Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-26.144, (B)

Cassation

Employeur – Discrimination entre salariés – Preuve – Moyens de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Articulation avec le mécanisme probatoire de l'article L. 1134-1 du code du travail

Employeur – Discrimination entre salariés – Preuve – Moyens de preuve – Administration – Mécanisme probatoire applicable – Détermination – Portée

Employeur – Discrimination entre salariés – Preuve – Moyens de preuve – Administration – Mesure d'instruction in futurum – Mesure admissible – Motif légitime – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 octobre 2019), statuant en référé, M. [X] a été engagé le 19 août 1996 par la société Groupe Canal+ (la société).

2. Titulaire de mandats syndicaux et représentatifs depuis 2001 et s'estimant victime de discriminations, notamment syndicale, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la communication par la société d'un certain nombre d'informations lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celle de ses collègues de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société de communiquer dans un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance un extrait unique du registre du personnel correspondant à son établissement d'embauche avec mention de tous les salariés ayant une ancienneté similaire, à plus ou moins deux ans près, avec la mise à jour des dates de changement d'emploi et de qualification conformément aux exigences des articles D. 122-21 et D. 1221-23 du code du travail, les nom, prénom, sexe et date d'entrée de chacune des personnes embauchées la même année à plus ou moins deux ans près dans la même catégorie, au même niveau de qualification au sein de leur établissement d'embauche ainsi que leurs bulletins de paie du mois de décembre de chaque année depuis leur embauche, leurs dates de changement de qualification, position et coefficient et leur périodicité, leur qualification, position et coefficient actuels, les formations suivies et leurs dates, le salaire net imposable et brut actuel, leurs fiches d'évolution (système d'information ressources humaines) et un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et, en conséquence, de le débouter de sa demande tendant à ce qu'il soit ordonné à la société d'établir, pour chaque panel de comparants, un tableau récapitulant l'ensemble des informations données ci-dessus et d'établir un tableau concernant l'ensemble des personnes concernées par le panel à constituer, reprenant l'ensemble des informations ci-dessus, le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, à compter de l'expiration d'un délai de 15 jours suivant la notification de l'ordonnance à intervenir, alors « que la finalité de la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile n'est pas limitée à la conservation des preuves mais peut aussi tendre à leur établissement et permettre à une partie de découvrir les preuves permettant de fonder sa démonstration ; qu'en affirmant, pour le débouter de sa demande, que le mécanisme probatoire de l'article L. 1134-1 du code du travail et prévoyant un aménagement de la charge de la preuve rendait d'autant plus inutile la production des éléments dès lors que dans l'hypothèse où les éléments présentés par le salarié seraient considérés comme laissant supposer l'existence d'une discrimination à l'égard du salarié, il appartiendra à la société de démontrer que les décisions qu'elle a prises à son égard étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, la cour d'appel, qui a statué par un motif inopérant, a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile :

4. Aux termes de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

5. Il en résulte que la procédure prévue par l'article 145 du code de procédure civile ne peut être écartée en matière de discrimination au motif de l'existence d'un mécanisme probatoire spécifique résultant des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que le mécanisme probatoire des dispositions du code du travail relatives à la discrimination rend inutile la production des éléments sollicités dans le cadre de la présente instance et que la demande présentée par le salarié n'apparaît pas justifiée par un motif légitime.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le juge du fond n'était pas encore saisi du procès en vue duquel la mesure d'instruction était sollicitée et que la circonstance que le salarié agisse en vue d'une action au fond relative à une situation de discrimination ne privait pas d'intérêt sa demande, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en ses cinquième et sixième branches

