Numéro 9 - Septembre 2021

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2021

ASSURANCE (règles générales)

2e Civ., 16 septembre 2021, n° 19-25.529, (B)

Cassation

Garantie – Exclusion – Conditions – Information précise de l'assuré (article L. 112-2) – Cas – Renouvellement à l'identique

Selon l'article L. 112-2 du code des assurances, l'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information avant la conclusion du contrat et remettre à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions.

Viole ce texte, la cour d'appel qui décide qu'un assureur est fondé à refuser sa garantie au titre de l'invalidité, au motif que lors de la demande de renouvellement à l'identique formulée par l'assuré d'un contrat précédent, garantissant ce risque ainsi que le décès, il lui avait été indiqué que son adhésion était acceptée pour le risque décès avec l'application d'une surprime. En effet, ni cette réponse ni la comparaison entre les termes de celle faite à la première demande d'adhésion et ceux de la réponse à la demande de renouvellement ne permettaient de considérer que l'assuré avait été précisément informé, lors du renouvellement du contrat, du refus de l'assureur de garantir le risque invalidité.

Garantie – Etendue – Obligation d'information précise de l'assuré – Cas – Renouvellement à l'identique

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 24 octobre 2019), M. [S] avait adhéré en 2011, pour une durée de trois ans, à un contrat d'assurance de groupe souscrit auprès de la société Quatrem (l'assureur), couvrant notamment les risques décès, perte totale et irréversible d'autonomie et incapacité totale de travail, en vue de garantir le remboursement, notamment, d'un prêt consenti sous forme de découvert par une banque.

2. Après que M. [S] avait rempli et signé le 4 juin 2014 un bulletin d'adhésion aux termes duquel il demandait, au titre du même contrat d'assurance de groupe, le bénéfice de garanties identiques, la société Quatrem lui a adressé une lettre du 26 septembre 2014 mentionnant que son adhésion avait été « acceptée aux conditions suivantes : DÉCÈS : garantie acceptée avec application d'une surprime de 150 % ».

3. M. [S] s'étant trouvé dans l'incapacité de reprendre son activité professionnelle après avoir été victime, le 12 janvier 2015, d'un accident vasculaire cérébral, a demandé à l'assureur le bénéfice de la garantie d'incapacité de travail.

4. Ce dernier, se référant à sa lettre du 26 septembre 2014, lui a indiqué que seule la garantie décès avait été souscrite.

5. M. [S] a alors assigné l'assureur, ainsi que la banque, afin d'obtenir la mise en oeuvre de la garantie d'incapacité de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses première et cinquième branches, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

7. M. [S] fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes contre l'assureur, alors :

« 2°/ que dans une assurance de groupe, l'assureur qui propose sa garantie pour des risques définis dans la demande d'adhésion de l'assuré est tenu, lorsqu'il n'entend pas accorder sa garantie à cet assuré pour tous ces risques, de rapporter la preuve qu'il a précisément porté cette restriction de garantie à la connaissance de l'assuré ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que M. [S] n'était pas fondé à solliciter de la société Quatrem la garantie du risque d'ITT dès lors que, par un bulletin d'adhésion du 4 juin 2014, il avait sollicité les mêmes garanties que celles dont il disposait auparavant, à savoir les risques décès, PTIA et ITT pour la couverture de son découvert permanent, mais que, par une lettre du 26 septembre 2014, la société Quatrem, par l'intermédiaire de son service médical, l'avait informé qu'après examen par le médecin conseil, l'adhésion sollicitée avait été acceptée aux conditions suivantes : « DECES : garantie acceptée avec application d'une surprime de 150 % », quand cette lettre de l'assureur, qui se bornait à faire état d'une acceptation de l'adhésion sollicitée avec une surprime pour le risque décès, n'était pas de nature à informer l'intéressé du refus de garantir les risques de PTIA et d'ITT et de permettre, par suite, à l'assureur d'opposer une absence de garantie de ces risques, la cour d'appel a violé l'article L. 112-2 du code des assurances ;

