Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

STATUT COLLECTIF DU TRAVAIL

Soc., 15 septembre 2021, n° 19-15.732, (B)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords d'entreprise – France télévisions – Accord du 28 mai 2013 – Livre I – Article 3-11 – Ancienneté – Reprise d'ancienneté – Conditions – Applications diverses – Salarié engagé par plusieurs contrats à durée déterminée puis par un contrat à durée indéterminée – Portée

Selon l'article 3 -11, intitulé « ancienneté », du livre I de l'accord d'entreprise France télévisions du 28 mai 2013, les salariés sous contrat à durée indéterminée conservent, à la date d'entrée en vigueur de cet accord, le bénéfice de l'ancienneté qui leur a été reconnue à France télévisions SA et dans les sociétés absorbées par France télévisions SA en vertu de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public (France 2, France 3, France 4, France 5, FTVI et RFO). Dans le cadre de la politique mobilité du groupe, les collaborations effectuées au sein d'une filiale du groupe France télévisions sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté au prorata des périodes d'emploi. Les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé.

Fait une exacte application de ces dispositions, la cour d'appel qui, ayant constaté qu'un salarié avait été engagé par plusieurs contrats à durée déterminée par la société France 3, entre 1982 et 1990, puis par la société France 2 par contrats à durée déterminée entre 1987 et le mois d'avril 2003 avant de conclure avec cette dernière un contrat à durée indéterminée à compter du 1er mai 2003, a exactement retenu qu'en application des dispositions de l'accord collectif rédigées en termes généraux, le salarié était bien fondé à revendiquer le bénéfice d'une ancienneté intégrant ses périodes d'activité au sein de la société France 3 à proportion de ses périodes d'emploi.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 26 février 2019), M. [T] a été engagé par plusieurs contrats à durée déterminée d'usage à compter de février 1982 par la société France 3, puis à compter de mars 1987 par la société France 2, en qualité d'assistant réalisateur.

La relation de travail s'est poursuivie par contrat à durée indéterminée du 1er mai 2003, en qualité de responsable de la mise à l'antenne des bandes annonces.

2. Contestant l'avenant qui lui a été remis à la suite de l'accord collectif France télévisions du 28 mai 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de demandes aux fins notamment de constater que son employeur avait modifié sans son accord la structure de sa rémunération et en paiement de rappels de salaire et de prime d'ancienneté.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la structure de la rémunération du salarié a été modifiée unilatéralement à compter du 1er janvier 2013 et en conséquence de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de rappels de salaire, de compte épargne-temps monétisé, de prime d'ancienneté, outre les congés payés afférents, entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018, ainsi qu'à créditer deux jours de congés supplémentaires à son plan épargne-temps, alors « que lorsque la structure de la rémunération n'est pas fixée par le contrat de travail, elle peut être modifiée sans l'accord du salarié ; qu'en l'espèce seul le montant annuel brut de la rémunération de M. [T] était prévu par son contrat de travail et ses avenants ; qu'en retenant que la structure de sa rémunération brute mensuelle constituait un élément de son contrat de travail qui ne pouvait être modifié par accord collectif sans son accord, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil.»

Réponse de la Cour

4. Sauf disposition légale contraire, un accord collectif ne peut permettre à un employeur de procéder à la modification du contrat de travail sans recueillir l'accord exprès du salarié.

5. Ayant constaté, d'une part, qu'il résultait du contrat de travail et de ses avenants ainsi que des bulletins de salaires produits avant application de l'accord collectif France télévisions du 28 mai 2013 que la rémunération brute mensuelle du salarié était fixée de façon forfaitaire, hors toutes primes ou indemnités et, d'autre part, qu'à compter de la transposition rétroactive au 1er janvier 2013 de cet accord, cette rémunération avait été scindée en un salaire de base dont le taux était diminué pour y intégrer une prime d'ancienneté, la cour d'appel en a exactement déduit que le mode de rémunération contractuelle de l'intéressé avait été modifié dans sa structure sans son accord.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que l'ancienneté du salarié devait être augmentée au 1er janvier 2013, de trois ans quatre mois et trois jours, et en conséquence de le condamner à lui payer diverses sommes à titre de rappels de salaire au titre du compte épargne-temps monétisé et de prime d'ancienneté, outre les congés payés afférents, entre le 1er janvier 2013 et le 31 octobre 2018, ainsi qu'à créditer deux jours de congés supplémentaires au plan épargne-temps du salarié, alors :

« 1°/ que l'article 3-11 de l'accord collectif d'entreprise du 28 mai 2013 dispose que : « Les salariés sous contrat à durée indéterminée conservent, à la date d'entrée en vigueur du présent accord, le bénéfice de l'ancienneté qui leur a été reconnu à France télévisions SA et dans les sociétés absorbées par France télévisions SA en vertu de la loi n°2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public (France 2, France 3, France 4, France 5, FTVI et RFO). Dans le cadre de la politique mobilité du groupe, les collaborations effectuées au sein d'une filiale du groupe France télévisions (on entend par groupe l'ensemble des sociétés pour lesquelles France télévisions est actionnaire majoritaire) sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté au prorata des périodes d'emploi. (?) Les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé » ; qu'en jugeant que M. [T] était depuis le 1er janvier 2013 en droit de voir reconnue une ancienneté de 12 ans, 10 mois et 20 jours lors de son intégration en contrat à durée indéterminée au 1er mai 2003 au sein de la société France 2, laquelle ne la lui avait alors pas reconnue, lorsque l'accord collectif précité ne vise que la conservation de l'ancienneté déjà reconnue au salarié par les sociétés absorbées puis par France télévisions lors de son entrée en vigueur le 1er janvier 2013, la cour d'appel a violé l'article 3-11 de l'accord précité ;

2°/ que l'accord collectif n'a point d'effet rétroactif sauf stipulation expresse le prévoyant ; que l'article 3-11 de l'accord collectif du 28 mai 2013 qui dispose que : « Dans le cadre de la politique mobilité du groupe, les collaborations effectuées au sein d'une filiale du groupe France télévisions (on entend par groupe l'ensemble des sociétés pour lesquelles France télévisions est actionnaire majoritaire) sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté au prorata des périodes d'emploi » et que « Les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé », n'est pas applicable aux collaborations effectuées au sein du groupe France télévisions avant son entrée en vigueur le 1er janvier 2013 ; qu'en jugeant que M. [T] était en droit depuis le 1er janvier 2013 de voir reconnue une ancienneté de 12 ans, 10 mois et 20 jours lors de son intégration en contrat à durée indéterminée au 1er mai 2003 au sein de la société France 2, la cour d'appel qui a conféré un effet rétroactif à l'accord collectif, a violé l'article L 2261-1 du code du travail et l'article 2 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 3-11, intitulé « ancienneté », du livre I de l'accord d'entreprise France télévisions du 28 mai 2013, les salariés sous contrat à durée indéterminée conservent, à la date d'entrée en vigueur de cet accord, le bénéfice de l'ancienneté qui leur a été reconnue à France télévisions SA et dans les sociétés absorbées par France télévisions SA en vertu de la loi n°2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public (France 2, France 3, France 4, France 5, FTVI et RFO). Dans le cadre de la politique mobilité du groupe, les collaborations effectuées au sein d'une filiale du groupe France télévisions sont prises en compte dans le calcul de l'ancienneté au prorata des périodes d'emploi.

