Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

MESURES D'INSTRUCTION

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, (B)

Cassation

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Domaine d'application – Preuve d'une discrimination à l'égard de salariés – Articulation avec le mécanisme probatoire de l'article L. 1134-1 du code du travail

La procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail.

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Mesure admissible – Motif légitime – Caractérisation – Preuve d'une discrimination – Office du juge – Contrôle du caractère nécessaire et proportionné – Portée

Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 octobre 2019), statuant en référé, M. [X] a été engagé le 19 août 1996 par la société Groupe Canal+ (la société).

2. Titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2001 et s'estimant victime de discriminations, notamment syndicale, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par la société d'un certain nombre d'informations lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celle de ses collègues de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de communiquer dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance un extrait unique du registre du personnel correspondant à son établissement d'embauche avec mention de tous les salariés ayant une ancienneté similaire, à plus ou moins deux ans près, avec la mise à jour des dates de changement d'emploi et de qualification conformément aux exigences des articles D. 122-21 et D. 1221-23 du code du travail, les nom, prénom, sexe et date d'entrée de chacune des personnes embauchées la même année à plus ou moins deux ans près dans la même catégorie, au même niveau de qualification au sein de leur établissement d'embauche ainsi que leurs bulletins de paie du mois de décembre de chaque année depuis leur embauche, leurs dates de changement de qualification, position et coefficient et leur périodicité, leur qualification, position et coefficient actuels, les formations suivies et leurs dates, le salaire net imposable et brut actuel, leurs fiches d'évolution (système d'information ressources humaines) et un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société d'établir, pour chaque panel de comparants, un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et d'établir un tableau concernant l'ensemble des personnes concernées par le panel à constituer, reprenant l'ensemble des informations ci-dessus, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, alors « que la finalité de la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas limitée à la conservation des preuves mais peut aussi tendre à leur établissement et permettre à une partie de découvrir les preuves permettant de fonder sa démonstration ; qu'en affirmant, pour le débouter de sa demande, que le mécanisme probatoire de l'article L. 1134-1 du code du travail et prévoyant un aménagement de la charge de la preuve rendait d'autant plus inutile la production des éléments dès lors que dans l'hypothèse où les éléments présentés par le salarié seraient considérés comme laissant supposer l'existence d'une discrimination à l'égard du salarié, il appartiendra à la société de démontrer que les décisions qu'elle a prises à son égard étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

4. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

5. Il en résulte que la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que le mécanisme probatoire des dispositions du code du travail relatives à la discrimination rend inutile la production des éléments sollicités dans le cadre de la présente instance et que la demande présentée par le salarié n'apparaît pas justifiée par un motif légitime.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le juge du fond n'était pas encore saisi du procès en vue duquel la mesure d'instruction était sollicitée et que la circonstance que le salarié agisse en vue d'une action au fond relative à une situation de discrimination ne privait pas d'intérêt sa demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 5°/ sur le motif légitime, que, à l'appui de ses écritures, le salarié avait soutenu et démontré, que la preuve de l'existence, des caractères et de l'étendue de la discrimination et du préjudice subséquent supposait qu'il soit ordonné à la société de communiquer le registre unique du personnel complet ainsi que les données non anonymes concernant l'ensemble des salariés placés dans une situation similaire à plus ou moins deux ans d'ancienneté ; qu'en se bornant, pour débouter le salarié de sa demande, à analyser uniquement les quelques fiches anonymes transmises par l'employeur la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes sans rechercher et analyser, avant tout, et ainsi qu'elle y était invitée, le bien-fondé de la demande du salarié et en particulier, si la communication des pièces sollicitées par ce dernier n'était pas nécessaire à la protection de ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que, en se bornant, pour dire que le salarié n'avait pas de motif légitime à solliciter la communication d'un panel non anonyme et concernant l'ensemble des salariés ayant une ancienneté, un niveau de qualification et une catégorie similaire à la sienne et dans le même établissement, que l'employeur avait communiqué les fiches individuelles de 10 salariés, engagés à une période similaire ainsi que l'extrait correspondant du registre du personnel, certes anonymes mais mentionnant le numéro de matricule ce qui permet d'en vérifier l'authenticité, et ce faisant, à apprécier la légitimité, non pas de la mesure sollicitée par le salarié mais la suffisance des pièces que l'employeur a sélectionnées et décidé de communiquer la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'un motif légitime à la mesure demandée par le salarié, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

9. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

10. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.

11. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que, s'agissant de l'existence d'un motif légitime, si le 5 septembre 2016, la société Groupe Canal+ a transmis, par l'intermédiaire de son avocat, un tableau comparatif insuffisamment documenté et difficilement exploitable, elle a cependant communiqué avant l'audience prud'homale les fiches individuelles de dix salariés entrés entre 1994 et 1998 aux fonctions de technicien conseil et se trouvant dans une situation comparable à celle du salarié ainsi que l'extrait correspondant du registre unique du personnel, que ces documents sont certes anonymisés mais qu'ils mentionnent le numéro de matricule du salarié concerné, ce qui permet si besoin d'en vérifier l'authenticité. Il ajoute que les dix salariés du panel relèvent du même service et dépendent du même responsable hiérarchique, et que ces fiches indiquent l'âge du salarié, son niveau de formation à l'embauche, son ancienneté dans le groupe et dans le poste, l'historique de ses affectations et des postes occupés avec l'échelon correspondant, la liste des formations suivies, l'historique des salaires mensuels et annuels avec le motif de l'augmentation (augmentation générale ou individuelle, changement d'échelon), l'historique des primes versées, des rémunérations variables, des heures supplémentaires et majorées, des versements au titre de la participation et de l'intéressement. Il en conclut que le panel est assez large et que les fiches communiquées par l'employeur sont suffisamment complètes pour permettre au salarié de procéder à la comparaison souhaitée.

12. En statuant ainsi, sans rechercher, d'abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile ; articles 9 et145 du code de procédure civile ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle du caractère nécessaire et proportionné s'agissant de la sauvegarde de la preuve d'une discrimination à l'égard de salariés avant tout procès, à rapprocher : Soc., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.648, Bull. 2020, (cassation).

2e Civ., 30 septembre 2021, n° 19-25.045, (B)

Cassation

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Motif légitime – Droit d'accès aux données de santé – Application

Il résulte de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique qu'il appartient, d'une part, au médecin conseil de l'assureur, chargé de procéder à l'expertise d'une victime, de communiquer à celle-ci les informations relatives à sa santé, recueillies au cours de l'expertise, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, d'autre part, à l'assureur auquel le médecin conseil a transmis des informations concernant la santé de la victime de s'assurer que ce médecin les a communiquées à celle-ci.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui déboute l'assuré de sa demande, au titre de l'article 145 du code de procédure civile, de communication des notes techniques établies par le médecin conseil de l'assureur, comportant des éléments médicaux, alors que celui-ci disposait d'un droit d'accès aux données de santé le concernant figurant dans ces notes techniques et justifiait, en conséquence, d'un intérêt légitime à les obtenir de l'assureur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 octobre 2019), M. [G] a été victime d'un accident de la circulation impliquant un véhicule assuré auprès de la société Axa France IARD (l'assureur).

2. M. [I] [G], Mme [O]-[G], sa soeur, et Mme [L] [G], sa nièce (les consorts [G]), ont assigné l'assureur, ainsi que la société Pro BTP, la Mutuelle Mieux Etre et la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 1] devant le juge des référés d'un tribunal de grande instance, aux fins d'ordonner une mesure d'expertise médicale destinée à évaluer son préjudice corporel, d'obtenir le versement d'une provision ainsi que la communication des notes techniques de l'expert amiable désigné par l'assureur.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Les consorts [G] font grief à l'arrêt de débouter M. [G] de sa demande de communication sous astreinte des notes techniques établies par le docteur [Z], alors « que toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé ; qu'en jugeant que M. [G] ne justifierait pas d'un intérêt légitime à obtenir communication des éléments médicaux recueillis, dans sa note technique, par le médecin conseil de l'assureur ayant procédé à son expertise, quand elle avait pourtant relevé que M. [G] « doit pouvoir avoir accès » « à ses données strictement médicales », la cour d'appel a violé les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble les articles L. 1111-7 du code de la santé publique, 10 du code civil, 11 et 145 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1111-7 du code de la santé publique et 145 du code de procédure civile :

5. Aux termes du premier de ces textes, toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues, à quelque titre que ce soit, par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes rendus de consultation, d'intervention, d'exploration ou d'hospitalisation, des protocoles et prescriptions thérapeutiques mis en oeuvre, feuilles de surveillance, correspondances entre professionnels de santé, à l'exception des informations mentionnant qu'elles ont été recueillies auprès de tiers n'intervenant pas dans la prise en charge thérapeutique ou concernant un tel tiers. Elle peut accéder à ces informations directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'elle désigne et en obtenir communication, dans des conditions définies par voie réglementaire au plus tard dans les huit jours suivant sa demande et au plus tôt après qu'un délai de réflexion de quarante-huit heures aura été observé.

