Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

POUVOIRS DES JUGES

Soc., 22 septembre 2021, n° 18-22.204, (B)

Rejet

Applications diverses – Contrat de travail – Employeur – Pouvoir disciplinaire – Irrégularité de la sanction – Irrégularité de forme – Annulation – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 30 mars 2018), M. [V] a été engagé le 1er octobre 2013 par l'association [Adresse 3] en qualité de chef de service éducatif.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

2. Le salarié a été licencié pour motif personnel le 13 mai 2015.

Le 1er juillet 2015, l'employeur a mis fin à l'exécution du préavis en se prévalant d'une faute grave commise par le salarié.

3. Contestant ces mesures, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur soit condamné à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, alors « que constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que des observations verbales prises par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif ; qu'en retenant que le courrier adressé au salarié le 4 mars 2015 constituait une sanction quand ce courrier se bornait à lui demander d'adopter un mode de travail plus collectif et à définir plusieurs mesures en ce sens, la cour d'appel a violé l'article L. 1331-1 du code du travail et l'article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, qui a constaté que le courrier du 4 mars 2015 adressé au salarié, intitulé « lettre de cadrage », articulait trois séries de griefs, et appelait de sa part un certain nombre de correctifs, a décidé à bon droit qu'il constituait une observation au sens de l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et donc une sanction disciplinaire.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que doit être précédée d'un entretien préalable toute sanction de nature à avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'une sanction est susceptible d'avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise lorsque la convention collective applicable prévoit que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s'il n'a pas été sanctionné au moins à deux reprises ; qu'en retenant que, nonobstant l'absence d'entretien préalable, les lettres d'observations adressées au salarié le 24 février et le 4 mars 2015 constituaient des sanctions régulières quand la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées dispose que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s'il n'a pas fait l'objet au préalable d'au moins deux sanctions, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-2 du code du travail et l'article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

10. Aux termes de l'article L. 1333-2 du même code, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

11. Selon l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, d'une part, les mesures disciplinaires applicables aux personnels des établissements ou services sont l'observation, l'avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours et le licenciement. D'autre part, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux des sanctions précitées prises dans le cadre de la procédure légale.

12. S'il résulte du premier de ces textes que l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque des dispositions d'une convention collective, instituant une garantie de fond, subordonnent le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

13. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le 24 février et le 4 mars 2015, l'intéressé a fait l'objet de deux observations constitutives de sanctions disciplinaires qui, en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, ne nécessitaient pas d'entretien préalable et que ces deux sanctions disciplinaires régulières pouvaient ouvrir la voie à l'engagement d'une procédure de licenciement.

14. Si c'est à tort que la cour d'appel a statué ainsi, alors que la convention collective précitée subordonnait le licenciement à l'existence de deux sanctions antérieures pouvant être notamment une observation, en sorte que l'employeur était tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de lui notifier les deux sanctions qui étaient de nature à avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise du salarié au sens de l'article L. 1332-2 du code du travail, de sorte qu'il appartenait à la juridiction prud'homale d'apprécier si ces sanctions irrégulières en la forme devaient être annulées, la cour d'appel n'encourt pas toutefois le grief du moyen dès lors qu'il résulte du dispositif des conclusions du salarié que celui-ci ne demandait pas l'annulation des sanctions disciplinaires.

15. Il en résulte que le moyen est inopérant.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

16. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :

« 4°/ que l'employeur qui convoque le salarié à un entretien préalable doit lui notifier la sanction dans le délai d'un mois ; que lorsque l'employeur convoque le salarié à plusieurs entretiens préalables successifs le délai qui est imparti pour notifier le licenciement court à compter du premier entretien préalable sauf si la convocation du salarié à un second entretien est justifiée par la découverte de faits fautifs nouveaux postérieurement au premier entretien ; que, l'employeur a convoqué le salarié à deux entretiens préalables successifs le 2 avril puis le 4 mai 2015 ; que pour considérer que l'employeur avait pu notifier le licenciement du salarié plus d'un mois après la date du premier entretien, la cour d'appel a retenu que la convocation de l'intéressé à un second entretien était justifiée par la découverte d'agissements de harcèlement commis envers la psychologue de l'établissement ; qu'en statuant ainsi quand il était constaté que ces faits avaient été portés à la connaissance de l'employeur dès le 23 mars 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé l'article L. 1332-2 du code du travail.

