Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 18-26.390, (P)

Cassation

Dommage – Réparation – Action en responsabilité – Prescription – Point de départ – Date de la manifestation du dommage

Viole l'article 2224 du code civil une cour d'appel qui, pour déclarer irrecevable, comme prescrite, l'action en responsabilité exercée par l'acquéreur d'une parcelle contre le notaire ayant dressé l'acte de vente, retient comme point de départ de la prescription la date de l'assignation délivrée à l'acquéreur par ses voisins aux fins de voir juger que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l'indivision, alors que le dommage subi par l'acquéreur ne s'est manifesté qu'à compter de la décision passée en force de chose jugée déclarant que ladite parcelle était soumise au régime de l'indivision, de sorte que le délai de prescription a commencé à courir à compter de cette date.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 16 octobre 2018), par acte authentique dressé le 7 juin 2005 par la SCP [...], aux droits de laquelle se trouve la SCP [...] (le notaire), M. F... (l'acquéreur) a fait l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation cadastré section [...], [...] et [...].

L'acte précisait qu'il existait sur la parcelle [...] un passage commun au profit d'autres propriétaires. Toutefois, au cours des pourparlers antérieurs à la vente, le notaire avait écrit à l'acquéreur que la parcelle en cause lui appartiendrait en totalité.

2. Le 2 août 2006, les voisins de l'acquéreur l'ont assigné aux fins de voir juger que la parcelle [...] était soumise au régime de l'indivision. Cette demande a été accueillie par jugement du 4 septembre 2012, confirmé par arrêt du 20 février 2014, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi en cassation formé contre lui, selon décision du 29 septembre 2015.

3. Le 20 septembre 2016, l'acquéreur a assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage constitué par la déclaration judiciaire des droits reconnus aux voisins n'est réalisé que par la décision de justice reconnaissant ces droits et non par l'assignation des voisins, qui ne crée qu'une éventualité de dommage ; qu'en faisant courir la prescription dès le jour de l'assignation du 2 août 2006 et non du jour du jugement du 4 septembre 2012, ou de l'arrêt confirmatif du 20 février 2014 déclarant que la parcelle acquise par l'acquéreur était en indivision avec ses voisins et ordonnant la rectification en ce sens de l'acte notarié du 7 juin 2005, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

6. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient que, bien que le caractère indivis de la parcelle ne soit devenu définitif qu'en vertu de l'arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015, l'acte notarié est contesté depuis que l'acquéreur a été assigné par ses voisins, soit depuis le 2 août 2006.

7. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par l'acquéreur ne s'est manifesté qu'à compter de la décision passée en force de chose jugée du 20 février 2014 déclarant que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l'indivision, de sorte que le délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-17.721, (P)

Cassation

Dommage – Réparation – Conditions – Exécution d'une décision de justice – Décision provisoire – Faute – Nécessité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 novembre 2018), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 12 mai 2016, pourvoi n° 15-18.052), M. N... a été condamné, le 3 avril 2006, par un jugement assorti de l'exécution provisoire, à payer une certaine somme à M. G..., qui a fait procéder à la saisie d'un véhicule automobile appartenant à M. N..., le 12 septembre 2006. Ce jugement a été confirmé par l'arrêt d'une cour d'appel du 23 février 2010.

2. Par jugement du 2 septembre 2007, assorti de l'exécution provisoire, un juge de l'exécution a rejeté la demande de mainlevée de la mesure d'exécution formée par M. N..., qui soutenait que le véhicule saisi, nécessaire à son activité professionnelle, était insaisissable.

3. Ce jugement a été infirmé par un arrêt du 29 juin 2009, qui a ordonné la mainlevée de la saisie.

4. Le véhicule ayant, entre-temps, été vendu aux enchères publiques, M. N... a saisi un tribunal de grande instance aux fins d'indemnisation de divers préjudices.

L'arrêt de la cour d'appel qui avait accueilli partiellement ces demandes a été cassé en toutes ses dispositions, au visa de l'article 12, alinéa 1er, du code de procédure civile, la cour d'appel n'ayant pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, faute d'avoir précisé le fondement juridique de sa décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. M. N... fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions au fond et, statuant à nouveau, de dire qu'il ne rapporte pas la preuve d'une faute de M. G... et de rejeter toutes ses demandes en paiement, alors « que l'exécution d'un jugement assorti de l'exécution provisoire n'a lieu qu'aux risques et périls de celui qui la poursuit, à charge pour lui d'en réparer, en cas d'infirmation de la décision exécutée, les conséquences dommageables sans qu'il soit nécessaire de relever une faute à son encontre ; qu'en déboutant M. N... de ses prétentions indemnitaires découlant de l'exécution provisoire du jugement rendu par le juge de l'exécution en date du 2 août 2007, infirmé par l'arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 19 juin 2009, en relevant que la preuve ne serait pas rapportée que M.G... aurait commis une faute en poursuivant l'exécution provisoire d'une décision de justice, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée de l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution, ensemble l'article 1382 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution :

6. Selon cet article, sous réserve des dispositions de l'article L. 311-4 du même code, l'exécution forcée peut être poursuivie jusqu'à son terme en vertu d'un titre exécutoire à titre provisoire. Elle n'a lieu qu'aux risques de celui qui la poursuit, à charge pour lui, si le titre est ultérieurement modifié, d'en réparer les conséquences dommageables et de rétablir ainsi le débiteur dans ses droits en nature ou par équivalent.

7. Pour infirmer le jugement en toutes ses dispositions au fond et rejeter toutes les demandes en paiement de M. N... dirigées contre M. G..., l'arrêt retient qu'il ne rapporte pas la preuve d'une faute de ce dernier.

