Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

EXPROPRIATION POUR CAUSE D'UTILITE PUBLIQUE

3e Civ., 23 septembre 2020, n° 19-18.031, (P)

Cassation

Cession amiable – Cession postérieure à la déclaration d'utilité publique – Nature – Vente – Effet

Une cession amiable consentie après une déclaration d'utilité publique est un contrat de vente de droit privé, susceptible d'ouvrir droit à une action fondée sur la garantie des vices cachés ou sur la violation des obligations légales pesant sur le vendeur.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 4 avril 2019), par acte authentique des 27 et 29 novembre 2012, la société Etablissements A. Gré et Cie a vendu à la communauté urbaine de Bordeaux trois parcelles nécessaires à la réalisation de travaux d'extension d'une ligne de tramway, qui avaient été préalablement déclarés d'utilité publique.

2. Se plaignant d'une pollution du sol d'origine industrielle, la communauté urbaine de Bordeaux a, après expertise, assigné la société Etablissements A. Gré et Cie en indemnisation de son préjudice, sur le fondement des articles 1116, 1603, 1641 du code civil et L. 125-7 et L. 514-20 du code de l'environnement.

3. L'établissement public Bordeaux métropole est venu aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'établissement public Bordeaux métropole fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en paiement, alors « que, si une cession amiable intervenue après la déclaration d'utilité publique produit les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation et éteint les droits réels et personnels existant sur l'immeuble concerné, elle n'en reste pas moins un contrat de vente de droit privé qui peut être annulé, rescindé ou résolu dans les conditions de droit commun ; qu'en relevant, pour rejeter les demandes en paiement formées par l'établissement Bordeaux Métropole sur le fondement de la garantie des vices cachés, de la non-conformité et de la violation par la société Etablissements A. Gré et Cie de son obligation d'information que la cession étant intervenue après la déclaration d'utilité publique, les règles relatives au contrat de vente ne s'appliquaient pas, la cour d'appel a violé par fausse application les articles L. 220-2, L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et par refus d'application, les articles 1134, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, 1582, 1604, 1641 du code civil et L. 512-40 du code de l'environnement dans sa version applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

6. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

7. Si la cession amiable consentie après déclaration d'utilité publique produit, en application de l'article L. 222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, des effets identiques à ceux de l'ordonnance d'expropriation et éteint, par elle-même et à sa date, tout droit réel ou personnel existant sur les biens cédés, elle demeure néanmoins un contrat de droit privé (3e Civ., 26 octobre 1971, pourvoi n° 70-10.962, Bull. III, n° 513).

8. Pour rejeter la demande en paiement de l'établissement Bordeaux métropole, l'arrêt retient que la cession amiable après déclaration d'utilité publique produit les mêmes effets que l'ordonnance d'expropriation et que, dès lors, les règles relatives à la vente ne s'appliquant pas, l'établissement Bordeaux métropole ne peut invoquer, au soutien de ses prétentions indemnitaires, la garantie des vices cachés ou les obligations d'information, de délivrance conforme et celles tirées de l'article L. 514-20 du code de l'environnement.

9. En statuant ainsi, alors que la cession consentie après une déclaration d'utilité publique par la société Etablissements A. Gré et Cie était un contrat de vente de droit privé, susceptible d'ouvrir droit à une action fondée sur la garantie des vices cachés ou sur la violation des obligations légales pesant sur le vendeur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 avril 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

Sur les effets d'une cession amiable postérieure à la déclaration d'utilité publique, à rapprocher : 3e Civ., 26 octobre 1971, pourvoi n° 70-10.962, Bull. 1971, III, n°513 (rejet) ; 3e Civ., 9 janvier 1974, pourvoi n° 72-14.313, Bull. 1974, III, n° 7 (rejet) ; 3e Civ., 21 octobre 1981, pourvoi n° 80-12.019, Bull. 1981, III, n° 170 (cassation).

3e Civ., 23 septembre 2020, n° 19-15.907, (P)

Rejet

Indemnité – Fixation – Voies de recours – Appel – Appel incident – Conclusions du commissaire du gouvernement – Dépôt – Délai – Détermination – Portée

Sont recevables les conclusions du commissaire du gouvernement déposées ou adressées au greffe de la cour d'appel moins de trois mois après qu'il a reçu notification des conclusions d'appel incident.

