Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

LOIS ET REGLEMENTS

Soc., 29 septembre 2021, n° 20-10.634, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Abrogation – Principe de l'unicité de l'instance – Abrogation par l'article 8 du décret du 20 mai 2016 – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 octobre 2019), et les productions, Mme [C] assure depuis avril 2002, conjointement avec son époux, pour le compte de la société Distribution Casino France (la société), la gestion d'une supérette, dans le cadre d'un contrat de cogérance non-salariée de succursale de commerce de détail alimentaire.

2. Courant 2013, M. et Mme [C] ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir paiement d'un rappel de rémunération au titre du respect du SMIC pour les années 2009 à 2013.

Par arrêt du 29 octobre 2015, la cour d'appel a condamné la société à leur verser à chacun une somme à ce titre.

3. Le 28 août 2017, Mme [C] a de nouveau saisi la juridiction prud'homale, d'une demande de rappel de rémunération sur la base du SMIC pour les années 2014 à 2017 ainsi qu'en réparation du préjudice subi en raison du non-respect du SMIC.

Examen des moyens

Sur le deuxième moyen, pris en ses quatre premières branches

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer, avec intérêts, à Mme [C] des sommes à titre de rappels de salaires de septembre 2014 à décembre 2017, de congés payés afférents et de dommages-intérêts pour privation du SMIC, alors :

« 1°/ que le SMIC est un salaire horaire minimum pour l'application duquel il convient de faire la preuve des heures de travail réalisées ; que lorsqu'un gérant non-salarié d'une succursale de commerce de détail alimentaire prétend que son salaire horaire est inférieur au SMIC, il doit, en cas de cogérance, établir que l'entreprise propriétaire de la succursale lui a imposé l'exécution à titre individuel d'horaires de travail déterminés, hors les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales ; qu'en l'espèce, il était constant que Mme [C] était cogérante d'une succursale de commerce de détail alimentaire, statut qu'elle ne remettait pas en cause et que dans ce cadre, l'un des deux cogérants pouvait n'avoir qu'une activité partielle ; que pour dire que l'intéressée était fondée à réclamer un rappel de salaire pour porter sa rémunération horaire au niveau du SMIC, la cour d'appel s'est bornée à relever que la gérante appuyait sa demande d'une durée de travail effective hebdomadaire au moins égale à 35 heures en décrivant les horaires d'ouverture du magasin ainsi que l'ampleur des tâches exigées par la mandante en vue de l'exploitation fructueuse dudit magasin (approvisionnement du magasin, opérations de caisse, suivi du logiciel émanant de sa mandante, inventaires, nettoyage des locaux) quand cette dernière qui soumettait à son accord les amplitudes horaires dans le cadre du service organisé des succursales qu'elle dirigeait, notamment en imposant la fixation des horaires d'ouverture du magasin en tenant compte, dans un souci économique et de concurrence, des coutumes locales et des besoins de la clientèle, ne justifiait pas d'éléments convaincants ; qu'en statuant ainsi, sans constater que Mme [C] justifiait que des horaires déterminés lui avaient été imposés à titre individuel, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7321-1, L. 7321-3 et L. 7322-1 et L. 7322-3 du code du travail ;

