Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

PREUVE

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-17.046, (B) (R)

Cassation partielle

Règles générales – Charge – Applications diverses – Congés payés – Caisse de congés payés – Obligations – Employeur – Accomplissement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 décembre 2018) M. [D] a été engagé, le 1er janvier 2006, en qualité de dépanneur plombier chauffagiste par la société FCVL Gaz (la société), qui relève de la convention collective régionale des ouvriers du bâtiment.

2. Le salarié, qui a été victime, le 25 janvier 2007, d'un accident du travail, a fait l'objet d'une décision de prise en charge de maladie professionnelle le 7 septembre 2007. A la suite d'une rechute, le 23 mars 2012, également prise en charge au titre de la maladie professionnelle, le salarié a été placé en invalidité deuxième catégorie à compter du 1er août 2013.

3. Le 3 janvier 2014, l'employeur a demandé au salarié s'il reprenait le travail afin d'organiser une visite médicale de reprise.

Le 28 mars 2014, le salarié a mis en demeure l'employeur de faire procéder à la visite de reprise prévue par l'article R. 4624-22 du code du travail. A la suite de la visite médicale du 8 avril 2014, le médecin du travail a déclaré le salarié inapte temporaire à son poste de plombier chauffagiste. Ce dernier a ensuite été placé en arrêt de travail par son médecin traitant.

4. Le 28 juillet 2014, le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

5. Le 30 novembre 2015, le salarié a été déclaré inapte temporaire à toute activité dans l'entreprise, dans le cadre d'une première visite. Lors de la seconde visite, tenue le 21 décembre 2015, le médecin du travail a confirmé l'inaptitude du salarié au poste préalablement occupé.

6. Le salarié a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 20 janvier 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

7. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une somme à titre de rappel des congés payés non pris correspondant à la période de maladie professionnelle du 1er avril 2012 au 31 mai 2013, alors « que l'obligation de régler l'indemnité de congés payés pèse sur l'employeur ; que la constitution de caisses de congés auxquelles les employeurs intéressés s'affilient obligatoirement, dans certaines branches, constitue une simple modalité d'application des dispositions de droit commun relatives aux congés payés ; qu'aucun texte ne prévoit, dans cette hypothèse, dans laquelle une caisse se substitue à l'employeur, une disposition dérogatoire selon laquelle l'employeur serait déchargé de son obligation de régler l'indemnité de congés payés à son salarié ; qu'en jugeant au contraire que dans la mesure où l'employeur a satisfait à ses obligations à l'égard de la caisse, il est déchargé de toute obligation quant au paiement de l'indemnité, la cour d'appel a violé ensemble le principe du droit social de l'Union européenne du droit au congé annuel payé de chaque travailleur et les articles 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et L. 3141-1, L. 3141-5 et L. 3141-32 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que celui-ci est nouveau, le salarié n'ayant pas invoqué devant les juges du fond le principe du droit social de l'Union européenne sur le droit au congé annuel payé de chaque travailleur ou encore la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

9. Cependant, le moyen est de pur droit dès lors qu'il ne se réfère à aucune constatation de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

10. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 3141-12, L. 3141-14 et L. 3141-30 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article 1315, devenu 1353, du code civil, interprétés à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail :

11. En application de l'article L. 3141-30 du code du travail, la Cour de cassation juge que lorsque l'employeur, tenu de s'affilier auprès d'une caisse de congés payés, a entièrement rempli ses obligations à son égard, cette dernière assure le service des droits à congés payés des travailleurs déclarés par l'employeur.

12. Dans le cadre des litiges opposant le salarié à l'employeur ou la caisse, il est jugé que la caisse, qui se substitue à l'employeur, est la seule débitrice des congés payés (Soc., 6 mai 1997, n° 95-12.001, Bull. V n° 151), ce dont il résulte que la demande en paiement de l'indemnité de congés payés doit être dirigée contre la caisse et qu'en cas de manquement par l'employeur aux obligations légales lui incombant, le salarié ne peut prétendre qu'à des dommages-intérêts en raison du préjudice subi (Soc., 24 novembre 1993, n° 89-43.437 ; Soc. 28 mars 2018, n° 16-25.429).

13. En application de l'article 31 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne la Cour de justice a considéré que l'employeur est notamment tenu, eu égard au caractère impératif du droit au congé annuel payé et afin d'assurer l'effet utile de l'article 7 de la directive 2003/88, de veiller concrètement et en toute transparence à ce que le travailleur soit effectivement en mesure de prendre ses congés annuels payés, en l'incitant, au besoin formellement, à le faire, tout en l'informant de manière précise et en temps utile pour garantir que lesdits congés soient encore propres à garantir à l'intéressé le repos et la détente auxquels ils sont censés contribuer, de ce que, s'il ne prend pas ceux-ci, ils seront perdus à la fin de la période de référence ou d'une période de report autorisée.

