Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

PROTECTION DES CONSOMMATEURS

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-14.934, (P)

Cassation

Clauses abusives – Caractère abusif – Appréciation – Eléments pris en considération – Exclusion – Cas – Clause de calcul des intérêts conventionnels sur la base d'une année lombarde n'entraînant pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat

Il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d'une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois-cent-soixante jours, d'un semestre de cent-quatre-vingts jours, d'un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d'un mois de trente jours, d'apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Dès lors, viole l'article L. 132-1 du code de la consommation dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, une cour d'appel, qui pour déclarer abusive une telle clause dans un contrat de prêt, retient que celle-ci prive les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu'elle présente comme telle un caractère abusif, quelle que soit l'importance de son impact réel.

Clauses abusives – Définition – Clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties – Exclusion – Conditions – Cas

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 7 février 2019), suivant offre acceptée le 19 janvier 2013, la Caisse d'épargne et de prévoyance d'Auvergne et du Limousin (la banque) a consenti à M. V... et Mme R... (les emprunteurs) deux prêts destinés à l'acquisition d'un bien immobilier, le premier ayant fait l'objet d'un remboursement anticipé en juin 2014 et le second ayant été modifié par avenant du 25 septembre 2015.

2. Soutenant que la clause du contrat qui prévoyait un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante jours présentait un caractère abusif, les emprunteurs ont assigné la banque en substitution de l'intérêt légal et remboursement des intérêts déjà versés excédant le taux légal.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La banque fait grief à l'arrêt de déclarer abusive et non-écrite la clause de calcul des intérêts pendant la phase d'amortissement, de la condamner à restituer la différence entre le montant des intérêts conventionnels versés au titre des prêts et le montant des intérêts au taux légal, et d'ordonner la substitution de l'intérêt légal pour les échéances à venir, alors « que le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, caractérisant une clause abusive, doit s'apprécier en comparant la situation juridique du consommateur telle qu'elle résulte de la clause critiquée avec celle qui résulterait de la loi si cette clause n'avait pas été stipulée ; que le déséquilibre significatif n'est caractérisé que si la clause porte une atteinte suffisamment grave aux droits que le consommateur tirait ainsi de la loi ; qu'au cas présent, la banque soutenait que le calcul des intérêts journaliers sur la base d'une année de trois cent soixante jours, tel que résultant de la clause critiquée, avait généré un surcoût d'un montant de 11,65 euros au détriment des emprunteurs par rapport au calcul sur la base d'une année civile de trois cent soixante-cinq jours, tel que résultant de la loi ; que, pour déclarer la clause critiquée abusive, la cour d'appel a dit que l'importance de son impact réel ne devait pas être prise en compte ; qu'en faisant ainsi abstraction de l'impact réel de la clause sur le montant des intérêts, la cour d'appel a refusé de procéder à la comparaison entre la situation juridique du consommateur telle qu'elle résulte de la clause et telle qu'elle résulterait de la loi, et s'est mise dans l'impossibilité de déterminer si la clause portait une atteinte suffisamment grave aux droits légaux des emprunteurs, violant l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction alors applicable. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 :

4. Aux termes de ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

5. Il en résulte qu'il incombe aux juges du fond, examinant le caractère abusif d'une clause prévoyant un calcul des intérêts sur la base d'une année de trois cent soixante jours, d'un semestre de cent quatre-vingts jours, d'un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d'un mois de trente jours, d'apprécier quels sont ses effets sur le coût du crédit, afin de déterminer si elle entraîne ou non un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

6. Pour déclarer abusive la clause du contrat de prêt selon laquelle, durant la phase d'amortissement, les intérêts sont calculés sur le montant du capital restant dû, au taux d'intérêt mentionné dans l'acte sur la base d'une année bancaire de trois cent soixante jours, d'un semestre de cent quatre-vingts jours, d'un trimestre de quatre-vingt-dix jours et d'un mois de trente jours, l'arrêt retient que la stipulation qui fait référence à un calcul des intérêts sur une durée de trois cent soixante jours et non d'une année civile de trois cent soixante-cinq jours prive les consommateurs de la possibilité de calculer le coût réel de leur crédit, qu'elle présente comme telle un caractère abusif, quelle que soit l'importance de son impact réel et qu'elle doit être déclarée non écrite.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Serrier - Avocat général : M. Sudre - Avocat(s) : SCP Thouin-Palat et Boucard ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 4 juillet 2019, pourvoi n° 17-27.621, Bull. 2019, (rejet) ; 1re Civ., 27 novembre 2019, pourvoi n° 18-19.097, Bull. 2019, (cassation).

1re Civ., 23 septembre 2020, n° 19-12.894, (P)

Rejet

Pratiques commerciales réglementées – Pratiques commerciales trompeuses – Caractérisation – Défaut – Applications diverses

Après avoir retenu à bon droit que, si des actes de saisine de juridictions, mis à disposition des internautes, complétés en ligne, et transmis par une société en format papier au greffe de la juridiction, étaient irréguliers comme étant signés électroniquement, cette irrégularité ne saurait, conformément aux dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, être prononcée, dès lors que le demandeur comparaîtrait à l'audience et que le défendeur ne prouverait pas l'existence d'un grief et relevé que la société informait les visiteurs de ses sites de l'éventualité que cette irrégularité soit relevée et du moyen d'y remédier en signant manuellement leur déclaration, une cour d'appel a pu en déduire que, cette irrégularité ne faisant pas obstacle au jugement des affaires en cause et les visiteurs en étant informés, les indications données par la société sur ses sites relatives à la saisine des juridictions ne caractérisaient pas une pratique commerciale trompeuse.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2018), la société Demander justice (la société) exploite deux sites Internet intitulés [...] et [...], lesquels, moyennant rémunération, ont mis à la disposition des internautes des déclarations de saisine d'un tribunal d'instance, d'une juridiction de proximité ou d'un conseil de prud'hommes, pouvant être complétées en ligne avec les informations utiles et étant ensuite adressées par la société en format papier au greffe de la juridiction, revêtues d'une signature électronique du demandeur et accompagnées des pièces justificatives.