3°/ que dans une assurance de groupe, l'assureur qui propose sa garantie pour des risques définis dans la demande d'adhésion de l'assuré est tenu, lorsqu'il n'entend pas accorder sa garantie à cet assuré pour tous ces risques, de rapporter la preuve qu'il a précisément porté cette restriction de garantie à la connaissance de l'assuré ; qu'en ajoutant, pour se déterminer comme elle l'a fait, que, par une lettre du 5 juillet 2011, la société Quatrem avait informé M. [S] que son adhésion au contrat avait été acceptée aux conditions suivantes : « - DECES : garantie acceptée aux conditions contractuelles :- PERTE TOTALE ET IRREVERSIBLE D'AUTONOMIE - INCAPACITE DE TRAVAIL : garanties acceptées à l'exclusion des incapacités et de la perte d'autonomie qui résulteraient des suites et conséquences de la coxarthrose bilatérale » et que la comparaison entre la lettre du 5 juillet 2011 et celle du 26 septembre 2014 faisait clairement apparaître qu'en 2014, les garanties PTIA et ITT n'avaient pas été acceptées par l'assureur alors qu'elles l'avaient été en 2011, la cour d'appel, qui n'a pas davantage caractérisé l'information claire et précise donnée à M. [S] sur une restriction des garanties accordées suite à sa demande d'adhésion formulée le 4 juin 2014, a violé l'article L. 112-2 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 112-2 du code des assurances :

8. Selon ce texte, l'assureur doit obligatoirement fournir une fiche d'information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat, et remettre à l'assuré un exemplaire du projet de contrat et de ses pièces annexes ou une notice d'information sur le contrat qui décrit précisément les garanties assorties des exclusions.

9. Pour décider que l'assureur ne devait pas sa garantie, l'arrêt retient que, par l'intermédiaire de son service médical, il a informé M. [S] par lettre du 26 septembre 2014 « qu'après examen par le médecin conseil, l'adhésion sollicitée avait été acceptée aux conditions suivantes :- DÉCÈS : garantie acceptée avec application d'une surprime de 150 % ».

10. Relevant ensuite que, par lettre du 5 juillet 2011, l'assureur avait informé M. [S] que son adhésion au contrat avait été « acceptée aux conditions suivantes :- DÉCÈS : garantie acceptée aux conditions contractuelles - PERTE TOTALE ET IRRÉVERSIBLE D'AUTONOMIE - INCAPACITÉ DE TRAVAIL : garanties acceptées à l'exclusion des incapacités et de la perte d'autonomie qui résulteraient des suites et conséquences de la coxarthrose bilatérale », il conclut que la comparaison entre les deux lettres fait clairement apparaître qu'en 2014, la garantie PTIA et ITT n'avait pas été acceptée par l'assureur alors qu'elle l'avait été en 2011 et que l'absence de cette garantie a été portée par écrit à la connaissance de l'assuré, qui ne peut dès lors en réclamer la mise en oeuvre.

11. En statuant ainsi, alors, d'une part, qu'elle constatait que la nouvelle police remplaçait celle précédemment conclue avec le même assureur, mais qu'elle ne comportait pas les garanties de perte totale et irréversible d'autonomie et d'incapacité totale de travail acquises dans la précédente, d'autre part, qu'elle relevait que, dans son bulletin d'adhésion du 4 juin 2014, M. [S] avait sollicité ces mêmes garanties initialement souscrites, ce dont il résultait que ni la lettre du 26 septembre 2014, qui se bornait à faire état d'une acceptation de l'adhésion sollicitée avec une surprime pour le risque décès, ni sa comparaison avec celle du 5 juillet 2011, n'étaient de nature à informer précisément l'assuré du refus de l'assureur de garantir désormais ces risques, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. Besson - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Jean-Philippe Caston ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 112-2 du code des assurances.

2e Civ., 16 septembre 2021, n° 19-25.678, (B)

Cassation partielle

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Définition – Volonté de créer le dommage survenu – Caractérisation – Nécessité

Selon l'article L.113-1 du code des assurances, la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu et n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l'infraction.

Il résulte des dispositions combinées de ce texte et de l'article 1134, devenu 1103, du code civil que, pour exclure sa garantie en se fondant sur une clause d'exclusion visant les dommages causés ou provoqués intentionnellement par l'assuré, l'assureur doit prouver que l'assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu.

Viole ces textes l'arrêt qui exclut la garantie de l'assureur « responsabilité civile » de l'auteur d'un incendie, alors qu'il résulte de ses propres constatations que ce dernier, qui avait agi dans le but de détruire le bien de sa compagne, n'avait pas eu la volonté de créer le dommage tel qu'il était survenu.

Garantie – Exclusion – Faute intentionnelle ou dolosive – Volonté de créer le dommage survenu

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. [E] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Gan assurances.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 27 août 2019), l'immeuble appartenant à M. [E] a été détruit par un incendie.

