Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

SECURITE SOCIALE, REGIMES SPECIAUX

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-19.122, (P)

Cassation

Marins – Régime de retraite – Service pris en considération – Activité en période de guerre – Loi du 18 octobre 1999 – Caractère discriminatoire (non)

Selon l'article L. 5552-17 du code des transports, entrent en compte pour le calcul des droits à pension, pour le double de leur durée, les services militaires et les temps de navigation active et professionnelle accomplis, en période de guerre, dans les conditions de date et de lieux fixées par l'article R. 6 du code des pensions de retraite des marins.

Ces dernières dispositions, qui ouvrent aux assurés du régime d'assurance vieillesse des marins le bénéfice des avantages reconnus en raison des services rendus par les personnes qui ont participé sous l'autorité de la République française à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, se bornent à préciser le principe énoncé à cette fin par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, lequel demeure sans incidence sur les règles de liquidation des droits à pension de retraite propres à chacun des régimes d'assurance vieillesse. Eu égard à leur objet, elles n'engendrent ainsi, en elles-mêmes, aucune discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 10 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 avril 2018, pourvoi n° 17-11.071), titulaire d'une pension de retraite servie par l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM), M. A... en a demandé la révision aux fins de prise en compte de la campagne double au titre de ses services militaires accomplis pendant la guerre d'Algérie.

Par décision du 30 juillet 2014, l'ENIM lui a notifié qu'il ne pouvait obtenir le bénéfice de cette bonification qu'à hauteur de cent quarante-cinq jours de campagne en sus des cent quarante-cinq jours pendant lesquels il avait été exposé au feu.

2. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel de cette Convention, les articles L. 5552-17 du code des transports et R. 6 du code des pensions de retraite des marins, le dernier, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-992 du 6 novembre 2013, applicable au litige :

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que le premier de ces textes n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés garantis par les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome. Pour que l'article 14 trouve à s'appliquer, il suffit que les faits du litige tombent sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (CEDH, arrêt du 2 novembre 2010, erife Yi it c/ Turquie [GC], n° 3976/05, § 55, et la jurisprudence qui s'y trouve mentionnée).

5. Les pensions de retraite des marins sont des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention.

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ce texte ne comporte pas un droit à acquérir des biens. Il ne limite en rien la liberté qu'ont les Etats contractants de décider s'il convient ou non de mettre en place un quelconque régime de sécurité sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations devant être accordées au titre de pareil régime. Dès lors toutefois qu'un Etat décide de créer un régime de prestations ou de pensions, il doit le faire d'une manière compatible avec l'article 14 de la Convention (CEDH, arrêt du 12 avril 2006, Stec et autres [GC], n°s 65731/01 et 65900/01, § 53 et la décision sur la recevabilité rendue dans cette même affaire, §§ 54-55, CEDH 2005-X ; CEDH, arrêt du 2 novembre 2010, erife Yi it c/ Turquie [GC], 3976/05, 2 novembre 2010, § 56).

6. Selon l'article L. 5552-17 du code des transports, entrent en compte pour le calcul des droits à pension, pour le double de leur durée, les services militaires et les temps de navigation active et professionnelle accomplis, en période de guerre, dans les conditions de date et de lieux fixées par l'article R. 6 du code des pesions de retraite des marins.

7. Ces dernières dispositions, qui ouvrent aux assurés du régime d'assurance vieillesse des marins le bénéfice des avantages reconnus aux assurés en raison des services rendus par les personnes qui ont participé sous l'autorité de la République française à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, se bornent à préciser le principe énoncé à cette fin par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, lequel demeure sans incidence sur les règles de liquidation des droits à pension de retraite propres à chacun des régimes d'assurance vieillesse. Eu égard à leur objet, elles n'engendrent ainsi, en elles-mêmes, aucune discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention.

8. Pour accueillir le recours de l'assuré et dire qu'au titre de la campagne double due à ce dernier, deux cents quatre vingt-dix jours devaient être ajoutés aux cent quarante-cinq jours déjà décomptés par l'ENIM pour son service militaire, l'arrêt retient que l'article R. 6 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance (le CPRM) porte atteinte au principe de stricte égalité et viole notamment l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme en instaurant un régime de décompte des jours différent au titre de l'exposition au feu entre les anciens combattants relevant du régime de protection sociale de l'ENIM et les autres combattants, sans que cette différence soit fondée sur un élément objectif autre que la différence de rédaction entre les dispositions réglementaires du CPRM et celles du code des pensions civiles et militaires de retraite. Il en déduit qu'il y a lieu, en conséquence, de constater que les dispositions de l'article R. 6 précité introduisent une discrimination portant atteinte au principe d'égalité entre les anciens combattants, d'en écarter l'application et par substitution de motifs, de confirmer la décision entreprise.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Le Fischer - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 5552-17 du code des transports ; article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-11.538, Bull. 2009, II, n° 206 (cassation) ; 2e Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-16.575, Bull. 2019, (rejet), et les arrêts cités.

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-14.174, (P)

Cassation

Régie autonome des transports parisiens – Accident du travail – Rechute – Prise en charge – Droit commun – Application (non)

Viole, par refus d'application, les articles 1er et 3 du décret n° 2004-174 du 23 février 2004 modifié, relatif au régime de sécurité sociale de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), 84 du règlement intérieur de la Caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP, 91 et 92 du statut du personnel de la RATP, la cour d'appel qui, pour statuer sur la demande de prise en charge d'une rechute d'accident du travail formée par un agent du cadre permanent de la RATP, fait application des articles L. 443-1 et L. 443-2 du code de la sécurité sociale.

Désistement partiel

1. Il est donné acte à la Caisse de coordination aux assurances sociales de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 11 janvier 2019), M. K... (la victime) a été victime le 31 août 2000 d'un accident du travail, pris en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse de coordination aux assurances sociales de la Régie autonome des transports parisiens (la caisse). Son état a été déclaré consolidé le 1er avril 2005, et son taux d'incapacité permanente partielle fixé à 10 %.

3. La caisse ayant rejeté sa demande du 5 mars 2012 de prise en charge de nouvelles lésions au titre d'une rechute de son accident du travail, il a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen du moyen

Sur le moyen relevé d'office

4. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 1er et 3 du décret n° 2004-174 du 23 février 2004 modifié, relatif au régime de sécurité sociale de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), 84 du règlement intérieur de la Caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP, 91 et 92 du statut du personnel de la RATP :

5. Selon le troisième de ces textes, les agents du cadre permanent de la RATP victimes d'un accident du travail ou de trajet perçoivent, pendant toute la période d'incapacité de travail qui précède soit la guérison complète, soit la consolidation de la blessure ou le décès ainsi que dans le cas de rechute ou d'aggravation dûment constatée, l'intégralité de leur rémunération statutaire mensuelle ainsi que les primes, indemnités ou allocations attachées à l'emploi et versées en cas d'indisponibilité primée.

6. Pour ordonner la prise en charge la prise en charge des lésions déclarées le 5 mars 2012 au titre d'une rechute de l'accident du travail du 31 août 2000, la cour d'appel s'est fondée sur les dispositions des articles L. 443-1 et L. 443-2 du code de la sécurité sociale.

7. En statuant ainsi, sur le fondement de textes inapplicables au litige, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE le désistement de la Caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Vigneras - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer ; SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh -

Textes visés :

Articles 1er et 3 du décret n° 2004-174 du 23 février 2004 modifié, relatif au régime de sécurité sociale de la Régie autonome des transports parisiens (RATP), 84 du règlement intérieur de la Caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP, 91 et 92 du statut du personnel de la RATP.

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