Les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé.

9. Il résulte de ce texte que sont prises en compte pour la détermination de l'ancienneté les périodes de collaboration sous contrat de travail à durée déterminée, de toute nature, effectuées pour l'entreprise à partir de la date de première collaboration et proportionnellement aux périodes d'emploi et à la durée du travail de l'intéressé.

10. Ayant constaté que le salarié avait été engagé par plusieurs contrats à durée déterminée par la société France 3, entre 1982 et 1990, puis par la société France 2 par contrats à durée déterminée entre 1987 et le mois d'avril 2003 avant de conclure avec cette dernière un contrat à durée indéterminée à compter du 1er mai 2003, la cour d'appel a exactement retenu, sans encourir les griefs de la seconde branche du moyen, qu'en application des dispositions de l'accord collectif rédigées en termes généraux, le salarié était bien fondé à revendiquer le bénéfice d'une ancienneté intégrant ses périodes d'activité au sein de la société France 3 à proportion de ses périodes d'emploi.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : Mme Molina - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 3 -11 du livre I de l'accord d'entreprise France télévisions du 28 mai 2013.

Soc., 8 septembre 2021, n° 19-18.959, (B)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et sociétés de conseils – Convention collective nationale du 15 décembre 1987 – Accord du 30 octobre 2008 – Commission paritaire de l'emploi – Mission en matière de reclassement externe – Saisine – Obligation de saisine préalable de l'employeur – Exclusion – Détermination – Portée

Il résulte des articles 3 et 4 de l'accord du 30 octobre 2008 relatif à la commission paritaire nationale de l'emploi, annexé à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 que, si l'employeur est tenu d'informer la commission paritaire nationale de l'emploi du projet de licenciement économique collectif, seule la saisine de ladite commission par les organisations syndicales de salariés ou d'employeurs contractantes de l'accord du 30 octobre 2008 la conduit à exercer la mission qui lui est attribuée en matière de reclassement externe.

Dès lors, l'accord du 30 octobre 2008 ne met pas à la charge de l'employeur une obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l'emploi destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise dont la méconnaissance priverait les licenciements de cause réelle et sérieuse.

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils et sociétés de conseils – Convention collective nationale du 15 décembre 1987 – Accord du 30 octobre 2008 – Commission paritaire de l'emploi – Mission en matière de reclassement externe – Saisine – Modalités – Détermination – Portée

Conventions et accords collectifs – Accords particuliers – Accord national interprofessionnel du 10 février 1969 – Commission paritaire de l'emploi – Saisine – Obligation de l'employeur – Défaut – Cas – Accord collectif particulier ne le prévoyant pas – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 15 mai 2019), M. [M], salarié de la société Grontmij aux droits de laquelle vient désormais la société Oteis, a été licencié par lettre du 5 octobre 2015 dans le cadre d'une procédure de licenciement économique collectif accompagné d'un plan de sauvegarde de l'emploi, homologué le 1er octobre 2015 par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).

2. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes au titre de la rupture.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à verser au salarié des sommes à titre de dommages-intérêts pour défaut de reclassement dans la procédure de licenciement économique et d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents et d'ordonner le remboursement aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par le salarié dans la limite de deux mois de salaire, alors « que selon l'article 3 de l'accord étendu du 30 octobre 2008 annexé à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, en cas de projet de licenciement collectif d'ordre économique portant sur plus de 10 salariés appartenant à un même établissement occupant plus de 100 salariés, l'employeur est uniquement tenu d'informer la commission paritaire nationale de l'emploi de ce projet le lendemain de la première réunion du comité d'établissement ; que la commission n'examine ce projet qu'à la condition d'être saisie par les organisations syndicales de salariés ou d'employeurs contractantes, lesquelles peuvent la saisir dans un délai restreint postérieurement à l'information de la commission par l'employeur ou même en l'absence de toute information de la commission par l'employeur ; que, si elle est saisie, la commission doit se réunir et examiner le projet dans un délai de 21 jours à compter de la première réunion des représentants du personnel, ses décisions en la matière prenant la forme d'un avis notifié par lettre recommandée avec avis de réception à l'entreprise concernée, selon l'article 7 de l'accord ; qu'il en résulte que cet accord n'impose pas à l'employeur le respect d'une procédure particulière destinée à étendre ses recherches de reclassement en dehors de l'entreprise, ni ne charge la commission paritaire nationale de l'emploi de rechercher et de proposer des possibilités de reclassement externe, peu important que l'article 7 de cet accord prévoie, de manière générale et imprécise, que la commission paritaire nationale de l'emploi a notamment pour mission d' « étudier les projets de licenciements collectifs d'ordre économique visés à l'article précédent qui lui sont soumis et les possibilités de reclassement des salariés licenciés pour motif économique » ; qu'en affirmant cependant que le fait pour l'employeur de ne pas saisir cette commission caractérise un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement, la cour d'appel a violé les articles 3, 4 et 7 de l'accord du 30 octobre 2008 relatif à la commission paritaire nationale de l'emploi. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 3 et 4 de l'accord du 30 octobre 2008 relatif à la commission paritaire nationale de l'emploi, annexé à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 et l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 :

4. Selon le premier de ces textes, d'une part, lorsqu'un projet de licenciement collectif d'ordre économique porte sur plus de dix salariés appartenant à un même établissement occupant plus de cent salariés, la commission paritaire nationale de l'emploi est informée par la direction de l'entreprise intéressée, le lendemain de la première réunion du comité d'établissement. D'autre part, les organisations syndicales de salariés ou d'employeurs contractantes de l'accord disposent alors d'un délai de six jours à compter de cette date pour saisir la commission paritaire de l'emploi qui disposera alors de quatorze jours pour se réunir et examiner le projet présenté par l'entreprise aux représentants du personnel. Enfin, en cas de défaut d'information de la commission paritaire nationale de l'emploi par l'entreprise, une organisation syndicale de salariés ou d'employeurs peut néanmoins saisir la commission paritaire nationale de l'emploi dans un délai de vingt et un jours décompté à partir du jour où les instances représentatives du personnel ont tenu leur première réunion.