6. Il résulte de ce texte qu'il appartient, d'une part, au médecin conseil de l'assureur chargé de procéder à l'expertise d'une victime de communiquer à celle-ci les informations relatives à sa santé, recueillies au cours de l'expertise, qui sont formalisées ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, d'autre part, à l'assureur auquel le médecin conseil a transmis des informations concernant la santé de la victime de s'assurer que ce médecin les a communiquées à celle-ci.

7. Pour débouter M. [G] de sa demande de communication sous astreinte des notes techniques établies par le docteur [Z], l'arrêt retient que sa demande de communication n'est pas suffisamment précise, en ce qu'elle n'est pas limitée à ses données strictement médicales auxquelles il doit pouvoir avoir accès, et qu'il ne démontre pas son intérêt légitime à obtenir les documents réclamés, dont l'existence même n'est pas établie de manière certaine, et pour lesquels l'assureur fait valoir, sans être utilement contredit, qu'ils peuvent contenir, outre des éléments médicaux, des informations strictement confidentielles d'ordre administratif et financier destinées à sa seule intention.

8. En statuant ainsi, alors que M. [G] disposait d'un droit d'accès aux données de santé le concernant et qu'il justifiait en conséquence d'un intérêt légitime à les obtenir de l'assureur, auquel il incombait de s'assurer que le médecin qu'il avait désigné les avait communiquées à M. [G], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bohnert - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1111-7 du code de la santé publique ; article 145 du code de procédure civile.

2e Civ., 30 septembre 2021, n° 19-26.018, (B)

Cassation partielle

Sauvegarde de la preuve avant tout procès – Ordonnance sur requête – Conditions – Absence de saisine du juge du fond – Appréciation – Moment – Détermination

L'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Reims, 15 octobre 2019), invoquant des faits de concurrence déloyale et des pratiques commerciales trompeuses, la société Fitleaness, M. [W], la société Leanzza et la SCP [G] [H], aux droits de laquelle vient la société [I] [H], en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Fitleaness, ont saisi, le 16 novembre 2018, le président d'un tribunal de commerce d'une requête aux fins d'ordonner diverses mesures d'instruction, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, dans les locaux de la société Sport Reims qui exploite le club « Gygagym. »

2. La requête ayant été accueillie le 20 novembre 2018, les sociétés Fitnessea développement et Fitnessea Group (les sociétés Fitnessea) ont saisi un juge des référés en rétractation de cette ordonnance en invoquant l'existence d'un procès au fond engagé à leur encontre, le 18 mai 2017, par la société Fitleaness.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société Fitleaness, M. [W], la société Leanzza et la société [I] [H], ès qualités, font grief à l'arrêt d'infirmer l'ordonnance déférée, en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle les avait déclarées recevables en leurs demandes et, statuant à nouveau et y ajoutant, de déclarer irrecevable la requête déposée le 16 novembre 2018, de rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 20 novembre 2018 par le président du tribunal de commerce de Reims, de prononcer l'annulation du procès-verbal de constat d'huissier de justice dressé le 26 novembre 2018, de leur faire interdiction de produire ledit procès-verbal de constat dans toute instance les opposant à la société Fitnessea Group et la société Fitnessea développement, de les débouter de leur demande au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel et de les condamner à leur payer à la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel, alors « que le juge doit statuer sur les dernières conclusions déposées ; que la société Fitleaness, M. [W], l'EURL Leanzza, et la SCP [I] [H] avaient déposé leurs dernières conclusions d'appel le 12 août 2019 ; qu'en statuant au visa de conclusions déposées par ces derniers le 14 juin 2019, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Selon l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile, s'il n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date.

5. Il résulte des productions que les prétentions et moyens de la société Fitleaness, de M. [W], de la société Leanzza, et de la société [I] [H], ès qualités, mentionnés dans l'arrêt, correspondent à ceux développés dans les dernières conclusions du 12 août 2019.