2. Le Conseil national des barreaux (le CNB) a, le 8 décembre 2014, assigné la société aux fins d'obtenir sa condamnation sous astreinte à cesser toute activité d'assistance et de représentation en justice, de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé, ainsi que l'exploitation des sites Internet litigieux, en invoquant notamment l'existence d'une pratique commerciale trompeuse.

L'ordre des avocats au barreau de Paris (l'ordre des avocats) est intervenu volontairement à l'instance et a formé les mêmes demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le CNB, auquel s'associe l'ordre des avocats, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en écartant la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, aux motifs inopérants que cette nullité pourrait être couverte à l'audience, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble les articles 58, 115 et 121 du code de procédure civile ;

2°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en jugeant, pour écarter la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, que la nullité ne sera pas prononcée « faute pour le défendeur de prouver le grief que lui aurait causé l'irrégularité qu'il soulève », quand, l'existence du grief causé par un vice de forme étant appréciée in concreto, il ne pouvait être par principe exclu que l'absence de signature ne causerait jamais aucun grief au défendeur, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble les articles 58 et 114 du code de procédure civile ;

3°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en jugeant, pour écarter la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, que « cette façon de procéder n'[a] pas posé de difficulté sauf dans une demi-douzaine de cas, les internautes étant informés de la solution consistant à réitérer la saisine avec la signature manuelle de la déclaration » et précisant sur ce dernier point que « la société Demander Justice prévient [...] les visiteurs de son site que certains tribunaux (une demi-douzaine recensée) ne considère pas comme valide ce mode de saisine, de sorte que dans cette hypothèse, les clients, qui se trouveraient dans cette situation rarissime, auront à signer manuellement la déclaration de saisine », quand cette information était elle-même trompeuse, faute pour la société d'avertir ses clients sur l'existence systématique d'un risque de voir prononcée la nullité de l'acte de saisine établi par son intermédiaire, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble l'article 58 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, selon l'article 58, alinéa 8, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, concernant la demande en justice en matière contentieuse, la requête ou la déclaration par laquelle le demandeur saisit la juridiction est datée et signée.

L'article 843 du code de procédure civile, relatif à la saisine du tribunal d'instance, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret précité, précise que la déclaration doit notamment contenir les mentions prescrites par l'article 58 de ce code et l'article R. 1452-2 du code du travail, relatif à la saisine du conseil des prud'hommes, énonce qu'à peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du code de procédure civile.

5. Le recours à une signature électronique en procédure civile a été réservé par l'article 1er du décret n° 2010-434 du 29 avril 2010 aux actes accomplis par les auxiliaires de justice.

6. L'irrégularité ou l'absence d'une signature figurant sur la requête ou la déclaration de saisine relève du régime de la nullité des actes pour vice de forme prévu à l'article 114 du code procédure civile, qui ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire de prouver un grief et qui, selon l'article 115, peut être couverte par la régularisation ultérieure de l'acte.

7. En second lieu, il résulte des articles L. 120-1 et L. 121-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsque, soit elle contient des informations fausses, soit elle est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, et est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement (1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.669, publié, et Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 14-22.245, Bull. 2016, IV, n° 128).

8. Après avoir constaté que les actes de saisine des juridictions, signés électroniquement par les requérants, sont accompagnés de justificatifs de leur authentification et relevé, par motifs propres et adoptés, que la société prévient les visiteurs de ses sites que certains tribunaux ne considèrent pas comme valide un tel mode de saisine, de sorte qu'il leur incomberait de réitérer la saisine, lors de l'audience, en signant manuellement leur déclaration, l'arrêt retient, à bon droit, que, dans l'hypothèse où la saisine serait contestée, une nullité ne saurait, conformément aux dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, être prononcée, dès lors que le demandeur comparaîtrait à l'audience et que le défendeur ne prouverait pas l'existence d'un grief.

9. La cour d'appel a pu en déduire que l'irrégularité liée à la signature électronique ne faisait pas obstacle au jugement des affaires en cause et que les internautes étaient informés de l'éventualité qu'elle soit relevée et du moyen d'y remédier, de sorte que les indications données par la société sur ses sites relatives à la saisine des juridictions ne caractérisaient pas une pratique commerciale trompeuse.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article 58, alinéa 8, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 ; articles 144 et 843 du code de procédure civile ; articles L. 120-1 et L. 121-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 1 du décret n° 2010-434 du 29 avril 2010.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 23 mai 2013, pourvoi n° 12-16.933, Bull. 2013, II, n° 100 (cassation), et les arrêts cités ; Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 14-22.245, Bull. 2016, IV, n° 128 (cassation partielle) ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.669, Bull. 2017, I, n° 106 (cassation partielle) ; 2e Civ., 22 mars 2018, pourvoi n° 17-10.576, Bull. 2018, II, n° 61 (cassation).

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