5. Selon le deuxième de ces textes, l'une des missions de la commission paritaire nationale de l'emploi est d'étudier les projets de licenciements collectifs d'ordre économique visés à l'article précédent qui lui sont soumis et les possibilités de reclassement des salariés licenciés pour motif économique.

6. Il en résulte que, si l'employeur est tenu d'informer la commission paritaire nationale de l'emploi du projet de licenciement économique collectif, seule la saisine de ladite commission par les organisations syndicales de salariés ou d'employeurs contractantes de l'accord du 30 octobre 2008 la conduit à exercer la mission qui lui est attribuée en matière de reclassement externe. Il s'en déduit que l'accord du 30 octobre 2008 ne met pas à la charge de l'employeur une obligation de saisine préalable de la commission paritaire de l'emploi destinée à favoriser un reclassement à l'extérieur de l'entreprise dont la méconnaissance priverait les licenciements de cause réelle et sérieuse.

7. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société à verser au salarié diverses sommes au titre de la rupture, l'arrêt retient que le fait pour l'employeur de ne pas saisir la commission visée aux articles 3 et 4 de l'accord étendu du 30 octobre 2008 caractérise un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquence de la cassation

9. La cassation prononcée entraîne, par voie de conséquence, la cassation des chefs de dispositif relatifs aux dépens et aux demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Oteis à payer à M. [M] la somme de 40 000 euros pour défaut de reclassement dans la procédure de licenciement économique et ordonné le remboursement par la société Oteis aux organismes concernés des indemnités de chômage perçues par le salarié dans la limite de 5 412 euros (2 mois de salaire), condamne la société Oteis à payer à M. [M] les sommes de 5 412 euros à tire d'indemnité compensatrice de préavis et de 541,20 euros de congés payés y afférents, condamne la société Oteis aux dépens et la condamne à payer à M. [M] la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article 700 en cause d'appel, l'arrêt rendu le 15 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 articles 3 et 4 de l'accord du 30 octobre 2008 relatif à la commission paritaire nationale de l'emploi, annexé à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987.

Rapprochement(s) :

Sur l'absence d'obligation conventionnelle, pour l'employeur, de saisir la commission paritaire de l'emploi prévue par l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, préalablement aux licenciements envisagés, à rapprocher : Soc., 23 octobre 2019, pourvoi n° 18-15.498, Bull. 2019, (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.312, (B)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 – Article 7. 2 – Licenciement économique – Reclassement externe du salarié – Obligation de l'employeur – Etendue – Détermination – Portée

L'article 7. 2 de la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 n'a pas pour objet de mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement externe préalable au licenciement mais lui impose seulement d'informer le réseau des dits conseils de la disponibilité du salarié licencié pour motif économique.

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 – Article 7. 2 – Licenciement économique – Reclassement externe du salarié – Obligation de l'employeur – Exclusion – Obligation de reclassement – Obligation préalable au licenciement envisagé – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 31 octobre 2019), M. [X], engagé le 27 septembre 1994 par l'association Conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du Morbihan (CAUE 56) en qualité d'architecte urbaniste, a été licencié pour motif économique par lettre du 26 février 2016.

2. Contestant ce licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de le condamner à verser au salarié une indemnité à ce titre et à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage à hauteur de 6 mois, alors « que la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 prévoit que le salarié congédié à la suite d'un licenciement économique bénéficie pendant une année d'une priorité de réembauchage, sous réserve d'en faire la demande auprès de son employeur dans un délai d'un an à compter de la date de la rupture de son contrat de travail, et qu'afin de faciliter l'emploi et le reclassement, l'employeur informera le réseau des CAUE de la disponibilité du salarié ; qu'il en résulte que l'employeur doit, après avoir licencié un salarié pour motif économique, informer le réseau des CAUE de sa disponibilité, cette information ne constituant donc pas une condition de son licenciement pour motif économique ; qu'en décidant l'inverse, la cour d'appel a violé l'article 7.2 de la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007, ensemble l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique est irrecevable, comme étant nouvelle et incompatible avec la thèse que l'employeur avait soutenue devant les juges du fond.

5. Cependant l'employeur développe devant la Cour de cassation, non pas une thèse contraire à celle proposée devant les juges du fond, mais une argumentation juridique nouvelle qui n'a pas été formulée devant les juges du fond.

6. S'agissant d'un moyen de pur droit, il peut être invoqué pour la première fois devant la Cour.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa version antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et l'article 7.2 de la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 étendue :

8. Selon le second de ces textes, « toute procédure de licenciement est faite conformément à la législation en vigueur (art. L. 122-4 et suivants du code du travail et L. 321-1 et suivants). Notamment, l'employeur est tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable au cours duquel il indique les motifs de la rupture envisagée et recueille les observations du salarié, celui-ci a la faculté de se faire assister par une personne de son choix.

Le salarié congédié à la suite d'un licenciement économique bénéficie pendant 1 année d'une priorité de réembauchage, sous réserve d'en faire la demande auprès de son employeur dans un délai de 1 an à compter de la date de la rupture de son contrat de travail. Afin de faciliter l'emploi et le reclassement, l'employeur informera le réseau des CAUE de la disponibilité du salarié. »

9. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que sauf dispositions conventionnelles étendant le périmètre du reclassement, l'employeur n'est pas tenu de rechercher des reclassements extérieurs à l'entreprise, lorsque celle-ci ne relève pas d'un groupe dans lequel des permutations d'emplois sont possibles.

La méconnaissance par l'employeur de dispositions conventionnelles relatives au reclassement plus favorables constitue un manquement à l'obligation de reclassement préalable au licenciement et prive celui-ci de cause réelle et sérieuse. Il ajoute que si l'adhésion à une fédération n'entraîne pas en soi la constitution d'un groupe au sens des dispositions de l'article L. 1233-4 du code du travail, en l'espèce, l'article 7.2 de la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007 précise que, « afin de faciliter l'emploi et le reclassement, l'employeur informera le réseau des CAUE de la disponibilité du salarié ». Il en déduit que l'employeur a l'obligation de rechercher sérieusement et loyalement le reclassement de son salarié en informant le réseau des CAUE de sa disponibilité. Il ajoute enfin que la lettre adressée le 19 janvier 2016 par le CAUE du Morbihan ne comportait aucune indication relative notamment à l'ancienneté, à la classification professionnelle, au niveau de la qualification eu égard à la convention collective et à la compétence du salarié dont le reclassement est recherché, se contentant de mentionner une « compétence avérée » sans autre précision et que de surcroît, il n'est pas établi que ce courrier a été adressé à l'ensemble des CAUE du réseau, dont la liste exhaustive au 19 janvier 2016 n'est pas versée au débat.

