Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

PROCEDURE CIVILE

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-18.608, (P)

Cassation

Acte de procédure – Nullité – Irrégularité de fond – Régularisation – Moment – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 30 avril 2019), la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (la caisse) a interjeté appel, le 8 avril 2016, d'un jugement rendu par un tribunal du contentieux de l'incapacité dans un litige l'opposant à la société Pomona, notifié le 17 mars 2016.

2. La déclaration d'appel a été formée par un agent de la caisse dépourvu du pouvoir spécial requis par l'article 931 du code de procédure civile. Un pouvoir spécial daté du 4 septembre 2018 a été produit à l'audience des débats.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de constater la nullité de l'appel, alors « que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure tel qu'une irrégularité de fond, interrompt les délais de prescription comme de forclusion, de sorte qu'il est possible de régulariser une déclaration d'appel entachée d'un vice de procédure jusqu'au moment ou le juge statue ; qu'en l'espèce, l'arrêt a constaté que l'acte d'appel formé pour le compte de la caisse le 8 avril 2016 était entaché d'une irrégularité de fond tirée du défaut de pouvoir de la responsable du département juridique ; qu'en constatant la nullité de cet acte d'appel formé le 8 avril 2016 au prétexte qu'il n'avait été régularisé par le directeur général de la caisse que le 4 septembre 2018, soit après le délai d'un mois pour former appel, lorsque la régularisation de la déclaration d'appel demeurait possible jusqu'a ce que le juge statue, la cour nationale de l'incapacité et de la tarification a violé les articles 2241, alinéa 2, du code civil et l'article 121 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241, alinéa 2, du code civil et 121 du code de procédure civile :

4. Il résulte du premier de ces textes que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompt les délais de prescription comme de forclusion.

5. Pour constater la nullité de l'appel, l'arrêt retient que l'acte d'appel, affecté d'une irrégularité de fond, a été régularisé après l'expiration du délai d'appel d'un mois.

6. En statuant ainsi, alors que la déclaration d'appel, entachée d'une irrégularité de fond en l'absence de pouvoir spécial de l'agent de la caisse mandaté pour former appel, avait interrompu le délai d'appel et que sa régularisation restait possible jusqu'à ce que le juge statue, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2019, entre les parties, par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2241, alinéa 2, du code civil ; article 121 du code de procédure civile.

1re Civ., 23 septembre 2020, n° 19-12.894, (P)

Rejet

Acte de procédure – Nullité – Vice de forme – Conditions – Existence d'un grief – Preuve – Nécessité

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 novembre 2018), la société Demander justice (la société) exploite deux sites Internet intitulés [...] et [...], lesquels, moyennant rémunération, ont mis à la disposition des internautes des déclarations de saisine d'un tribunal d'instance, d'une juridiction de proximité ou d'un conseil de prud'hommes, pouvant être complétées en ligne avec les informations utiles et étant ensuite adressées par la société en format papier au greffe de la juridiction, revêtues d'une signature électronique du demandeur et accompagnées des pièces justificatives.

2. Le Conseil national des barreaux (le CNB) a, le 8 décembre 2014, assigné la société aux fins d'obtenir sa condamnation sous astreinte à cesser toute activité d'assistance et de représentation en justice, de consultation juridique et de rédaction d'actes sous seing privé, ainsi que l'exploitation des sites Internet litigieux, en invoquant notamment l'existence d'une pratique commerciale trompeuse.

L'ordre des avocats au barreau de Paris (l'ordre des avocats) est intervenu volontairement à l'instance et a formé les mêmes demandes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le CNB, auquel s'associe l'ordre des avocats, fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors :

« 1°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en écartant la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, aux motifs inopérants que cette nullité pourrait être couverte à l'audience, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble les articles 58, 115 et 121 du code de procédure civile ;

2°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en jugeant, pour écarter la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, que la nullité ne sera pas prononcée « faute pour le défendeur de prouver le grief que lui aurait causé l'irrégularité qu'il soulève », quand, l'existence du grief causé par un vice de forme étant appréciée in concreto, il ne pouvait être par principe exclu que l'absence de signature ne causerait jamais aucun grief au défendeur, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble les articles 58 et 114 du code de procédure civile ;

3°/ que constitue une pratique trompeuse le fait pour un professionnel d'induire le consommateur en erreur sur les caractéristiques essentielles du service qu'il propose, notamment sur sa capacité à atteindre le résultat promis et sur la validité des actes qu'il accomplit ; qu'en jugeant, pour écarter la commission par la société, qui promet à ses clients « la constitution d'un dossier parfaitement conforme aux dispositions du code de procédure civile [leur] évitant ainsi tout rejet de [leur] dossier pour vice de forme », de pratiques commerciales trompeuses résultant de l'envoi pour le compte de ses clients aux greffes des juridictions d'actes de saisine intrinsèquement nuls car dépourvus de signature manuscrite, que « cette façon de procéder n'[a] pas posé de difficulté sauf dans une demi-douzaine de cas, les internautes étant informés de la solution consistant à réitérer la saisine avec la signature manuelle de la déclaration » et précisant sur ce dernier point que « la société Demander Justice prévient [...] les visiteurs de son site que certains tribunaux (une demi-douzaine recensée) ne considère pas comme valide ce mode de saisine, de sorte que dans cette hypothèse, les clients, qui se trouveraient dans cette situation rarissime, auront à signer manuellement la déclaration de saisine », quand cette information était elle-même trompeuse, faute pour la société d'avertir ses clients sur l'existence systématique d'un risque de voir prononcée la nullité de l'acte de saisine établi par son intermédiaire, la cour d'appel a violé les articles L. 121-1, L. 121-2 et L. 121-4 du code de la consommation, ensemble l'article 58 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, selon l'article 58, alinéa 8, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, concernant la demande en justice en matière contentieuse, la requête ou la déclaration par laquelle le demandeur saisit la juridiction est datée et signée.

