Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

SOCIETE (règles générales)

Com., 30 septembre 2020, n° 18-22.076, (P)

Cassation partielle

Assemblée générale – Délibération – Fraude des associés majoritaires – Applications diverses – Augmentation de capital – Dilution de la participation au capital social

La justification d'une délibération sociale approuvant l'apport d'un fonds de commerce, par un associé, qui confère à la société la maîtrise d'un réseau de distribution, ne suffit pas à exclure une fraude des associés majoritaires de nature à engager leur responsabilité civile à l'égard d'un associé minoritaire. La cour d'appel devait donc rechercher, comme elle y était invitée, si l'opération d'apport orchestrée par des associés majoritaires n'avait pas conduit, par la sous-évaluation de la société et l'octroi corrélatif d'actions nouvelles nombreuses à l'un d'entre eux, à priver illégitimement une associée minoritaire d'une partie de ses droits en diluant sa participation au capital de la société.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 19 février 2018), R... Y..., fondateur de la société [...], entreprise de production et de commercialisation de rhum, et propriétaire du fonds de commerce de distribution de spiritueux à l'enseigne « [...] », est décédé le [...], laissant pour lui succéder ses enfants, N... Y..., M. E... Y... et Mme H... Y... épouse K... (Mme H... Y...).

2. Aux termes d'un protocole transactionnel des 13 et 20 octobre 2005, les héritiers ont, d'une part, réparti le solde des droits indivis des actions du défunt dans la société anonyme [...] entre M. E... Y... et N... Y... et, d'autre part, attribué le fonds de commerce [...] à M. E... Y... en pleine propriété, à charge pour lui d'en céder ou d'en apporter la propriété soit à la société [...], soit à une société qui détiendrait les actions de cette société.

3. Le 6 juillet 2006, les actionnaires majoritaires de la société [...], réunis en assemblée générale extraordinaire, en l'absence de N... Y..., ont approuvé l'apport du fonds de commerce [...] et décidé de l'augmentation du capital social par la création de 2 803 actions nouvelles attribuées à M. E... Y... en rémunération de l'apport.

4. N... Y... est décédée le [...], laissant pour lui succéder Mme H... Y..., Mme S... G... épouse I... (Mme I...) et Mme Q... G... épouse V... (Mme V...).

5. Estimant que cette opération d'apport et d'augmentation de capital, ce dernier ayant été sciemment sous-évalué, avait été réalisée dans des conditions fautives aboutissant à la dilution de ses droits d'associée, Mme H... Y... a assigné en responsabilité civile M. E... Y... et ses enfants, M. T... Y..., M. O... Y... et Mme U... Y... (les [...]), ainsi que les sociétés [...] et Caraïbe agricole. Mmes I... et V... sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Mme H... Y... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors :

« 1°/ que la fraude corrompt tout ; que la collusion frauduleuse des associés majoritaires au détriment des associés minoritaires peut être caractérisée quand bien même l'opération ayant donné son cadre à la fraude n'aurait pas porté atteinte à l'intérêt social ; qu'en retenant, pour écarter l'existence d'une fraude ayant consisté pour les [...] à sous-évaluer la société [...], en lui conférant une valeur inférieure au seul capital social hors même son aptitude à réaliser des bénéfices, lors de l'opération d'apport par M. E... Y... du fonds de commerce de l'entreprise [...] de manière à octroyer à ce dernier un nombre d'actions plus important que celui qu'il aurait dû recevoir et à diluer corrélativement la représentation de N... Y... dans la société, qu'il n'était pas établi que la société n'aurait pas eu intérêt à cette opération d'apport, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à exclure l'existence d'une collusion frauduleuse des [...] au détriment de N... Y..., associée minoritaire, en méconnaissance du principe fraus A... corrumpit ;

2°/ que toute société doit être constituée dans l'intérêt commun des associés ; que l'intérêt commun des associés, qui est le même pour chaque associé et permet à chacun d'eux de retirer un bénéfice personnel à proportion du bénéfice collectif, est distinct de l'intérêt social ; qu'en retenant, pour conclure à « l'absence de comportement fautif clairement démontré » de M. E... Y... et de ses enfants, qu'il n'était pas démontré que « la décision d'approbation de l'opération a été prise contrairement à l'intérêt général de la société », sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'opération d'apport orchestrée par les [...] n'avait pas conduit, par une sous-évaluation de la société et un octroi d'actions nouvelles trop nombreuses à M. E... Y..., à priver illégitimement N... Y..., associée minoritaire, d'une partie de ses droits en diluant sa représentation au capital de la société [...], ce qui était de nature à caractériser une violation de l'intérêt commun, indépendamment de l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1833 du code civil, ensemble l'article 1134 alinéa 3 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382 du code civil et le principe selon lequel la fraude corrompt tout :

8. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

9. Pour rejeter les demandes de Mme H... Y..., l'arrêt retient qu'elle n'établit pas que la société [...] ne pouvait tirer un avantage suffisant de la maîtrise du réseau de distribution par l'apport du fond de commerce [...], pour justifier l'avantage consenti à M. E... Y....

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'une collusion frauduleuse des [...] au détriment de N... Y..., associée minoritaire, de nature à engager leur responsabilité civile, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'opération d'apport orchestrée par les [...] n'avait pas conduit, par la sous-évaluation de la société et l'octroi corrélatif d'actions nouvelles nombreuses à M. E... Y..., à priver illégitimement N... Y..., associée minoritaire, d'une partie de ses droits en diluant sa participation au capital de la société [...], a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que Mme H... Y... n'est pas prescrite en son action en responsabilité engagée contre la SARL Société Caraïbe agricole, la SARL Société [...], MM. T..., O..., E... Y... et Mme U... Y..., l'arrêt rendu le 19 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1382 du code civil.

1re Civ., 2 septembre 2020, n° 19-14.604, (P)

Cassation partielle

Associés – Répartition des bénéfices distribuables d'un exercice clos sous forme de dividendes – Exclusion – Cas – Succession – Héritier n'ayant pas la qualité d'associé

Il résulte de l'article 1870-1 du code civil que l'héritier, s'il n'est associé, n'a pas qualité pour percevoir les dividendes afférents aux parts sociales d'une société civile dépendant de la succession, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. L... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société V... F... et E... F....

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 février 2019), W... N... et E... H..., mariés sous le régime de la communauté, ont constitué avec les deux frères de ce dernier, R... et Q..., la société civile immobilière Trianon (la SCI).

Sur les 4 002 parts sociales, E... H... en possédait 1 334, dont 700 en propre et 634 en communauté avec son épouse.

3. E... H... est décédé le 5 janvier 2010, laissant pour lui succéder son épouse, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de 1 017 parts dans le capital de la SCI. A la suite de la liquidation de la communauté consécutive à ce décès, les 1 334 parts du couple ont été réparties entre la succession d'E... H... à hauteur de 1 017 parts et W... N... à hauteur de 317 parts.

4. Celle-ci est décédée le 18 mars 2011, laissant pour lui succéder son neveu, M. L..., venant par représentation de sa mère, en l'état d'un testament olographe du 14 octobre 2003 désignant MM. R... et Q... H... en qualité de légataires particuliers pour la pleine propriété de ses parts dans le capital de la SCI.

5. M. L... a assigné MM. R... et Q... H... et Mme S... H..., ainsi que la SCI pour obtenir la réduction des legs particuliers et leur condamnation à lui payer diverses sommes. MM. R... et Q... H... ayant parallèlement assigné M. L... aux fins d'obtenir la délivrance de leurs legs, il a été constaté que celui-ci les avait délivrés volontairement les 22 et 26 novembre 2012.

Examen des moyens

Sur les deux premiers moyens et le sixième moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexés

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

7. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors :

« 1°/ que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; que les bénéfices réalisés par une société y compris une société civile immobilière dans le cadre de son objet social, participent de la nature de fruits dès leur attribution sous forme de dividendes dont l'existence juridique résulte de la constatation de l'existence de sommes distribuables par l'organe social compétent et de la détermination de la part attribuée à chaque associé ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt, qu'avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H..., des assemblées générales de la SCI Trianon avaient voté la distribution d'un acompte sur dividendes sans attendre la clôture de l'exercice et l'approbation des comptes par l'assemblée générale, sous la forme de répartition du bénéfice résultant du prix de ventes d'actifs immobiliers proportionnellement aux droits des associés dans le capital social sans que celui-ci ait été réduit ; que ces constatations opérées, la cour d'appel devait accueillir la demande de M. L... tendant à dire et juger que comme seul et unique héritier de W... N... et par voie de conséquence d'E... H..., saisi de plein droit et possesseur de bonne foi, il avait droit à ces dividendes, lesquels constituaient des fruits et intérêts antérieurs à la délivrance du legs particulier ; qu'en jugeant du contraire a violé l'article 1014, alinéa 2, du code civil ensemble l'article 1832 du même code ensemble encore les articles 547 et suivants du code civil ;