10. En statuant ainsi, alors que l'article 7.2 de la convention collective susvisée n'a pas pour objet de mettre à la charge de l'employeur une obligation de reclassement externe préalable au licenciement mais lui impose seulement d'informer le réseau des CAUE de la disponibilité du salarié licencié pour motif économique, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

11. La cassation de l'arrêt des chefs critiqués entraîne, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour non-application des critères d'ordre de licenciement, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

12. La cassation emporte également cassation des chefs de dispositif condamnant l'association à payer au salarié une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait que « l'association ne présente pas de difficultés économiques et réelles », l'arrêt rendu le 31 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rennes autrement composée.

- Président : Mme Leprieur (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article L. 1233-4 du code du travail, dans sa version antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ; article 7. 2 de la convention collective nationale des conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement du 24 mai 2007.

Soc., 15 septembre 2021, n° 20-14.326, (B)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Conventions collectives nationales des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées ou non par le décret du 1er mars 1962 du 8 octobre 1990 – Article 8-21 – Grand déplacement – Indemnisation – Exclusion – Cas – Covoiturage (non)

Selon l'article L. 3132-1 du code des transports, le covoiturage se définit comme l'utilisation en commun d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte.

Le covoiturage ne constituant pas un transport en commun, il n'entre pas dans la catégorie des « moyens de transport en commun utilisables » visés aux articles 8-21 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant jusqu'à 10 salariés) du 8 octobre 1990 et de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990, dans leur rédaction antérieure aux avenants du 7 mars 2018.

Est ainsi légalement justifié l'arrêt de la cour d'appel qui, appréciant la situation en fait, a retenu que le covoiturage n'était pas de nature à exclure le salarié, demandeur d'indemnités de grand déplacement, du bénéfice de ces indemnités.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 10 janvier 2020), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 10 octobre 2018, pourvoi n° 17-19.720), M. [B] a été engagé en qualité de peintre-plâtrier par la société Peretti à compter du 8 janvier 2006.

2. Le 6 mai 2013, il a saisi la juridiction prud'homale à l'effet d'obtenir paiement d'un rappel d'indemnités de grand déplacement.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première à quatrième branches et ses sixième à dixième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner au paiement d'une certaine somme à titre d'indemnité de grand déplacement, outre une indemnité de procédure et les dépens, alors « qu'est réputé en grand déplacement l'ouvrier qui travaille sur un chantier métropolitain dont l'éloignement lui interdit -compte tenu des moyens de transport en commun utilisables- de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole ; que constitue un tel « moyen de transport en commun utilisable » le covoiturage ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 8-21 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant jusqu'à 10 salariés) du 8 octobre 1990. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes des articles 8-21 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant jusqu'à 10 salariés) du 8 octobre 1990 et de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990, dans leur rédaction antérieure aux avenants du 7 mars 2018, est réputé en grand déplacement l'ouvrier qui travaille sur un chantier métropolitain dont l'éloignement lui interdit -compte tenu des moyens de transport en commun utilisables- de regagner chaque soir le lieu de résidence, situé dans la métropole, qu'il a déclaré lors de son embauchage et qui figure sur sa lettre d'engagement ou qu'il a fait rectifier en produisant les justifications nécessaires de son changement de résidence. Ne sont pas visés par les dispositions du présent chapitre les ouvriers déplacés avec leur famille par l'employeur et à ses frais.

6. Selon l'article L. 3132-1 du code des transports, le covoiturage se définit comme l'utilisation en commun d'un véhicule terrestre à moteur par un conducteur et un ou plusieurs passagers, effectuée à titre non onéreux, excepté le partage des frais, dans le cadre d'un déplacement que le conducteur effectue pour son propre compte.

7. Il résulte de l'effet combiné de ces textes que le covoiturage ne constitue pas un transport en commun et qu'à ce titre il n'entre pas dans la catégorie des « moyens de transport en commun utilisables » visés aux articles 8-21 précités.

8. Par ce motif de pur droit, substitué aux motifs critiqués, après avis donné aux parties conformément aux dispositions de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Monge - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 3132-1 du code des transports ; articles 8-21 de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant jusqu'à 10 salariés) du 8 octobre 1990 et de la convention collective nationale des ouvriers employés par les entreprises du bâtiment non visées par le décret du 1er mars 1962 (c'est-à-dire occupant plus de 10 salariés) du 8 octobre 1990, dans leur rédaction antérieure aux avenants du 7 mars 2018.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'allocation de l'indemnité de grand déplacement prévue par une autre convention collective, à rapprocher : Soc., 13 novembre 2014, pourvoi n° 13-12.118, Bull. 2014, V, n° 261 (rejet).

Soc., 15 septembre 2021, n° 20-16.010, (B)

Cassation partielle

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Sécurité sociale – Convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale – Article 38 – Congés annuels – Droit à un congé annuel payé – Durée – Détermination – Cas – Salariés dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie – Portée

Le paragraphe XIV, alinéa 4, du règlement intérieur annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 ne s'applique pas aux salariés dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie et qui entrent dans les prévisions de l'article 38, d), alinéa 4, de ladite convention collective.

Fait l'exacte application des dispositions conventionnelles interprétées à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 la cour d'appel qui, après avoir constaté que le salarié avait fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie reconnue en affection de longue durée du 27 décembre 2013 au 24 janvier 2016 et qu'il avait bénéficié du maintien de salaire, a décidé que cette période n'entraînait aucune réduction du droit à congé payé.

Conventions et accords collectifs – Conventions diverses – Sécurité sociale – Convention collective nationale de travail du 8 février 1957 du personnel des organismes de sécurité sociale – Paragraphe XIV du règlement intérieur annexé – Congés annuels – Droit à un congé annuel payé – Exercice – Report – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 19 décembre 2019), Mme [O] a été engagée le 30 novembre 2006 en qualité d'infirmière de prévention par l'[Établissement 1].

2. La salariée a été en arrêt de travail du 27 décembre 2013 au 24 janvier 2016.

3. Soutenant avoir acquis des congés au cours de son arrêt de travail, la salariée a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'une indemnité pour congé annuel et de dommages-intérêts pour discrimination indirecte.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre d'indemnité de congés annuels, alors :

« 1° / que l'article XIV du règlement intérieur type annexé à la convention collective nationale des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, aux termes duquel le droit aux congés annuels n'est pas ouvert dans une année déterminée par les absences pour maladie ou longue maladie ayant motivé une interruption de travail égale ou supérieure à douze mois consécutifs, mais est ouvert à nouveau à la date de la reprise du travail, la durée du congé étant, alors, établie proportionnellement au temps de travail effectif qui n'a pas encore donné lieu à l'attribution d'un congé annuel, ne saurait signifier que, dans le cas d'un arrêt-maladie d'une telle durée, un droit aux congés annuels serait tout de même ouvert au titre des douze premiers mois consécutifs, avec report du crédit des droits à congés payés ainsi acquis, mais signifie que, si l'arrêt-maladie a, en tout, durée douze mois ou plus, aucun droit à congés annuels ne saurait, alors, être acquis par le salarié ; qu'en considérant qu'il y aurait lieu d'« interpréter » cet article XIV du règlement intérieur type comme faisant naître au profit des salariés qui se trouvent dans une telle situation un droit à acquérir un crédit de congés payés au titre des douze premiers mois de leur arrêt maladie, qui serait ainsi reporté dans le temps et dont ils pourraient se prévaloir une fois de retour dans l'entreprise, la cour d'appel en a méconnu le sens clair et précis ;