8. En statuant ainsi, en se fondant sur le fait que la preuve ne serait pas rapportée que M. G... aurait commis une faute en poursuivant l'exécution provisoire d'une décision de justice, alors qu'il avait poursuivi l'exécution de la saisie jusqu'à son terme, à ses risques, quand bien même un appel avait été exercé contre le jugement, exécutoire par provision, qui avait rejeté la contestation de la saisie formée par le débiteur et ordonné la mainlevée de la saisie avait été ordonnée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Leroy-Gissinger - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 111-10 du code des procédures civiles d'exécution.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 22 janvier 2004, pourvoi n° 01-00.580, Bull. 2004, II, n° 18 (cassation), et l'arrêt cité ; 3e Civ., 21 octobre 2009, pourvoi n° 08-12.687, Bull. 2009, III, n° 230 (rejet), et l'arrêt cité.

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-11.882, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Non-cumul des deux ordres de responsabilité – Domaine de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Magasin libre-service – Organisation et fonctionnement – Responsabilité du commerçant à l'égard de ses clients

La responsabilité de l'exploitant d'un magasin dont l'entrée est libre ne peut être engagée, à l'égard de la victime d'une chute survenue dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l'origine, que sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil, à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état, a été l'instrument du dommage.

Dès lors, encourt la cassation l'arrêt qui, pour accueillir la demande indemnitaire formée par une cliente ayant trébuché sur un panneau publicitaire, énonce que, conformément à l'article L. 221-1, devenu L. 421-3 du code de la consommation, l'exploitant d'un tel magasin est débiteur d'une obligation générale de sécurité de résultat.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 11 décembre 2018), Mme P... a été victime d'une chute au sein d'un magasin exploité par la société Carrefour hypermarchés (la société Carrefour), après avoir trébuché sur un panneau publicitaire métallique.

2. Elle a obtenu en référé la désignation d'un expert, puis a assigné en responsabilité et indemnisation la société Carrefour, ainsi que son assureur, la société Zurich Insurance Public Limited Company, et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire (la CPAM), qui a demandé le remboursement de ses débours.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société Carrefour et son assureur font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer différentes sommes à Mme P... en réparation de son préjudice corporel et à la CPAM au titre de ses débours, alors « que l'arrêt a constaté, en fait, que Mme P... s'était fracturé le poignet en trébuchant sur un panneau publicitaire métallique dans l'hypermarché Carrefour de Mably ; que la responsabilité de l'exploitant d'un magasin en libre-service ne peut être recherchée, par une personne ayant fait une chute dans le magasin, que sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle et non sur celui de l'article L. 221-1, devenu l'article L. 421-3 du code de la consommation, ainsi que l'a indiqué l'arrêt isolé et non publié rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 20 septembre 2017 ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a écarté la responsabilité délictuelle de la société Carrefour hypermarchés en l'absence de preuve du positionnement anormal du panneau ; que dès lors, en retenant néanmoins sa responsabilité sur le fondement du principe posé par l'arrêt du 20 septembre 2017 précité, la cour d'appel a violé l'article L. 221-1, devenu l'article L. 421-3 du code de la consommation, par fausse application. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil et L. 221-1, alinéa 1er, devenu L. 421-3 du code de la consommation :

4. La responsabilité de l'exploitant d'un magasin dont l'entrée est libre ne peut être engagée, à l'égard de la victime d'une chute survenue dans ce magasin et dont une chose inerte serait à l'origine, que sur le fondement du premier des textes susvisés, à charge pour la victime de démontrer que cette chose, placée dans une position anormale ou en mauvais état, a été l'instrument du dommage.

5. Si le second de ces textes édicte au profit des consommateurs une obligation générale de sécurité des produits et services, il ne soumet pas l'exploitant d'un tel magasin à une obligation de sécurité de résultat à l'égard de la clientèle, contrairement à ce qui a été jugé (1re Civ., 20 septembre 2017, pourvoi n° 16-19.109).

6. Pour accueillir les demandes de Mme P... et de la CPAM, après avoir estimé que la preuve du positionnement anormal du panneau publicitaire litigieux n'était pas rapportée et en avoir déduit que la responsabilité de la société Carrefour ne pouvait pas être engagée sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil, l'arrêt énonce que, conformément à l'article L. 221-1, devenu L. 421-3 du code de la consommation, cette dernière est débitrice d'une obligation générale de sécurité de résultat et que le fait que Mme P... ait été blessée suffit à retenir sa responsabilité sur ce fondement.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. Les demandes formées par Mme P... à l'encontre de la société Carrefour, sur le fondement de l'article L. 221-1, alinéa 1er, devenu L. 421-3 du code de la consommation, doivent être rejetées, ainsi que la demande en remboursement de ses débours formée par la CPAM.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande formée par Mme P... sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, devenu 1242, alinéa 1er, du code civil, l'arrêt rendu le 11 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes formées à l'encontre de la société Carrefour hypermarchés par Mme P... sur le fondement de l'article L. 221-1, devenu L. 421-3 du code de la consommation ;

REJETTE la demande formée à l'encontre de la société Carrefour hypermarchés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Foussard et Froger ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 1384, alinéa 1, devenu 1242, alinéa 1, du code civil ; article L. 221-1, alinéa 1, devenu L. 421-3 du code de la consommation.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 5 juin 1991, pourvoi n° 88-20.132, Bull. 1991, II, n° 176 (rejet) ; 1re Civ., 29 mai 1996, pourvoi n° 94-16.820, Bull. 1996, I, n° 227 (rejet) ; 1re Civ., 9 juillet 2002, pourvoi n° 99-15.471, Bull. 2002, I, n° 188 (rejet).

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