6. Le moyen tiré d'une violation de l'article 954, alinéa 4, du code de procédure civile est, dès lors, inopérant.

Mais sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. La société Fitleaness, M. [W], la société Leanzza et la société [I] [H], ès qualités, font le même grief à l'arrêt, alors :

« 2°/ qu'en toute hypothèse, l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond ouverte porte sur le même litige ; qu'en retenant, pour dire que la mesure d'instruction visant la société Sports Reims n'aurait pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui opposant les requérants aux sociétés Fitnessea devant le tribunal de commerce de Lyon, et rétracter l'ordonnance sur requête, que la nature différente des litiges invoquée par les requérants, le litige fondant la requête portant « sur une question de pratique trompeuse et de publicité mensongère », tandis que l'instance au fond introduite contre les sociétés Fitnessea portait sur un droit de franchise, et notamment la phase précontractuelle d'information, n'aurait pas été « pertinente » dans la mesure où la société Fitleaness faisait grief à la société Sports Reims d'avoir diffusé dans sa zone de chalandise des publicités indiquant que son club Gygagym était devenu un club L'Appart fitness, « ces seuls éléments étant déjà susceptibles de se rattacher à un litige ayant trait à un droit de franchise », la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropre à caractériser une identité d'objet entre les deux litiges, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

3°/ que l'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si, à la date de la requête, le même litige fait l'objet de l'instance au fond ouverte, peu important qu'il soit fait état ultérieurement, dans cette instance, des éléments que la mesure d'instruction a permis de recueillir ; qu'en retenant, pour dire que la mesure d'instruction visant la société Sports Reims n'aurait pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui opposant les requérants aux sociétés Fitnessea devant le tribunal de commerce de Lyon, et rétracter l'ordonnance sur requête, que le constat d'huissier de justice dressé en exécution de cette ordonnance avait été produit dans cette instance et que la société Fitleaness avait alors fait valoir qu'il démontrait que les sociétés Fitnessea s'étaient rendues coupables de pratiques commerciales trompeuses et violaient la zone d'exclusivité prévue par le contrat de franchise, pour en déduire que ces manquements à leurs obligations contractuelles la renforçait dans sa demande de résiliation du contrat, la cour d'appel, qui s'est fondée sur une circonstance impropre à caractériser l'existence d'une instance en cours portant sur le même litige, à la date de la requête, a violé l'article 145 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

8. L'existence d'une instance en cours ne constitue un obstacle à une mesure d'instruction in futurum que si l'instance au fond est ouverte sur le même litige à la date de la requête.

9. Pour déclarer la requête irrecevable et rétracter l'ordonnance sur requête du 20 novembre 2018, l'arrêt retient, d'abord, que c'est de manière inopérante que les intimés entendent se prévaloir de la nature prétendument différente des litiges, l'instance au fond devant le tribunal de commerce de Lyon concernant selon eux un droit de franchise, et notamment la phase précontractuelle d'information, tandis que le litige, objet de l'ordonnance sur requête, porterait sur une question de pratique trompeuse et de publicité mensongère.

10. Il énonce, ensuite, que la distinction entre ces deux litiges que les intimés entendent opérer n'est pas pertinente, dans la mesure où il résulte de leurs propres écritures que la société Fitleaness faisait grief à la société Sports Reims d'avoir diffusé dans sa zone de chalandises des publicités indiquant que son club « Gigagym » était devenu un club « L'Appart fitness », ces seuls éléments étant déjà susceptibles de se rattacher à un litige ayant trait à un droit de franchise.

11. L'arrêt retient, enfin, que le constat d'huissier de justice, dressé le 26 novembre 2018 à la suite de l'ordonnance accueillant la requête, a été produit, dans le cadre de l'instance au fond, par la société Fitleaness, qui s'en est prévalue dans ses conclusions déposées le 27 novembre 2018 et qu'en particulier, la société Fitleaness y a fait valoir que ce constat démontrerait que les sociétés Fitnessea se seraient rendues coupables de pratiques commerciales trompeuses, violeraient la zone d'exclusivité prévue par le contrat de franchise, pour en déduire que ce manquement flagrant à ses obligations contractuelles ne faisait que renforcer la société Fitleaness dans sa demande de résiliation judiciaire du contrat aux torts exclusifs de la société Fitnessea.

12. L'arrêt en déduit que la mesure d'instruction obtenue sur requête n'a pas été sollicitée dans l'éventualité d'un litige distinct de celui déjà engagé entre les parties devant la juridiction commerciale lyonnaise et qu'à l'inverse, il y a lieu de considérer que cette mesure d'instruction participe de ce litige préexistant.

13. En se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des circonstances étrangères à la caractérisation de l'existence d'une instance en cours portant sur le même litige, n'a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle déclare recevables les demandes des sociétés Fitnessea Group et Fitnessea développement, l'arrêt rendu le 15 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Jollec - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Com., 16 avril 1991, pourvoi n° 89-14.237, Bull. Civ. 1991, IV, n° 144 (rejet), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 5 juin 2014, pourvoi n° 13-19.967, Bull. 2014, II, n° 128 (cassation), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 19 février 2015, pourvoi n° 14-12.280, Bull. 2015, II, n° 39 (rejet).

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