Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

SEPARATION DES POUVOIRS

Tribunal des conflits, 13 septembre 2021, n° 21-04.226, (B)

Avocat – Honoraires – Paiement – Protection fonctionnelle du client agent public – Refus de prise en charge du ministre de l'intérieur – Recours – Compétence administrative

La contestation par l'avocat d'un agent public, bénéficiaire de la protection fonctionnelle instaurée par l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, du refus du ministre de l'intérieur de payer une partie de ses honoraires, qui est hors du champ des dispositions des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, relève de la compétence de la juridiction administrative.

Vu, enregistrée à son secrétariat le 4 juin 2021, la lettre par laquelle la cour d'appel de Paris a transmis au Tribunal le dossier de la procédure opposant Maître [V] [P] à l'agent judiciaire de l'Etat et au ministère de l'intérieur devant la cour d'appel de Paris ;

Vu le déclinatoire de compétence, présenté le 21 février 2020 par le préfet de la région Ile de France, tendant à voir déclarer la juridiction de l'ordre judiciaire incompétente, par le motif que le litige est relatif aux conditions d'octroi de la protection fonctionnelle à un agent public et relève du juge administratif ;

Vu l'arrêt du 9 novembre 2020 par laquelle la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire et retenu sa compétence ;

Vu l'arrêté du 1er décembre 2020 par lequel le préfet de la région Ile-de-France a élevé le conflit ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 juin 2021, présenté par le ministre de l'intérieur et l'agent judiciaire de l'Etat, qui conclut à la compétence du juge administratif ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 juin 2021, présenté par le ministre de la justice, qui conclut à la compétence du juge judiciaire ;

Vu les pièces desquelles il résulte que la saisine du Tribunal a été notifiée à Maître [P], qui n'a pas produit de mémoire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;

Considérant ce qui suit :

1. A la suite du décès du lieutenant de police [D] [O] dans l'exercice de ses fonctions, le 7 janvier 2015, le ministre de l'intérieur a, par décision du 20 février 2015, accordé à Mme [K] [O], son épouse, et à ses deux enfants mineurs, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Mme [O] a mandaté Maître Philippe Stepniewski, avocat au barreau de Paris, pour l'assister dans sa constitution de partie civile au cours de la procédure d'information. Une convention d'honoraires a été signée le 28 juillet 2015 entre l'avocat de Mme [O] et le ministre de l'intérieur

2. Après avoir acquitté plusieurs factures, le ministre de l'intérieur a refusé le paiement d'honoraires correspondant à trois factures du 22 juin 2016, 2 mars 2018 et 7 juin 2018 au motif de leur montant et de la nature des diligences effectuées. Maître [P] a alors saisi le bâtonnier pour obtenir la fixation de ses honoraires à l'encontre du ministère de l'intérieur et de l'agence judiciaire du trésor.

Le bâtonnier a dit la demande irrecevable. Saisie d'un recours contre cette décision, la cour d'appel de Paris a, le 9 novembre 2020, rejeté le déclinatoire de compétence déposé par le Préfet de la région Ile-de-France. Faisant application des dispositions de l'article 22 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles, le préfet a, par arrêté du 1er décembre 2020, pris un arrêté d'élévation de conflit.

3. Aux termes de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : « Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions et conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, d'une protection organisée par la collectivité publique qui les emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire au fonctionnaire (...)/ La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (...) ».

4. Dans le cadre du bénéfice de la protection fonctionnelle instaurée par les dispositions précitées de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 au bénéfice des agents publics, la collectivité publique peut, dans certaines conditions, ne prendre en charge qu'une partie des honoraires demandés par l'avocat de l'agent lorsque le nombre d'heures facturées ou déjà réglées apparaît manifestement excessif. Dans ce cas, le règlement du solde incombe à l'agent dans le cadre de ses relations avec son conseil.

5. La décision prise par l'administration de refuser le paiement de certaines factures présentées par l'avocat de l'agent public bénéficiaire de la protection, s'inscrit dans le cadre des relations entre la collectivité publique et son agent, l'administration n'étant ni cliente, ni bénéficiaire des prestations de l'avocat, ni substituée dans les droits de cet agent et ce alors même qu'elle aurait signé avec l'avocat une convention relative au montant des honoraires pris en charge. Il s'ensuit que la contestation par Maître [P] du refus du ministre de l'intérieur de payer une partie de ses honoraires, qui est hors du champ des dispositions des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat relatives au recours devant le bâtonnier en cas de différent sur le montant et le recouvrement des honoraires, relève de la compétence de la juridiction administrative.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est dès lors à bon droit que le préfet de la région Ile-de-France a élevé le conflit.

D E C I D E :

Article 1 :

L'arrêté de conflit pris le 2 décembre 2020 par le préfet de la région Ile-de-France est confirmé.

Article 2 :

Sont déclarés nuls et non avenus la procédure engagée par Maître [P] contre le ministre de l'intérieur devant la cour d'appel de Paris et l'arrêt de cette juridiction en date du du 9 novembre 2020.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Pécaut-Rivolier - Avocat général : Mme Bokdam-Tognetti -

Textes visés :

Article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983.

Tribunal des conflits, 13 septembre 2021, n° 21-04.224, (B)

Contrats de la commande publique – Référé précontractuel – Contrat passé par les pouvoirs adjudicateurs – Contrats administratifs par détermination de la loi – Compétence juge administratif

Un contrat de la commande publique, passé par une entité adjudicatrice, au sens de l'article L. 1212-1 du code de la commande publique, au nom et pour le compte de plusieurs sociétés, et destiné majoritairement à répondre aux besoins de l'une de ces sociétés dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, revêt lui-même un caractère administratif.

