Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

SOCIETE ANONYME

Com., 30 septembre 2020, n° 18-22.076, (P)

Cassation partielle

Assemblée générale – Décision – Fraude – Fraude des associés majoritaires – Applications diverses

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 19 février 2018), R... Y..., fondateur de la société [...], entreprise de production et de commercialisation de rhum, et propriétaire du fonds de commerce de distribution de spiritueux à l'enseigne « [...] », est décédé le [...], laissant pour lui succéder ses enfants, N... Y..., M. E... Y... et Mme H... Y... épouse K... (Mme H... Y...).

2. Aux termes d'un protocole transactionnel des 13 et 20 octobre 2005, les héritiers ont, d'une part, réparti le solde des droits indivis des actions du défunt dans la société anonyme [...] entre M. E... Y... et N... Y... et, d'autre part, attribué le fonds de commerce [...] à M. E... Y... en pleine propriété, à charge pour lui d'en céder ou d'en apporter la propriété soit à la société [...], soit à une société qui détiendrait les actions de cette société.

3. Le 6 juillet 2006, les actionnaires majoritaires de la société [...], réunis en assemblée générale extraordinaire, en l'absence de N... Y..., ont approuvé l'apport du fonds de commerce [...] et décidé de l'augmentation du capital social par la création de 2 803 actions nouvelles attribuées à M. E... Y... en rémunération de l'apport.

4. N... Y... est décédée le [...], laissant pour lui succéder Mme H... Y..., Mme S... G... épouse I... (Mme I...) et Mme Q... G... épouse V... (Mme V...).

5. Estimant que cette opération d'apport et d'augmentation de capital, ce dernier ayant été sciemment sous-évalué, avait été réalisée dans des conditions fautives aboutissant à la dilution de ses droits d'associée, Mme H... Y... a assigné en responsabilité civile M. E... Y... et ses enfants, M. T... Y..., M. O... Y... et Mme U... Y... (les [...]), ainsi que les sociétés [...] et Caraïbe agricole. Mmes I... et V... sont intervenues volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche, ci-après annexé

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en ses première et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. Mme H... Y... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes alors :

« 1°/ que la fraude corrompt tout ; que la collusion frauduleuse des associés majoritaires au détriment des associés minoritaires peut être caractérisée quand bien même l'opération ayant donné son cadre à la fraude n'aurait pas porté atteinte à l'intérêt social ; qu'en retenant, pour écarter l'existence d'une fraude ayant consisté pour les [...] à sous-évaluer la société [...], en lui conférant une valeur inférieure au seul capital social hors même son aptitude à réaliser des bénéfices, lors de l'opération d'apport par M. E... Y... du fonds de commerce de l'entreprise [...] de manière à octroyer à ce dernier un nombre d'actions plus important que celui qu'il aurait dû recevoir et à diluer corrélativement la représentation de N... Y... dans la société, qu'il n'était pas établi que la société n'aurait pas eu intérêt à cette opération d'apport, la cour d'appel s'est déterminée par un motif impropre à exclure l'existence d'une collusion frauduleuse des [...] au détriment de N... Y..., associée minoritaire, en méconnaissance du principe fraus A... corrumpit ;

2°/ que toute société doit être constituée dans l'intérêt commun des associés ; que l'intérêt commun des associés, qui est le même pour chaque associé et permet à chacun d'eux de retirer un bénéfice personnel à proportion du bénéfice collectif, est distinct de l'intérêt social ; qu'en retenant, pour conclure à « l'absence de comportement fautif clairement démontré » de M. E... Y... et de ses enfants, qu'il n'était pas démontré que « la décision d'approbation de l'opération a été prise contrairement à l'intérêt général de la société », sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'opération d'apport orchestrée par les [...] n'avait pas conduit, par une sous-évaluation de la société et un octroi d'actions nouvelles trop nombreuses à M. E... Y..., à priver illégitimement N... Y..., associée minoritaire, d'une partie de ses droits en diluant sa représentation au capital de la société [...], ce qui était de nature à caractériser une violation de l'intérêt commun, indépendamment de l'intérêt social, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1833 du code civil, ensemble l'article 1134 alinéa 3 dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ; »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382 du code civil et le principe selon lequel la fraude corrompt tout :

8. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

9. Pour rejeter les demandes de Mme H... Y..., l'arrêt retient qu'elle n'établit pas que la société [...] ne pouvait tirer un avantage suffisant de la maîtrise du réseau de distribution par l'apport du fond de commerce [...], pour justifier l'avantage consenti à M. E... Y....

10. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure l'existence d'une collusion frauduleuse des [...] au détriment de N... Y..., associée minoritaire, de nature à engager leur responsabilité civile, la cour d'appel, qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l'opération d'apport orchestrée par les [...] n'avait pas conduit, par la sous-évaluation de la société et l'octroi corrélatif d'actions nouvelles nombreuses à M. E... Y..., à priver illégitimement N... Y..., associée minoritaire, d'une partie de ses droits en diluant sa participation au capital de la société [...], a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit que Mme H... Y... n'est pas prescrite en son action en responsabilité engagée contre la SARL Société Caraïbe agricole, la SARL Société [...], MM. T..., O..., E... Y... et Mme U... Y..., l'arrêt rendu le 19 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme de Cabarrus - Avocat(s) : SCP Delvolvé et Trichet ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 1382 du code civil.

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