2°/ que les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ; qu'en déduisant du simple fait que les cessions d'actifs avaient engendré une diminution des loyers, une absence de fixité et une altération de la substance de la chose, de deux cessions d'actifs immobiliers de la SCI Trianon en deux ans, ce dont il aurait résulté que les dividendes auraient été des « produits » et non des fruits revenant à l'héritier, cependant qu'elle avait elle-même nécessairement constaté que, conformément à son objet social qui ne se limitait pas à la gestion locative, la SCI avait régulièrement procédé à des cessions d'actifs et avait non moins régulièrement voté la distribution des bénéfices consécutifs devenus des dividendes sans qu'il soit porté atteinte à son capital social, d'où la qualification de fruits, la cour d'appel a violé l'article 1103 du code civil, ensemble les articles 547 et suivants, 1014, alinéa 2, et 1832 du même code ;

3°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'avant le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011), et avant la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Montrouge (décembre 2010) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (22 décembre 2010) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du code civil et, par fausse application, l'article 1870-1 du même code ;

4°/ que lorsque le legs particulier porte sur des parts d'une société civile immobilière, l'héritier peut prétendre aux distributions de dividendes qui constituent des fruits dans les termes de l'article 1014, alinéa 2, du code civil ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt qu'entre le décès de W... N... associé fondateur (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société avait cédé un actif sis à Clamart (juin 2011) puis une assemblée générale des associés avait voté la répartition du produit de la vente aux associés au prorata de leurs parts (8 septembre 2011) ; qu'en jugeant que M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N..., n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas, lui-même, été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application le texte susvisé, ensemble l'article 1832 du même code et, par fausse application l'article 1870-1 du même code. »

Réponse de la Cour

8. L'arrêt n'énonce ni que les assemblées générales de la SCI ont voté la distribution d'un acompte sur dividendes sous la forme de la répartition d'un bénéfice résultant du prix de vente d'actifs, ni que l'objet social de celle-ci ne se limitait pas à la gestion locative, ni que ces cessions étaient conformes à celui-ci, ni que M. L..., à la suite de la décision de répartir le produit des ventes d'immeubles, n'avait pas droit à des dividendes.

Au contraire, il retient que la seule circonstance que l'assemblée générale ait décidé la répartition du prix de cession de ces éléments d'actif de la société n'est pas de nature à conférer aux sommes distribuées la nature de dividende.

9. Il s'ensuit que le moyen manque en fait.

Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

10. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à le voir dire et juger que, comme seul et unique héritier de W... N... et, par voie de conséquence, d'E... H..., il avait droit aux fruits et intérêts sur les 1 017 parts léguées à titre particulier par celui-ci à MM. R... et Q... H... et, à ce titre, aux bénéfices distribués par la SCI après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... à la délivrance volontairement consentie du legs particulier, alors « que le légataire à titre particulier ne peut prétendre aux fruits et intérêts de la chose léguée qu'à compter du jour de sa demande en délivrance ou du jour auquel cette délivrance lui a été volontairement consentie ; qu'après avoir constaté qu'entre le décès de W... N... (18 mars 2011) et la délivrance du legs particulier des 1 017 parts de la SCI Trianon à MM. H... (22 et 26 novembre 2012), cette société civile immobilière avait procédé à des distributions au titre des loyers tant en 2011 qu'en 2012, ces dividendes étant dès lors entrés dans la succession de W... N..., la cour d'appel devait accueillir prorata temporis la demande de M. L... unique héritier de W... N..., veuve d'E... H..., et, par voie de conséquence, unique héritier d'E... H... aux droits de W... N... (pour 2011 du 19 mars au 31 décembre soit 9 160,16 euros x 288 jours / 365 jours = 7 227,44 € et pour 2012 du 1er janvier au 21 novembre soit 7 952,11 euros x 324 jours / 365 jours = 7 058,86 euros) ; qu'en jugeant que M. L... n'avait pas droit aux fruits inhérents à ces dividendes dès lors qu'il n'avait pas lui-même été associé, la cour d'appel a violé par refus d'application l'article 1014, alinéa 2, du code civil, ensemble l'article 1832 du même code et par fausse application l'article 1870-1 du même code. »

Réponse de la Cour

11. Selon l'article 1870, alinéa 1, du code civil, la société civile n'est pas dissoute par le décès d'un associé, mais continue avec ses héritiers ou légataires, sauf à prévoir dans les statuts qu'ils doivent être agréés par les associés.