2° / que, d'autre part, la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail du 4 novembre 2003, non-transposée en droit interne, ne peut permettre, dans un litige entre particuliers, d'écarter les effets d'une disposition de droit national contraire ; qu'en se fondant sur « la finalité qu'assigne aux congés payés annuels [cette] directive » pour faire naître au profit de Mme [O], laquelle avait été en arrêt pour maladie non-professionnelle pendant une période supérieure à douze mois, un droit à congés payés au titre d'une partie de cette période, et ce tandis que les cas comme le sien étaient exclus du bénéfice de l'acquisition de droits à congés annuels payés par le jeu combiné des articles 38 d) et 62 de la convention collective nationale des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, XIV du règlement intérieur type annexé à celle-ci et L. 3141-5 du code du travail, la cour d'appel, qui a ainsi doté l'article 7 de la directive du 4 novembre 2003 d'un effet direct horizontal qu'il ne pouvait avoir, a violé celui-ci, ensemble ces autres textes de droit national, combinés, précités. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, n'opère aucune distinction entre les travailleurs qui sont absents du travail en vertu d'un congé de maladie, pendant la période de référence, et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de ladite période. Il s'ensuit que, s'agissant de travailleurs en congé maladie dûment prescrit, le droit au congé annuel payé conféré par cette directive à tous les travailleurs ne peut être subordonné par un Etat membre à l'obligation d'avoir effectivement travaillé pendant la période de référence établie par ledit Etat (CJUE Schultz-Hoff, 20 janvier 2009, C- 350/06, point 41 ; CJUE 24 janvier 2012, C-282/10, Dominguez, point 20).

6. La Cour de Justice de l'Union européenne juge qu'il incombe à la juridiction nationale de vérifier, en prenant en considération l'ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d'interprétation reconnues par celui-ci, si elle peut parvenir à une interprétation de ce droit permettant de garantir la pleine effectivité de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et d'aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (CJUE, 24 janvier 2012, affaire C-282/10, Dominguez).

Par arrêt du 6 novembre 2018 (C-569/ 16 Stadt Wuppertal c/ Bauer et C- 570/16 Willmeroth c. Brossonn), la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'en cas d'impossibilité d'interpréter une réglementation nationale de manière à en assurer la conformité avec l'article 7 de la directive 2003/88/CE et l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux, la juridiction nationale doit laisser ladite réglementation nationale inappliquée.

La Cour de Justice de l'Union européenne précise que cette obligation s'impose à la juridiction nationale en vertu de l'article 7 de la directive 2003/88/CE et de l'article 31, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux lorsque le litige oppose un bénéficiaire du droit à congé à un employeur ayant la qualité d'autorité publique et en vertu de la seconde de ces dispositions lorsque le litige oppose le bénéficiaire à un employeur ayant la qualité de particulier.

7. Selon l'article 38 d) alinéa 4 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, les absences provoquées par la fréquentation obligatoire des cours professionnels, les périodes de réserve obligatoire, les jours d'absence pour maladie constatée par certificat médical, cure thermale autorisée, accident du travail, maternité à plein traitement, longue maladie, les permissions exceptionnelles de courte durée accordées au cours de l'année et les congés prévus à l'article 12 sont, lorsqu'ils comportent le maintien du salaire, assimilés à un temps de travail et ne peuvent, par conséquent, entraîner la réduction du congé annuel.

8. Selon le paragraphe XIV alinéa 4 du règlement intérieur annexé à la convention collective, le droit aux congés annuels n'est pas ouvert dans une année déterminée par les absences pour maladie ou longue maladie, ayant motivé une interruption de travail égale ou supérieure à douze mois consécutifs, par les absences pour service militaire obligatoire, par les congés sans solde prévus aux articles 410, 44 et 46 de la convention collective.

9. Il résulte de la combinaison des textes conventionnels que le paragraphe XIV alinéa 4 du règlement intérieur annexé à la convention collective que ce texte ne s'applique pas aux salariés dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie et qui entrent dans les prévisions de l'article 38 d) alinéa 4 de la convention collective.

10. Ayant constaté que la salariée avait fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie reconnue en affection de longue durée du 27 décembre 2013 au 24 janvier 2016 et qu'elle avait bénéficié du maintien de salaire, la cour d'appel, qui a procédé à une interprétation des dispositions conventionnelles à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE, sans donner un effet direct à celui-ci, a exactement décidé que cette période n'entraînait aucune réduction du droit à congé payé.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait le même grief, alors « que, en tout état de cause, des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence ; qu'en considérant, cependant, que l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail du 4 novembre 2003 exigerait le maintien d'un tel droit au report et s'opposerait à son extinction dans le temps, y compris dans le cas d'un salarié qui, comme Mme [O], aurait été en arrêt de travail ininterrompu pendant une durée de plus de deux années consécutives, la cour d'appel a violé cette disposition. »

Réponse de la Cour

13. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective, en raison d'absences liées à une maladie, à un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de la reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable.

14. Si des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence, la directive 2003/88/CE ne fait pas obligation aux Etats membres de prévoir une telle limitation.

15. La cour d'appel, qui a retenu que le paragraphe XIV du règlement intérieur type ne pouvait avoir pour effet de priver le salarié de tout droit à report, a fait l'exacte application de la finalité assignée aux congés payés par la directive 2003/88/CE.

16. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

17. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme à titre de dommages-intérêts pour discrimination en lien avec l'état de santé, alors « que la portée de la cassation s'étend également à l'ensemble des dispositions du jugement ou de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'en l'espèce, la cassation, qui sera prononcée, du chef ayant condamné l'organisme [Établissement 1] à payer à la salariée 3.302,68 euros à titre d'indemnité de congés annuels, entraînera, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation par voie de conséquence du chef l'ayant condamné à 1.000,00 euros de dommages-intérêts pour discrimination en lien avec sa santé, les deux condamnations se rattachant par un lien de dépendance nécessaire.»

