Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

SUCCESSION

1re Civ., 30 septembre 2020, n° 19-12.296, (P)

Rejet

Rapport – Choses sujettes à rapport – Fruits et intérêts – Point de départ – Jour de l'ouverture de la succession – Conditions – Bien en état de produire des revenus au jour de la donation

L'obligation imposée au donataire à l'article 928 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, de restituer les fruits de ce qui excède la portion disponible, à compter du jour du décès du donateur, suppose que le bien donné soit, au jour de la donation, dans un état lui permettant de produire un revenu. Il en résulte que la valeur du travail effectué par le donataire, qui a permis leur production, doit être déduit des fruits qu'il doit restituer sur le fondement de ce texte.

Rapport – Choses sujettes à rapport – Fruits et intérêts – Déduction – Valeur du travail du donataire pour permettre au bien de produire des fruits

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 décembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 20 juin 2006, pourvoi n° 04-16.227), par acte du 27 octobre 1976, O... R... X... et son épouse, J... P... B..., ont consenti à deux de leurs enfants, O... et I..., une donation hors part successorale portant sur trois parcelles de terre. Ils sont respectivement décédés les 17 janvier et 4 décembre 1986, laissant pour leur succéder leurs sept enfants, LM..., O... A..., SE..., NC..., O..., D... XN... et I....

2. Les deux frères bénéficiaires de la donation ont été assignés par leurs cohéritiers en partage et en réduction de cette libéralité. Un arrêt du 24 octobre 1994 a dit qu'ils pouvaient conserver les biens reçus à concurrence de la quotité disponible.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Mme N..., Mmes D... XN..., XN... GR..., G..., J... I... et W... F... X..., MM. C... et O... X... font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à restitution par M. I... X... et les héritiers de O... X... des fruits des biens donnés, objet de l'action en réduction, alors « qu'en cas de réduction d'une libéralité, le donataire doit restituer, à compter du jour du décès du donateur, l'équivalent des fruits perçus de la portion des biens donnés sur laquelle porte la réduction ; qu'il ne saurait se prévaloir d'un droit à rémunération pour sa gestion du bien, lequel n'est pas indivis pour la part excédant la quotité disponible ; que, pour dire n'y avoir lieu à restitution, l'arrêt attaqué retient « que même si l'article 928, contrairement à l'article 815-12 du code civil, n'évoque pas la rémunération de la gestion de celui qui doit restitution des fruits de ce qui excède la portion disponible, la situation est radicalement différente et la comparaison entre les deux textes n'a pas lieu d'être » et « qu'il convient, dans la restitution des fruits, de prendre en compte le revenu de l'exploitant », ainsi que « les tâches de gestion administrative et financière qui, indépendamment des fruits tirés du travail de la terre doivent donner lieu à rémunération » ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres énonciations que les sommes litigieuses constituaient des fruits devant par principe être restitués dans les limites de l'article 928 du code civil et que les biens objet de la donation réductible n'étaient pas indivis, la cour d'appel a violé l'article 928 du code civil, dans sa rédaction applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

5. L'obligation imposée au donataire par l'article 928 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 23 juin 2006, de restituer les fruits de ce qui excède la portion disponible, à compter du jour du décès du donateur, suppose que le bien donné soit, au jour de la donation, dans un état lui permettant de produire un revenu. Il en résulte que la valeur du travail effectué par celui-ci, qui a permis leur production, doit être déduit des fruits qu'il doit restituer sur le fondement de ce texte.

6. Après avoir relevé que le revenu net tiré de l'exploitation des biens faisant l'objet de l'action en réduction correspondait à l'équivalent du salaire minimum de croissance pour chacun des deux donataires exploitants, la cour d'appel en a déduit à bon droit qu'il n'y avait pas lieu à restitution des fruits.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Article 928 du code civil.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 14 mars 2006, pourvoi n° 03-21.046, Bull. 2006, I, n° 163 (rejet).

1re Civ., 2 septembre 2020, n° 19-15.955, (P)

Cassation partielle

Rapport – Libéralités rapportables – Conditions – Action en justice – Demande tendant à la liquidation et au partage de la succession – Cas – Héritier ayant renoncé à la succession – Absence d'influence

N'est pas recevable une demande en rapport d'une donation et en application de la sanction du recel successoral formée contre un héritier ayant renoncé à la succession, qui n'est pas formée concomitamment à une demande en partage successoral.