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 5°/ sur le motif légitime, que, à l'appui de ses écritures, le salarié avait soutenu et démontré, que la preuve de l'existence, des caractères et de l'étendue de la discrimination et du préjudice subséquent supposait qu'il soit ordonné à la société de communiquer le registre unique du personnel complet ainsi que les données non anonymes concernant l'ensemble des salariés placés dans une situation similaire à plus ou moins deux ans d'ancienneté ; qu'en se bornant, pour débouter le salarié de sa demande, à analyser uniquement les quelques fiches anonymes transmises par l'employeur la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes sans rechercher et analyser, avant tout, et ainsi qu'elle y était invitée, le bien-fondé de la demande du salarié et en particulier, si la communication des pièces sollicitées par ce dernier n'était pas nécessaire à la protection de ses droits, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que, en se bornant, pour dire que le salarié n'avait pas de motif légitime à solliciter la communication d'un panel non anonyme et concernant l'ensemble des salariés ayant une ancienneté, un niveau de qualification et une catégorie similaire à la sienne et dans le même établissement, que l'employeur avait communiqué les fiches individuelles de 10 salariés, engagés à une période similaire ainsi que l'extrait correspondant du registre du personnel, certes anonymes mais mentionnant le numéro de matricule ce qui permet d'en vérifier l'authenticité, et ce faisant, à apprécier la légitimité, non pas de la mesure sollicitée par le salarié mais la suffisance des pièces que l'employeur a sélectionnées et décidé de communiquer la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'un motif légitime à la mesure demandée par le salarié, a violé l'article 145 du code de procédure civile, ensemble les articles L. 1132-1 du code du travail et 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

9. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

10. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.

11. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt retient que, s'agissant de l'existence d'un motif légitime, si le 5 septembre 2016, la société Groupe Canal+ a transmis, par l'intermédiaire de son avocat, un tableau comparatif insuffisamment documenté et difficilement exploitable, elle a cependant communiqué avant l'audience prud'homale les fiches individuelles de dix salariés entrés entre 1994 et 1998 aux fonctions de technicien conseil et se trouvant dans une situation comparable à celle du salarié ainsi que l'extrait correspondant du registre unique du personnel, que ces documents sont certes anonymisés mais qu'ils mentionnent le numéro de matricule du salarié concerné, ce qui permet si besoin d'en vérifier l'authenticité. Il ajoute que les dix salariés du panel relèvent du même service et dépendent du même responsable hiérarchique, et que ces fiches indiquent l'âge du salarié, son niveau de formation à l'embauche, son ancienneté dans le groupe et dans le poste, l'historique de ses affectations et des postes occupés avec l'échelon correspondant, la liste des formations suivies, l'historique des salaires mensuels et annuels avec le motif de l'augmentation (augmentation générale ou individuelle, changement d'échelon), l'historique des primes versées, des rémunérations variables, des heures supplémentaires et majorées, des versements au titre de la participation et de l'intéressement. Il en conclut que le panel est assez large et que les fiches communiquées par l'employeur sont suffisamment complètes pour permettre au salarié de procéder à la comparaison souhaitée.

12. En statuant ainsi, sans rechercher, d'abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces arrêts et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Rinuy - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 145 du code de procédure civile ; articles 9 et145 du code de procédure civile ; articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur le contrôle du caractère nécessaire et proportionné s'agissant de la sauvegarde de la preuve d'une discrimination à l'égard de salariés avant tout procès, à rapprocher : Soc., 16 décembre 2020, pourvoi n° 19-17.648, Bull. 2020, (cassation).

Soc., 22 septembre 2021, n° 18-22.204, (B)

Rejet

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Sanction – Conditions – Formalités légales – Domaine d'application – Avertissement – Cas – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L.1332-2 du code du travail que si l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien préalable avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d'une convention collective, la sanction peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise. Tel est le cas, lorsque la convention collective, instituant une garantie de fond, subordonne le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

En application de l'article L. 1333-2 du code du travail, il appartient à la juridiction prud'homale d'apprécier si ces sanctions, irrégulières en la forme, doivent être annulées.

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Avertissement – Entretien préalable – Conditions

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 30 mars 2018), M. [V] a été engagé le 1er octobre 2013 par l'association [Adresse 3] en qualité de chef de service éducatif.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

2. Le salarié a été licencié pour motif personnel le 13 mai 2015.

Le 1er juillet 2015, l'employeur a mis fin à l'exécution du préavis en se prévalant d'une faute grave commise par le salarié.