Faits et procédure

1. L'arrêt attaqué (Montpellier, 8 mars 2019) fixe le montant des indemnités revenant à Mme O... au titre de l'expropriation, au profit de la commune de Prades, de parcelles lui appartenant.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. Mme O... fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité de dépossession, alors « que le commissaire du gouvernement doit, à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, déposer ou adresser au greffe de la cour ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation, dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant ; qu'en fixant le montant des indemnités revenant à Mme O... à la suite de son expropriation des parcelles cadastrées section [...] et [...], au vue des conclusions déposées par le commissaire du gouvernement le 24 juillet 2018, après avoir constaté que la commune de Prades, appelante, lui avait notifié son mémoire le 19 mars 2018, sans rechercher au besoin d'office si les conclusions du commissaire du gouvernement avaient été déposées dans les trois mois de la notification du mémoire de l'appelante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 311-26 du code de l'expropriation. »

Réponse de la Cour

3. La cour d'appel a constaté que les conclusions de Mme O..., intimée à l'appel principal, qui sollicitait l'infirmation partielle du jugement, avaient été notifiées le 11 juin 2018 au commissaire du gouvernement, lequel avait déposé au greffe ses conclusions le 24 juillet 2018.

4. Ayant ainsi relevé que les conclusions du commissaire du gouvernement avaient été déposées moins de trois mois après qu'il eut reçu notification des conclusions d'appel incident de l'expropriée, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a légalement justifié sa décision au regard de l'article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

6. Mme O... fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait l'indemnité de remploi, alors :

« 1°/ que lorsque sont expropriées plusieurs parcelles appartenant au même propriétaire, l'indemnité de remploi ne peut être calculée à partir du montant global de l'indemnité principale qu'à la condition qu'elles forment une unité foncière malgré leur division parcellaire ; qu'en jugeant, pour fixer le montant de l'indemnité de remploi revenant à Mme O... à la suite de son expropriation des parcelles cadastrées section [...] et [...] à la somme de 9 324 euros, que « l'indemnité de remploi s'applique globalement à l'ensemble de l'indemnité principale et non à chaque indemnité, parcelle par parcelle », la cour d'appel a violé l'article R. 322-2 du code de l'expropriation, ensemble l'article 1er du protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits et l'homme ;

2°/ que, en toute hypothèse, lorsque sont expropriées plusieurs parcelles appartenant au même propriétaire, l'indemnité de remploi ne peut être calculée à partir du montant global de l'indemnité principale que s'il est établi que l'exproprié pourrait, pour remédier aux effets de l'expropriation, acquérir une seule unité foncière ; qu'en jugeant, pour fixer le montant de l'indemnité de remploi revenant à Mme O... à la suite de son expropriation des parcelles cadastrées section [...] et [...] à la somme de 9 324 euros, que « l'indemnité de remploi s'applique globalement à l'ensemble de l'indemnité principale et non à chaque indemnité, parcelle par parcelle », sans établir que Mme O... pourrait acquérir une unité foncière unique pour remédier aux effets de l'expropriation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article R. 322-2 du code de l'expropriation, ensemble l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits et l'homme. »

Réponse de la Cour

7. La cour d'appel a fixé le montant de l'indemnité de remploi à la somme de 9 234 euros, dont elle a souverainement retenu qu'elle tenait compte des frais de tous ordres normalement exposés pour l'acquisition de biens de même nature moyennant un prix égal au montant de l'indemnité principale.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat général : Mme Vassallo (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Ricard, Bendel-Vasseur, Ghnassia -

Textes visés :

Article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

3e Civ., 23 septembre 2020, n° 19-16.092, (P)

Rejet

Indemnité – Fixation – Voies de recours – Appel – Mémoires et conclusions – Dépôt – Modalités – Transmission par voie électronique – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 février 2019), M. T... a interjeté appel du jugement d'une juridiction de l'expropriation du 7 juillet 2017 qui fixait le montant des indemnités lui revenant par suite de l'expropriation, au profit de la communauté urbaine de Saint-Étienne Métropole, d'un bien lui appartenant.

Examen du moyen

Énoncé du moyen

2. M. T... fait grief à l'arrêt de prononcer la caducité de la déclaration d'appel, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, que les parties peuvent adresser à la cour d'appel par voie électronique, non seulement la déclaration d'appel ou la constitution d'avocat, mais encore tout courrier électronique ; que de l'article R. 311-26 du code de l'expropriation, il se déduit que les conclusions peuvent être adressées à la cour par courrier ; qu'en retenant que l'appelant ne pourrait adresser à la cour ses conclusions d'appel par courrier électronique, selon les formes prévues par l'arrêté susvisé, la cour d'appel a violé, ensemble, les articles R. 311-26 et R. 311-29 du code de l'expropriation, les articles 748-1 et 748-6 du code de procédure civile et l'arrêté du 5 mai 2010 ;

2°/ que l'envoi au greffe des conclusions d'appel par courrier électronique, quand cette forme n'est pas autorisée, ne constitue qu'une irrégularité de forme qui ne peut entraîner la nullité de l'acte qu'à charge pour l'adversaire de prouver le grief que lui cause l'irrégularité ; qu'en se bornant, pour prononcer la caducité de la déclaration d'appel, à relever que les conclusions de l'appelant avaient été irrégulièrement adressées par voie électronique sans rechercher si l'irrégularité avait causé un grief à la métropole Saint-Etienne Métropole, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 114 du code de procédure civile et R. 311-26 du code de l'expropriation ;