5°/ que l'employeur qui convoque le salarié à un entretien préalable doit lui notifier la sanction dans le délai d'un mois ; que lorsque l'employeur convoque le salarié à plusieurs entretiens préalables successifs, le délai qui lui est imparti pour notifier le licenciement court à compter du premier entretien quand bien même la convocation adressée au salarié n'aurait pas indiqué que la sanction envisagée pouvait aller jusqu'au licenciement ; qu'en se fondant sur la circonstance que la première procédure engagée contre le salarié l'avait été en vue d'une sanction autre que le licenciement pour dire que l'expiration du délai d'un mois suivant le premier entretien préalable n'avait pas épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

17. La cour d'appel, qui a relevé que le courrier du 10 avril 2015 portait à la connaissance de l'employeur des éléments nouveaux, différents de ceux rapportés par le courrier du 23 mars 2015, reçu avant la première convocation du salarié en date du 26 mars 2015 à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire, fixé au 2 avril 2015, a décidé exactement que l'employeur était fondé à le convoquer le 22 avril 2015 à un nouvel entretien préalable en vue d'un licenciement, de sorte que ce dernier, prononcé le 13 mai 2015, l'a bien été dans le mois suivant ce second entretien préalable, fixé le 4 mai 2015.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

19. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre du solde de l'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, alors « que seule la faute grave commise par le salarié au cours de l'exécution du préavis a pour effet d'interrompre celui-ci ; que les propos tenus par un salarié ne peuvent caractériser une faute que s'ils revêtent un caractère diffamatoire, excessif ou injurieux ; qu'en retenant que le courrier adressé par le salarié à la Fédération Autisme 42 le 1er juin 2015 constituait une faute grave justifiant l'interruption du préavis sans caractériser le caractère excessif, injurieux ou diffamatoire de ce courrier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

20. La cour d'appel a constaté que dans une lettre adressée le 1er juin 2015 au président de la Fédération Autisme 42, le salarié avait sciemment détourné le sens d'une recommandation de lecture du psychiatre de l'établissement et dénigré l'association auprès de tiers exerçant une autorité de tutelle sur celle-ci, donnant ainsi une large publicité à des propos excessifs et diffamatoires traduisant une volonté de nuire à l'association.

21. La cour d'appel a ainsi caractérisé l'abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression et légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Le Lay - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article L. 1333-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation à la charge de l'employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable avant la notification d'un avertissement lorsque cet avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 3 mai 2011, pourvoi n° 10-14.104, Bull. 2011., V, n° 104 (1) (cassation).

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-12.538, (B)

Cassation partielle

Applications diverses – Contrat de travail – Employeur – Pouvoir disciplinaire – Irrégularité de la sanction – Irrégularité de forme – Annulation – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 décembre 2018), M. [O], engagé par l'Association tutélaire des Hautes-Pyrénées AT 65, suivant contrat du 2 juin 2008, en qualité de directeur, a fait l'objet le 16 mars 2015 d'une sanction disciplinaire constituée par une lettre d'observation puis a été licencié pour faute grave le 20 novembre 2015.

2. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation et de reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation prononcée le 16 mars 2015 et de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts à ce titre, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 1332-2 du code du travail ‘'lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié'‘ ; que l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 énumère les sanctions disciplinaires applicables au sein de la branche, au nombre desquelles figure ‘'l'observation'‘, sanction la plus basse susceptible d'être infligée ; que cette sanction n'ayant pas, en elle-même, d'incidence, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, elle n'a pas à être précédée d'un entretien préalable, peu important que tout licenciement disciplinaire soit conditionné par l'article 33 de la convention au prononcé préalable d'au moins deux sanctions ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et L. 1332-2 du code du travail ;

2°/ qu'en toute hypothèse, le défaut d'entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement, constitue un simple vice de procédure qui n'entache pas en lui-même de nullité la sanction disciplinaire régulièrement notifiée au salarié ; qu'à le supposer obligatoire, l'absence d'entretien préalablement à la notification de l'observation disciplinaire faite à M. [O] constituait tout au plus, en conséquence, une irrégularité de procédure qui n'entachait pas la sanction de nullité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé les articles 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et L. 1332-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, il résulte de l'article L. 1332-2 du code du travail que si l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d'une convention collective, la sanction peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise. Tel est le cas lorsque la convention collective, instituant une garantie de fond, subordonne le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

6. Ensuite, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir qu'elle tient de l'article L. 1333-2 du code du travail en décidant que l'irrégularité de la sanction disciplinaire justifiait son annulation.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui payer des sommes à titre de rappel de salaires pendant la période de mise à pied, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, alors « que le juge ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant, pour déduire l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, qu'il avait été prononcé par la présidente de l'association A.T 65, et non par le conseil d'administration, en méconnaissance des statuts de l'association, sans inviter préalablement les parties à fournir leurs explications sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

10. Pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que l'article 16 des statuts prévoyant que ‘'le conseil d'administration, sur proposition du bureau choisit un directeur d'association dont la fonction est directement attachée au président'‘, la règle du parallélisme des formes conduisait à admettre qu'il appartenait également au conseil d'administration de démettre le directeur de ses fonctions. Il relève ensuite que si le conseil d'administration avait bien pris la décision d'engager la procédure disciplinaire, il n'avait plus été réuni pour décider du licenciement du salarié, cette sanction ayant été décidée par la seule présidente. Il conclut que le pouvoir de licencier étant conféré par les statuts au conseil d'administration, le manquement à cette règle n'était pas susceptible de régularisation, de sorte que le licenciement prononcé par un organe qui n'en avait pas le pouvoir était sans cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation du 16 mars 2015, condamne l'Association tutélaire des Hautes Pyrénées AT 65 à payer à M. [O] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts et confirme le jugement ayant débouté M. [O] de sa demande de rappel de salaire basée sur une augmentation d'indice, l'arrêt rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Le Lay - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1333-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation à la charge de l'employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable avant la notification d'un avertissement lorsque cet avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 3 mai 2011, pourvoi n° 10-14.104, Bull. 2011, V, n° 104 (1) (cassation).

Soc., 29 septembre 2021, n° 19-23.248, (B)

Rejet

Applications diverses – Contrat de travail – Licenciement économique – Motif économique – Appréciation – Limites – Cas – Saisine du juge judiciaire – Saisine antérieure à la notification des licenciements – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 septembre 2019), la société Ford Aquitaine industries a mis en oeuvre une procédure d'information et consultation du comité d'entreprise sur un projet de cessation complète et définitive de son activité, qui s'accompagnait d'un plan de sauvegarde de l'emploi.

Le 12 octobre 2018, le 23 novembre 2018 puis le 18 février 2019, la société Punch motive international a transmis des offres de reprise de l'entreprise à la société Ford Aquitaine industries qui n'a pas souhaité y donner suite.

Le document unilatéral portant plan de sauvegarde de l'emploi a été homologué, le 4 mars 2019, par une décision de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, qui n'a pas fait l'objet d'un recours contentieux.

2. Par acte du 13 mai 2019, le syndicat CGT de la société Ford Aquitaine industries a assigné à jour fixe devant le tribunal de grande instance cette société et la société Punch motive international aux fins de voir juger que le refus de la société Ford Aquitaine industries de céder à la société Punch motive international son entreprise et son site de Blanquefort est abusif, voir ordonner de régulariser l'acte notarié permettant la cession du site dans les conditions du projet de reprise transmis le 23 novembre 2018 par la société Punch motive international, constater qu'il n'existe aucune cause économique nécessaire permettant de fermer le site et de supprimer 872 emplois, dire et juger inexistants les projets de fermeture du site et de suppression de tous ces emplois déposés devant le comité d'entreprise le 28 juin 2018 et faire interdiction à la société Ford Aquitaine industries de fermer le site et de supprimer les 872 emplois.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

3. La société Ford Aquitaine industries soutient que le pourvoi est irrecevable comme ayant été introduit contre la société First Aquitaine industries, étrangère au litige.

4. Si la déclaration de pourvoi vise la société First Aquitaine industries, qui a absorbé une société Ford Aquitaine industries SAS, cette société est devenue la société Ford Aquitaine industries par changement de dénomination en 2013. Dès lors la mention erronée de la société First Aquitaine industries ne constitue qu'un vice de forme, dont il n'est pas soutenu qu'il aurait fait grief à la société Ford Aquitaine industries.

5. Le pourvoi est donc recevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

7. Le syndicat fait grief à l'arrêt de dire le tribunal de grande instance incompétent pour statuer sur ses demandes tendant à voir dire que le refus de la société Ford Aquitaine industries de céder à la société Punch motive international son entreprise et son site de Blanquefort est abusif, ordonner à la société Ford Aquitaine industries de régulariser l'acte notarié permettant la cession du site de Blanquefort, constater qu'il n'existe aucune cause économique nécessaire permettant de fermer le site de la société Ford Aquitaine industries de Blanquefort et de supprimer 872 emplois et juger inexistants les projets de fermeture du site et de suppression de tous ces emplois déposés devant le comité d'entreprise le 28 juin 2018, ainsi que tendant à faire interdiction à la société Ford Aquitaine industries de fermer le site et de supprimer les emplois et de renvoyer le syndicat à mieux se pourvoir, alors :