3. Contestant ces mesures, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, ci-après annexés

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à ce que son licenciement soit dit sans cause réelle et sérieuse et que l'employeur soit condamné à lui payer des dommages-intérêts à ce titre, alors « que constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que des observations verbales prises par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif ; qu'en retenant que le courrier adressé au salarié le 4 mars 2015 constituait une sanction quand ce courrier se bornait à lui demander d'adopter un mode de travail plus collectif et à définir plusieurs mesures en ce sens, la cour d'appel a violé l'article L. 1331-1 du code du travail et l'article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel, qui a constaté que le courrier du 4 mars 2015 adressé au salarié, intitulé « lettre de cadrage », articulait trois séries de griefs, et appelait de sa part un certain nombre de correctifs, a décidé à bon droit qu'il constituait une observation au sens de l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et donc une sanction disciplinaire.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « que doit être précédée d'un entretien préalable toute sanction de nature à avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise ; qu'une sanction est susceptible d'avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise lorsque la convention collective applicable prévoit que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s'il n'a pas été sanctionné au moins à deux reprises ; qu'en retenant que, nonobstant l'absence d'entretien préalable, les lettres d'observations adressées au salarié le 24 février et le 4 mars 2015 constituaient des sanctions régulières quand la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées dispose que sauf faute grave un salarié ne peut être licencié s'il n'a pas fait l'objet au préalable d'au moins deux sanctions, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-2 du code du travail et l'article 33 de la convention collective des établissements pour personnes inadaptées et handicapées. »

Réponse de la Cour

9. Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

10. Aux termes de l'article L. 1333-2 du même code, le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

11. Selon l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966, d'une part, les mesures disciplinaires applicables aux personnels des établissements ou services sont l'observation, l'avertissement, la mise à pied avec ou sans salaire pour un maximum de trois jours et le licenciement. D'autre part, sauf en cas de faute grave, il ne pourra y avoir de mesure de licenciement à l'égard d'un salarié si ce dernier n'a pas fait l'objet précédemment d'au moins deux des sanctions précitées prises dans le cadre de la procédure légale.

12. S'il résulte du premier de ces textes que l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque des dispositions d'une convention collective, instituant une garantie de fond, subordonnent le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

13. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le 24 février et le 4 mars 2015, l'intéressé a fait l'objet de deux observations constitutives de sanctions disciplinaires qui, en l'absence de dispositions conventionnelles contraires, ne nécessitaient pas d'entretien préalable et que ces deux sanctions disciplinaires régulières pouvaient ouvrir la voie à l'engagement d'une procédure de licenciement.

14. Si c'est à tort que la cour d'appel a statué ainsi, alors que la convention collective précitée subordonnait le licenciement à l'existence de deux sanctions antérieures pouvant être notamment une observation, en sorte que l'employeur était tenu de convoquer le salarié à un entretien préalable avant de lui notifier les deux sanctions qui étaient de nature à avoir une incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise du salarié au sens de l'article L. 1332-2 du code du travail, de sorte qu'il appartenait à la juridiction prud'homale d'apprécier si ces sanctions irrégulières en la forme devaient être annulées, la cour d'appel n'encourt pas toutefois le grief du moyen dès lors qu'il résulte du dispositif des conclusions du salarié que celui-ci ne demandait pas l'annulation des sanctions disciplinaires.

15. Il en résulte que le moyen est inopérant.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

16. Le salarié fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors :

« 4°/ que l'employeur qui convoque le salarié à un entretien préalable doit lui notifier la sanction dans le délai d'un mois ; que lorsque l'employeur convoque le salarié à plusieurs entretiens préalables successifs le délai qui est imparti pour notifier le licenciement court à compter du premier entretien préalable sauf si la convocation du salarié à un second entretien est justifiée par la découverte de faits fautifs nouveaux postérieurement au premier entretien ; que, l'employeur a convoqué le salarié à deux entretiens préalables successifs le 2 avril puis le 4 mai 2015 ; que pour considérer que l'employeur avait pu notifier le licenciement du salarié plus d'un mois après la date du premier entretien, la cour d'appel a retenu que la convocation de l'intéressé à un second entretien était justifiée par la découverte d'agissements de harcèlement commis envers la psychologue de l'établissement ; qu'en statuant ainsi quand il était constaté que ces faits avaient été portés à la connaissance de l'employeur dès le 23 mars 2015, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations et violé l'article L. 1332-2 du code du travail.

