Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

CONTRAT DE TRAVAIL, DUREE DETERMINEE

Soc., 15 septembre 2021, n° 19-21.311, (B)

Cassation partielle

Rupture – Résiliation anticipée – Rupture illégale – Sanction – Dommages-intérêts – Indemnisation minimum – Indemnisation complémentaire – Conditions – Détermination – Portée

L'article L. 1243-4 du code du travail, qui fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé.

Il en résulte que le salarié peut réclamer la réparation d'un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l'exploitation d'albums non produits dès lors qu'il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mai 2019), la société Universal Music France (la société) a, le 19 septembre 2014, signé avec M. [S] un contrat à durée déterminée d'une durée minimale de quarante-deux mois, suivant lequel ce dernier concédait à la société l'exclusivité de la fixation de ses interprétations, de la reproduction sur tous supports, par tout procédé de la communication au public de ses enregistrements audio et, ou audiovisuels d'oeuvres musicales pour le monde entier en vue de la réalisation de trois albums phonographiques, moyennant le versement d'un salaire par enregistrement, de redevances assises sur le produit de la vente des enregistrements et d'avances sur les redevances.

2. Après la réalisation et la commercialisation du premier album, la société a mis fin au contrat de façon anticipée le 25 septembre 2015.

3. M. [S] a saisi la juridiction prud'homale pour qu'il soit jugé que le contrat avait été abusivement rompu avant le terme fixé et que lui soient allouées des sommes en conséquence.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance, alors « que l'article L. 1243-4 du code du travail qui ouvre droit pour le salarié dont le contrat à durée déterminée a été rompu de façon illicite, à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, fixe seulement le minimum des dommages intérêts qu'il doit percevoir et lui permet notamment d'être indemnisé également de la perte de chance consécutive à cette rupture, de percevoir des gains qu'ils soient d'ordre salarial ou non ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que la rupture illicite du contrat à durée déterminée avait empêché la réalisation de deux des albums faisant l'objet du contrat, ce qui induisait un préjudice direct et certain résultant de la perte d'une chance de percevoir les gains liés à la vente et à l'exploitation de ces oeuvres ; qu'en refusant d'indemniser cette perte de chance qu'elle constatait, constituant une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention, au motif pris que les gains ainsi perdus n'étaient pas des salaires, la cour d'appel a ajouté une condition aux dispositions de l'article L. 1243-4 du code du travail, qu'elle a violées. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1243-3 du code du travail :

5. Selon ce texte, la rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée qui intervient à l'initiative de l'employeur, en dehors des cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail, ouvre droit pour le salarié à des dommages-intérêts d'un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, sans préjudice de l'indemnité de fin de contrat prévue à l'article L. 1243-8.

6. Pour débouter le salarié de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance, l'arrêt, après avoir dit que le contrat avait été rompu de manière illicite avant le terme fixé, retient que le contrat dit d'exclusivité conclu entre M. [S] et la société est un contrat mixte, qui prévoit, d'une part, le versement de salaires et d'avances forfaitaires assimilées à des salaires, d'autre part, la cession au producteur des différents droits moraux de l'artiste, en contrepartie de redevances qui n'ont pas la nature de salaires.

7. Il ajoute que le préjudice subi par le salarié en raison de la rupture anticipée par la société agissant en qualité d'employeur du contrat les liant est, pour ce qui concerne cette relation contractuelle salariée, un préjudice spécifique dont la réparation est prévue par l'article L. 1243-4 du code du travail, distinct de celui causé par la partie du contrat relative à la cession de ses droits moraux au producteur.

8. Il en déduit qu'en application de cette disposition ne peut être incluse, dans l'appréciation du préjudice du salarié, la perte économique née de la privation des redevances à percevoir sur les albums que le producteur a décidé de ne pas produire alors qu'il s'y était engagé de manière ferme, et que ce préjudice ne peut être constitué que des rémunérations à caractère salarial qui auraient été versées au salarié jusqu'à l'échéance du contrat.

9. A ce titre il estime que n'entre pas dans ce périmètre selon l'article L. 7121-8 du code du travail, la rémunération due à l'artiste à l'occasion de la vente ou de l'exploitation de l'enregistrement de son interprétation, exécution ou présentation par l'employeur ou tout autre utilisateur dès que la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement qui est fonction du produit de la vente ou de l'exploitation de cet enregistrement.

10. Il en conclut qu'il y a lieu d'exclure de l'indemnisation demandée sur le fondement de l'article L. 1243-4 du code du travail les demandes se rapportant aux droits d'interprètes relatifs à l'exploitation des albums en ce que ces droits ne sont pas des salaires et ne peuvent y être assimilés en application de l'article L. 7121-8 du même code puisque la présence physique de l'artiste n'est plus requise pour exploiter cet enregistrement et qu'il en est de même des cachets consécutifs à des représentations publiques et scéniques contribuant au développement de sa promotion.

11. En statuant ainsi, alors que l'article L. 1243-4 du code du travail, qui fixe seulement le montant minimum des dommages-intérêts dû au salarié, dont le contrat à durée déterminée a été rompu avant son terme de manière illicite, à un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat, ne limite pas le préjudice dont il peut réclamer réparation aux seules rémunérations dont il aurait été privé, en sorte que ce dernier peut réclamer la réparation d'un préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l'exploitation des albums non produits dès lors qu'il rapporte la preuve du caractère direct et certain de ce préjudice et que celui-ci constitue une suite immédiate et directe de l'inexécution de la convention, la cour d'appel, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [S] de ses demandes en indemnisation d'une perte de chance, l'arrêt rendu le 29 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Ala - Avocat général : Mme Roques - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article L. 1243-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la prise en compte du préjudice causé par la perte de chance de percevoir des gains liés à la vente et à l'exploitation d'albums non produits en cas de rupture illicite d'un contrat à durée déterminée avant son terme, à rapprocher : Soc., 3 juillet 2019, pourvoi n° 18-12.308, Bull. 2019, (rejet).

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