2°/ que le SMIC est un salaire horaire minimum pour l'application duquel il convient de faire la preuve des heures de travail réalisées ; que lorsqu'un gérant non-salarié d'une succursale de commerce de détail alimentaire prétend que son salaire horaire est inférieur au SMIC, il doit, en cas de cogérance, établir que l'entreprise propriétaire de la succursale lui a imposé l'exécution à titre individuel d'horaires de travail déterminés, hors les horaires d'ouverture et de fermeture des succursales ; qu'en l'espèce, il était constant que dans le cadre des aménagements convenus entre les cogérants pour la gestion du magasin qui leur était confiée et qui pouvaient conduire à ce que l'un d'eux n'ait qu'une activité incomplète, la commission qui leur était globalement versée était ventilée à hauteur de 70 % pour M. [C] et de 30 % pour Mme [C] ; que pour dire que l'intéressée était fondée à réclamer un rappel de salaire pour porter sa rémunération horaire au niveau du SMIC, la cour d'appel s'est bornée à relever que la gérante appuyait sa demande d'une durée de travail effective hebdomadaire au moins égale à 35 heures en décrivant les horaires d'ouverture du magasin ainsi que l'ampleur des tâches exigées par la mandante en vue de l'exploitation fructueuse dudit magasin (approvisionnement du magasin, opérations de caisse, suivi du logiciel émanant de sa mandante, inventaires, nettoyage des locaux) alors que cette dernière qui soumettait à son accord les amplitudes horaires dans le cadre du service organisé des succursales qu'elle dirigeait, notamment en imposant la fixation des horaires d'ouverture du magasin en tenant compte, dans un souci économique et de concurrence, des coutumes locales et des besoins de la clientèle, ne justifiait pas d'éléments convaincants ; qu'en statuant ainsi, sans faire ressortir que les tâches et contraintes fixées globalement aux deux cogérants imposaient, dans les faits, à la seule gérante une durée de travail effectif de 35 heures par semaine de travail, lors même que ceux-ci avaient la possibilité d'aménager leurs horaires respectifs comme bon leur semblait et qu'en considération des aménagements convenus entre eux pour la gestion du magasin, la part de commission attribuée à son époux était très largement prépondérante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 7321-1, L. 7321-3 et L. 7322-1 et L. 7322-3 du code du travail ;

3°/ qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au préalable au gérant non-salarié de succursale de commerce de détail alimentaire de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies ; que pour dire que l'intéressée était fondée à réclamer un rappel de salaire pour porter sa rémunération horaire au niveau du SMIC, la cour d'appel s'est bornée à relever que la gérante appuyait sa demande d'une durée de travail effective hebdomadaire au moins égale à 35 heures en décrivant les horaires d'ouverture du magasin ainsi que l'ampleur des tâches exigées par la mandante en vue de l'exploitation fructueuse dudit magasin (approvisionnement du magasin, opérations de caisse, suivi du logiciel émanant de sa mandante, inventaires, nettoyage des locaux), cette dernière soumettant à son accord les amplitudes horaires dans le cadre du service organisé des succursales qu'elle dirigeait, notamment en imposant la fixation des horaires d'ouverture du magasin en tenant compte, dans un souci économique et de concurrence, des coutumes locales et des besoins de la clientèle ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser que la gérante non-salariée fournissait des éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement et personnellement réalisés par elle, nonobstant la possibilité dont elle disposait d'être relayée à tout moment par son époux et la part majoritaire de celui-ci dans la répartition de la commission versée en contrepartie de leur activité globale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail ;

4°/ que seules les heures de travail commandées ou dont la réalisation a été rendue nécessaire par les tâches confiées peuvent donner lieu à rémunération ; qu'en se bornant à dire la demande de la gérante suffisamment justifiée au regard des horaires d'ouverture du magasin et de l'ampleur des tâches exigées par la mandante en vue d'une exploitation fructueuse de celui-ci, sans faire ressortir que les heures prétendument réalisées par elle l'avaient été avec l'accord au moins implicite de l'entreprise propriétaire de la succursale, ou qu'elles découlaient des tâches confiées, faute pour celles-ci de pouvoir être accomplies sans une présence commune et permanente des deux cogérants et/ou sans possibilité pour l'intéressée d'être relayée par son époux dans les volumes retenus, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire.

Selon ce même texte, l'entreprise propriétaire de la succursale est responsable au profit des gérants non-salariés des dispositions du livre Ier de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et congés payés et à la sécurité du travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement ont été fixées par elles ou soumises à son accord. Il en résulte que lorsque, les conditions d'application en sont réunies, les gérants non-salariés peuvent revendiquer le paiement d'heures supplémentaires et l'application des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail.

6. Ayant fait ressortir que, tant au regard des horaires d'ouverture et de fermeture du magasin imposés par la société que des nombreuses tâches hebdomadaires qui étaient exigées en vue d'une exploitation fructueuse de son magasin, la cogérante démontrait que les conditions de travail étaient soumises à l'accord de la société, la cour d'appel en a exactement déduit, sans avoir à procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérante, que les dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail s'appliquaient.

7. Ayant ensuite relevé que la cogérante présentait des éléments suffisamment précis quant aux heures de travail qu'elle prétendait avoir accomplies et constaté que la société ne produisait aucun élément de nature à justifier les horaires de travail effectivement réalisés par l'intéressée, elle a souverainement apprécié le montant des heures accomplies.