5°/ que l'employeur qui convoque le salarié à un entretien préalable doit lui notifier la sanction dans le délai d'un mois ; que lorsque l'employeur convoque le salarié à plusieurs entretiens préalables successifs, le délai qui lui est imparti pour notifier le licenciement court à compter du premier entretien quand bien même la convocation adressée au salarié n'aurait pas indiqué que la sanction envisagée pouvait aller jusqu'au licenciement ; qu'en se fondant sur la circonstance que la première procédure engagée contre le salarié l'avait été en vue d'une sanction autre que le licenciement pour dire que l'expiration du délai d'un mois suivant le premier entretien préalable n'avait pas épuisé le pouvoir disciplinaire de l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 1332-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

17. La cour d'appel, qui a relevé que le courrier du 10 avril 2015 portait à la connaissance de l'employeur des éléments nouveaux, différents de ceux rapportés par le courrier du 23 mars 2015, reçu avant la première convocation du salarié en date du 26 mars 2015 à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire, fixé au 2 avril 2015, a décidé exactement que l'employeur était fondé à le convoquer le 22 avril 2015 à un nouvel entretien préalable en vue d'un licenciement, de sorte que ce dernier, prononcé le 13 mai 2015, l'a bien été dans le mois suivant ce second entretien préalable, fixé le 4 mai 2015.

18. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

19. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande au titre du solde de l'indemnité de préavis, outre les congés payés afférents, alors « que seule la faute grave commise par le salarié au cours de l'exécution du préavis a pour effet d'interrompre celui-ci ; que les propos tenus par un salarié ne peuvent caractériser une faute que s'ils revêtent un caractère diffamatoire, excessif ou injurieux ; qu'en retenant que le courrier adressé par le salarié à la Fédération Autisme 42 le 1er juin 2015 constituait une faute grave justifiant l'interruption du préavis sans caractériser le caractère excessif, injurieux ou diffamatoire de ce courrier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1121-1, L. 1234-1 et L. 1234-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

20. La cour d'appel a constaté que dans une lettre adressée le 1er juin 2015 au président de la Fédération Autisme 42, le salarié avait sciemment détourné le sens d'une recommandation de lecture du psychiatre de l'établissement et dénigré l'association auprès de tiers exerçant une autorité de tutelle sur celle-ci, donnant ainsi une large publicité à des propos excessifs et diffamatoires traduisant une volonté de nuire à l'association.

21. La cour d'appel a ainsi caractérisé l'abus du salarié dans l'exercice de sa liberté d'expression et légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Le Lay - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SARL Corlay -

Textes visés :

Article L. 1333-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation à la charge de l'employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable avant la notification d'un avertissement lorsque cet avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 3 mai 2011, pourvoi n° 10-14.104, Bull. 2011., V, n° 104 (1) (cassation).

Soc., 22 septembre 2021, n° 19-12.538, (B)

Cassation partielle

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Sanction – Conditions – Formalités légales – Domaine d'application – Avertissement – Cas – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L.1332-2 du code du travail que si l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien préalable avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d'une convention collective, la sanction peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise. Tel est le cas, lorsque la convention collective, instituant une garantie de fond, subordonne le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

En application de l'article L. 1333-2 du code du travail, il appartient à la juridiction prud'homale d'apprécier si ces sanctions, irrégulières en la forme, doivent être annulées.

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Avertissement – Entretien préalable – Conditions

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 20 décembre 2018), M. [O], engagé par l'Association tutélaire des Hautes-Pyrénées AT 65, suivant contrat du 2 juin 2008, en qualité de directeur, a fait l'objet le 16 mars 2015 d'une sanction disciplinaire constituée par une lettre d'observation puis a été licencié pour faute grave le 20 novembre 2015.

2. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'annulation de la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation et de reconnaissance de l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt d'annuler la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation prononcée le 16 mars 2015 et de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts à ce titre, alors :

« 1°/ que selon l'article L. 1332-2 du code du travail ‘'lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié'‘ ; que l'article 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 énumère les sanctions disciplinaires applicables au sein de la branche, au nombre desquelles figure ‘'l'observation'‘, sanction la plus basse susceptible d'être infligée ; que cette sanction n'ayant pas, en elle-même, d'incidence, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié, elle n'a pas à être précédée d'un entretien préalable, peu important que tout licenciement disciplinaire soit conditionné par l'article 33 de la convention au prononcé préalable d'au moins deux sanctions ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et L. 1332-2 du code du travail ;

2°/ qu'en toute hypothèse, le défaut d'entretien préalable à une mesure de sanction disciplinaire, pouvant aller jusqu'au licenciement, constitue un simple vice de procédure qui n'entache pas en lui-même de nullité la sanction disciplinaire régulièrement notifiée au salarié ; qu'à le supposer obligatoire, l'absence d'entretien préalablement à la notification de l'observation disciplinaire faite à M. [O] constituait tout au plus, en conséquence, une irrégularité de procédure qui n'entachait pas la sanction de nullité ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a derechef violé les articles 33 de la convention collective nationale des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966 et L. 1332-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, il résulte de l'article L. 1332-2 du code du travail que si l'employeur n'est en principe pas tenu de convoquer un salarié à un entretien avant de lui notifier un avertissement ou une sanction de même nature, il en va autrement lorsque, au regard des dispositions d'une convention collective, la sanction peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise. Tel est le cas lorsque la convention collective, instituant une garantie de fond, subordonne le licenciement d'un salarié à l'existence de deux sanctions antérieures.