L'article 843 du code de procédure civile, relatif à la saisine du tribunal d'instance, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret précité, précise que la déclaration doit notamment contenir les mentions prescrites par l'article 58 de ce code et l'article R. 1452-2 du code du travail, relatif à la saisine du conseil des prud'hommes, énonce qu'à peine de nullité, la requête comporte les mentions prescrites à l'article 58 du code de procédure civile.

5. Le recours à une signature électronique en procédure civile a été réservé par l'article 1er du décret n° 2010-434 du 29 avril 2010 aux actes accomplis par les auxiliaires de justice.

6. L'irrégularité ou l'absence d'une signature figurant sur la requête ou la déclaration de saisine relève du régime de la nullité des actes pour vice de forme prévu à l'article 114 du code procédure civile, qui ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire de prouver un grief et qui, selon l'article 115, peut être couverte par la régularisation ultérieure de l'acte.

7. En second lieu, il résulte des articles L. 120-1 et L. 121-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, qu'une pratique commerciale est réputée trompeuse lorsque, soit elle contient des informations fausses, soit elle est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, et est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement (1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.669, publié, et Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 14-22.245, Bull. 2016, IV, n° 128).

8. Après avoir constaté que les actes de saisine des juridictions, signés électroniquement par les requérants, sont accompagnés de justificatifs de leur authentification et relevé, par motifs propres et adoptés, que la société prévient les visiteurs de ses sites que certains tribunaux ne considèrent pas comme valide un tel mode de saisine, de sorte qu'il leur incomberait de réitérer la saisine, lors de l'audience, en signant manuellement leur déclaration, l'arrêt retient, à bon droit, que, dans l'hypothèse où la saisine serait contestée, une nullité ne saurait, conformément aux dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, être prononcée, dès lors que le demandeur comparaîtrait à l'audience et que le défendeur ne prouverait pas l'existence d'un grief.

9. La cour d'appel a pu en déduire que l'irrégularité liée à la signature électronique ne faisait pas obstacle au jugement des affaires en cause et que les internautes étaient informés de l'éventualité qu'elle soit relevée et du moyen d'y remédier, de sorte que les indications données par la société sur ses sites relatives à la saisine des juridictions ne caractérisaient pas une pratique commerciale trompeuse.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Duval-Arnould - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gaschignard -

Textes visés :

Article 58, alinéa 8, du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure à celle issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 ; articles 144 et 843 du code de procédure civile ; articles L. 120-1 et L. 121-1 du code de la consommation, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 ; article 1 du décret n° 2010-434 du 29 avril 2010.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 23 mai 2013, pourvoi n° 12-16.933, Bull. 2013, II, n° 100 (cassation), et les arrêts cités ; Com., 4 octobre 2016, pourvoi n° 14-22.245, Bull. 2016, IV, n° 128 (cassation partielle) ; 1re Civ., 11 mai 2017, pourvoi n° 16-13.669, Bull. 2017, I, n° 106 (cassation partielle) ; 2e Civ., 22 mars 2018, pourvoi n° 17-10.576, Bull. 2018, II, n° 61 (cassation).

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 18-23.626, (P)

Rejet

Conclusions – Conclusions d'appel – Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 septembre 2018), la société T. Imar Bankasi T.A.S.(la banque) ayant fait faillite, la société Müflis T. Imar bankasi T.A.S Iflas idaresi (le liquidateur), a engagé des procédures judiciaires à l'encontre de ses dirigeants, dont M. N.... Ce dernier ayant été condamné par des jugements du tribunal de première d'instance d'Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur de la banque a fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d'associé et valeurs mobilières, ainsi qu'à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée au domicile de M. N.... Ce dernier a saisi un juge de l'exécution à fin de contester ces mesures.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur de la banque fait grief à l'arrêt d'annuler la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017, alors « que l'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès leurs conclusions mentionnées à l'article 905-2, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que l'article 954 ajoute que les prétentions sont récapitulées dans un dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'en prononçant l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté la contestation de M. N... portant sur la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017 et en ce qu'il avait condamné M. N... aux dépens, après avoir constaté que dans le dispositif de ses premières conclusions du 13 mars 2018, signifiées dans le délai d'un mois de l'article 905-2 du code de procédure civile, il n'était pas demandé l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 905-2, 910-4 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

5. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d' appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

6. Ayant constaté que dans le dispositif de ses conclusions, signifiées le 13 mars 2018, l'appelant ne demandait pas l'infirmation du jugement attaqué mais l'annulation des saisies, leur mainlevée ou leur cantonnement, la cour d'appel ne pouvait que confirmer ce jugement.

7. Toutefois, la déclaration d'appel étant antérieure au présent arrêt, il n'y a pas lieu d'appliquer la règle énoncée au paragraphe 4 au présent litige.

8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

9. Le liquidateur de la banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, qui dispose qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est applicable qu'aux mesures d'exécution forcée et non aux mesures conservatoires ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte étant inapplicable aux saisies conservatoires, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que la référence, par l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, en ce qu'elle laisse penser que le texte se rapporte à la seule saisie vente, ainsi d'ailleurs qu'il ressort des travaux parlementaires, puisque l'exigence d'un commandement de payer pour une saisie conservatoire retirerait tout effet utile à la saisie, en affecte la cohérence et la clarté quant à son champ d'application ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'à supposer l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution applicable aux mesures conservatoires, le non-respect de cette disposition, qui prévoit qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte, à le supposer applicable aux saisies conservatoires, n'étant pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et des meubles.