12. L'article 1870-1 du même code prévoit que les héritiers ou légataires qui ne deviennent pas associés n'ont droit qu'à la valeur des parts sociales de leur auteur.

13. Il en résulte que, s'il n'est associé, l'héritier n'a pas qualité pour percevoir les dividendes, fût-ce avant la délivrance du legs de ces parts à un légataire.

14. Après avoir relevé qu'après le décès de W... N..., M. L... n'avait pas été agréé comme associé de la SCI, la cour d'appel en a exactement déduit qu'il ne pouvait prétendre aux bénéfices distribués après encaissement des loyers, postérieurement au décès de son auteur, avant la délivrance de leur legs à MM. R... et Q... H....

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le sixième moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

16. M. L... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande indemnitaire contre MM. R... et Q... H... et la SCI pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive à ses demandes alors :

« 1°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le troisième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués après encaissement du prix de deux cessions d'actifs, pour la période allant du décès d'E... H... (5 janvier 2010) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que la cassation s'étend à l'ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; qu'il s'ensuit que la cassation à intervenir sur le quatrième moyen en ce que l'arrêt a rejeté la demande en paiement des fruits sur les 1 017 parts léguées, et, à ce titre, aux bénéfices distribués aux bénéfices distribués après encaissement des loyers pour la période allant du décès de W... N... (18 mars 2011) à la délivrance volontairement consentie du legs particulier (22 et 26 novembre 2012), atteindra le chef de l'arrêt par lequel la cour d'appel a débouté M. I... L... de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour appropriation illicite de biens successoraux et résistance abusive en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

17. Les troisième et quatrième moyens étant rejetés, le moyen est sans portée.

Mais sur le cinquième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

18. M. L... fait grief à l'arrêt de limiter l'indemnité de réduction due au titre des legs particuliers consentis par E... H... à MM. R... et Q... H..., à hauteur de 118 655,81 euros, alors :

« 1°/ que, dans ses conclusions d'appel, M. L... avait demandé aux juges du second degré de procéder au calcul de l'indemnité de réduction d'après la déclaration de succession déposée par MM. H..., à laquelle il prêtait la valeur d'aveu extrajudiciaire et à laquelle il avait adhéré sous réserve de la rectification de certaines estimations, et elle seule ; qu'en considérant que M. L... avait déterminé sa demande d'après le « projet d'état liquidatif » rédigé par M. F... en vue d'un partage, la cour a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que, dans leurs conclusions d'appel, tout en contestant devoir une indemnité de réduction, de même que M. L..., MM. H... avaient demandé aux juges du second degré de se déterminer d'après la déclaration de succession qu'ils avaient déposée et, de même que M. L..., MM. H... s'étaient expliqués sur les trois estimations contestées par celui-ci ; qu'en se déterminant pour partie d'après le « projet d'état liquidatif rédigé par M. F... » en vue d'un partage, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

19. Pour évaluer la masse des biens existant au jour du décès d'E... H..., l'arrêt retient que le projet d'état liquidatif établi par M. F..., notaire, fait état d'un actif successoral net d'un montant de 948 037,17 euros, en ce compris la moitié indivise de la maison de [...] pour un montant de 160 000 euros, alors que cet immeuble doit être évalué à 180 000 euros, de sorte que l'actif successoral net s'élève en conséquence à 968 037,17 euros.

20. En statuant ainsi, alors que les parties s'étaient référées exclusivement, pour calculer la masse successorale et, par voie de conséquence, l'indemnité de réduction, à la déclaration de succession, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite à 118 655,81 euros l'indemnité de réduction due par MM. R... et Q... H... au titre des legs particuliers consentis par E... H..., l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Ghestin ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Article 1870-1 du code civil.