Par jugement du tribunal correctionnel, M. [H] a été déclaré coupable de l'infraction de dégradation ou détérioration du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes et condamné à une peine d'emprisonnement.

3. Par décision du 26 septembre 2014, le tribunal correctionnel, statuant sur intérêts civils, a condamné M. [H] à verser à M. [E] la somme de 163 887 euros en réparation du préjudice matériel.

4. M. [E] a perçu de son assureur « multirisque habitation », la société Gan assurances, une somme au titre de l'indemnité immédiate et une partie de l'indemnité différée.

5. La société Gan assurances, exerçant son recours subrogatoire, a réclamé à la société Aviva assurances, assureur de l'auteur des dommages, le règlement de la somme payée, à titre amiable, à son assuré.

6. La société Aviva assurances lui a opposé un refus, au regard de l'exclusion de garantie prévue au contrat « multirisque habitation Basique n° 76241541 ».

7. M. [E] a assigné la société Aviva assurances afin que soit retenue la garantie de cette dernière, en qualité d'assureur « responsabilité civile » de M. [H], et qu'elle soit condamnée à l'indemniser des dommages subis du fait de son assuré.

8. La société Gan assurances est intervenue volontairement à l'instance aux fins de condamnation de la société Aviva assurances à lui payer les sommes versées à son assuré, M. [E].

Examen des moyens

Sur le second moyen du pourvoi provoqué de la société Gan assurances, ci-après annexé

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal de M. [E] et le premier moyen du pourvoi provoqué de la société Gan assurances, rédigés en termes identiques

Enoncé du moyen

10. M. [E] et la société Gan assurances font grief à l'arrêt de débouter M. [E] de ses demandes au titre du contrat Aviva assurances multirisque habitation Basique n° 76241541 et des conditions générales Domifacil n° 17902.01.12, alors :

« 1°/ que la faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances qui implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l'infraction ; qu'en retenant pour débouter M. [E] de ses demandes dirigées contre la société Aviva assurances, assureur de M. [U] [H], que la faute intentionnelle était caractérisée dès lors que l'assuré avait volontairement commis un acte dont il ne pouvait ignorer qu'il allait inéluctablement entraîner le dommage et faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque et qu'il n'était dès lors pas nécessaire de rechercher si l'assuré avait voulu le dommage tel qu'il s'est réalisé, la cour d'appel a violé l'article susvisé ;

2°/ que la faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du code des assurances qui implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l'infraction ; que pour dire que l'assureur ne doit pas sa garantie à M. [E] à raison de la faute intentionnelle de l'assuré, l'arrêt relève que les pièces de l'enquête pénale établissent l'intention M. [H], qui a expliqué qu'il ne voulait s'en prendre qu'à sa compagne résidant dans l'immeuble, de causer un préjudice à autrui dès lors qu'il a enflammé, en pleine nuit, volontairement, avec un briquet, de l'essence sous une porte vitrée de l'immeuble qui a explosé sous l'effet de la chaleur ; que les flammes et les fumées se sont rapidement propagées jusque dans les étages, rendant les appartements inhabitables ; qu'il n'est pas resté sur les lieux pour prévenir des proportions que prenait l'incendie ; qu'aucune autre cause de l'incendie n'a été mise en évidence ; que l'arrêt retient également que M. [U] [H] a recherché en mettant le feu avec de l'essence à commettre par incendie des dégâts dans des lieux habités, et qu'il importe peu que son degré de réflexion ne lui ait pas fait envisager qu'il n'allait pas seulement nuire à son ex-compagne ; qu'il a consciemment agi en utilisant des moyens à effet destructeur inéluctable avec la volonté manifeste de laisser se produire le dommage survenu ; qu'en statuant ainsi, en déduisant la faute intentionnelle de l'assuré de sa conscience de ce que le risque assuré se produirait tel qu'il est survenu, et non de sa volonté de créer le dommage, la cour d'appel a violé le texte susvisé. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134, devenu 1103, du code civil et l'article L. 113-1 du code des assurances :

11. Selon le second de ces textes, la faute intentionnelle implique la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu et n'exclut de la garantie due par l'assureur à l'assuré, condamné pénalement, que le dommage que cet assuré a recherché en commettant l'infraction.

12. Il en résulte que, pour exclure sa garantie en se fondant sur une clause d'exclusion visant les dommages causés ou provoqués intentionnellement par l'assuré, l'assureur doit prouver que l'assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu.