11. Nonobstant l'emplacement de ce texte dans le Livre 1 du code des procédures civiles d'exécution, intitulé « dispositions générales », sa lettre même, qui exige que l'entrée dans un lieu servant à l'habitation et l'ouverture éventuelle des portes et des meubles soient précédées d'un commandement et que l'huissier de justice justifie d'un titre exécutoire, exclut son application à une mesure conservatoire, qui, en application de l'article L. 511-1 du même code, ne nécessite pas la délivrance préalable d'un commandement et peut être accomplie sans titre exécutoire.

12. Toutefois, s'il résulte de l'article L. 521-1 du même code, selon lequel la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l'ouverture des portes et des meubles, le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile, également consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, exclut qu'une telle mesure puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.

13. Une mesure conservatoire ne peut, par conséquent, être pratiquée dans un lieu affecté à l'habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l'exécution l' y ait autorisé en application de l'article R. 121-24 du code des procédures civiles d'exécution, et ce même dans l'hypothèse prévue à l'article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. A défaut, la mesure doit être annulée.

14. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, l'arrêt, qui a constaté que l'huissier de justice n'était pas muni de l'autorisation d'un juge pour pénétrer dans le lieu servant à l'habitation de M. N..., se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 542 et 954 du code de procédure civile ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles R. 121-24 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution.

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-19.196, (P)

Rejet

Exception – Proposition in limine litis – Exception fondée sur l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 7 mai 2019), estimant qu'un article publié le 25 février 2017 dans le Journal de Saône-et-Loire contenait des propos diffamatoires à son égard, Mme L... a, par actes des 18 et 23 mai 2017, assigné en réparation, sur le fondement des articles 29, alinéa 1, et 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, la société Est Bourgogne média, M. V..., pris en sa qualité de directeur de la publication, et Mme R..., auteur de l'article litigieux. Ces derniers ont soulevé la nullité de l'assignation, invoquant des irrégularités tenant, notamment, à l'absence de notification au ministère public dans le délai imparti.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Mme L... fait grief à l'arrêt d'annuler l'assignation délivrée à M. V..., à la société Est Bourgogne média et à Mme R..., pour défaut de notification au ministère public dans le délai imparti, alors :

« 1°/ qu'en l'absence de précision expresse posée par l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881, l'assignation doit être notifiée au ministère public en temps utile, c'est-à-dire à une date laissant suffisamment de temps à ce dernier avant la clôture des débats pour lui permettre de conclure ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la notification au ministère public devait intervenir avant l'expiration du délai pour conclure figurant sur le premier avis notifié aux parties, qui correspond à la date de la première évocation de l'affaire, soit en l'espèce le 20 septembre 2017 ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a ajouté à la loi et violé l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ que, subsidiairement, un manquement à l'obligation de notifier l'assignation au ministère public ne pouvant pas être relevé en tout état de cause, cette exigence constitue un vice de forme, qui ne peut être sanctionné que sur justification, par celui qui l'invoque, d'un grief causé par ledit vice ; qu'en l'espèce, Mme L... avait démontré que la date à laquelle l'assignation avait été notifiée, le 25 octobre 2017, n'avait causé aucun grief à quiconque, le ministère public ayant disposé du temps requis pour intervenir efficacement, puisqu'il avait pu participer à la première audience du 6 novembre 2017 et qu'un renvoi au 8 janvier 2018 avait ensuite été ordonné ; qu'en déclarant néanmoins nulle l'assignation, sans constater que les parties qui s'en prévalaient justifiaient d'un grief résultant de la prétendue tardiveté de cette notification, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 114 du code de procédure civile ;

3°/ que, très subsidiairement, s'il était considéré que la tardiveté de la notification de l'assignation au ministère public constituait un vice de fond, il s'en déduirait que celui-ci est régularisé lorsque sa cause a disparu au moment où le juge statue ; qu'en l'espèce, Mme L... faisait valoir que l'assignation avait été signifiée au ministère public avant que le tribunal ne statue, de sorte qu'un éventuel vice à ce titre avait été régularisé ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en tout état de cause, constitue un obstacle excessif à l'accès au juge le fait d'interpréter une loi pour en tirer un délai qu'elle ne formule pas et dont aucune raison n'exigeait qu'il soit opposé à une partie qui ne pouvait pas le connaître ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'article 53, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 n'instaurait aucun délai pour notifier l'assignation au ministère public et que la question était affectée par la mise en place des procédures dématérialisées, sans qu'aucun texte, ni aucune jurisprudence ne fixe clairement le terme du délai dans lequel l'assignation devait être notifiée, et a retenu une date ultime de notification, le 20 septembre 2017, très différente de celle fixée par le premier juge, à savoir le 6 juillet 2017 ; qu'en déclarant néanmoins nul l'acte introductif d'instance, au motif qu'il avait été délivré le 25 octobre 2017, la cour d'appel a soumis l'exercice par Mme L... de son droit d'agir en justice à une condition qui n'était pas clairement établie, qu'elle ne connaissait pas auparavant, dont la rigueur n'était pas justifiée puisqu'aucun grief ne résultait du non-respect de cette règle et, partant, à un obstacle illégitime et excessif et a violé l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

3. Conformément à l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui doit recevoir application devant la juridiction civile (Ass. plén., 15 février 2013, pourvoi n° 11-14.637, Bull. 2013, Ass. plén., n° 1), la citation délivrée à la requête du plaignant est notifiée au ministère public, à peine de nullité de la poursuite.

4. Cette notification doit être effectuée, devant la juridiction pénale, avant la date à laquelle le prévenu est appelé à comparaître aux termes de la citation introductive d'instance (Crim., 30 mai 1967, pourvoi n° 66-91.606, Bull. crim. 1967, n° 166 ; Crim., 18 février 1986, pourvoi n° 85-91.178, Bull. crim. 1986, n° 64 ; Crim., 20 mai 2008, pourvoi n° 07-81.113).