3°/ que le droit d'accès au juge peut être limité à la seule condition que les mesures mises en oeuvre poursuivent un but légitime et soient proportionnées au but visé ; que M. T... faisait valoir que la transmission de tout acte de procédure par courrier électronique et par l'intermédiaire du réseau e-barreau, dit RPVA, présente des garanties de sécurité rigoureusement identiques, dans les procédures sans représentation obligatoire, à celles qui s'attachent à la communication, selon le même procédé des conclusions dans les procédures à représentation obligatoire, de sorte qu'il n'existait aucune justification plausible à une interdiction de la transmission des actes par ce moyen dans les seules procédures sans représentation obligatoire ; qu'en se bornant à constater que l'autorité réglementaire pouvait restreindre les possibilités de communication électronique dans un but de sécurisation sans préciser en quoi il aurait été nécessaire ou légitime, dans les procédures sans représentation obligatoire, de proscrire la communication des conclusions par le réseau RPVA tout en autorisant du reste la communication de la déclaration d'appel par ce moyen, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;

4°/ que la métropole Saint-Etienne métropole ne soutenait nullement que l'envoi des seules conclusions non accompagnées des pièces pourrait avoir des conséquences sur la recevabilité des conclusions ou l'éventuelle caducité de la déclaration d'appel ; qu'en relevant d'office ce moyen, sans mettre les parties en mesure d'en débattre, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Si aucune disposition du code de l'expropriation n'exclut, devant la cour d'appel, la faculté pour les parties d'effectuer par voie électronique l'envoi, la remise et la notification des actes de procédure, instituée par l'article 748-1 du code de procédure civile, cette faculté est subordonnée, en application de l'article 748-6 du même code, à l'emploi de procédés techniques garantissant, dans des conditions fixées par arrêté du garde des Sceaux, la fiabilité de l'identification des parties, l'intégrité des documents, ainsi que la confidentialité et la conservation des échanges, et permettant la date certaine des transmissions.

4. Les dispositions liminaires, claires et intelligibles, de l'article 1er de l'arrêté du garde des Sceaux du 5 mai 2010, relatif à la communication électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel, ne fixent une telle garantie que pour l'envoi par un auxiliaire de justice de la déclaration d'appel, de l'acte de constitution et des pièces qui leur sont associées, à l'exclusion des écritures des parties.

5. Cette restriction est conforme aux exigences du procès équitable dès lors que, répondant à l'objectif de sécurisation de l'usage de la communication électronique, elle est dénuée d'ambiguïté pour un professionnel avisé comme un auxiliaire de justice lorsqu'il recourt à la communication électronique et ne le prive pas de la possibilité d'adresser au greffe les mémoires prévus par l'article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dans les conditions fixées par ce texte.

6. M. T... a interjeté appel le 24 juillet 2017. Il a notifié ses conclusions le 18 octobre 2017 par voie électronique. Il a adressé ses conclusions et ses pièces par courrier déposé au greffe le 7 février 2018.

7. La cour d'appel a exactement retenu qu'elle n'avait pas pu être saisie des conclusions adressées par voie électronique et que les conclusions et les pièces adressés par courrier déposé au greffe le 7 février 2018 étaient tardives.

8. Elle a prononcé, à bon droit, la caducité de la déclaration d'appel.

9. Le motif critiqué relatif à l'envoi par voie électronique des seules conclusions non accompagnées des pièces est surabondant.

10. La caducité étant encourue, non pas au titre d'un vice de forme de la déclaration d'appel, mais en application de l'article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique imposant un délai pour déposer ou adresser au greffe les conclusions et pièces, la cour d'appel n'avait pas à rechercher si cette irrégularité avait causé un grief à l'intimé.

11. Elle a donc légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Renard - Avocat général : M. Burgaud - Avocat(s) : SCP Gaschignard ; SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre -

Textes visés :

Articles 748-1 et 748-6 du code de procédure civile ; article 1 de l'arrêté du 5 mai 2010 relatif à la communication par voie électronique dans la procédure sans représentation obligatoire devant les cours d'appel ; article R. 311-26 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 10 novembre 2016, pourvoi n° 15-25.431, Bull. 2016, II, n° 247 (rejet), et l'arrêt cité ; 2e Civ., 19 octobre 2017, pourvoi n° 16-24.234, Bull. 2017, II, n° 198 (cassation).

3e Civ., 23 septembre 2020, n° 19-14.261, (P)

Rejet

Indemnité – Paiement ou consignation – Obstacle au paiement – Caractérisation – Cas – Arrêté de préemption – Annulation – Non restitution du prix de vente – Risque – Constatation

La constatation d'un risque avéré de non-restitution du prix de vente en cas d'annulation de l'arrêté de préemption par la juridiction administrative peut caractériser l'existence d'un obstacle au paiement justifiant la consignation du prix de vente.