La charge de la preuve à cet égard incombe à l'employeur (CJUE, 6 novembre 2018, C-684/16, Max Planck Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften eV, points 45 et 46).

14. La Cour de justice de l'Union européenne a par ailleurs précisé que, pour assurer au salarié le bénéfice d'un repos effectif dans un souci de protection efficace de sécurité et de sa santé, la période minimale de congé annuel payé ne pouvait pas être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail (CJUE 26 juin 2001, C-173/00, BECTU, point 44 ; 18 mars 2004, Merino Gómez, C-342/01, Rec. p. I-2605, point 30 ; 16 mars 2006, C-131/04 et C-257/04, Robinson Steele, point 60).

15. Dans le cadre du régime de droit commun des congés payés, la Cour de cassation juge qu'il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement (Soc. 13 juin 2012, n° 11-10.929, Bull. V, n° 187 ; 21 septembre 2017, n° 16-18.898, Bull. V, n° 159).

16. Il convient, eu égard aux exigences déduites de l'article 7 de la directive 2003/88 par la Cour de justice de l'Union européenne dans l'arrêt du 6 novembre 2018, Max Planck précité, de rapprocher les règles de preuve de l'exécution des obligations d'un employeur affilié à une caisse de congés payés de celles applicables dans le cadre du droit commun.

17. Il y a donc lieu de juger désormais, qu'il appartient à l'employeur relevant d'une caisse de congés payés, en application des articles L. 3141-12, L. 3141-14 et L. 3141-30 du code du travail, interprétés à la lumière de l'article 7 de la directive 2003/88, de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement de son droit à congé auprès de la caisse de congés payés, et, en cas de contestation, de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement. Seule l'exécution de cette obligation entraîne la substitution de l'employeur par la caisse pour le paiement de l'indemnité de congés payés.

18. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement d'une somme à titre de rappel des congés payés non pris, l'arrêt rappelle d'abord que lorsque le service des indemnités est assuré par une caisse de congés payés et que l'employeur a satisfait à ses obligations à l'égard de la caisse, ce dernier est déchargé de toute obligation quant au paiement de l'indemnité, les salariés ayant uniquement une possibilité d'action contre la caisse. Il constate ensuite que l'employeur, soumis à une obligation d'affiliation, de paiement des cotisations et de déclaration à la caisse des salariés qu'il employait, justifie de son adhésion à la caisse de congés intempéries BTP de l'Ile-de-France.

19. Concernant la situation du salarié, l'arrêt relève que, dans un courrier du 14 octobre 2015, cette caisse a déclaré que, au titre de l'année 2011, les droits du salarié étaient épuisés, au titre de l'année 2012, il lui restait trente jours ouvrables et que, au titre de l'année 2013, il n'y avait pas de droits à congés en l'absence de temps de travail ou assimilable pour l'ouverture du droit.

L'arrêt précise qu'il appartenait à l'employeur de transmettre une demande d'indemnisation des congés si le salarié n'avait pas repris le travail et n'avait pas pu faire valoir ses droits.

20. Enfin, l'arrêt retient que la caisse de congés intempéries est seule débitrice de l'obligation de paiement de l'indemnité de congés payés et non l'employeur lequel a bien respecté ses propres obligations en sorte que le salarié, qui justifie pour sa part avoir perçu de la caisse la somme de 2 458,82 € pour l'année 2012, doit, en ce qui concerne l'année 2013, procéder aux démarches nécessaires vis-à-vis de cette caisse.

21. En se déterminant ainsi, sans constater que l'employeur justifiait avoir pris les mesures propres à assurer au salarié la possibilité de bénéficier effectivement auprès de la caisse de congés payés de son droit à congé payé au titre de la période du 1er avril 2012 au 31 mai 2013 pendant laquelle il se trouvait en arrêt maladie pour cause de maladie professionnelle, en accomplissant à cette fin les diligences qui lui incombaient légalement, en sorte que la caisse pouvait valablement être substituée à l'employeur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des textes susvisés.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