6. Ensuite, la cour d'appel n'a fait qu'user du pouvoir qu'elle tient de l'article L. 1333-2 du code du travail en décidant que l'irrégularité de la sanction disciplinaire justifiait son annulation.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief à l'arrêt de juger le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à lui payer des sommes à titre de rappel de salaires pendant la période de mise à pied, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner à rembourser aux organismes intéressés les indemnités de chômage versées au salarié, alors « que le juge ne peut soulever d'office un moyen sans inviter les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant, pour déduire l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, qu'il avait été prononcé par la présidente de l'association A.T 65, et non par le conseil d'administration, en méconnaissance des statuts de l'association, sans inviter préalablement les parties à fournir leurs explications sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

9. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

10. Pour juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que l'article 16 des statuts prévoyant que ‘'le conseil d'administration, sur proposition du bureau choisit un directeur d'association dont la fonction est directement attachée au président'‘, la règle du parallélisme des formes conduisait à admettre qu'il appartenait également au conseil d'administration de démettre le directeur de ses fonctions. Il relève ensuite que si le conseil d'administration avait bien pris la décision d'engager la procédure disciplinaire, il n'avait plus été réuni pour décider du licenciement du salarié, cette sanction ayant été décidée par la seule présidente. Il conclut que le pouvoir de licencier étant conféré par les statuts au conseil d'administration, le manquement à cette règle n'était pas susceptible de régularisation, de sorte que le licenciement prononcé par un organe qui n'en avait pas le pouvoir était sans cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il annule la sanction disciplinaire constituée par la lettre d'observation du 16 mars 2015, condamne l'Association tutélaire des Hautes Pyrénées AT 65 à payer à M. [O] la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts et confirme le jugement ayant débouté M. [O] de sa demande de rappel de salaire basée sur une augmentation d'indice, l'arrêt rendu le 20 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;

Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Agen.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Le Lay - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1333-2 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation à la charge de l'employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable avant la notification d'un avertissement lorsque cet avertissement peut avoir une influence sur le maintien du salarié dans l'entreprise, à rapprocher : Soc., 3 mai 2011, pourvoi n° 10-14.104, Bull. 2011, V, n° 104 (1) (cassation).

Soc., 8 septembre 2021, n° 19-15.039, (B)

Cassation

Employeur – Pouvoir disciplinaire – Sanction – Formalités préalables – Formalités prévues par une convention collective ou un règlement intérieur – Consultation d'un organisme pour avis – Nature – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 19 décembre 2018) M. [E] a été engagé le 19 avril 1990 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Nord Midi-Pyrénées pour occuper en dernier lieu les fonctions de directeur d'agence. Il a été licencié pour faute le 25 novembre 2013 après avis du conseil de discipline.

2. Contestant son licenciement et invoquant le non-respect de la procédure disciplinaire conventionnelle, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. L'employeur fait grief à l'arrêt de constater la nullité de la procédure disciplinaire, de dire le licenciement du salarié sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer à celui-ci une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'ordonner le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage payées au salarié dans la limite d'un mois et de le condamner au paiement des entiers dépens, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole que lorsqu'un salarié est convoqué devant le conseil de discipline, l'employeur doit procéder à la « communication de son dossier », au salarié comme au conseil, au moins 8 jours à l'avance ; que le dossier peut consister en un rapport synthétique détaillant les agissements reprochés au salarié, les éléments de preuve recueillis pouvant quant à eux être seulement tenus à disposition du salarié comme du conseil ; que la cour d'appel a elle-même constaté que le dossier adressé au salarié et au conseil de discipline contenait le même document, à savoir une synthèse des griefs imputés au salarié par l'employeur, et que les éléments de l'enquête interne réalisée par l'employeur et ayant révélé les faits reprochés au salarié avaient été tenus à sa disposition ainsi qu'à celle du conseil de discipline, aucun des deux n'ayant cependant souhaité en prendre connaissance ; qu'en jugeant cependant que l'employeur avait méconnu les exigences de l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole instituant une garantie de fond au bénéfice des salariés, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 dans sa version applicable au litige du code du travail ;

