Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

PRESCRIPTION CIVILE

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-18.608, (P)

Cassation

Interruption – Acte interruptif – Action en justice – Déclaration d'appel entachée d'une irrégularité de fond

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail, 30 avril 2019), la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (la caisse) a interjeté appel, le 8 avril 2016, d'un jugement rendu par un tribunal du contentieux de l'incapacité dans un litige l'opposant à la société Pomona, notifié le 17 mars 2016.

2. La déclaration d'appel a été formée par un agent de la caisse dépourvu du pouvoir spécial requis par l'article 931 du code de procédure civile. Un pouvoir spécial daté du 4 septembre 2018 a été produit à l'audience des débats.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La caisse fait grief à l'arrêt de constater la nullité de l'appel, alors « que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure tel qu'une irrégularité de fond, interrompt les délais de prescription comme de forclusion, de sorte qu'il est possible de régulariser une déclaration d'appel entachée d'un vice de procédure jusqu'au moment ou le juge statue ; qu'en l'espèce, l'arrêt a constaté que l'acte d'appel formé pour le compte de la caisse le 8 avril 2016 était entaché d'une irrégularité de fond tirée du défaut de pouvoir de la responsable du département juridique ; qu'en constatant la nullité de cet acte d'appel formé le 8 avril 2016 au prétexte qu'il n'avait été régularisé par le directeur général de la caisse que le 4 septembre 2018, soit après le délai d'un mois pour former appel, lorsque la régularisation de la déclaration d'appel demeurait possible jusqu'a ce que le juge statue, la cour nationale de l'incapacité et de la tarification a violé les articles 2241, alinéa 2, du code civil et l'article 121 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2241, alinéa 2, du code civil et 121 du code de procédure civile :

4. Il résulte du premier de ces textes que l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompt les délais de prescription comme de forclusion.

5. Pour constater la nullité de l'appel, l'arrêt retient que l'acte d'appel, affecté d'une irrégularité de fond, a été régularisé après l'expiration du délai d'appel d'un mois.

6. En statuant ainsi, alors que la déclaration d'appel, entachée d'une irrégularité de fond en l'absence de pouvoir spécial de l'agent de la caisse mandaté pour former appel, avait interrompu le délai d'appel et que sa régularisation restait possible jusqu'à ce que le juge statue, la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 avril 2019, entre les parties, par la Cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Kermina - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 2241, alinéa 2, du code civil ; article 121 du code de procédure civile.

1re Civ., 16 septembre 2020, n° 18-25.429, (P)

Cassation partielle

Prescription de droit commun – Action en répétition de l'indu – Contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant – Jugement accueillant une contestation de paternité

La prescription quinquennale de droit commun, est applicable, à défaut de dispositions propres aux quasi contrats, à l'action en répétition des paiements effectués en exécution d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation de paternité.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 13 septembre 2018), C... K... est né le [...] du mariage de M. K... et de Mme Q....

Le 8 janvier 2008, alors que ces derniers étaient en instance de divorce, M. A... U... a reconnu l'enfant. Une ordonnance de non-conciliation du 7 février 2008 a condamné M. K... à verser mensuellement à Mme Q... une somme de 300 euros à titre de contribution à l'entretien et à l'éducation d'C....

Le 16 mai 2008, M. A... U... a engagé une action en contestation et en établissement de paternité, qui a été accueillie par jugement du 29 avril 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches et sur le second moyen, ci-après annexés

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur la quatrième branche du premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. A... U... et Mme Q... font grief à l'arrêt de les condamner solidairement à payer à M. K... la somme de 29 400 euros en remboursement de la contribution mensuelle à l'entretien et à l'éducation d'C... du 7 février 2008 au 29 avril 2016, alors « que l'action en répétition de l'indu ne peut être engagée que contre celui qui a reçu le paiement ou pour le compte duquel le paiement a été reçu ; que pour condamner solidairement les époux A... U... au paiement d'une somme de 29 400 euros à M. K... en remboursement de la contribution mensuelle à l'entretien et à l'éducation d'C... du 7 février 2008 au 29 avril 2016, l'arrêt retient que l'action en répétition de l'indu peut être dirigée contre celui qui a reçu le paiement, en l'occurrence Mme A... U..., ou celui qui a évité une dépense, à savoir M. A... U..., et que c'est donc à bon droit que M. K... a dirigé son action à l'encontre de son ancienne épouse, créancière de la contribution, et du père biologique de l'enfant, qui n'a pas contribué à son entretien et s'est en conséquence enrichi ; qu'en statuant ainsi, bien qu'il ne fut pas possible de condamner le père en répétition de l'indu parce qu'il n'était ni le réceptionnaire, ni le destinataire des paiements litigieux, la cour d'appel a violé l'article 1376 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

4. Vu les articles 371-2 et 1376 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

5. L'effet déclaratif attaché à un jugement accueillant une action en contestation du lien de filiation fait disparaître rétroactivement l'obligation d'entretien qui pesait sur le parent évincé en application du premier de ces textes, en sorte que les paiements qu'il a fait pour subvenir aux besoins de l'enfant se trouvent dépourvus de cause.

Selon le second, celui qui reçoit par erreur ou sciemment ce qui ne lui est pas dû s'oblige à le restituer à celui de qui il l'a indûment reçu.

6. Il s'ensuit que l'action en répétition des paiements effectués au titre d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation du lien de filiation ne peut être dirigée que contre celui qui en a reçu paiement en qualité de créancier.