« 1°/ que les syndicats professionnels, qui ont le droit d'agir en justice, peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent ; que l'administration n'a pas à se prononcer, lorsqu'elle statue sur une demande d'homologation d'un document fixant un plan de sauvegarde de l'emploi, sur le motif économique du projet de licenciement collectif, dont il n'appartient qu'au juge du licenciement, le cas échéant ultérieurement saisi, d'apprécier le bien-fondé ; qu'il s'ensuit que le syndicat, qui ne peut être privé de son droit à un accès effectif au juge, a la faculté de contester en justice le motif économique de licenciement des salariés de l'entreprise devant le juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, aux motifs erronés que « le contentieux de la pertinence du motif économique invoqué par l'employeur est reporté après la notification du licenciement, les salariés ne pouvant la contester qu'individuellement et l'absence de cause réelle et sérieuse ne pouvant être sanctionnée sauf réintégration que par l'octroi de dommages et intérêts », la cour d'appel a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 2132-3 du code du travail en sa rédaction applicable au litige ;

2°/ qu'en l'absence de motif économique, la procédure de licenciement pour motif économique entraînant la fermeture d'un établissement de l'entreprise est inexistante, de même que tous ses actes subséquents ; que, pour écarter le moyen du syndicat CGT tiré de l'inexistence de la procédure de licenciement mise en oeuvre par l'employeur, la cour d'appel a retenu que « l'application de la théorie de l'inexistence conduirait en la matière à procéder à l'examen ab initio du motif économique et à paralyser la procédure soumise au seul contrôle de la juridiction administrative » ; qu'en statuant ainsi par des motifs inopérants tirés des effets d'une telle sanction, sans rechercher si la procédure de licenciement pour motif économique ne devait pas être jugée inexistante, faute pour l'employeur de justifier d'un motif économique à l'origine de sa décision de licencier les salariés et de fermer l'établissement, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail en sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, le motif économique du licenciement défini à l'article L. 1233-3 du code du travail peut être contesté à l'occasion de la rupture du contrat de travail devant la juridiction prud'homale.

9. D'autre part, la régularité de la procédure de licenciement économique ne s'apprécie pas en considération de la cause économique de licenciement.

10. Enfin, selon l'article L. 1235-7-1 du code du travail, l'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1, le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi, les décisions prises par l'administration au titre de l'article L. 1233-57-5 et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4 et ces litiges relèvent de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.

11. Il en résulte que le juge judiciaire, saisi avant la notification des licenciements pour motif économique, ne peut faire droit à des demandes tendant à constater l'absence de cause économique et à enjoindre en conséquence à l'employeur de mettre fin au projet de fermeture du site et au projet de licenciement économique collectif soumis à la consultation des instances représentatives du personnel.

12. Le moyen ne saurait dès lors être accueilli.

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que les dispositions L. 1233-57-2 à L. 1233-57-20 et l'article L. 1235-7-1 du code du travail ayant attribué à l'autorité administrative et au juge administratif un contrôle seulement formel de la régularité de la procédure de licenciement et de la réponse apportée par l'employeur aux offres de reprises transmises dans le cadre de l'exécution de son obligation de rechercher un potentiel repreneur, le contrôle de l'exercice abusif par l'employeur de son droit au refus des offres de reprises, donc de son droit de propriété, échoit nécessairement au juge judiciaire ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-7-1 du code du travail en sa rédaction applicable au litige, ensemble les dispositions de la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III. »

Réponse de la Cour

14. Selon l'article L. 1233-57-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, en l'absence d'accord collectif ou en cas d'accord ne portant pas sur l'ensemble des points mentionnés aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir notamment vérifié le respect, le cas échéant, des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20, relatives à la recherche d'un repreneur en cas de projet de fermeture d'un établissement.

15. Le respect du principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que le juge judiciaire se prononce sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche d'un repreneur.

16. Ayant constaté que les demandes du syndicat aux fins de voir juger que le refus de l'employeur de céder le site de Blanquefort à la société Punch motive international était abusif et ordonner à la société Ford Aquitaine industries de régulariser avec la société Punch motive international un acte notarié de cession de ce site ne tendaient qu'à contester devant le juge judiciaire le respect par l'employeur des obligations prévues aux articles L. 1233-57-9 à L. 1233-57-16, L. 1233-57-19 et L. 1233-57-20 du code du travail, dont le contrôle relève de l'administration sous le contrôle du juge administratif, la cour d'appel en a exactement déduit que ces demandes ne relevaient pas de la compétence du juge judiciaire.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SARL Ortscheidt -

Textes visés :

Article L. 1233-3 du code du travail ; article L. 12333-57-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 ; loi des 16 et 24 août 1790.

Rapprochement(s) :

Sur la limite du contrôle par le juge de la cause économique des licenciements projetés, à rapprocher : Soc., 3 mai 2012, pourvoi n° 11-20.741, Bull. 2012, V, n° 129 (cassation), et l'arrêt cité. Sur la compétence de la juridiction administrative pour se prononcer sur le respect par l'employeur de son obligation de recherche d'un repreneur, à rapprocher : Soc., 16 janvier 2019, pourvoi n° 17-20.969, Bull. 2019, (cassation partielle sans renvoi).

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