2°/ qu'il résulte de l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole que lorsque d'un salarié est convoqué devant le conseil de discipline, l'employeur doit procéder à la « communication de son dossier », au salarié comme au conseil, au moins 8 jours à l'avance ; que la communication incomplète du dossier, certains éléments n'étant communiqués ni au salarié ni au conseil de discipline, mais seulement tenus à leur disposition, ne caractérise pas la violation d'une garantie de fond, sauf si cette irrégularité a eu pour effet de priver le salarié de la faculté d'assurer utilement sa défense ; que la cour d'appel a constaté que la communication du dossier faite de la même façon au salarié et au conseil de discipline ne contenait que la synthèse des griefs imputés au salariés, à l'exclusion des éléments de l'enquête interne ayant permis de les découvrir ; que la cour d'appel en a déduit la violation d'une garantie de fond dès lors que la communication du dossier a pour objet de permettre au salarié d'assurer sa défense utilement devant le conseil de discipline chargé de donner un avis sur la mesure de licenciement envisagée par l'employeur ; qu'en statuant ainsi, après avoir elle-même constaté que le conseil de discipline avait été destinataire des mêmes éléments que le salarié, que ni l'un ni l'autre n'avaient sollicité d'autres éléments bien que le procès-verbal de la réunion du conseil de discipline précisait que « les pièces correspondant aux faits exposés sont tenus à disposition des membres du conseil de discipline et de M. [X] [E]" et que le salarié avait admis avoir procédé aux ristournes qui lui étaient reprochées, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé que la remise d'un dossier incomplet avait eu pour effet de priver le salarié de la faculté d'assurer utilement sa défense, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole, ensemble les articles L. 1232-1 et L. 1235-1 dans sa version applicable au litige du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 modifiée par l'accord du 18 juillet 2002 :

4. La consultation d'un organisme chargé, en vertu d'une disposition conventionnelle ou d'un règlement intérieur, de donner son avis sur un licenciement envisagé par un employeur constitue une garantie de fond, en sorte que le licenciement prononcé sans que cet organisme ait été consulté ne peut avoir de cause réelle et sérieuse.

5. L'irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d'une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu'elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu'elle est susceptible d'avoir exercé en l'espèce une influence sur la décision finale de licenciement par l'employeur.

6. Aux termes de l'article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 modifiée par l'accord du 18 juillet 2002 relatif au conseil de discipline, le conseil de discipline est chargé de formuler un avis sur les sanctions à donner aux fautes professionnelles susceptibles d'entraîner la rétrogradation ou le licenciement du personnel titulaire.

L'agent recevra communication de son dossier au moins huit jours à l'avance et pourra se faire assister d'un salarié de la caisse régionale choisi par lui.

Les membres du conseil de discipline auront, dans les mêmes délais, communication du dossier.

7. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient que le terme « communication du dossier » signifie communication de l'entier dossier sur lequel l'employeur fonde ses poursuites disciplinaires, et non communication d'un seul élément dudit dossier, ceci afin de permettre aux membres du conseil de discipline d'appréhender de façon claire la situation qui leur est soumise et au salarié d'assurer sa défense utilement devant ce conseil de discipline chargé de donner un avis sur la mesure de licenciement envisagée par l'employeur. Il énonce que cette disposition conventionnelle, qui institue une protection des droits de la défense supérieure à celle prévue par la loi, constitue une garantie de fond. Il ajoute que la convocation du salarié devant le conseil de discipline ne comportait en pièce jointe que le rapport de synthèse établi par la direction de l'établissement bancaire à l'encontre du salarié, alors que le dossier disciplinaire comportait également les éléments d'enquête interne constitués par le rapport d'audit de contrôle périodique et ses annexes comportant la liste détaillée des opérations de ristournes analysées. Il précise qu'il est indifférent que les membres du conseil de discipline aient reçu le même dossier et que le salarié n'ait pas sollicité d'autres éléments que le rapport de synthèse détaillant les faits reprochés.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher si l'irrégularité constatée avait privé le salarié de la possibilité d'assurer utilement sa défense devant le conseil de discipline, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Duvallet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 13 de la convention collective nationale du Crédit agricole du 4 novembre 1987 modifiée par l'accord du 18 juillet 2002.