13. Pour exclure la garantie de l'assureur « responsabilité civile » de l'auteur de l'incendie, ayant constaté que figure au contrat la clause d'exclusion de garantie prévue aux conditions générales Domifacil 17902-01.12 en un paragraphe intitulé « Les exclusions communes » : « Outre les exclusions spécifiques à chacun des événements, nous ne garantissons pas :

Les dommages causés ou provoqués intentionnellement par vous, ou avec votre complicité. », l'arrêt énonce que la faute intentionnelle est caractérisée dès lors que l'assuré a volontairement commis un acte dont il ne pouvait ignorer qu'il allait inéluctablement entraîner le dommage et faire disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque et qu'il n'est, dès lors, pas nécessaire de rechercher si l'assuré a voulu le dommage tel qu'il s'est réalisé.

14. La décision constate que M. [H], auteur de l'incendie, condamné pour avoir volontairement détruit ou dégradé un immeuble d'habitation par l'effet d'un incendie, a expliqué qu'il ne voulait s'en prendre qu'à sa compagne résidant dans l'immeuble sans nier les faits.

15. L'arrêt ajoute que les pièces de l'enquête pénale établissent son intention de causer un préjudice à autrui et en déduit que M. [H] a voulu, en mettant le feu avec de l'essence, commettre des dégâts dans des lieux habités, peu important que son degré de réflexion ne lui ait pas fait envisager qu'il n'allait pas seulement nuire à sa compagne, qu'il a consciemment agi en utilisant des moyens à effet destructeur inéluctable avec la volonté manifeste de laisser se produire le dommage survenu.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations que l'assuré, qui avait agi dans le but de détruire le bien de sa compagne, n'avait pas eu la volonté de créer le dommage tel qu'il était survenu, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [E] de ses demandes au titre du contrat Aviva assurances multirisque habitation Basique n° 76241541 et des conditions générales Domifacil n° 17902.01.12 et condamne M. [E] et la société Gan assurances, chacun, pour moitié, aux dépens de première instance et d'appel, l'arrêt rendu le 27 août 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Bouvier - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Le Bret-Desaché ; SCP Marc Lévis ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article L. 113-1 du code des assurances.

Rapprochement(s) :

En ce sens, à rapprocher : 2e Civ., 1er juillet 2010, pourvoi n° 09-14.884, Bull. 2010, II, n° 131 (rejet).

2e Civ., 16 septembre 2021, n° 20-10.013, (B)

Cassation partielle

Prescription – Prescription décennale – Assurance-vie – Bénéficiaire distinct du souscripteur – Cas – Action en revendication de la qualité de bénéficiaire par une personne distincte du souscripteur

Selon l'article L. 114-1, alinéa 4, du code des assurances, l'action relative à un contrat d'assurance sur la vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur.

Encourt dès lors la censure l'arrêt qui déclare irrecevable, par application du délai de prescription de droit commun, l'action de la veuve du souscripteur d'un contrat d'assurance-vie dont les bénéficiaires désignés sont les enfants du couple, alors que par son action, l'intéressée revendique la qualité de bénéficiaire d'un contrat dont le bénéficiaire n'est pas le souscripteur et sollicite la condamnation de la banque et de l'assureur au paiement de sommes en exécution de ce contrat.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 31 octobre 2018), le 6 avril 1993, par l'intermédiaire de la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Provence-Alpes-Corse (la banque), [L] [M] a souscrit auprès de la société Ecureuil vie, aux droits de laquelle vient la société CNP assurances (l'assureur), un contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet », dont la bénéficiaire était en premier lieu sa conjointe, Mme [T].

2. Le 28 juin 2012, [L] [M] est décédé, laissant comme héritiers sa veuve et les deux enfants issus du mariage, Mme [R] [M] épouse [Y] et M. [Q] [M].

3. Affirmant avoir appris après le décès l'existence d'un avenant prétendument établi le 26 mars 2008 et modifiant la clause bénéficiaire au profit de ses enfants, Mme [T], estimant qu'il s'agissait d'un faux, a, par acte du 8 août 2013, assigné ses enfants et la banque aux fins de dire qu'elle était seule bénéficiaire du contrat d'assurance-vie et d'obtenir, principalement, la condamnation de la banque à lui payer une somme à ce titre ainsi qu'une autre à titre de dommages et intérêts et, subsidiairement, la condamnation de ses enfants et de la banque à lui rembourser les sommes de la communauté ayant servi à payer les primes du contrat.