8. Ayant enfin constaté que l'intéressée avait perçu une rémunération inférieure au SMIC, elle en a exactement déduit qu'elle pouvait prétendre à un rappel de rémunération de ce chef.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. La société fait grief à l'arrêt de déclarer Mme [C] irrecevable en sa demande uniquement pour la période antérieure au 28 août 2014, de la condamner au paiement, avec intérêts, de sommes à titre de rappels de salaires de septembre 2014 à décembre 2017, de congés payés afférents, de dommages-intérêts pour privation du SMIC, de frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, alors « que pour les instances introduites avant l'entrée en vigueur du décret n° 016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, toutes demandes dérivant du même contrat dont le fondement était né avant la clôture ultime des débats devaient faire l'objet d'une seule instance, sauf à être déclarées irrecevables ; que si ce principe d'unicité de l'instance a été abrogé pour les instances ultérieures, par le décret précité, cette suppression ne peut aboutir à rendre recevables des demandes qui, au jour de l'entrée vigueur dudit décret, étaient irrecevables ; qu'il en résulte que lorsqu'à une instance soumise au principe de l'unicité de l'instance succède une instance échappant à ce principe, demeurent irrecevables les demandes non formées dans la procédure initiale dont le fondement était né avant la clôture des débats inhérents à cette instance ; qu'en l'espèce, après avoir rappelé que la gérante mandataire non-salariée avait introduit une première action, tendant également à des rappels pour non-respect du SMIC horaire, et que la clôture des débats dans cette instance datait du 25 juin 2015, la société Distribution Casino France en déduisait que toutes demandes de l'intéressée dont le fondement était né avant cette date était donc irrecevables, au regard du principe de l'unicité de l'instance alors applicable ; qu'il en résultait qu'étaient donc seulement recevables, dans une nouvelle instance, ses demandes relatives à la période postérieure à cette clôture, peu important que cette seconde instance ait été introduite après l'abrogation de l'article R. 1452-6 du code du travail ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les dispositions du décret susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2 du code civil, l'article R. 1452-6 du code du travail dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 et les articles 8 et 45 de ce même décret :

11. En application du premier de ces textes, la loi nouvelle ne peut modifier les effets légaux d'une situation juridique définitivement réalisée lors de son entrée en vigueur.

12. Il résulte du deuxième qu'une instance ne peut être engagée postérieurement à une première procédure prud'homale que lorsque le fondement des nouvelles prétentions est né ou s'est révélé après l'extinction de l'instance primitive.

Sont donc irrecevables des demandes formées dans une nouvelle procédure dès lors que leur fondement est né avant la clôture des débats de l'instance antérieure.

13. Pour déclarer recevable la demande portant sur les rémunérations échues antérieurement à la clôture des débats de l'instance précédente intervenue le 25 juin 2015, l'arrêt énonce que l'action a été introduite le 28 août 2017, à une époque où le principe de l'unicité de l'instance ne se trouvait plus en vigueur.

14. En statuant ainsi, alors que si le principe de l'unicité de l'instance a été abrogé par l'article 8 du décret du 20 mai 2016 pour les instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016, cette abrogation ne peut aboutir à rendre recevables des demandes qui, au jour de l'entrée en vigueur dudit décret, étaient irrecevables, la cour d'appel, qui a remis en cause les effets juridiques d'une situation définitivement réalisée, a violé les textes susvisés.

Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

15. La société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à la cogérante, avec intérêts, des sommes à titre de dommages-intérêts pour privation du SMIC, de frais irrépétibles d'appel ainsi que les dépens de première instance et d'appel, alors « que les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution d'une obligation au paiement d'une somme d'argent ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, lesquels ne courent que du jour de la sommation de payer ; que le juge ne peut allouer au créancier des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires qu'à la condition de caractériser, d'une part, la mauvaise foi du débiteur, d'autre part, l'existence d'un préjudice indépendant du retard de paiement ; que pour condamner la société Distribution Casino France à payer à la cogérante non-salariée une somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts, la cour d'appel s'est bornée à relever qu'en la privant du bénéfice du SMIC, qui était d'ordre public absolu et qui tendait à lui assurer un revenu garantissant un pouvoir d'achat, elle avait causé à l'intéressée un préjudice distinct de celui compensé par les intérêts de retard ; qu'en statuant ainsi, sans caractériser que cette situation était imputable à l'éventuelle mauvaise foi de l'entreprise propriétaire de la succursale, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1153 du code civil, devenu l'article 1231-6 du code civil. »