Rapprochement(s) :

Sur l'obligation de consulter l'instance disciplinaire dont l'avis est imposé par des dispositions conventionnelles, avant tout licenciement disciplinaire, à rapprocher : Soc., 28 mars 2000, pourvoi n° 97-43.411, Bull. 2000, V, n° 136 (rejet) ; Soc., 22 octobre 2008, pourvoi n° 06-46.215, Bull. 2008, V, n° 198 (cassation partielle), et l'arrêt cité. Sur le principe selon lequel l'instance disciplinaire doit rendre son avis selon une procédure régulière, à rapprocher : Soc., 16 janvier 2001, pourvoi n° 98-43.189, Bull. 2001, V, n° 9 (cassation) ; Soc., 16 septembre 2008, pourvoi n° 07-41.532, Bull. 2008, V, n° 159 (rejet) ; Soc., 3 juin 2009, pourvoi n° 07-42.432, Bull. 2009, V, n° 142 (1) (cassation).

Soc., 15 septembre 2021, n° 19-25.613, (B)

Cassation partielle

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Impossibilité – Cas – Liquidation amiable – Liquidation en raison de la cessation totale d'activité – Cessation d'activité de l'entreprise n'appartenant pas à un groupe – Cessation d'activité caractérisant la nature économique du licenciement – Conditions – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 15 octobre 2019), M. [F], engagé le 5 septembre 1994 par la société [G] (la société), a été victime d'un accident du travail le 10 décembre 2015 puis placé en arrêt de travail.

2. Le 3 mars 2017, il a été décidé de la liquidation amiable de la société à la suite de la cessation d'activité de celle-ci compte tenu du départ en retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur. M. [G] a été désigné en qualité de liquidateur amiable.

3. A l'issue d'une visite de reprise du 24 mars 2017, le salarié a été déclaré inapte à son poste ; il a été licencié pour motif économique le 25 mars 2017.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié des dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et une somme au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, alors « que l'employeur peut licencier, pour motif économique, le salarié déclaré inapte à reprendre son précédent emploi par le médecin du travail, en cas de cessation définitive d'activité et d'impossibilité de reclassement ; qu'en l'espèce, M. [F] a été licencié pour motif économique, pour cessation définitive d'activité entraînant la suppression de son emploi et l'impossibilité de le reclasser ; qu'en considérant pourtant « qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude de M. [C] [F] le 24 mars 2017, la Sas [G] ne pouvait plus le licencier le 25 mars 2017 pour motif économique et se devait d'appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévu aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail », pour en déduire que le licenciement du salarié, en tant qu'il est fondé sur un motif économique, était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 1233-3 et L. 1226-12 du code du travail ».

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Le salarié conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la critique est irrecevable, comme étant incompatible avec la thèse que l'employeur avait soutenue devant la cour d'appel.

6. Cependant, le moyen n'est pas incompatible avec la thèse soutenue par l'employeur devant la cour d'appel lequel avait fait valoir que lorsque l'entreprise cesse totalement son activité et n'appartient à aucun groupe, le liquidateur peut poursuivre la procédure de licenciement pour motif économique.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles L. 1233-3 et L. 1226-10, alinéa 1er, du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 applicable en la cause :

8. Aux termes du premier de ces textes, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à la cessation d'activité de l'entreprise.

9. Selon le second de ces textes, lorsque le salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle est déclaré inapte par le médecin du travail, en application de l'article L. 4624-4, à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités.

10. Pour dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et allouer au salarié des sommes au titre de la rupture, l'arrêt, après avoir constaté que la cessation de l'activité de l'entreprise du fait du départ à la retraite de son dirigeant et de l'absence de repreneur était réelle, retient qu'ayant eu connaissance de l'avis d'inaptitude le 24 mars 2017, l'employeur ne pouvait plus licencier le salarié le 25 mars 2017 pour motif économique et devait appliquer la législation d'ordre public relative au licenciement pour inaptitude prévue aux articles L. 1226-10 et suivants du code du travail.