22. Le salarié fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts pour absence d'organisation de la seconde visite médicale, alors « que l'employeur qui s'abstient de saisir comme il le doit après le premier examen médical le médecin du travail pour faire pratiquer le second des examens exigés par l'article R. 4624-31 du code du travail, commet une faute susceptible de causer au salarié un préjudice ; que lorsque le médecin déclare un salarié inapte à son poste, l'employeur doit procéder à la seconde visite, peu important que le médecin traitant délivre par la suite des arrêts de travail ; qu'il résulte des constatations de la cour d'appel que le médecin du travail avait, à l'issue de l'examen médical organisé le 8 avril 2014, déclaré le salarié inapte temporairement à son poste, et que l'employeur n'a pas organisé de seconde visite de reprise ; qu'en excluant néanmoins toute faute de l'employeur de ce chef, au motif inopérant que le salarié avait fait l'objet d'un arrêt de travail, après la première visite de reprise, la cour d'appel, a violé l'article R. 4624-31 du code du travail, dans sa rédaction applicable à l'espèce. »

Réponse de la Cour

Vu l'article R. 4624-31 du code du travail, dans sa rédaction issue du décret n° 2012-135 du 30 janvier 2012 :

23. L'employeur qui s'abstient de saisir, comme il le doit après le premier examen médical, le médecin du travail pour faire pratiquer le second des examens exigés par l'article R. 4624-31 du code du travail, commet une faute susceptible de causer au salarié un préjudice dont l'existence est appréciée souverainement par les juges du fond.

24. Pour rejeter la demande de dommages-intérêts du salarié, l'arrêt relève qu'à partir du 30 mars 2012 le salarié n'a plus repris son travail et a fait l'objet le 23 juillet 2013 d'une reconnaissance d'invalidité de catégorie 2. Il ajoute que le salarié a été placé de nouveau en arrêt de travail le 8 avril 2014 et que cet arrêt de travail initial entraînait une nouvelle suspension du contrat de travail, laquelle empêchait l'employeur de provoquer la seconde visite médicale de reprise et par suite d'en tirer les conséquences.

L'arrêt énonce que, le 2 octobre 2014, l'employeur a demandé au médecin du travail de reprendre la procédure, que des arrêts de travail ont été successivement renouvelés jusqu'au 30 septembre 2015 et qu'à l'issue de deux nouveaux examens médicaux des 30 novembre 2015 et 21 décembre 2015, le salarié a été déclaré inapte à son poste.

L'arrêt en déduit que ce dernier ne démontre pas la carence fautive de son employeur.

25. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le médecin du travail avait, à l'issue de l'examen médical de reprise du 8 avril 2014, déclaré le salarié inapte à son poste, ce dont il résultait que l'employeur devait, peu important la délivrance de nouveaux arrêts de travail, saisir le médecin du travail pour faire pratiquer le second examen médical, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes du salarié en paiement d'une somme à titre de rappel des congés payés non pris et de dommages-intérêts pour absence d'organisation de la seconde visite médicale, l'arrêt rendu le 5 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Flores - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Zribi et Texier ; SCP Caston -

Textes visés :

Articles L. 3141-12, L. 3141-14 et L. 3141-30 du code du travail, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 ; article 1315, devenu 1353, du code civil ; article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003.

Rapprochement(s) :

Sur l'exercice effectif des droits à congé, à rapprocher : Soc., 13 juin 2012, pourvoi n° 11-10.929, Bull. 2012, V, n° 187 (cassation partielle) ; Soc., 21 septembre 2021, pourvoi n° 16-18.898, Bull., (rejet).

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, (B)

Cassation

Règles générales – Moyen de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Mesure admissible – Motif légitime – Caractérisation – Preuve d'une discrimination à l'égard de salariés – Conditions – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 octobre 2019), statuant en référé, M. [X] a été engagé le 19 août 1996 par la société Groupe Canal+ (la société).

2. Titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2001 et s'estimant victime de discriminations, notamment syndicale, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par la société d'un certain nombre d'informations lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celle de ses collègues de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de communiquer dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance un extrait unique du registre du personnel correspondant à son établissement d'embauche avec mention de tous les salariés ayant une ancienneté similaire, à plus ou moins deux ans près, avec la mise à jour des dates de changement d'emploi et de qualification conformément aux exigences des articles D. 122-21 et D. 1221-23 du code du travail, les nom, prénom, sexe et date d'entrée de chacune des personnes embauchées la même année à plus ou moins deux ans près dans la même catégorie, au même niveau de qualification au sein de leur établissement d'embauche ainsi que leurs bulletins de paie du mois de décembre de chaque année depuis leur embauche, leurs dates de changement de qualification, position et coefficient et leur périodicité, leur qualification, position et coefficient actuels, les formations suivies et leurs dates, le salaire net imposable et brut actuel, leurs fiches d'évolution (système d'information ressources humaines) et un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société d'établir, pour chaque panel de comparants, un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et d'établir un tableau concernant l'ensemble des personnes concernées par le panel à constituer, reprenant l'ensemble des informations ci-dessus, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, alors « que la finalité de la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas limitée à la conservation des preuves mais peut aussi tendre à leur établissement et permettre à une partie de découvrir les preuves permettant de fonder sa démonstration ; qu'en affirmant, pour le débouter de sa demande, que le mécanisme probatoire de l'article L. 1134-1 du code du travail et prévoyant un aménagement de la charge de la preuve rendait d'autant plus inutile la production des éléments dès lors que dans l'hypothèse où les éléments présentés par le salarié seraient considérés comme laissant supposer l'existence d'une discrimination à l'égard du salarié, il appartiendra à la société de démontrer que les décisions qu'elle a prises à son égard étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

4. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

5. Il en résulte que la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que le mécanisme probatoire des dispositions du code du travail relatives à la discrimination rend inutile la production des éléments sollicités dans le cadre de la présente instance et que la demande présentée par le salarié n'apparaît pas justifiée par un motif légitime.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le juge du fond n'était pas encore saisi du procès en vue duquel la mesure d'instruction était sollicitée et que la circonstance que le salarié agisse en vue d'une action au fond relative à une situation de discrimination ne privait pas d'intérêt sa demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 5°/ sur le motif légitime, que, à l'appui de ses écritures, le salarié avait soutenu et démontré, que la preuve de l'existence, des caractères et de l'étendue de la discrimination et du préjudice subséquent supposait qu'il soit ordonné à la société de communiquer le registre unique du personnel complet ainsi que les données non anonymes concernant l'ensemble des salariés placés dans une situation similaire à plus ou moins deux ans d'ancienneté ; qu'en se bornant, pour débouter le salarié de sa demande, à analyser uniquement les quelques fiches anonymes transmises par l'employeur la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes sans rechercher et analyser, avant tout, et ainsi qu'elle y était invitée, le bien-fondé de la demande du salarié et en particulier, si la communication des pièces sollicitées par ce dernier n'était pas nécessaire à la protection de ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que, en se bornant, pour dire que le salarié n'avait pas de motif légitime à solliciter la communication d'un panel non anonyme et concernant l'ensemble des salariés ayant une ancienneté, un niveau de qualification et une catégorie similaire à la sienne et dans le même établissement, que l'employeur avait communiqué les fiches individuelles de 10 salariés, engagés à une période similaire ainsi que l'extrait correspondant du registre du personnel, certes anonymes mais mentionnant le numéro de matricule ce qui permet d'en vérifier l'authenticité, et ce faisant, à apprécier la légitimité, non pas de la mesure sollicitée par le salarié mais la suffisance des pièces que l'employeur a sélectionnées et décidé de communiquer la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'un motif légitime à la mesure demandée par le salarié, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

9. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

10. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.

11. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que, s'agissant de l'existence d'un motif légitime, si le 5 septembre 2016, la société Groupe Canal+ a transmis, par l'intermédiaire de son avocat, un tableau comparatif insuffisamment documenté et difficilement exploitable, elle a cependant communiqué avant l'audience prud'homale les fiches individuelles de dix salariés entrés entre 1994 et 1998 aux fonctions de technicien conseil et se trouvant dans une situation comparable à celle du salarié ainsi que l'extrait correspondant du registre unique du personnel, que ces documents sont certes anonymisés mais qu'ils mentionnent le numéro de matricule du salarié concerné, ce qui permet si besoin d'en vérifier l'authenticité. Il ajoute que les dix salariés du panel relèvent du même service et dépendent du même responsable hiérarchique, et que ces fiches indiquent l'âge du salarié, son niveau de formation à l'embauche, son ancienneté dans le groupe et dans le poste, l'historique de ses affectations et des postes occupés avec l'échelon correspondant, la liste des formations suivies, l'historique des salaires mensuels et annuels avec le motif de l'augmentation (augmentation générale ou individuelle, changement d'échelon), l'historique des primes versées, des rémunérations variables, des heures supplémentaires et majorées, des versements au titre de la participation et de l'intéressement. Il en conclut que le panel est assez large et que les fiches communiquées par l'employeur sont suffisamment complètes pour permettre au salarié de procéder à la comparaison souhaitée.

12. En statuant ainsi, sans rechercher, d'abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile ; articles 9 et145 du code de procédure civile ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle du caractère nécessaire et proportionné s'agissant de la sauvegarde de la preuve d'une discrimination à l'égard de salariés avant tout procès, à rapprocher : Soc., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.648, Bull. 2020, (cassation).

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