Recevabilité du moyen

16. Mme [C] conteste la recevabilité du moyen, au motif qu'il est nouveau et mélangé de fait et de droit.

17. Cependant le moyen étant de pur droit, est recevable.

Bien-fondé du moyen

Réponse de la Cour

Vu l'article 1231-6 du code civil :

18. Aux termes de ce texte, le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires de la créance.

19. Pour condamner la société à payer à la cogérante une somme à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient qu'elle établit que le défaut de bénéfice du SMIC, qui est d'ordre public absolu, lui a causé un préjudice distinct de celui compensé par les intérêts de retard.

20. En statuant ainsi, sans caractériser la mauvaise foi de la société, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

21. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

22. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue sur la fin de non-recevoir et au fond.

23. La cassation prononcée ne s'étend pas aux chefs du dispositif relatifs à la condamnation de la société aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile justifiés par ailleurs par le bien-fondé de la demande relative à la durée effective de travail.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare Mme [C] irrecevable en sa demande pour la période antérieure au 28 août 2014, condamne la société Distribution Casino France à lui payer les sommes de 30 691,40 euros à titre de rappels de salaire de septembre 2014 à décembre 2017, de 3 069,14 euros au titre des congés payés et de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour privation du SMIC, l'arrêt rendu le 22 octobre 2019 entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare irrecevables les demandes relatives aux rémunérations antérieures au 25 juin 2015 ;

Déclare recevables les demandes relatives aux rémunérations pour la période commençant à courir le 25 juin 2015 ;

Condamne la société Distribution Casino France à payer à Mme [C], avec intérêts au taux légal à compter de la demande, la somme de 23 174,93 euros à titre de rappel de rémunération pour la période du 25 juin 2015 à décembre 2017 ainsi que celle de 2 317,49 euros au titre des congés payés afférents ;

Rejette la demande de Mme [C] en paiement de dommages-intérêts pour privation du SMIC.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Mariette - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article 2 du code civil ; article R. 1452-6 du code du travail, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 ; articles 8 et 45 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'applicabilité du principe de l'unicité de l'instance aux instances introduites antérieurement au 1er août 2016, à rapprocher : Soc., 1 juillet 2020, pourvoi n° 18-24.180, Bull. 2020, (cassation partielle).

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-21.605, (B)

Cassation partielle

Application dans le temps – Contrat de travail – Rupture – Sanction des irrégularités du licenciement – Article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 – Application dans le temps – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2019), M. [H], employé en dernier lieu en qualité de responsable des ressources humaines de l'établissement traction PACA de l'EPIC SNCF mobilités, aux droits duquel vient la société SNCF voyageurs, a fait l'objet, le 10 janvier 2013, d'une mesure de radiation des cadres, après avis du conseil de discipline.

2. Il a saisi la juridiction prud'homale afin d'obtenir l'annulation de la sanction prise à son encontre, sa réintégration au sein des cadres permanents de la SNCF et la condamnation de la SNCF à lui payer diverses sommes.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

4. La société fait grief à l'arrêt de déclarer irrégulière la procédure de radiation, de dire dépourvue de cause réelle et sérieuse la décision de radiation du salarié et de la condamner à lui payer des sommes à titre d'indemnité de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors « qu'en vertu de l'article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ; qu'en considérant que l'irrégularité de la procédure de radiation et celle subséquente de la décision de radiation privaient, en elles-mêmes, le licenciement du salarié de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé le texte précité ensemble l'article 40 I et X de l'ordonnance du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que le moyen est nouveau.

6. Cependant le moyen est de pur droit.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

8. Aux termes du I de l'article 40 de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, les IV, V et VI de son article 4 sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de cette ordonnance et, aux termes du X de l'article 40 du même texte, les dispositions de l'ordonnance nécessitant des mesures d'application entrent en vigueur à la date de publication des décrets d'application, et au plus tard le 1er janvier 2018.