Réponse de la Cour

18. Le rejet du premier moyen prive de portée le second moyen qui invoque une cassation par voie de conséquence.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

19. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur à titre d'indemnité compensatrice de congés annuels, alors « qu'aux termes de l'article 38 d), alinéa 4, de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957, les jours d'absence pour maladie constatée par certificat médical ou longue maladie sont, lorsqu'ils comportent le maintien du salaire, assimilés à un temps de travail et ne peuvent, par conséquent, entraîner la réduction du congé annuel ; qu'il résulte du paragraphe XIV du règlement intérieur annexé à la convention collective que la situation du salarié dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie n'est pas concernée par ce texte ; qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective, en raison d'absences liées à une maladie, à un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de la reprise du travail ; que pour limiter à la somme de 3 302,68 euros l'indemnité de congés annuels, la cour d'appel a retenu que le paragraphe XIV du règlement intérieur annexé à la convention collective était applicable en l'espèce et, partant, que la salariée, qui n'avait pas bénéficié du solde des congés qui lui étaient dus avant son arrêt maladie en décembre 2013, était fondée à se prévaloir, en outre, des congés dus au titre du dernier exercice 2015, échu dans le cadre de son arrêt de travail ; qu'en statuant ainsi, alors pourtant qu'elle avait constaté que la salariée avait fait l'objet d'un arrêt de travail pour maladie reconnue en affection longue durée du mois de décembre 2013 au mois de janvier 2016 et que, pendant cette période, elle avait bénéficié du maintien de son salaire, ce dont elle devait déduire, d'une part, que la situation de la salariée n'était pas concernée par le paragraphe XIV du règlement intérieur et, d'autre part, qu'en application de l'article 38 d), alinéa 4, de la convention collective, la salariée était fondée à demander la somme de 6 841,80 euros à titre d'indemnité de congés annuels pour les exercices 2012-2013, 2013-2014 et 2014-2015, la cour d'appel a violé, par fausse application, le paragraphe XIV du règlement intérieur annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale et, par refus d'application, l'article 38 d), alinéa 4 de cette même convention collective. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 38 d) alinéa 4 de la convention collective nationale des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 et le paragraphe XIV alinéa 4 du règlement intérieur type annexé à cette convention collective :

20. Selon le premier de ces textes, les absences provoquées par la fréquentation obligatoire des cours professionnels, les périodes de réserve obligatoire, les jours d'absence pour maladie constatée par certificat médical, cure thermale autorisée, accident du travail, maternité à plein traitement, longue maladie, les permissions exceptionnelles de courte durée accordées au cours de l'année et les congés prévus à l'article 12 sont, lorsqu'ils comportent le maintien du salaire, assimilés à un temps de travail et ne peuvent, par conséquent, entraîner la réduction du congé annuel.

21. Selon le second de ces textes, le droit aux congés annuels n'est pas ouvert dans une année déterminée par les absences pour maladie ou longue maladie, ayant motivé une interruption de travail égale ou supérieure à douze mois consécutifs, par les absences pour service militaire obligatoire, par les congés sans solde prévus aux articles 410, 44 et 46 de la convention collective. Il est ouvert à nouveau à la date de la reprise du travail, la durée du congé étant établie proportionnellement au temps de travail effectif n'ayant pas encore donné lieu à l'attribution d'un congé annuel.

22. Eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, lorsque le salarié s'est trouvé dans l'impossibilité de prendre ses congés annuels au cours de l'année prévue par le code du travail ou une convention collective, en raison d'absences liées à une maladie, à un accident du travail ou une maladie professionnelle, les congés payés acquis doivent être reportés après la date de la reprise du travail ou, en cas de rupture, être indemnisés au titre de l'article L. 3141-26 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable.

23. Des dispositions ou pratiques nationales peuvent limiter le cumul des droits au congé annuel payé d'un travailleur en incapacité de travail pendant plusieurs périodes de référence consécutives au moyen d'une période de report à l'expiration de laquelle le droit au congé annuel payé s'éteint, dès lors que cette période de report dépasse substantiellement la durée de la période de référence pour laquelle elle est accordée. A cet égard, la Cour de Justice de l'Union européenne a jugé qu'une période de report du droit au congé annuel payé de quinze mois était conforme à la finalité du congé annuel (CJUE 22 novembre 2011, C-214/10, KHS AG c/ Shulte), mais que tel n'était pas le cas d'une période de report de neuf mois (CJUE, 3 mai 2012, C-337/10, Neidel).

24. Le paragraphe XIV du règlement intérieur type annexé à la convention collective a pour objet de limiter à douze mois la période pendant laquelle un salarié, absent pour l'une des causes qu'il prévoit, peut acquérir des droits à congés payés et non d'organiser la perte de droits acquis qui n'auraient pas été exercés au terme d'un délai de report substantiellement supérieur à la période de référence.

25. Pour limiter à une certaine somme la condamnation de l'employeur à un rappel d'indemnité de congé annuel, l'arrêt retient que les dispositions du paragraphe XIV du règlement intérieur peuvent s'interpréter comme ouvrant un droit aux congés annuels dans le cadre d'une interruption de moins de douze mois consécutifs, en ce compris lorsque l'arrêt maladie est d'une durée égale à celui de la salariée. Il ajoute qu'au-delà de cette période, le congé annuel est dépourvu de son effet positif pour le travailleur, au regard de sa finalité de temps de repos, pour ne garder que sa finalité de période de détente et de loisirs.

L'arrêt en déduit que la limitation aux congés annuels payés par une période de report de douze mois est conforme à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la directive 2003/88/CE du Parlement européen.

26. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à la somme de 3 302,68 euros la condamnation de l'[Établissement 1] à payer à Mme [O] une indemnité de congés annuels, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nancy autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Spinosi ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ; article 38, d), alinéa 4, de la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 ; paragraphe XIV du règlement intérieur annexé à la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 ; directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail ; paragraphe XIV du règlement intérieur annexé à la convention collective du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.

Rapprochement(s) :

Sur l'inapplicabilité du paragraphe XIV, alinéa 4, du règlement intérieur annexé à la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 aux salariés dont la rémunération a été maintenue pendant la maladie, à rapprocher : Soc., 3 novembre 2005, pourvoi n° 03-45.838, Bull. 2005, V, n° 310 (rejet). Sur les limitations au droit au report des congés payés, à rapprocher : Soc., 21 septembre 2017, pourvoi n° 16-24.022, Bull. 2017, V, n° 144 (2) (rejet).

Soc., 29 septembre 2021, n° 20-16.494, n° 20-16.496, n° 20-16.520, n° 20-16.521, n° 20-16.522, n° 20-16.523, n° 20-16.524, n° 20-16.525, n° 20-16.526, n° 20-16.527 et suivants, (B) (R)

Rejet

Conventions et accords collectifs – Dispositions générales – Action en justice – Action en nullité – Décision d'annulation par le juge – Modulation dans le temps des effets de la décision d'annulation – Possibilité – Modalités – Réserve des actions contentieuses en cours – Définition – Détermination – Portée

Aux termes de l'article 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires « le présent accord, qui constitue un tout indivisible, entrera en vigueur à compter de sa date d'extension et de l'adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application. A défaut, les dispositions du présent accord ne seront pas applicables. »

Il résulte des termes mêmes de cette clause que, si l'accord collectif subordonnait son entrée en vigueur à l'adoption d'un arrêté d'extension, il ne la conditionnait pas nécessairement à l'adoption de dispositions législatives ou réglementaires.