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-16.047, (P)

Rejet

Compte courant créditeur – Revenus imposables – Revenus de capitaux mobiliers

Selon une jurisprudence administrative constante, il résulte de l'article 109 du code général des impôts que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

Dès lors, après avoir souverainement estimé que, si les pièces que l'avocat avait omis de produire, à l'occasion de la contestation de la proposition de rectification de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales dont son client avait fait l'objet, établissaient que celui-ci disposait de créances en compte courant d'associé auprès de deux SCI et que ces créances avaient été transférées à une autre société, l'intéressé ne rapportait la preuve ni du traitement comptable, au sein de cette société, des sommes inscrites au crédit de son compte courant d'associé, ni de l'existence d'une contrepartie justifiant la dispense d'intérêts au titre des soldes débiteurs dudit compte, la cour d'appel a retenu, à bon droit, que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption instituée par le texte précité, ne lui aurait pas permis d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative, de sorte que la responsabilité de l'avocat n'était pas engagée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 avril 2019), à la suite d'une vérification de comptabilité de la société à responsabilité limitée Mélanie, l'administration fiscale a considéré, d'une part, que M. B..., associé et gérant de cette société, avait bénéficié d'avances laissées à sa disposition, sans intérêts, sur son compte courant d'associé en 2006, 2007 et 2008, d'autre part, que les sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en 2008 au crédit de son compte courant devaient être regardées comme des revenus distribués.

Le 17 décembre 2009, elle a notifié à l'intéressé une proposition de rectification de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 2006 à 2008.

2. Après que ses contestations ont été rejetées par un arrêt, devenu définitif, rendu le 18 juillet 2014 par la cour administrative d'appel de Versailles, M. B... a assigné en responsabilité et indemnisation son conseil, M. P... (l'avocat), lui reprochant principalement de ne pas avoir produit, devant la juridiction administrative, l'ensemble des pièces utiles à sa défense. Mme B..., son épouse, est intervenue volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que le transfert à une société du solde créditeur d'un compte courant d'un associé correspondant à une créance détenue par l'associé sur une autre société, par l'effet de l'acquisition par la seconde des titres de la première et des droits et obligations en résultant constitue une délégation conduisant à un changement de débiteur et non une cession de créance, si bien que les dispositions de l'article 1690 du code civil sont en la matière inapplicables ; qu'en se fondant, après avoir pourtant constaté que M. B... produisait les actes de cession de parts sociales des SCI à la SARL Mélanie, et les actes de délégation en résultant, sur l'absence de notification du transfert de compte courant d'associé des SCI Majjs et Avner à la société Mélanie pour en déduire que, quels que soient les documents produits, M. B... ne disposait d'aucune chance de voir son recours tendant à la décharge des impositions prospérer, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1690 du code civil ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que M. B... justifiait amplement de ce qu'il disposait de créances en compte courant d'associé provenant des SCI Avner et MJJS lesquelles ont été transférées à la SARL Mélanie, quand les délégations produites ne concernaient pas le transfert des créances de M. B... sur les SCI Avner et Majjs à la SARL Mélanie, mais le transfert des dettes des SCI à l'égard de M. B... à la SARL Mélanie, formalisé par le transfert des soldes créditeurs des comptes courants d'associé, la cour d'appel a dénaturé ces actes de délégation clairs et non équivoques produits aux débats et ainsi violé le principe susvisé ;

3°/ subsidiairement, que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé ne constituent un revenu réputé distribué qu'à défaut de preuve contraire, laquelle peut être rapportée par tous moyens ; qu'en se fondant sur l'absence de respect des formalités prévues à l'article 1690 du code civil pour considérer que M. B... ne disposait d'aucune chance de voir son recours tendant à la décharge des impositions prospérer quand la démonstration de la cession de créance peut s'effectuer par tout moyen pour justifier l'existence d'une créance de l'associé sur la société afin d'écarter la qualification de revenu réputé distribué, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

4°/ qu'indépendamment de la qualification donnée à cette opération, la preuve de l'existence d'un solde créditeur d'un compte courant d'associé dans une société et du transfert de ce solde à une autre société par acquisition des titres de la première justifie le solde créditeur du compte courant d'associé dans la société acquéreuse et fait ainsi obstacle à l'imposition des sommes y figurant comme des revenus réputés distribués ; qu'en jugeant que la production par l'avocat de l'ensemble des pièces n'aurait pas permis d'obtenir une décision plus favorable tout en relevant que les pièces que M. et Mme B... versaient aux présents débats étaient de nature à justifier le transfert à la SARL Mélanie des soldes créditeurs des comptes courants dont M. B... disposait auprès des sociétés civiles immobilières Majjs et Avner, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