La procédure de référé précontractuel portant sur la passation et l'attribution de contrats passés en application du code de la commande publique par une telle entité adjudicatrice est de la compétence du juge administratif.

Vu, enregistrée à son secrétariat, l'expédition du jugement du 7 mai 2021 par lequel le tribunal judiciaire de Paris, statuant sur la demande de la SAS Cadres en mission tendant à ce qu'il soit enjoint à la SNCF de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en reprenant dans son intégralité la procédure d'attribution de l'accord-cadre à bons de commandes multi-attributaire en vue de réaliser des prestations de portage salarial et à ce que soit suspendu l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure litigieuse, et notamment la décision de rejet de l'offre de la société requérante, a renvoyé au Tribunal, par application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le soin de décider sur la question de compétence ;

Vu, enregistré le 28 juin 2021, le mémoire produit par la SA SNCF, tendant à ce que la juridiction administrative soit déclarée compétente pour connaître de la procédure de la passation de l'accord-cadre en cause, conclu par plusieurs entités dont, pour l'une d'entre elles, une disposition législative indique que les contrats conclus en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs, et à ce qu'il soit indiqué que, pour les contrats subséquents, seuls les contrats conclus par SNCF Réseau revêtent un caractère administratif ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi des 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;

Vu la loi du 24 mai 1872 ;

Vu le décret n° 2015-233 du 27 février 2015 ;

Vu le code de la commande publique ;

Vu le code de procédure civile ;

Vu le code des transports ;

Vu l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009 ;

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 7 décembre 2020, la société nationale SNCF a lancé une consultation, selon la procédure négociée prévue par les articles L. 2124-3 et R. 2124-4 du code de la commande publique, pour la conclusion d'un accord-cadre à bons de commande multi-attributaire portant sur des prestations de portage salarial, pour son compte ainsi que pour celui de quatre filiales du groupe SNCF (SNCF Voyageurs, SNCF Réseau, SNCF Gares et Connexions et Fret SNCF).

La SAS Cadres en mission, qui a fait acte de candidature, s'est vu opposer une décision de rejet de son offre le 6 mars 2021. Elle a assigné la SNCF devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement des articles 1441-1 et suivants du code de procédure civile, afin qu'il soit enjoint à la SNCF de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en reprenant la procédure dans son intégralité et que soit suspendu l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure litigieuse, et notamment la décision de rejet de l'offre de la société requérante. Estimant que ce litige soulevait une difficulté sérieuse, le tribunal judiciaire de Paris a saisi le Tribunal des conflits sur le fondement de l'article 35 du décret du 27 février 2015.

2. La passation et l'attribution des contrats passés en application du code de la commande publique sont susceptibles de donner lieu à une procédure de référé précontractuel qui, selon que le contrat revêt un caractère administratif ou privé, doit être intentée devant le juge administratif ou devant le juge judiciaire. Il appartient au juge du référé précontractuel saisi de déterminer si, eu égard à la nature du contrat en cause, il l'a été à bon droit.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 1212-1 du code de la commande publique : « Les entités adjudicatrices sont : 1° Les pouvoirs adjudicateurs qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4 ; 2° Lorsqu'elles ne sont pas des pouvoirs adjudicateurs, les entreprises publiques qui exercent une des activités d'opérateur de réseaux définies aux articles L. 1212-3 et L. 1212-4... ».

Aux termes de l'article L. 1212-3 du même code : « Sont des activités d'opérateur de réseaux... 4° Les activités d'exploitation de réseaux destinés à fournir un service au public dans le domaine du transport par chemin de fer, tramway, trolleybus, autobus, autocar, câble ou tout système automatique, ou les achats destinés à l'organisation ou à la mise à la disposition d'un exploitant de ces réseaux... ».

4. D'autre part, aux termes de l'article 5 de l'ordonnance du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique : « En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des entités adjudicatrices des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat. / La demande est portée devant la juridiction judiciaire ».

5. Enfin, aux termes de l'article L. 2111-9-4 du code des transports : « Sont des contrats administratifs, les contrats suivants conclus par la société SNCF Réseau pour l'exécution de ses missions prévues à l'article L. 2111-9 : 1° Contrats conclus en application du code de la commande publique... ».

6. La SNCF est une société anonyme qui, au sens du code de la commande publique, est une entité adjudicatrice.

La procédure de passation de l'accord-cadre en cause a été lancée par la SNCF en son nom et pour son compte, ainsi que pour celui de quatre filiales, parmi lesquelles figure SNCF Réseau. Cet accord-cadre est majoritairement destiné à répondre aux besoins de SNCF Réseau, l'un des bénéficiaires des prestations de portage salarial faisant l'objet de la passation de l'accord-cadre. Si SNCF Réseau est désormais elle aussi une société anonyme, il résulte de l'article L. 2111-9-4 du code des transports que les contrats que conclut cette société pour l'exercice de ses missions prévues à l'article L. 2111-9 du même code sont des contrats administratifs par détermination de la loi.

7. Ce contrat de la commande publique, passé par une entité adjudicatrice au nom et pour le compte de plusieurs sociétés, et destiné majoritairement à répondre aux besoins de l'une de ces sociétés dont les contrats passés en application du code de la commande publique sont des contrats administratifs par détermination de la loi, revêt lui-même un caractère administratif.

8. Il résulte de ce qui précède que le présent litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative.

D E C I D E :

Article 1er :

La juridiction administrative est compétente pour connaître du litige opposant la société SAS Cadres en mission à la société SNCF.

- Président : M. Schwartz - Rapporteur : Mme Maugüé - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles L. 1212-1 et L. 1212-3 du code de la commande publique ; article L. 2111-9-4 du code des transports ; article 5 de l'ordonnance n° 2009-515 du 7 mai 2009.

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