Par arrêt du 28 novembre 2018, le Conseil d'Etat (CE, 28 novembre 2018, n° 379677, inédit au Recueil Lebon), après avoir annulé l'arrêté d'extension du 22 février 2014 ayant procédé à l'extension de l'accord collectif du 10 juillet 2013, a décidé que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits antérieurement à cette annulation par l'arrêté attaqué en tant qu'il étend les stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013, relatif à la mise en place d'un fonds professionnel pour l'emploi dans le travail temporaire, doivent être réputés définitifs.

La réserve des actions contentieuses engagées contre les mesures prises sur le fondement d'un accord collectif ou d'un arrêté ultérieurement annulés vise les seules procédures juridictionnelles par lesquelles le justiciable, que ce soit en demande ou par voie de défense au fond, a invoqué, antérieurement à la décision prononçant l'annulation de l'acte en cause, le grief d'invalidité sur le fondement duquel l'annulation a été prononcée.

Conventions et accords collectifs – Accords collectifs – Accords particuliers – Accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires – Arrêté d'extension du 22 février 2014 – Décision d'annulation de l'arrêté d'extension par le juge administratif – Modulation dans le temps des effets de la décision d'annulation – Réserve des actions contentieuses en cours – Définition – Détermination – Portée

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 20-16.494, 20-16.496, 20-16.520 à 20-16.536, 20-16.633, 20-16.775, 20-16.776, 20-16.920 à 20-16.926 et 20-16.928 à 20-16.932 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Paris, 24 février 2020), un accord collectif a été signé au sein de la branche du travail temporaire le 10 juillet 2013, créant une nouvelle catégorie de contrat de travail, le « contrat de travail à durée indéterminée intérimaire », et instituant un fonds de sécurisation des parcours intérimaires alimenté par le versement d'une contribution versée par les entreprises de travail temporaire calculée à partir d'un pourcentage de la masse salariale, contribution destinée à la formation professionnelle des salariés intérimaires (le FSPI) et collectée et gérée par le fonds professionnel pour l'emploi dans le travail temporaire (FPE-TT).L'accord collectif a fait l'objet d'un arrêté d'extension le 22 février 2014, publié au Journal officiel le 6 mars 2014.

3. Le 6 mai 2014, le syndicat CGT-FO, non signataire de l'accord, a saisi le Conseil d'Etat en annulation de l'arrêté d'extension, au motif de l'incompétence des partenaires sociaux à créer une nouvelle catégorie de contrat de travail.

Statuant à la suite de la question préjudicielle posée par le Conseil d'Etat sur la validité de l'accord, la Cour de cassation a, par arrêt du 12 juillet 2018 (Soc., 12 juillet 2018, pourvoi n° 16-26.844, publié), dit que les partenaires sociaux avaient fixé des règles qui relèvent de la loi.

Par décision du 28 novembre 2018 (n° 379677), le Conseil d'Etat a annulé l'arrêté d'extension du 22 février 2014.

4. Parallèlement, courant 2016, le FPE-TT a assigné plusieurs entreprises de travail temporaire devant le tribunal de commerce pour obtenir leur condamnation au paiement de la contribution due au FSPI.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

5. Les sociétés font grief aux arrêts de les condamner au paiement de la contribution due au FSPI depuis le 1er avril 2014, alors :

« 1° / qu'un accord collectif doit être interprété comme la loi, c'est à dire d'abord en respectant la lettre du texte, ensuite en tenant compte d'un éventuel texte législatif ayant le même objet ; que la création d'une nouvelle catégorie de contrat de travail dérogeant à des règles d'ordre public absolu relève de la compétence du législateur ; que l'accord collectif, conclu au sein de la branche du travail temporaire le 10 juillet 2013 « portant sur la sécurisation des parcours professionnels » prévoit, dans son chapitre 1, la « sécurisation des parcours par la création d'un contrat à durée indéterminée pour les intérimaires » et, dans son chapitre 2, d'autres dispositifs de sécurisation des parcours professionnels dont la création, au sein du Fonds professionnel pour l'emploi dans le travail temporaire FPE-TT, d'un Fonds de sécurisation des parcours des intérimaires (FSPI) alimenté notamment par le versement d'une cotisation de 0,5 % de leur masse salariale intérimaire par les entreprises de travail temporaire (art. 5) ; que, s'agissant de son entrée en application, l'article 11 de l'accord collectif dispose que « le présent accord qui constitue un tout indivisible, entrera en vigueur à compter de sa date d'extension et de l'adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application » et qu' « à défaut, les dispositions du présent accord ne sont pas applicables » ; que, dès lors que le contrat de travail temporaire à durée indéterminée créé par l'accord constitue une nouvelle catégorie de contrat de travail, dérogeant à certaines règles d'ordre public absolu, qui ne pouvait donc être mis en oeuvre sans une disposition législative, l'accord collectif du 10 juillet 2013 n'a pu entrer en vigueur qu'à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ayant donné une base légale au contrat de travail temporaire à durée indéterminée ; qu'en jugeant néanmoins que les dispositions de l'accord seraient entrées en vigueur au moment de son extension, par arrêté ministériel du 22 février 2014, publié le 6 mars 2014, pour dire que les entreprises de travail temporaire auraient été redevables de la contribution au FSPI pour la période courant d'avril 2014 à août 2015, la cour d'appel a violé les articles 5 et 11 de l'accord collectif de branche du 10 juillet 2013, ensemble l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

2°/ que l'article 116 II de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 dispose que « les contrats de travail à durée indéterminée intérimaires conclus entre le 6 mars 2014 et le 19 août 2015 sur le fondement du chapitre Ier de l'accord du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires sont présumés conformes à l'article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, sans préjudice des contrats ayant fait l'objet de décisions de justice passées en force de chose jugée'' ; que cette disposition a pour seul objet de sécuriser des contrats de travail à durée indéterminée intérimaires qui avaient pu être conclus par certaines entreprises de travail temporaire en dehors de toute base légale et n'a ni pour objet, ni pour effet de modifier la date d'entrée en application prévue par l'article 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 et de soumettre l'ensemble des entreprises de travail temporaire aux dispositions de cet accord et au paiement de la contribution au FPSI préalablement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé par fausse application le texte susvisé, ensemble les articles 5 et 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 et l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ;