4. L'assureur est intervenu volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable son action introduite contre la banque et de déclarer en conséquence irrecevables ses demandes formulées contre Mme [R] [M], M. [Q] [M], l'assureur et la banque, alors « que toute action dérivant d'un contrat d'assurance-vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire du contrat est une personne distincte du souscripteur ; qu'en faisant application de la prescription quinquennale de droit commun à l'action en nullité de la bénéficiaire à l'encontre de l'avenant au contrat d'assurance-vie souscrit par son époux, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil et par refus d'application, l'article L. 114-1 du code des assurances. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. L'assureur et la banque contestent la recevabilité du moyen. Il font valoir que Mme [T] n'a pas soutenu devant la cour d'appel qu'elle bénéficiait de la prescription décennale de l'article L. 114-1 du code des assurances et que la critique est, dès lors, nouvelle et mélangée de fait et de droit.

L'assureur soutient, en outre, que Mme [T] a construit toute son argumentation autour des dispositions de l'article 2224 du code civil relatives au délai de prescription de droit commun, d'une durée de cinq ans, de sorte que la critique est contraire à ses écritures d'appel.

7. Cependant, le moyen ne se réfère à aucune considération de fait qui ne résulterait pas des énonciations des juges du fond.

En outre, Mme [T] ayant conclu au rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription en contestant le point de départ du délai de prescription invoqué par la partie adverse, le moyen relatif au délai de prescription applicable n'est pas contraire à sa thèse développée en cause d'appel.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 114-1, alinéa 4, du code des assurances :

9. Selon ce texte, l'action relative à un contrat d'assurance sur la vie se prescrit par dix ans lorsque le bénéficiaire est une personne distincte du souscripteur.

10. Pour déclarer irrecevable l'action introduite par Mme [T] contre la banque et déclarer irrecevables ses demandes formées contre Mme [M] épouse [Y], M. [M] et l'assureur, l'arrêt retient que Mme [T] a connu l'existence de l'avenant et les conditions de son établissement le 26 mars 2008 et qu'en application de l'article 2224 du code civil, cette date constitue le point de départ du délai dont elle disposait pour agir aux fins de contester cet avenant et de revendiquer la qualité de bénéficiaire du contrat d'assurance-vie, à l'encontre de toutes les personnes qu'elle jugeait utile d'assigner.

L'arrêt ajoute que le délai a d'abord couru jusqu'au 19 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi portant réforme de la prescription, puis à compter de cette dernière date, pour un nouveau délai de cinq ans ayant dès lors expiré le 19 juin 2013.

L'arrêt en déduit que Mme [T] ayant assigné la banque et ses enfants le 8 août 2013, son action contre la banque est prescrite ainsi que celle engagée contre ses enfants et l'assureur.

11. En statuant ainsi, alors que par son action, Mme [T] revendiquait la qualité de bénéficiaire d'un contrat d'assurance-vie dont le bénéficiaire n'était pas le souscripteur et sollicitait la condamnation de la banque et de l'assureur au paiement de sommes en exécution de ce contrat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt déclarant irrecevables les demandes de Mme [T] formées contre la banque, Mme [M] épouse [Y], M. [M] et l'assureur entraîne la cassation des chefs de dispositif disant qu'il appartient à l'assureur de verser aux bénéficiaires nouvellement désignés, à savoir Mme [M] épouse [Y] et M. [M], les fonds afférents au contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet » souscrit le 4 avril 1993 par [L] [M] auprès de l'assureur, objet de l'avenant du 26 mars 2008 et en tant que de besoin, condamnant l'assureur au paiement desdites sommes, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable l'action introduite par Mme [T] contre la société Caisse d'épargne et de prévoyance de Provence-Alpes-Corse et déclare irrecevables ses demandes formées contre Mme [M] épouse [Y], M. [M] et la société CNP assurances, dit qu'il appartient à la société CNP assurances de verser aux bénéficiaires nouvellement désignés, à savoir Mme [M] épouse [Y] et M. [M], les fonds afférents au contrat d'assurance-vie dénommé « Ecureuil projet » souscrit le 6 avril 1993 par [L] [M], auprès de la société Ecureuil vie, aux droits de laquelle se trouve actuellement la société CNP assurances, objet de l'avenant du 26 mars 2008 et en tant que de besoin, la condamne au paiement desdites sommes, l'arrêt rendu le 31 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Guého - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Ghestin ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 114-1 du code des assurances.

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