5°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que la seule justification complète par l'avocat devant le juge de l'impôt des cessions de créances au profit de la SARL Mélanie n'était pas de nature à permettre à M. B... d'obtenir ni du tribunal administratif de Montreuil ni de la cour administrative d'appel de Versailles une décision plus favorable en l'absence de toute justification desdites sommes dans la comptabilité de la SARL Mélanie, après avoir pourtant relevé que les pièces que M. et Mme B... versaient aux présents débats étaient de nature à justifier le transfert à la SARL Mélanie des soldes créditeurs des comptes courants dont M. B... disposait auprès des sociétés civiles immobilières Majjs et Avner, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que les sommes directement versées à un associé sont, au même titre que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé, imposées comme des revenus distribués si elles ne sont pas justifiées ; qu'en jugeant que le redressement était fondé sur l'absence de remboursement à M. B... du solde créditeur de son compte courant d'associé sur la SARL Mélanie, quand un tel remboursement aurait évidemment également donné lieu à imposition en l'absence de justification du versement de telles sommes, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

7°/ que le transfert d'un compte courant de l'associé d'une société vers le compte courant du même associé d'une autre société n'a pas à apparaître sur les déclarations d'ISF de l'intéressé ; qu'en se fondant notamment sur la circonstance que la délégation de créance invoquée n'apparaissait pas dans les déclarations d'ISF de M. B..., pour en déduire que la production des pièces relatives à la délégation de créance n'auraient pas permis à M. B... d'obtenir la décharge des impositions en cause, la cour d'appel, qui s'est fondé sur un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

8°/ que seules des avances, prêts et acomptes peuvent être imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application des dispositions du a) de l'article 111 du code général des impôts ; qu'en examinant les chances de succès du recours tendant à la décharge des impositions au regard des dispositions de l'article 111 a), du code général des impôts pour ce qui concerne le redressement relatif aux intérêts non versés par M. B... à la SARL Mélanie, la cour d'appel a violé, les dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts ;

9°/ que le juge judiciaire, saisi d'un recours en responsabilité civile professionnelle à l'encontre d'un avocat ayant défendu un client dans un procès, est tenu par l'autorité de chose jugée attachée à la décision ayant clos ce procès ; qu'en examinant les chances de succès du recours tendant à la décharge des impositions au regard des dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts tout en constatant, par motifs adoptés, que la cour administrative d'appel avait jugé que cet article n'était pas applicable, la cour d'appel a ignoré l'autorité de chose jugée attachée à cet arrêt et violé les dispositions de l'article 1355 du code civil ;

10°/ que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé ne constituent des sommes mises à sa disposition, et devant à ce titre donner lieu à production d'intérêts au profit de la société qu'en l'absence de justification de cette inscription par un autre motif ; qu'en jugeant que la justification du transfert de créances n'aurait pas permis à M. B... d'obtenir gain de cause devant le juge de l'impôt, quand cette justification suffisait à écarter la qualification de somme mise à la disposition de l'associé devant donner lieu à production d'intérêts, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

4. Selon une jurisprudence administrative constante (CE, 20 mars 1989, M. Alaux, n° 63562 et 63563 ; CE, 8 février 1999, Mme Boelcke, n° 140062 ; CE, 27 décembre 2019, n° 420478), il résulte de l'article 109 du code général des impôts que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

5. Après avoir retenu l'existence de manquements de l'avocat à son devoir de conseil et à son obligation de diligence, la cour d'appel a estimé que, si les pièces que M. B... versait aux débats, et que l'avocat aurait dû lui réclamer, établissaient qu'il disposait de créances en compte courant d'associé auprès des SCI Avner et Majjs et que ces créances avaient été transférées à la société Mélanie, il ne rapportait la preuve ni du traitement comptable, au sein de cette société, des sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en juin 2008 au crédit de son compte courant d'associé, ni de l'existence d'une contrepartie justifiant la dispense d'intérêts au titre des soldes débiteurs dudit compte au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008.

6. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, elle a retenu, à bon droit et sans se contredire, que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption instituée par le texte précité, n'aurait pas permis à M. B... d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative, de sorte que la responsabilité de l'avocat n'était pas engagée.

7. Le moyen, inopérant en ses première, deuxième, troisième, septième, huitième et neuvième branches qui critiquent des motifs erronés mais surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 109 du code général des impôts.

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