5. Le principe de l'unicité du procès de presse, consacré par l'assemblée plénière de la Cour de cassation dans l'arrêt, précité, du 15 février 2013, conduit à juger que, devant la juridiction civile, l'assignation doit être notifiée au ministère public avant la date de la première audience de procédure.

6. Le moyen de nullité tiré du défaut d'accomplissement d'une telle formalité est une exception de procédure qui doit, en application des articles 73 et 74, alinéa 1er, du code de procédure civile, être invoquée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (2e Civ., 9 décembre 1999, pourvoi n° 97-21.074, Bull. 1999, n° 187), sans que celui qui l'invoque ait à justifier d'un grief (2e Civ., 6 février 2003, pourvoi n° 00-22.697, Bull. 2003, II, n° 30).

7. Ces règles de procédure, destinées à préserver les droits de la défense de l'auteur des propos incriminés et à garantir le respect de sa liberté d'expression, poursuivent un but légitime au regard du droit d'accès à un tribunal garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

8. Dès lors, après avoir constaté que l'affaire avait pour la première fois été appelée à l'audience du 20 septembre 2017 et que l'assignation n'avait été notifiée au parquet de Chalon-sur-Saône que le 25 octobre suivant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche visée par la deuxième branche du moyen ni de répondre à des conclusions inopérantes, en a exactement déduit que cette assignation était nulle.

9. Elle n'a pas, ainsi, porté une atteinte disproportionnée au droit d'accès à un tribunal de Mme L..., la règle dont elle a fait application étant, au jour de la délivrance de l'acte en cause, suffisamment prévisible, eu égard à la jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, précitée, et au principe de l'unicité du procès de presse affirmé depuis le 15 février 2013.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Poirret - Avocat(s) : Me Le Prado ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; articles 73 et 74, alinéa 1, du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Crim., 30 mai 1967, pourvoi n° 66-91.606, Bull. crim. 1967, n° 166 (rejet) ; Crim., 18 février 1986, pourvoi n° 85-91.178, Bull. crim. 1986, n° 64 (rejet). 2e Civ., 9 décembre 1999, pourvoi n° 97-21.074, Bull. 1999, II, n° 187 (cassation) ; 2e Civ., 6 février 2003, pourvoi n° 00-22.697, Bull. 2003, II, n° 30 (rejet).

1re Civ., 16 septembre 2020, n° 18-20.023, (P)

Cassation sans renvoi

Instance – Interruption – Causes – Décès d'une partie – Limites – Bénéfice au profit des héritiers de la partie décédée uniquement

L'interruption d'instance, instituée à l'article 370 du code de procédure civile, n'est prévue qu'au bénéfice des héritiers de la partie décédée qui entendent reprendre l'instance.

Reprise d'instance

1. Donne acte à M. B... de ce qu'il reprend l'instance en qualité de liquidateur de la société Oakland Finance.

Désistement partiel

2. Donne acte au liquidateur de la société Oakland Finance de son désistement en ce qu'il est dirigé contre Mme R....

Interruption d'instance

3. L'interruption d'instance, instituée à l'article 370 du code de procédure civile, n'est prévue qu'au bénéfice des héritiers de la partie décédée qui entendent reprendre l'instance. Dès lors que le décès allégué de J... T... n'a pas été notifié par ses héritiers, il n'y a pas lieu d'interrompre l'instance.

Faits et procédure

4. Selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 22 juin 2016, pourvoi n° 15-13.837), et les productions, le 28 avril 1998, M. T... a acquis les actions de la société anonyme Villa Gal (la SAVG) pour un prix de 80 millions de francs.

Les 8 juin et 3 juillet 1998, la SAVG a reconnu avoir emprunté à la société Oakland Finance une somme de 50 millions de francs.

Par acte du 23 août 2000, cette somme a été portée à 60 millions. Deux hypothèques conventionnelles ont été prises en garantie les 22 juillet 1998 et 8 septembre 2000 par la société Oakland Finance sur l'immeuble de la SAVG.

Le 17 avril 2002, la société Oakland Finance a été placée en liquidation.

5. Mise en demeure de payer par le liquidateur, la SAVG l'a assigné, ès qualités, devant le tribunal de grande instance de Nice pour obtenir la nullité de ces contrats et la mainlevée des hypothèques en soutenant que les prêts étaient dépourvus de cause, subsidiairement que leur cause était illicite. K... V..., trustee et représentant légal de la société EGA, est intervenu volontairement à l'instance.

6. Par jugement du 10 décembre 2007, le tribunal a rejeté ces prétentions et dit que les actes sous seing privé des 8 juin 1998 et 23 août 2000 reposaient sur une cause réelle et licite.

7. Entre-temps, soutenant que si les prêts litigieux étaient supposés rembourser une dette contractée par la société SAVG envers la société EGA, dette ensuite cédée à la société Oakland Finance, aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, la SAVG et M. T... ont saisi la High Court of Justice of London (la High Court) qui, par une décision du 19 novembre 2010, a dit qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société Oakland Finance.