9. Le III de l'article 4 de l'ordonnance précitée a remplacé l'article L. 1235-2 du code du travail par de nouvelles dispositions.

Le premier alinéa de l'article L. 1235-2 issu de cette ordonnance renvoie à un décret en Conseil d'Etat devant fixer les délais et conditions de la précision que l'employeur peut apporter aux motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

10. Le décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, publié au Journal officiel de la République française du 17 décembre 2017, dispose en son article 2 qu'il est applicable aux licenciements prononcés postérieurement à sa publication.

11. Il en résulte que l'ensemble des dispositions de l'article L. 1235-2 dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 est applicable aux licenciements prononcés à compter du 18 décembre 2017.

12. La cour d'appel a constaté que la mesure de radiation des cadres avait été notifiée au salarié le 10 janvier 2013.

13. Le moyen, qui invoque la violation d'un texte dont la cour d'appel n'avait pas à faire application, est inopérant.

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

14. La société fait grief à l'arrêt de déclarer irrégulière la procédure de radiation et de dire dépourvue de cause réelle et sérieuse la décision de radiation, alors « qu'il résulte des articles 6.10, alinéa 2, du référentiel RH0001 interne à la SNCF et de la note en base de page liée à l'article 26.8 du référentiel RH00144 (reprise à l'article 10.7 de ce référentiel modifié) que, lorsqu'aucun niveau de sanction ne recueille la majorité absolue des voix, le conseil de discipline est considéré comme ayant émis plusieurs avis différents et que le directeur est en droit de prononcer la sanction correspondant à celui de ces avis sur lequel s'est portée la majorité simple des voix ; qu'en retenant que le directeur ne pouvait pas prononcer le licenciement du salarié tout en admettant que, sur six votes, trois voix s'étaient exprimées en faveur de la radiation, deux voix en faveur de l'absence de sanction et le dernier vote était un vote blanc, ce dont il résulte que l'avis de radiation avait recueilli la majorité simple, la cour d'appel a violé les deux référentiels internes à la SNCF précités. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 6.10 et 6.11 du chapitre 9 du référentiel RH0001 de la SNCF, portant statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel, et les mentions portées sous l'article 26.8 du référentiel RH 00144 interne à la SNCF, dans sa version du 11 juillet 2012 :

15. Il résulte de la lecture combinée de ces articles que l'avis du conseil de discipline, composé de six membres ayant voix délibérative, est pris à la majorité des voix, que le conseil peut rendre plusieurs avis différents et que, dans cette hypothèse, le directeur ne peut prononcer une sanction supérieure à la plus sévère des sanctions proposées par les membres du conseil de discipline. Pour déterminer une majorité ou tout au moins le partage des avis en deux parties, les voix qui se sont portées sur la plus sévère des sanctions s'ajoutent à l'avis ou aux avis du degré inférieur qui se sont exprimés, jusqu'à avoir trois voix.

16. Pour juger la procédure disciplinaire irrégulière et la sanction de radiation des cadres dépourvue de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le directeur doit se rallier au degré de la plus haute des décisions communes aux avis différents.

17. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le conseil de discipline s'était prononcé par trois voix pour la sanction de radiation des cadres, par deux voix pour l'absence de sanction et qu'une voix avait exprimé un vote blanc, de sorte que le directeur pouvait prononcer la sanction de radiation des cadres qui avait recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

18. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt en ce qu'il dit dépourvue de cause réelle et sérieuse la décision de radiation des cadres entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant l'EPIC SNCF mobilités à payer à M. [H] 19 184,19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1 918,41 euros au titre des congés payés afférents, 52 490,08 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 52 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit dépourvue de cause réelle et sérieuse la décision de radiation des cadres notifiée à M. [H] le 10 janvier 2013 par l'EPIC SNCF mobilités et condamne l'EPIC SNCF mobilités à payer à M. [H] les sommes de 19 184,19 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 1 918,41 euros au titre des congés payés afférents, 52 490,08 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 52 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 2 juillet 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SAS Cabinet Colin - Stoclet ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 6.10 et 6.11 du chapitre 9 du référentiel RH0001 de la SNCF, portant statut des relations collectives entre la SNCF et son personnel ; article 26.8 du référentiel RH 00144 interne à la SNCF, dans sa version du 11 juillet 2012 ; article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ; ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail ; article 2 du décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination de la sanction pouvant être prononcée par le directeur de la SNCF en cas de partage des voix du conseil de discipline sur le niveau de sanction, à rapprocher : Soc., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-18.241, Bull. 2018, V, n° 136 (cassation partielle) ; Soc., 22 septembre 2021, pourvoi n° 20-10.851, Bull. 2021, (cassation partielle).

