Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

BAIL COMMERCIAL

3e Civ., 9 septembre 2021, n° 19-19.285, (B)

Cassation partielle sans renvoi

Prix – Fixation du loyer du bail renouvelé – Plafonnement – Exceptions – Modification notable des caractéristiques du local considéré – Modification ayant une incidence favorable sur l'activité du preneur – Nécessité (non)

Ayant constaté que des travaux décidés et réalisés par le locataire, dont il n'était pas soutenu qu'ils fussent d'amélioration, avaient modifié notablement les caractéristiques des locaux loués au cours du bail expiré, une cour d'appel, qui n'était pas tenue de rechercher si cette modification notable avait eu incidence favorable sur l'activité exercée par le locataire, a exactement retenu que cette modification notable justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 2 mai 2019), la société des Hôtels et Casino de Deauville (la bailleresse) a donné à bail, à compter du 1er juillet 2002, des locaux à usage commercial à la société Emma, aux droits de laquelle vient la société Quentrom (la locataire).

2. Le 31 juillet 2013, après avoir proposé le renouvellement du bail à compter du 1er juillet 2011 dans un congé délivré le 28 décembre 2010, la bailleresse a saisi le juge des loyers commerciaux en fixation du loyer du bail renouvelé.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches

Enoncé du moyen

4. La locataire fait grief à l'arrêt de fixer à la somme de 136 543 euros hors taxe et hors charges, à compter du 1er juillet 2011, le montant du loyer du bail renouvelé, toutes autres charges et conditions maintenues, alors :

« 4°/ qu'en toute hypothèse, une modification des caractéristiques des locaux loués intervenue au cours du bail expiré ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu'autant qu'elle a eu une incidence favorable sur l'activité exercée par le preneur ; qu'en retenant, au contraire, qu'une modification notable des caractéristiques des locaux loués suffisait à justifier le déplafonnement du loyer du bail renouvelé par application des dispositions combinées des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce, la cour d'appel a violé ces textes ;

5°/ qu'en tout état de cause, une modification des caractéristiques des locaux loués intervenue au cour du bail expiré ne peut constituer un motif de déplafonnement du nouveau loyer qu'autant qu'elle a eu une incidence favorable sur l'activité exercée par le preneur ; qu'en se bornant à retenir que par leur nature et leur incidence sur la configuration des locaux donnés à bail, les prétendus travaux relevés auraient constitué une modification notable des caractéristiques des locaux loués, sans rechercher, au besoin d'office, si cette modification était favorable à l'activité commerciale exercée par la société Quentrom, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante, dès lors qu'elle avait constaté que les travaux, dont il n'était pas soutenu qu'ils fussent d'amélioration et qui avaient été décidés et réalisés par la locataire, avaient, au cours du bail expiré, modifié notablement les caractéristiques des locaux loués, a exactement retenu que cette modification notable des caractéristiques des locaux loués justifiait, à elle seule, le déplafonnement du loyer du bail renouvelé.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. La société Quentrom fait grief à l'arrêt d'assortir les arriérés de loyers d'intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2011, alors « que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du loyer ; qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la SHCD n'a assigné la société Quentrom en fixation du loyer du bail renouvelé que par acte du 31 juillet 2013 ; qu'en retenant, néanmoins, que les arriérés de loyers seraient productifs d'intérêts au taux légal à compter du 1er juillet 2011, la cour d'appel a violé l'article 1155, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

8. La bailleresse conteste la recevabilité du moyen comme étant nouveau.

9. Cependant, le moyen, qui ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond, est de pur droit.

10. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1155 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

11. Il résulte de ce texte que les revenus échus, tels que fermages, loyers, arrérages de rentes perpétuelles ou viagères, produisent intérêt du jour de la demande ou de la convention.

12. La cour d'appel a fixé le point de départ des intérêts au taux légal sur l'arriéré de loyer au 1er juillet 2011, date à laquelle le bail commercial a été renouvelé.

13. En statuant ainsi, alors que les intérêts dus sur la différence entre le loyer du bail renouvelé et le loyer payé depuis le renouvellement courent, en l'absence de convention contraire, à compter de la délivrance de l'assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

14. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Quentrom à payer à la société Hôtels et Casino de Deauville les intérêts au taux légal sur l'arriéré résultant du loyer déplafonné depuis le 1er juillet 2011, l'arrêt rendu le 2 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la disposition cassée ;

Condamne la société Quentrom à payer à la Société des Hôtels et Casino de Deauville, à compter du 31 juillet 2013, les intérêts au taux légal sur les échéances échues entrant dans le calcul de l'arriéré résultant de la fixation du loyer du bail renouvelé le 1er juillet 2011 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Andrich - Avocat général : Mme Guilguet-Pauthe - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer -

Textes visés :

Articles L. 145-33 et L. 145-34 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 14 septembre 2011, pourvoi n° 10-30.825, Bull. 2011, III, n° 147 (cassation), et les arrêts cités.

3e Civ., 23 septembre 2021, n° 20-17.799, (B)

Rejet

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Exercice – Offre de vente – Régularité – Conclusion d'une promesse unilatérale de vente sous condition suspensive – Absence d'influence

La régularité de l'offre de vente, prévue par l'article L. 145-46-1, alinéa 1, du code de commerce, adressée par le bailleur à son locataire préalablement à la vente du local commercial loué, n'est affectée ni par la conclusion par le bailleur d'un mandat de vente confié à une agence immobilière, ni par des visites du bien loué, ni par la conclusion d'une promesse unilatérale de vente sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur.