8. Le greffier en chef d'un tribunal de grande instance ayant déclaré exécutoire en France cette décision, Mme R..., héritière de K... V..., a demandé la révocation de cette déclaration.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche, ci-après annexé

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur les deuxième et troisième branches du moyen, réunies

Enoncé du moyen

10. M. B..., ès qualités, fait grief à l'arrêt de rejeter la contestation formée à l'encontre du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court of Justice du 19 novembre 2010,de confirmer la reconnaissance en France de cette décision et de dire qu'en conséquence ce jugement produira en France tous ses effets, alors :

« 1°/ que deux décisions sont inconciliables lorsqu'elles entraînent des conséquences juridiques qui s'excluent mutuellement ; que deux jugements peuvent être inconciliables sans que les demandes sur lesquelles ils ont statué aient eu le même objet ; que tel est le cas du jugement qui statue sur la validité d'un contrat tandis que l'autre, statuant sur la demande d'exécution de ce contrat, considère qu'aucune créance n'a pu valablement naître de l'engagement litigieux ; que pour débouter M. N... de son recours contre la décision de reconnaissance de la décision britannique, la cour d'appel a considéré que le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause, tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement ; que la cour d'appel en a déduit que les demandes n'avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s'excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne s'étaient pas prononcées sur les mêmes questions ; qu'en statuant ainsi, tandis que le jugement de la High Court de Londres du 19 novembre 2010, qui a considéré que la société SAVG n'était tenue d'aucune dette à l'égard de la société Oakland en liquidation, au titre des prêts litigieux, au motif que ces prêts n'étaient pas valables, était inconciliable avec le jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007, qui a débouté la SAVG de sa demande d'annulation des prêts pour absence de cause ou cause illicite, peu important que les juges français et britannique n'aient pas été saisi des mêmes demandes, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000 ;

2°/ qu'en toute hypothèse, deux décisions, dont l'une admet la validité d'un contrat de prêt, dont il résulte une créance pour le prêteur, tandis que l'autre décide qu'aucune somme ne peut être due au prêteur en vertu du même prêt, en conséquence de la nullité de ce contrat, ne peuvent faire l'objet d'une exécution simultanée ; qu'en jugeant qu'était possible l'exécution simultanée du jugement de la High Court de Londres du 19 novembre 2010, qui a considéré que la société SAVG n'était tenue d'aucune dette à l'égard de la société Oakland en liquidation, au titre des prêts litigieux, au motif que ces prêts n'étaient pas valables, et du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007, qui a dit valables les prêts litigieux, ce dont il résultait une créance de la société Oakland contre la SAVG, la cour d'appel a violé l'article 34 du règlement CE n° 44/2001 du 22 décembre 2000. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 34, 3), du règlement CE nº 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I :

11. Selon l'article 33 point 1) de ce règlement, les décisions rendues dans un Etat membre sont reconnues dans les autres Etats membres, sans qu'il soit nécessaire de recourir à aucune procédure.

L'article 34 de ce règlement prévoit toutefois à son 3) qu'une décision n'est pas reconnue si elle est inconciliable avec une décision rendue entre les mêmes parties dans l'État membre requis.

Statuant sur l'article 27.3° de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, dont les termes sont identiques à ceux de l'article 34, 3), la Cour de justice des Communautés européennes a précisé qu'afin d'établir s'il y a inconciliabilité au sens de ce texte, il convenait de rechercher si les décisions en cause entraînaient des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement (CJCE Hoffmann c. Krieg 4 février 1988 C 145/86, point 22).

12. Pour rejeter la contestation du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court du 19 novembre 2010, confirmer la reconnaissance en France de cette décision et dire qu'en conséquence ce jugement produira en France tous ses effets, après avoir énoncé que deux décisions sont inconciliables si elles sont incompatibles dans leur exécution, l'arrêt retient que le procès français portait sur la validité de l'acte d'affectation hypothécaire, engagement réel soumis aux juridictions françaises, et a consacré le principe de l'existence des contrats de prêts en cause tandis que le procès anglais portait sur le principe de l'exigibilité de la créance et que le juge anglais s'est prononcé sur une demande de condamnation en paiement, de sorte que les demandes n'avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s'excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne se sont pas prononcées sur les mêmes questions et leur exécution simultanée est possible.

13. En statuant ainsi, alors que le jugement de la High Court du 19 novembre 2010, qui, après avoir retenu qu'aucune somme n'était due par la SAVG à la société EGA, a considéré qu'aucune créance n'avait pu valablement naître de l'engagement litigieux, entraînait des conséquences juridiques qui s'excluaient mutuellement avec celles du jugement du tribunal de grande instance de Nice du 10 décembre 2007 rejetant la demande en nullité de ce même engagement formée par la SAVG, laquelle soutenait que celui-ci était dépourvu de cause dès lors que la dette de la société EGA, supposée le fonder, avait été intégralement réglée avant la cession des actions, de sorte que ces décisions étaient inconciliables, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquence de la cassation

14. Il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, comme il est suggéré en demande.

15. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que la décision rendue par la High Court of London le 19 novembre 2010 ne peut être reconnue en France ;

Annule la décision du greffier en chef du tribunal de grande instance de Nice du 2 février 2011 reconnaissant cette décision en France.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vigneau - Avocat général : M. Poirret - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article 370 du code de procédure civile ; articles 33, point 1, et 34, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000.

Rapprochement(s) :

CJCE, arrêt du 4 février 1988, Hoffmann c. Krieg, C-145/86. A rapprocher : 1re Civ., 28 février 2006, pourvoi n° 04-19.148, Bull. 2006, I, n° 111 (rejet).