Recel – Action en justice – Conditions – Demande tendant à la liquidation et au partage de la succession – Cas – Héritier ayant renoncé à la succession – Absence d'influence

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 mars 2019), J... I... est décédé le 16 mars 2004, laissant pour lui succéder son épouse U..., et ses deux fils, S... et M....

Par acte du 21 décembre 1978, il avait consenti une donation-partage au profit de ses deux fils d'un bien immobilier. M. M... I... et sa mère ont renoncé à la succession tandis que M. S... I... l'a acceptée sous bénéfice d'inventaire.

2. Le 4 janvier 2007, M. M... I... a assigné son frère en partage du bien immobilier donné par leur père, puis a assigné en intervention forcée les deux fils de ce dernier, Q... et X..., à qui celui-ci avait donné la nue-propriété de sa moitié indivise du bien.

Le 22 mai 2013, M. S... I... a assigné son frère pour faire constater qu'il avait bénéficié de donations déguisées de la part de son père et que celles-ci devaient être rapportées à la succession, ainsi que sa condamnation à lui payer les sommes correspondantes. Ses deux fils sont intervenus à la procédure.

Les deux instances ont été jointes.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en ses deuxième à quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la première branche du moyen

Enoncé du moyen

4. M. M... I... fait grief à l'arrêt de dire que ses agissements constituent un recel successoral portant sur la somme de 3 779 000 euros, en conséquence, que cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession doit être rapportée à celle-ci, que, nonobstant sa renonciation à la succession, il est réputé accepter purement et simplement ladite succession, qu'il ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée, de le condamner à verser à M. S... I... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et de rejeter ses demandes, alors « que les demandes en rapport d'une donation dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu'à l'occasion d'une instance en partage judiciaire ; qu'en accueillant les demandes formées par M. S... I... en application des sanctions du recel successoral à l'encontre de M. M... I... et en rapport des libéralités dont il aurait été gratifié par J... I..., cependant qu'elle n'était saisie d'aucune demande en partage judiciaire au titre de la succession de J... I..., la cour d'appel a violé les articles 822, 843, et 792 du code civil, dans leur rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. M. S... I... conteste la recevabilité du moyen au motif que, M. M... I... n'ayant pas soutenu devant la cour d'appel que les juges ne pouvaient pas se prononcer sur le recel successoral et le rapport à succession, faute d'avoir été saisis d'une action judiciaire en partage, il est irrecevable à invoquer ce moyen pour la première fois devant la Cour de cassation.

6. Cependant, le moyen est de pur droit. Il est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 792, 822 et 843 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 :

7. Aux termes du premier de ces textes, les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d'une succession sont déchus de la faculté d'y renoncer ; ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recelés.

8. Selon le dernier de ces textes, tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport.

9. Les demandes en rapport d'une donation déguisée dont aurait bénéficié un héritier et en application de la sanction du recel successoral ne peuvent être formées qu'à l'occasion d'une instance en partage successoral.

10. En accueillant les demandes formées par M. S... I... à l'encontre de M. M... I... en application des sanctions du recel successoral et en rapport des libéralités dont celui-ci aurait été gratifié par J... I..., alors qu'elle n'était pas saisie d'une demande concomitante en partage de la succession, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les agissements de M. M... I... constituent un recel successoral portant sur la somme de 3 779 000 euros, en conséquence, que cette somme augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'ouverture de la succession de J... I... doit être rapportée à celle-ci, que, nonobstant sa renonciation à la succession, il est réputé accepter purement et simplement ladite succession, qu'il ne peut prétendre à aucune part dans la somme recelée, le condamne à verser à M. S... I... la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts et rejette la demande de M. M... I... aux fins de licitation du bien immobilier indivis sis [...] ainsi que du surplus de ses demandes, l'arrêt rendu le 13 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 792, 822 et 843 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 6 novembre 2019, pourvoi n° 18-24.332, Bull. 2019, (rejet), et l'arrêt cité.

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