Allo express multi services de toutes leurs demandes, l'arrêt rendu le 24 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

MET hors de cause la société Caisse nationale de réassurance mutuelle agricole Groupama ;

DIT n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Allianz Iard ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

Arrêt rendu en formation restreinte hors RNSM.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Ittah - Avocat général : Mme Nicolétis - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre -

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