3°/ que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit, c'est à la condition que l'atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification soit justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ; qu'en s'abstenant de caractériser un quelconque motif impérieux d'intérêt général permettant au législateur de modifier les conditions d'entrée en application déterminées par l'article 11 de l'accord collectif de branche du 10 juillet 2013 et de soumettre rétroactivement l'ensemble des entreprises de travail temporaire aux dispositions de cet accord et au versement de la contribution au FSPI préalablement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard des articles 6 et 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

4°/ qu'il résulte de l'article L. 2261-15 du code du travail, que l'entrée en vigueur d'un arrêté d'extension ne peut avoir pour effet de modifier les conditions d'application fixées par l'accord collectif ; que, dans la mesure où l'article 11 de l'accord collectif de branche du 10 juillet 2013 subordonnait son entrée en application, non seulement à son extension, mais également à l'adoption des dispositions législatives ou réglementaires nécessaires à son application, l'arrêté d'extension du 22 février 2014 n'a pas pu avoir pour effet de rendre les dispositions de l'accord obligatoire à compter de sa publication ; que l'arrêté d'extension n'a pu commencer à produire ses effets et rendre obligatoire les dispositions de l'accord qu'à compter de leur entrée en application à la suite de la loi du 17 août 2015 autorisant la conclusion de contrats de travail à durée indéterminée intérimaires ; que, dans son arrêt du 28 novembre 2018 annulant l'arrêté du ministre du travail du 22 février 2014 procédant à l'extension de l'accord collectif du 10 juillet 2013 au sein des entreprises de la branche du travail temporaire, le Conseil d'Etat a énoncé, s'agissant des conséquences de l'annulation sur les versements par les entreprises de travail temporaire de la contribution au FSPI, que « sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les les effets produits antérieurement à cette annulation par l'arrêté attaqué en tant qu'il étend les stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013 doivent être réputés définitifs'' ; que cette modulation des effets de l'annulation ne pouvait pas concerner la période antérieure à l'entrée en vigueur de loi du 17 août 2015 au cours de laquelle, en vertu de l'article 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013, l'arrêté d'extension ne pouvait avoir eu pour effet de rendre obligatoire les stipulation de l'accord de branche ; que le Conseil d'Etat n'a pas statué sur la date d'entrée en vigueur fixée par l'article 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 et sur l'obligation pour les entreprises de verser la contribution prévue par l'article 5 préalablement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, l'article L. 2261-15 du code du travail, les articles 5 et 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 et l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article 5 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 portant sur la sécurisation des parcours professionnels des salariés intérimaires, il est créé au sein du fonds professionnel pour l'emploi dans le travail temporaire FPE-TT, organisme à gestion paritaire, un fonds de sécurisation des parcours des intérimaires.Ce fonds sera alimenté :

 – par le versement de 10 % des salaires versés aux intérimaires en CDI pendant les périodes de mission. Ces sommes seront notamment utilisées afin de financer la rémunération des périodes d'intermission et les formations proposées en intermission à l'intérimaire en CDI ;

 – par le versement d'une cotisation de 0,5 % de la masse salariale de l'ensemble des intérimaires, en contrat de travail temporaire et en CDI, avec application d'une franchise de 1 500 euros par entreprise.

7. Aux termes de l'article 11 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 « Le présent accord, qui constitue un tout indivisible, entrera en vigueur à compter de sa date d'extension et de l'adoption des dispositions législatives et réglementaires qui seraient nécessaires à son application. A défaut, les dispositions du présent accord ne seront pas applicables. »

8. Il résulte des termes mêmes de cette clause que, si l'accord collectif subordonnait son entrée en vigueur à l'adoption d'un arrêté d'extension, il ne la conditionnait pas nécessairement à l'adoption de dispositions législatives ou réglementaires.

9. Par ailleurs, l'article 116, II, de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 n'a validé rétroactivement, pour la période du 6 mars 2014 au 19 août 2015, que les contrats de travail intérimaires conclus durant cette période et ne dispose pas en ce qui concerne les contributions dues au FPE-TT en application de l'article 5 de l'accord collectif du 10 juillet 2013.

10. Dès lors le moyen, inopérant en ses troisième et quatrième branches, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

11. Les sociétés font le même grief aux arrêts, alors « que la modulation des effets de l'annulation de l'arrêté d'extension par le Conseil d'Etat a été prononcée sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de son arrêt du 18 novembre 2018 ; qu'au cas présent, les entreprises de travail temporaire exposantes avaient refusé de verser la contribution prévue par l'article 5 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 pour la période courant d'avril 2014 à août 2015, nonobstant les mises en demeure du FPE-TT qui leur avaient été adressées en 2016, et avaient interjeté appel des jugements du tribunal de commerce de Paris du 14 juin 2018 les condamnant à s'acquitter de cotisations pour cette période ; qu'il existait donc une contestation judiciaire pendante à la date de l'arrêt du Conseil d'Etat qui interdisait de conférer un quelconque caractère définitif aux effets produits par l'extension de l'article 5 de l'accord collectif du 10 juillet 2013 à l'égard des entreprises de travail temporaires exposantes ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 5 de l'accord collectif du 10 juillet 2013. »

Réponse de la Cour

12. Par arrêt du 28 novembre 2018, le Conseil d'Etat, après avoir annulé l'arrêté d'extension du 22 février 2014 ayant procédé à l'extension de l'accord collectif du 10 juillet 2013, a décidé que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de la présente décision contre les actes pris sur ce fondement, les effets produits antérieurement à cette annulation par l'arrêté attaqué en tant qu'il étend les stipulations de l'article 5 de l'accord du 10 juillet 2013 doivent être réputés définitifs.

13. La réserve des actions contentieuses engagées contre les mesures prises sur le fondement d'un accord collectif ou d'un arrêté ultérieurement annulés vise les seules procédures juridictionnelles par lesquelles le justiciable, que ce soit en demande ou par voie de défense au fond, a invoqué, antérieurement à la décision prononçant l'annulation de l'acte en cause, le grief d'invalidité sur le fondement duquel l'annulation a été prononcée.

14. Il résulte de l'arrêt de la cour d'appel et des productions que l'invalidité de l'arrêté d'extension n'avait pas été invoquée en défense devant les tribunaux de commerce saisis par le FPE-TT et n'a été soulevée par les entreprises intérimaires devant la cour d'appel que par conclusions signifiées postérieurement à l'arrêt du Conseil d'Etat du 28 novembre 2018.

15. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues aux articles 620 et 1015 du code de procédure civile, les arrêts se trouvent légalement justifiés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Rapprochement(s) :

Sur la modulation dans le temps des effets d'une décision d'annulation de tout ou partie d'un acte, à rapprocher : Soc., 13 janvier 2021, pourvoi n° 19-13.977, Bull. 2021, (1 et 2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

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