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-17.009, (P)

Cassation

Intervention – Intervention forcée – Nécessité – Sécurité sociale – Conflit d'affiliation – Mise en cause des organismes concernés

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 21 mars 2019), M. C... qui a exercé, à titre libéral, la profession de médecin généraliste de 1979 à 2011, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, avant de reprendre, à compter d'octobre 2013, une activité non salariée de formateur auprès de l'institut d'ostéopathie de Bordeaux, a formé opposition à une contrainte d'un certain montant décernée par la Caisse autonome de retraite des médecins de France (la CARMF) en paiement des cotisations afférentes à l'exercice 2014 en faisant principalement valoir qu'il n'avait pas à régler les sommes réclamées, étant affilié auprès de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d'assurance vieillesse (la CIPAV) à raison de son activité de formateur dans le cadre du régime de l'auto-entrepreneur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. La CARMF fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable l'intervention forcée de la CIPAV, d'annuler la contrainte litigieuse et de la condamner à restituer à M. C... les cotisations versées, alors :

« 1°/ qu'en cas d'indivisibilité, et notamment dans l'hypothèse d'un conflit d'affiliation, toutes les caisses intéressées doivent être appelées à la procédure, au besoin d'office ; que si aucune des parties à la première instance ne sollicite l'intervention forcée d'un tiers qui doit figurer à la procédure, et si le juge s'abstient de procéder d'office à cette intervention forcée, en cause d'appel, une partie peut solliciter l'intervention forcée et si même aucune partie ne le demande, le juge d'appel doit y procéder d'office ; qu'en mettant hors de cause la CIPAV au motif qu'elle n'avait pas été mise en cause en première instance, les juges du fond ont violé les articles 331 et 555 du code de procédure civile ;

2°/ que, dès lors qu'il y a indivisibilité et que la mise en cause d'un tiers s'impose, en première instance comme en cause d'appel, l'intervention forcée est toujours recevable en cause d'appel sans qu'il soit besoin d'une évolution du litige ; qu'en opposant au cas d'espèce l'absence d'évolution du litige, les juges du fond ont violé les articles 331 et 555 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 332 et 552 du code de procédure civile et l'article R. 643-2 du code de la sécurité sociale :

3. Lorsqu'une même personne est susceptible de relever de plusieurs régimes de sécurité sociale, le juge saisi du litige ne peut se prononcer sans avoir appelé en la cause tous les organismes en charge des régimes intéressés.

4. Pour dire irrecevable l'intervention forcée de la CIPAV et accueillir le recours de M. C..., l'arrêt relève que la CARMF à qui M. C... a opposé son affiliation à la CIPAV a intérêt à appeler cette caisse en intervention forcée au regard du conflit d'affiliation, que cette intervention a pour unique but de rendre commun l'arrêt à la CIPAV et non d'obtenir des renseignements, puisque M. C... a produit les courriers de la CIPAV confirmant son affiliation à cette caisse pour la période du 1er janvier 2014 au 31 mars 2016, que par ailleurs la CARMF qui reproche au tribunal de ne pas avoir mis en cause la CIPAV était dispensée de comparution à l'audience alors même que M. C... lui avait indiqué par courrier du 10 octobre 2015 que la CIPAV lui avait confirmé son affiliation, que l'appelante avait connaissance du conflit d'affiliation avant l'audience, en sorte qu'il n'existe pas d'élément nouveau révélé par le jugement ou survenu postérieurement et que la condition d'évolution du litige n'est pas remplie.

5. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'il ressortait de ses propres énonciations que le litige dont elle était saisie portait sur un conflit d'affiliation entre deux sections professionnelles distinctes de l'organisation autonome d'assurance vieillesse des professions libérales, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Renault-Malignac - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Boutet et Hourdeaux ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 332 et 552 du code de procédure civile ; article R. 643-2 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Soc., 13 janvier 1977, pourvoi n° 75-13.382, Bull. 1977, II, n° 30 (cassation), et les arrêts cités.

3e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-18.435, (P)

Cassation partielle

Intervention – Intervention volontaire – Intervention volontaire d'un tiers – Recevabilité – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 25 avril 2019), par deux actes intitulés « bail saisonnier » des 26 janvier 2012 et 28 janvier 2013, Mme H... a donné à bail à Mme A... un même local respectivement pour des durées d'une année et de onze mois, pour se terminer les 25 janvier 2013 et 26 décembre 2013.

2. Le 20 décembre 2013, les parties ont conclu un bail dit « précaire » portant sur le même local pour une durée de vingt-trois mois à compter du 27 décembre 2013.

3. Par deux lettres recommandées avec demande d'avis de réception des 27 et 30 octobre 2015, avant l'expiration du bail dérogatoire, Mme H... a rappelé à Mme A... que le bail arrivait à terme et qu'elle devait impérativement libérer les locaux.

4. Le 16 décembre 2015, Mme A... a assigné Mme H... afin notamment de voir juger que le statut des baux commerciaux était applicable aux baux conclus depuis le 26 janvier 2012 et qu'elle était titulaire d'un bail de neuf ans soumis au statut des baux commerciaux à compter du 27 novembre 2015.

5. M. A..., conjoint collaborateur de Mme A..., est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. Mme H... fait grief à l'arrêt de recevoir l'intervention volontaire de M. A... et dire que celui-ci est cotitulaire avec Mme A... d'un bail commercial, alors :

« 1°/ que la copropriété entre époux, mariés sous le régime de la communauté légale, d'un fonds de commerce, n'entraîne pas la cotitularité du bail commercial dès lors que ce bail n'a été consenti qu'à un seul des époux ; qu'un époux commun en biens n'est donc pas recevable à intervenir volontairement à l'instance en vue d'élever une prétention, ou d'appuyer une prétention formulée par son conjoint, tendant à la revendication du statut des baux commerciaux en vertu d'un bail auquel il n'est pas partie ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'intervention volontaire de M. A... au motif inopérant que le fonds de commerce était commun aux deux époux à défaut de preuve de l'antériorité de sa création par rapport au mariage, la cour d'appel a violé les articles 329 et 330 du code de procédure civile et 1401 du code civil ;

2°/ que le conjoint collaborateur du preneur n'est pas cotitulaire du bail commercial consenti à ce dernier ; qu'il n'est donc pas recevable à intervenir volontairement à l'instance en vue d'élever une prétention, ou d'appuyer une prétention formulée par son conjoint, tendant à la revendication du statut des baux commerciaux en vertu d'un bail auquel il n'est pas partie ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'intervention volontaire de M. A..., au motif inopérant qu'il avait la qualité de conjoint collaborateur de son épouse régulièrement immatriculée au registre du commerce et des sociétés, la cour d'appel a violé les articles 329 et 330 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 121-6, alinéa 1er, du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 329 du code de procédure civile, 1401 du code civil et L. 121-6, alinéa 1er, du code de commerce :

7. Selon le premier de ces textes, l'intervention principale n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à la prétention qu'il élève.