Si cette offre de vente ne peut inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d'un agent immobilier, dès lors qu'aucun intermédiaire n'est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l'effet de la loi, la cour d'appel a retenu exactement que la seule mention dans la notification de vente du montant des honoraires de l'agent immobilier en sus du prix principal, laquelle n'avait introduit aucune confusion dans l'esprit du preneur, qui savait ne pas avoir à en supporter la charge et qui pouvait accepter le prix proposé hors frais d'agence, n'était pas une cause de nullité de l'offre de vente.

Vente de la chose louée – Droit de préemption du preneur à bail – Exercice – Commission de l'agent immobilier – Mention dans la notification de vente – Effets – Nullité de l'offre de vente – Exclusion

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 27 mai 2020), le 16 mai 2006, [W] [T], décédé le [Date décès 1] 2016, a donné en location à la société Clerc, devenue la société Hôtel de Latour Maubourg, un immeuble à usage d'hôtel qu'il a légué à l'association Cultuelle Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (l'association).

2. Le 24 octobre 2018, la propriétaire a fait signifier à la locataire la lettre recommandée qu'elle lui avait adressée le 19 octobre précédent, valant offre de vente de l'immeuble loué au prix de 5 050 000 euros, outre une commission d'agence immobilière, aux frais de l'acquéreur, de 300 000 euros.

3. Par lettre recommandée du 29 octobre 2018, la société Hôtel de Latour Maubourg a contesté la régularité l'offre.

4. Ayant le 9 novembre 2018 consenti à la société Chatel Transaction une promesse unilatérale de vente de l'immeuble au prix de 5 050 000 euros la propriétaire a assigné la locataire aux fins de constatation de la purge du droit de préférence de celui-ci.

Examen des moyens

Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

6. La société Hôtel de Latour Maubourg fait grief à l'arrêt de juger que l'association a régulièrement signifié à la locataire une offre de vente de l'immeuble et que cette offre n'a pas été acceptée par le preneur, alors :

« 1°/ qu'en application de l'alinéa 1er de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d'ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente ; qu'il s'ensuit que l'offre de vente est nulle pour avoir été délivrée au preneur après que le bailleur a trouvé un acquéreur, à la suite du mandat donné à l'agent immobilier lui ayant donné deux avis de valeur, concomitamment à la conclusion d'une promesse unilatérale de vente réservant l'exercice du droit de préférence par le preneur ; qu'en décidant cependant qu'il était au pouvoir de l'association de confier un mandat de vente à l'agent immobilier après lui avoir demandé un avis de valeur, de faire procéder à des visites du bien, sans attendre la notification au preneur d'une offre de préemption, et de conclure une promesse unilatérale de vente sous réserve du droit de préférence du preneur, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce ;

2°/ que l'existence d'un droit prioritaire d'acquisition au profit du preneur s'oppose à ce qu'il soit purgé au stade de la signature de la promesse unilatérale de vente, peu important qu'elle ne vaille pas vente ; qu'en relevant incidemment que la notification a été faite préalablement à la vente, la promesse de vente ne valant pas vente, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a exactement retenu que, la notification de l'offre de vente ayant été adressée préalablement à la vente, l'association avait pu confier à la société Immopolis un mandat de vente le 3 mars 2018, puis faire procéder à des visites du bien et que le fait qu'elle ait conclu, le 8 novembre 2018, une promesse unilatérale de vente, sous la condition suspensive tenant au droit de préférence du preneur, n'invalidait pas l'offre de vente.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

9. La société Hôtel de Latour Maubourg fait les mêmes griefs à l'arrêt, alors « qu'en application de l'alinéa 1er de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, disposition d'ordre public, le bailleur qui envisage de vendre son local commercial doit préalablement notifier au preneur une offre de vente qui ne peut inclure des honoraires de négociation ; qu'il s'ensuit que l'offre de préemption est nulle dès lors qu'elle indique les frais d'agence, serait-ce séparément du prix de l'immeuble ; qu'en décidant que la mention des frais d'agence n'a introduit aucune confusion dans l'esprit du preneur qui était à même de les distinguer du prix de vente en principal, la cour d'appel a violé l'article L. 145-46-1 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

10.La cour d'appel a, par motifs adoptés, retenu, à bon droit, que, si l'offre de vente notifiée au preneur à bail commercial ne peut inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d'un agent immobilier, dès lors qu'aucun intermédiaire n'est nécessaire ou utile pour réaliser la vente qui résulte de l'effet de la loi, la seule mention dans la notification de vente, en sus du prix principal, du montant des honoraires de l'agent immobilier, laquelle n'avait introduit aucune confusion dans l'esprit du preneur, qui savait ne pas avoir à en supporter la charge, n'est pas une cause de nullité de l'offre de vente.

11. Elle a constaté que, sur l'offre de vente notifiée à la société Hôtel de Latour Maubourg, qui mentionnait le montant des honoraires de l'agence, le prix de vente en principal était clairement identifié.

12. Elle a retenu exactement que, le preneur pouvant accepter le prix proposé, hors frais d'agences, l'offre de vente n'était pas nulle.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. David - Avocat général : M. Sturlèse - Avocat(s) : SCP Boullez ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 145-46-1 du code de commerce.

Rapprochement(s) :

3e Civ., 28 juin 2018, pourvoi n° 17-14.605, Bull. 2018, III, n° 76 (rejet).

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