2e Civ., 9 septembre 2021, n° 20-17.263, (B)

Rejet

Application dans le temps – Loi de forme ou de procédure – Application immédiate – Domaine d'application – Décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 – Interprétation nouvelle par la Cour de cassation – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 mai 2020), et les productions, M. [N] a relevé appel, le 30 mars 2017, du jugement d'un conseil de prud'hommes dans une affaire l'opposant à la société Compagnie française du bouton (la société).

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

3. M. [N] fait grief à l'arrêt de constater la caducité de l'appel qu'il avait interjeté, alors :

« 2°/ que la cour d'appel, qui ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, n'est saisie d'aucune demande et ne peut que confirmer le jugement, lorsque l'appelant ne récapitule pas ses prétentions sous forme de dispositif ; qu'en énonçant, pour prononcer la caducité de l'appel, que le respect de la diligence impartie par l'article 908 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération de l'article 954 de ce code, quand la méconnaissance des dispositions du dernier de ces textes ne pouvait être sanctionnée par la caducité de l'appel, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéa 2, du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 ;

3°/ que la conformité des conclusions aux règles formelles de présentation et de structuration des conclusions de l'article 954 du code de procédure civile est appréciée au regard des dernières conclusions déposées par les parties avant l'ordonnance de clôture, le conseiller de la mise en état pouvant enjoindre aux avocats de mettre leurs conclusions en conformité avec ces dispositions ; qu'en jugeant, pour prononcer la caducité de l'appel, que les conclusions signifiées après l'expiration du délai prévu à l'article 908 du code de procédure civile n'avaient pu régulariser la procédure, la cour d'appel a violé l'article 954, alinéas 2 et 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, ensemble l'article 913 de ce code ;

4°/ qu'en toute hypothèse, sanctionner par la caducité de l'appel la non-conformité des conclusions de l'appelant déposées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile aux règles formelles de présentation et de structuration des conclusions de l'article 954 de ce code porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge d'appel ; qu'en jugeant que l'appel formé par M. [N] était caduc en raison de l'absence de conformité de ses conclusions déposées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile aux prescriptions de l'article 954 de ce code et en considérant que les conclusions qu'il avait signifiées après l'expiration de ce délai n'avaient pu régulariser la procédure, la cour d'appel a fait preuve d'un formalisme excessif, en violation de l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. En application de l'article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, à peine de caducité de la déclaration d'appel, relevée d'office, l'appelant dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour conclure.

5. Les conclusions d'appelant exigées par cet article 908 sont toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte, qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour d'appel.

6. L'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le respect de la diligence impartie par l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954.

7. Selon cet article 954, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d'ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908, doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel. Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.

8. Il résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l'appelant n'a pas pris, dans le délai de l'article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d'appel est encourue.

9. Cette sanction, qui permet d'éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice.

10. Par ailleurs, cette règle ne résulte pas de l'interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626), imposant que l'appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ou l'annulation du jugement. Il en résulte que cette règle n'entre pas dans le champ du différé d'application que cet arrêt a retenu en vue de respecter le droit à un procès équitable.

11. L'arrêt constate que les conclusions d'appelant, prises dans le délai prévu à l'article 908, comportaient un dispositif se bornant à demander de confirmer pour partie le jugement et pour le surplus, de faire droit à l'ensemble des demandes, de condamner la société à lui verser une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens et d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

12. En l'état de ces constatations, dont il résultait que le dispositif des conclusions de l'appelante, qui procédait par renvoi, ne comportait pas de prétentions déterminant l'objet du litige, c'est à bon droit, sans faire preuve d'un formalisme excessif, que la cour d'appel a prononcé la caducité de la déclaration d'appel.

13. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Aparisi - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles 908 et 954 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull. 2020, (rejet) ; 2e Civ., 31 janvier 2019, pourvoi n° 18-10.983.

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