8. Aux termes du deuxième, la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. Il en résulte que le fait qu'un fonds de commerce constitue un acquêt de communauté est sans incidence sur la titularité du bail commercial qui n'a été consenti qu'à un seul des époux.

9. Selon le troisième, le conjoint collaborateur, lorsqu'il est mentionné au registre du commerce et des sociétés, est réputé avoir reçu du chef d'entreprise le mandat d'accomplir au nom de ce dernier les actes d'administration concernant les besoins de l'entreprise.

10. Pour déclarer recevable l'intervention volontaire de M. A..., l'arrêt relève que M. et Mme A... se sont mariés le [...] sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts et retient que le fonds de commerce est commun aux deux époux, à défaut de prouver que sa création est antérieure à la célébration du mariage, de sorte que M. A..., conjoint collaborateur de son épouse, a qualité pour agir.

11. En statuant ainsi, après avoir constaté que Mme A... était seule titulaire du bail des locaux dans lequel était exploité le fonds de commerce, peu important le statut de conjoint collaborateur de M. A..., la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

12. Mme H... fait grief à l'arrêt de dire que M. et Mme A... sont titulaires d'un bail soumis au statut des baux commerciaux à compter du 27 décembre 2013, alors « que les actions qui tendent à l'application du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans ; qu'est soumise à la prescription biennale, l'action en requalification d'un bail saisonnier en bail dérogatoire au sens de l'article L. 145-5 du code de commerce ; qu'en décidant néanmoins que les baux conclus le 26 janvier 2012 et le 28 janvier 2013 n'étaient pas des baux saisonniers, ainsi qu'ils avaient été qualifiés par les parties, mais des baux dérogatoires, pour en déduire que M. et Mme A... étaient fondés à se prévaloir de ces baux dérogatoires, afin d'établir s'être maintenus dans les lieux pendant plus de deux années et prétendre ainsi être titulaires d'un bail commercial soumis au statut en application de l'article L. 145-5 du code de commerce, bien qu'il ait été constant que Mme A... avait engagé son action le 16 décembre 2015 de sorte que l'exception de prescription biennale faisait obstacle à de telles requalifications, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce, et l'article L. 145-5 du même code, dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 juin 2014. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 145-5 et L. 145-60 du code de commerce, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi du 18 juin 2014 :

13. Il résulte de ces textes que l'action en requalification d'un bail saisonnier en bail commercial est soumise à la prescription biennale.

14. Pour accueillir la demande de Mme A..., l'arrêt retient que les baux conclus le 26 janvier 2012 et le 28 janvier 2013 n'étaient pas des baux saisonniers, mais des baux dérogatoires, de sorte que les preneurs, qui s'étaient maintenus plus de deux ans dans les lieux, étaient titulaires d'un bail soumis au statut des baux commerciaux à compter du 27 décembre 2013.

15. En statuant ainsi, après avoir constaté que l'action en requalification des baux saisonniers en baux commerciaux était prescrite pour avoir été engagée le 16 décembre 2015, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Et sur le sixième moyen

Enoncé du moyen

16. Mme H... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner Mme A... à lui restituer sa licence IV et de sa demande d'expertise aux fins d'évaluer la redevance d'une telle licence, alors « qu'il résulte tant de la déclaration de mutation de la licence IV du 26 janvier 2012, que du récépissé de cette déclaration, qu'ils ont été remplis et signés par Mme A... seule, sans l'intervention de Mme H... à cette déclaration ; qu'en affirmant néanmoins qu'il résultait du récépissé de cette déclaration que Mme H... avait déclaré muter sa licence IV au profit de Mme A..., la cour d'appel a violé l'obligation faite au juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

17. Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :

18. Pour rejeter les demandes de Mme H..., l'arrêt retient qu'il ressort d'un récépissé de déclaration du 26 janvier 2012 que Mme H..., propriétaire d'une licence IV, déclare muter cette licence au profit de Mme A....

19. En statuant ainsi, alors que ce document a été rédigé et signé par Mme A... sans l'intervention de Mme H..., la cour d'appel, qui l'a dénaturé, a violé le principe susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il reçoit l'intervention volontaire de M. A..., dit que M. et Mme A... sont titulaires d'un bail soumis au statut des baux commerciaux à compter du 27 décembre 2013, que les clauses de l'ancien bail, à l'exception de celles contraires aux dispositions d'ordre public du statut, sont maintenues, enjoint Mme H... d'établir un nouveau bail, sans astreinte, dit n'y avoir lieu à expertise aux fins d'évaluer la valeur locative, rejeté la demande de Mme H... de restitution de la licence IV et d'expertise, l'arrêt rendu le 25 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Provost-Lopin - Avocat(s) : SCP Richard -

Textes visés :

Article 329 du code de procédure civile ; article 1401 du code civil ; article L. 121-6, alinéa 1, du code de commerce.

Rapprochement(s) :

Sur le droit au statut du bail pour le conjoint, à rapprocher : 3e Civ., 28 mai 2008, pourvoi n° 07-12.277, Bull. 2008, III, n° 96 (rejet).