L'arrêt en déduit que le licenciement du salarié en tant qu'il est fondé sur un motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

11. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le motif économique du licenciement, non remis en cause par le salarié, ressortissait à la cessation définitive de l'activité de la société et qu'il n'était pas prétendu que la société appartenait à un groupe, ce dont se déduisait l'impossibilité de reclassement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation prononcée emporte la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt relatif à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, condamne la société [G], prise en la personne de son liquidateur amiable, M. [G], à payer à M. [F] les sommes de 22 536 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, celle de 26 633,22 euros au titre du solde de l'indemnité spéciale de licenciement, condamne la société [G], prise en la personne de son liquidateur amiable, M. [G], aux dépens d'appel et à payer à M. [F] la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande à ce titre, l'arrêt rendu le 15 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Duval - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Articles L. 1233-3 et L. 1226-10 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016.

Rapprochement(s) :

Sur l'étendue des obligations incombant à l'employeur en cas de licenciement pour motif économique d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, à rapprocher : Soc., 4 octobre 2017, pourvoi n° 16-16.441, Bull. 2017, V, n° 168 (cassation partielle).

Soc., 15 septembre 2021, n° 20-14.064, (B)

Cassation partielle

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Obligation de l'employeur – Propriétaire de succursales de commerces de détail alimentaire – Statut des gérants non salariés – Périmètre de l'obligation – Limites – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 19 décembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 11 juillet 2018, pourvoi n° 17-13.416), M. et Mme [G] ont conclu avec la société Distribution Casino France (la société) un contrat de gérance non salarié.

2. Le contrat de M. [G] (le gérant) a été rompu le 20 janvier 2014 pour inaptitude.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de déclarer abusive la résiliation du contrat de gérance non salariée, ladite résiliation étant assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dire que la rupture du contrat de gérance non salariée a été accompagnée de circonstances vexatoires préjudiciables pour le gérant imputables à la société, de la condamner à payer au gérant certaines sommes à titre d'indemnité de préavis, des congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts au titre des circonstances vexatoires de la rupture, de l'article 700 du code de procédure civile, de rejeter les prétentions de la société notamment sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner aux dépens, alors « que si les articles L. 1226-2 et suivants du code du travail sont applicables aux gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire, le propriétaire de la succursale ne peut être tenu de proposer à un gérant mandataire déclaré inapte à son emploi, au titre du reclassement, qu'un autre poste de gérant non-salarié, et non un emploi salarié ; qu'en retenant au contraire que la société ne pouvait soutenir que le reclassement ne pouvait être envisagé que sur des postes de cogérants mandataires non-salariés, à l'exclusion de tout emploi salarié, la cour d'appel a violé les textes susvisés, ensemble les articles L. 7322-1 et suivants du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1226-10, dans sa version issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, L. 1226-12 du code du travail dans sa version antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 applicables au litige et L. 7322-1 du même code :

4. Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que les dispositions des articles L. 1226-10 et L. 1226-12 du code du travail leur sont applicables.

L'obligation de reclassement en cas d'inaptitude du gérant non salarié des succursales de commerce de détail alimentaire, s'exécute néanmoins dans le cadre du statut défini par l'article L. 7322-2 du code du travail, de sorte que l'entreprise propriétaire de la succursale n'est pas tenue d'étendre sa recherche aux emplois relevant d'un autre statut.

5. Pour déclarer abusive la résiliation du contrat de gérance non salariée, et condamner la société à payer au gérant certaines sommes à titre d'indemnité de préavis, des congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts au titre des circonstances vexatoires de la rupture, l'arrêt retient que l'obligation de reclassement vise tout poste compatible avec les préconisations du médecin du travail, indépendamment du statut salarié ou non salarié, aussi comparable que possible à l'ancien poste et adapté aux capacités de l'intéressé.

6. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare irrecevable M. [G] en sa demande indemnitaire nouvelle en ce qu'elle vise la réparation de manquements allégués de la société Distribution Casino France à son obligation relative à sa santé et à sa sécurité, l'arrêt rendu le 19 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Ricour - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Articles L. 1226-10, dans sa version issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, L. 1226-12, dans sa version antérieure à la loi n° 2015-994 du 17 août 2015, et L. 7322-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur l'application aux gérants non salariés de succursales des dispositions du code du travail relatives à l'inaptitude du salarié, à rapprocher : Soc., 5 octobre 2016, pourvoi n° 15-22.730, Bull. 2016, V, n° 185 (1) (cassation partielle), et l'arrêt cité.

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