Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

TRANSPORTS AERIENS

Soc., 8 septembre 2021, n° 19-21.025, (B)

Cassation partielle

Transport de personnes – Entreprises de transport aérien de passagers – Grève – Droit de grève – Exercice – Déclaration individuelle d'intention de grève – Effets – Personnel navigant – Salaire – Retenue opérée par l'employeur – Calcul – Modalités – Cas – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué ([Localité 5], 12 juin 2019), M. [F] a été engagé par la société Air Inter le 21 avril 1987, en qualité de pilote. Son contrat de travail a depuis été transféré à la société Air France (la société).

2. Il a indiqué à son employeur le 23 juillet 2012 qu'il participerait à un mouvement de grève le 25 juillet 2012.

3. L'employeur a procédé à une retenue sur salaire pour la journée de grève du 25 juillet 2012 et les deux journées suivantes, soit trois jours correspondant à la durée de la rotation prévue au planning du salarié.

4. Le 15 avril 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts au titre de la retenue sur salaire et le syndicat Alter est intervenu volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à verser au salarié des dommages-intérêts pour le préjudice subi du fait de la perte de salaire, alors « que lorsqu'un salarié ne fournit pas la prestation de travail convenue, inhérente à son contrat de travail, l'employeur n'est pas tenu de lui verser un salaire sauf si une disposition légale, conventionnelle ou contractuelle lui en fait obligation ; qu'est inhérent au contrat de travail d'un pilote le fait d'effectuer une mission dite de rotation, programmée sur plusieurs jours d'affilée et consistant à assurer des vols aller-retour, entrecoupés d'un temps de repos jusqu'au retour à la base d'affectation ; que ces jours de rotation constituent un ensemble indivisible, le premier jour de rotation ne pouvant être séparé des jours de rotation suivants, en sorte que le pilote qui n'assure pas la rotation convenue dans son entier ne peut pas prétendre au paiement de son salaire pour les jours de rotation non réalisés ; que la cour d'appel a relevé que le salarié devait effectuer deux rotations chacune de trois jours prévues du 25 juillet au 27 juillet inclus, puis du 29 juillet au 31 juillet inclus, afin d'assurer les vols long-courrier [Localité 7] aller-retour (première rotation) et [Localité 6] aller-retour (seconde rotation) ; que la cour d'appel a constaté que le salarié s'était déclaré gréviste le premier jour de chacune des deux rotations, ce qui avait contraint la société Air France à annuler ces rotations rendues impossibles par l'exercice du droit de grève ; que la cour d'appel aurait dû déduire de ses propres énonciations que le salarié qui n'a pas exécuté le travail convenu (les rotations et vols programmés) ne pouvait pas prétendre au paiement de son salaire pour tous les jours de la rotation non exécutée ; qu'en décidant que la société Air France aurait dû, pour chacune des deux rotations, verser au salarié les salaires correspondant aux deux derniers jours de la rotation, l'intéressé s'étant seulement déclaré gréviste le premier jour de la rotation convenue, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 2511-1 et L. 1221-1 du code du travail, ensemble l'article L. 6522-5 du code des transports. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 6522-5 du code des transports :

6. Aux termes de ce texte, dans le respect des dispositions prises pour assurer la sécurité des vols et sans préjudice des dispositions des articles L. 6522-2 à L. 6522-4 du code des transports, le personnel navigant est tenu, sauf cas de force majeure ou impossibilité médicale, d'assurer son service tel qu'il a été programmé, entre deux passages à l'une des bases d'affectation du personnel navigant de l'entreprise, définie par voie réglementaire.

7. Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 1114-3 du code des transports issues de la loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 qu'en cas de grève et pendant toute la durée du mouvement, les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols informent, au plus tard quarante-huit heures avant de participer à la grève, le chef d'entreprise ou la personne désignée par lui de leur intention d'y participer et que les informations issues des déclarations individuelles des salariés ne peuvent être utilisées que pour l'organisation de l'activité durant la grève en vue d'en informer les passagers.

8. Enfin, l'article L. 1114-7 du code des transports énonce qu'en cas de perturbation du trafic aérien liée à une grève dans une entreprise ou un établissement chargé d'une activité de transport aérien de passagers, tout passager a le droit de disposer d'une information gratuite, précise et fiable sur l'activité assurée, cette information devant être délivrée aux passagers par l'entreprise de transport aérien au plus tard vingt-quatre heures avant le début de la perturbation.

9. La Cour de cassation a déduit de ces deux derniers textes (Soc., 12 octobre 2017, pourvoi n° 16-12.550, Bull. 2017, V, n° 181) que doit être approuvé l'arrêt de cour d'appel qui a retenu que ces dispositions, dont la finalité est l'information des usagers vingt-quatre heures à l'avance sur l'état du trafic afin d'éviter tout déplacement et encombrement des aéroports et préserver l'ordre public, n'autorisaient pas l'employeur, en l'absence de service minimum imposé, à utiliser les informations issues des déclarations individuelles des salariés afin de recomposer les équipages et réaménager le trafic avant le début du mouvement.

10. Il en résulte que, le personnel navigant s'étant déclaré gréviste la première journée de sa rotation et n'étant pas en mesure d'assurer son service tel qu'il avait été programmé, entre deux passages à l'une des bases d'affectation du personnel navigant de l'entreprise, l'employeur ne peut être tenu de lui verser un salaire pour les journées suivantes de la rotation.

11. Pour accueillir la demande du salarié, l'arrêt retient que la société a été informée le 23 juillet 2012 par le salarié qu'il se tenait à sa disposition à partir du 26 juillet 2012, soit plus de vingt-quatre heures avant sa reprise, qu'elle argue vainement de ce que le salarié ne se tenait pas à sa disposition au motif qu'il aurait refusé le travail qui lui est demandé par l'employeur, dès lors que le salarié n'a fait qu'user de son droit de grève, qu'ayant été informée dans des délais supérieurs à vingt-quatre heures, elle ne justifie pas de l'impossibilité dans laquelle elle s'est trouvée d'affecter le salarié.

12. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Air France à verser à M. [F] la somme de 441,30 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice subi du fait de la perte de salaire, ainsi qu'en ses dispositions relatives à l'application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, l'arrêt rendu le 12 juin2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composé.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Joly - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles L. 1114-3, L. 1114-7 et L. 6522-5 du code des transports ; loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité pour l'employeur, chargé d'une activité de transport aérien de passagers, d'utiliser les informations issues des déclarations individuelles d'intention de grève des salariés afin de recomposer les équipages et réaménager le trafic avant le début du mouvement, dans le même sens que : Soc., 12 octobre 2017, pourvoi n° 16-12.550, Bull. 2017, V, n° 181 (rejet).

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