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-15.814, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Notification – Notification entre avocats – Notification entre avocats à l'adresse d'une société d'avocat – Nom de l'avocat personne physique constitué par l'intimé – Défaut – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 28 mars 2019), M. O... a relevé appel, le 23 novembre 2017, par l'intermédiaire de son avocat, inscrit au barreau de Nîmes, d'un jugement du conseil de prud'hommes d'Aix-en-Provence, l'ayant débouté de demandes qu'il formait contre son ancien employeur, la société Firalp.

2. Le 4 décembre 2017, M. X..., avocat inscrit au barreau de Marseille, membre de la société d'exercice libéral E... V... et associés (la société d'avocats), société inter-barreaux dont le siège est établi à Lyon, a déclaré avoir été constitué par la société Firalp et a notifié cette constitution à l'avocat de M. O....

3. Le 2 février 2018, l'appelant a envoyé ses conclusions par lettres recommandées adressées au greffe de la cour d'appel et à la société d'avocats, à l'adresse de son siège à Lyon.

4. M. O... a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la caducité de sa déclaration d'appel.

Examen des moyens

Sur le moyen, ci-après annexé, du pourvoi incident éventuel, qui est préalable

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. M. O... fait grief à l'arrêt de constater la caducité de la déclaration d'appel, alors « que chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société de sorte que le mandat donné à un avocat associé d'une société d'exercice libéral d'avocats vaut pour la société et pour tous les avocats membres de celle-ci ; que dès lors, en retenant, pour considérer qu'était irrégulière la notification des conclusions d'appel faite par M. O... à la Selca E... et V... et associés, société d'avocat inter-barreaux, à l'adresse de son siège situé à Lyon, au sein de laquelle M. J... X..., avocat postulant pour la société Firalp, était associé, que seul ce dernier, dont le cabinet se trouve à Marseille avait reçu mandat de représenter la société Firalp devant la cour d'appel de Marseille (lire « Aix-en-Provence »), la cour d'appel, qui a méconnu la portée du mandat ad litem confié à un avocat membre d'une société d'exercice libérale, a violé l'article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993.»

Réponse de la Cour

Vu l'article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 :

7. Selon ce texte, chaque avocat associé exerçant au sein d'une société d'exercice libéral exerce les fonctions d'avocat au nom de la société.

8. Pour confirmer l'ordonnance déférée, l'arrêt, après avoir rappelé les termes des articles 908 et 911 du code de procédure civile, relève que l'avocat constitué par l'intimé est M. X..., avocat au barreau de Marseille, qui est membre de la société d'exercice libéral en commandite par action E... V... et associés, société inter-barreaux, dont le siège est à Lyon, comptant 70 avocats répartis sur 7 barreaux, et que les conclusions de M. O... ont été adressées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception à cette adresse.

L'arrêt énonce, ensuite, que la caducité invoquée, qui ne sanctionne pas une nullité de forme, n'exige nullement la démonstration d'un grief, de sorte qu'il importe peu que l'intimée ait conclu dans le délai de l'article 909 du code de procédure civile.

L'arrêt retient, enfin, que la notification prévue à l'article 911 susmentionné ne peut concerner que les avocats chargés de représenter les parties devant la cour d'appel, qu'a seul mandat de représentation devant la cour d'appel, emportant pouvoir et devoir d'accomplir au nom de son mandant les actes de procédure, l'avocat constitué devant cette cour, soit M. X..., avocat au barreau de Marseille, dont le cabinet se trouve dans cette ville, de sorte que la notification faite à la société E... et V... et associés est inopérante, peu important que l'avocat constitué soit membre de la même société d'exercice libéral, dès lors que la notification aurait du être envoyée à l'adresse de cette société, à Marseille.

9. Cet arrêt encourt la censure pour les motifs suivants.

10. La cour d'appel ayant constaté que M. X... agissait au nom de la société d'avocats dont il était membre, il s'en déduit que seule cette société avait été constituée par l'intimé.

11. Or, en application de l'article 690 du code de procédure civile, les notifications entre avocats sont régulièrement accomplies, à l'égard d'une société d'avocats, au siège de celle-ci. Il n'est dérogé, s'il y a lieu, à cette règle que pour les affaires soumises à une postulation par avocat, hypothèse dans laquelle il résulte de l'article 8, III, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016, que les notifications sont, à peine de nullité pour vice de forme, adressées au lieu où est établi l'avocat membre de la société d'avocats par le ministère duquel celle-ci postule.

12. En statuant comme elle l'a fait, dans une affaire prud'homale qui n'était pas soumise aux règles de la postulation par avocat, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

14. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux paragraphes 2 et 8 que les conclusions d'appelant ont été régulièrement notifiées dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile, excluant le prononcé sur ce fondement de la caducité de la déclaration d'appel.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen du pourvoi principal, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident éventuel de la société Firalp ;

CASSE ET ANNULE, l'arrêt rendu le 28 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel de M. O... et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

INFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 1er août 2018, mais seulement en ce qu'elle a constaté la caducité de la déclaration d'appel et condamné M. O... aux dépens d'appel ;

DIT n'y avoir lieu de prononcer la caducité de la déclaration d'appel de M. O... en application des articles 908 et 911 du code de procédure civile ;

DIT que l'instance se poursuivra devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT que les dépens de l'incident devant le conseiller de la mise en état et du déféré suivront le sort de l'instance d'appel.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : M. de Leiris - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Buk Lament-Robillot ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article 21 du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 ; article 690 du code de procédure civile ; articles 908 et 911 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 30 avril 2009, pourvoi n° 08-16.236, Bull. 2009, II, n° 110 (rejet) ; 2e Civ., 1er février 2006, pourvoi n° 05-17.742, Bull. 2006, II, n° 35 (cassation).

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