7. Pour condamner solidairement M. A... U..., avec Mme Q..., à rembourser à M. K... une certaine somme au titre des paiements effectués en exécution de la contribution à l'entretien et à l'éducation d'C... [pendant la période du 07 février 2008 au 29 avril 2016], l'arrêt retient que l'action en répétition peut être dirigée tant à l'encontre de la mère, créancière de la contribution, que contre le père biologique de l'enfant.

8. En statuant ainsi, alors que seule une action fondée sur l'enrichissement injustifié pouvait être engagée contre le père ayant profité du paiement, aux conditions prévues par la loi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Et sur la troisième branche du même moyen

Enoncé du moyen

9. M. A... U... et Mme Q... font le même grief à l'arrêt, alors « que si l'effet déclaratif attaché au jugement décidant qu'une personne n'est pas le père d'un enfant fait disparaître rétroactivement l'obligation d'entretien qui pesait sur elle depuis la naissance de cet enfant, l'action en répétition de l'indu intentée par cette personne afin d'être remboursée des paiements faits pour subvenir aux besoins dudit enfant, qui se trouvent dépourvus de cause, est soumise à la prescription quinquennale ; que pour condamner les époux A... U... à payer à M. K... la somme de 29 400 euros, l'arrêt retient que l'action en répétition de l'indu fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation de paternité n'est pas soumise à la prescription quinquennale ; qu'en statuant ainsi, bien que l'action en répétition de l'indu intentée par M. K... n'échappât pas au mécanisme de la prescription extinctive, peu important que les effets du jugement relatifs à la paternité remontassent à la naissance de l'enfant, la cour d'appel a violé à l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2224 et 1376 du code civil, ce dernier dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :

10. Aux termes du second de ces textes, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

11. Ce délai, qui correspond à la prescription de droit commun, est applicable, à défaut de dispositions propres aux quasi contrats, à l'action en répétition des paiements effectués en exécution d'une contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation de paternité.

12. Pour condamner Mme Q... à payer à M. K... une certaine somme en remboursement de la contribution mensuelle à l'entretien et à l'éducation d'C... versée du 7 février 2008, date de l'ordonnance de non conciliation, au 29 avril 2016, date d'établissement de la filiation à l'égard de M. A... U..., l'arrêt retient que l'action en répétition de l'indu fondée sur l'effet déclaratif d'un jugement accueillant une action en contestation de paternité n'est pas soumise à la prescription quinquennale prévue à l'article 2224 du code civil.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. A... U... et Mme Q... à payer à M. K... la somme de 29 400 euros, en remboursement de la contribution mensuelle à l'entretien et à l'éducation d'C... du 7 février 2008 au 29 avril 2016, l'arrêt rendu le 13 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Azar - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard -

Textes visés :

Article 371-2 du code civil ; article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 2224 du code civil ; article 1376 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 13 février 1985, pourvoi n° 83-15.112, Bull. 1985, I, n° 62 (cassation), et l'arrêt cité.

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 18-26.390, (P)

Cassation

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Action en réparation exercée par l'acquéreur d'une parcelle indivise contre le notaire ayant dressé l'acte de vente – Détermination

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 16 octobre 2018), par acte authentique dressé le 7 juin 2005 par la SCP [...], aux droits de laquelle se trouve la SCP [...] (le notaire), M. F... (l'acquéreur) a fait l'acquisition d'un immeuble à usage d'habitation cadastré section [...], [...] et [...].

L'acte précisait qu'il existait sur la parcelle [...] un passage commun au profit d'autres propriétaires. Toutefois, au cours des pourparlers antérieurs à la vente, le notaire avait écrit à l'acquéreur que la parcelle en cause lui appartiendrait en totalité.

2. Le 2 août 2006, les voisins de l'acquéreur l'ont assigné aux fins de voir juger que la parcelle [...] était soumise au régime de l'indivision. Cette demande a été accueillie par jugement du 4 septembre 2012, confirmé par arrêt du 20 février 2014, devenu irrévocable par suite du rejet du pourvoi en cassation formé contre lui, selon décision du 29 septembre 2015.

3. Le 20 septembre 2016, l'acquéreur a assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de déclarer son action irrecevable comme prescrite, alors « que la prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage et non du jour où apparaît la simple éventualité de cette réalisation ; que le dommage constitué par la déclaration judiciaire des droits reconnus aux voisins n'est réalisé que par la décision de justice reconnaissant ces droits et non par l'assignation des voisins, qui ne crée qu'une éventualité de dommage ; qu'en faisant courir la prescription dès le jour de l'assignation du 2 août 2006 et non du jour du jugement du 4 septembre 2012, ou de l'arrêt confirmatif du 20 février 2014 déclarant que la parcelle acquise par l'acquéreur était en indivision avec ses voisins et ordonnant la rectification en ce sens de l'acte notarié du 7 juin 2005, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

6. Pour déclarer l'action irrecevable comme prescrite, l'arrêt retient que, bien que le caractère indivis de la parcelle ne soit devenu définitif qu'en vertu de l'arrêt de la Cour de cassation du 29 septembre 2015, l'acte notarié est contesté depuis que l'acquéreur a été assigné par ses voisins, soit depuis le 2 août 2006.

7. En statuant ainsi, alors que le dommage subi par l'acquéreur ne s'est manifesté qu'à compter de la décision passée en force de chose jugée du 20 février 2014 déclarant que la parcelle litigieuse était soumise au régime de l'indivision, de sorte que le délai de prescription de l'action en responsabilité exercée contre le notaire a commencé à courir à compter de cette date, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 octobre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 2224 du code civil.

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