Indemnité – Paiement ou consignation – Délai – Computation – Jour de l'échéance – Samedi ou dimanche – Effet

Les dispositions de l'article 642 du code de procédure civile s'appliquant lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai, le délai dont dispose le titulaire du droit de préemption pour régler ou consigner le prix de vente expirant un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé est prorogé au premier jour ouvrable suivant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 8 janvier 2019), le 21 mai 2012, M. M... a vendu un bien immobilier, sous diverses conditions suspensives.

2. Par arrêté du 12 novembre 2012, après réception d'une déclaration d'intention d'aliéner le 25 septembre 2012, le président de la communauté urbaine de Lyon a décidé d'exercer son droit de préemption urbain au prix de la promesse de vente.

Le recours formé contre cet arrêté a été rejeté par la juridiction administrative.

3. Par lettre recommandée du 14 mai 2013, la communauté urbaine de Lyon a informé M. M... que le prix de vente avait été consigné le 13 mai 2013.

4. M. M... a assigné la métropole de Lyon, venant aux droits de la communauté urbaine de Lyon, en rétrocession de son bien.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

6. M. M... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de rétrocession, alors :

« 1°/ que seule l'existence d'un obstacle au paiement de l'indemnité d'expropriation permet à l'expropriant de prendre possession du bien exproprié en consignant le montant de l'indemnité ; qu'en se bornant à affirmer que l'existence d'un recours en annulation formé devant la juridiction administrative par M. M... caractérisait une situation d'obstacle au paiement justifiant la consignation opérée par la collectivité publique, « en raison du risque avéré de non représentation » en cas d'annulation de la décision administrative d'exercice du droit de préemption urbain sur l'immeuble litigieux, sans s'expliquer concrètement sur le risque de non restitution qu'elle retenait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article R. 13-65 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, devenu l'article R. 323-8 du même code ;

2°/ que les règles de computation des délais de procédure ne s'appliquent pas aux délais prévus pour l'accomplissement d'un acte ou d'une obligation de nature non contentieuse ; qu'en retenant que le délai de six mois imparti au titulaire du droit de préemption pour consigner le prix, prévu à l'article L. 213-4 alors applicable du code de l'urbanisme, devait être computé conformément aux dispositions de l'article 642 du code de procédure civile, pour en déduire que ce délai, qui expirait au cas particulier un dimanche, s'était trouvé prorogé au premier jour ouvrable suivant, la cour d'appel a violé les deux dispositions précitées ;

3°/ que le mandant ne peut être engagé sur le fondement d'un mandat apparent que si la croyance du tiers à l'étendue des pouvoirs du mandataire est légitime, c'est à dire si les circonstances l'autorisent à ne pas vérifier ces pouvoirs ; qu'en se bornant à affirmer que le titulaire du droit de préemption pouvait en l'espèce se considérer saisi par le mandataire de M. M..., sans rechercher concrètement si les circonstances du cas particulier autorisaient la collectivité expropriante à croire légitimement en l'existence d'un mandat donné au notaire à l'effet de souscrire la déclaration d'intention d'aliéner du 25 septembre 2012, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1984, 1985, 1988 et 1998 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. D'une part, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'il existait un risque avéré de non-restitution du prix de vente en cas d'annulation de l'arrêté de préemption par la juridiction administrative, a caractérisé l'existence d'un obstacle au paiement justifiant la consignation du prix de vente, sans être tenue de procéder à une recherche sur le fondement d'une disposition qui ne trouve à s'appliquer que lorsque le prix d'acquisition est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation.

8. D'autre part, les dispositions de l'article 642 du code de procédure civile s'appliquant lorsqu'un acte ou une formalité doit être accompli avant l'expiration d'un délai, la cour d'appel a retenu à bon droit que le délai dont disposait le titulaire du droit de préemption pour régler ou consigner le prix de vente, expirant un dimanche, était prorogé au premier jour ouvrable suivant.

9. Enfin, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'il n'existait aucun élément de nature à faire naître un doute sur la réalité et l'étendue du mandat détenu par le notaire ayant établi la déclaration d'intention d'aliéner, a procédé à la recherche prétendument omise relative à la légitimité de la croyance de la communauté urbaine de Lyon quant à l'étendue des pouvoirs du mandataire.

10. La cour d'appel a donc légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Djikpa - Avocat(s) : SCP Ohl et Vexliard ; SCP Delamarre et Jehannin -

Textes visés :

Article R. 13-65, devenu R. 323-8, du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article 642 du code de procédure civile ; article L. 213-4 du code de l'urbanisme.

Rapprochement(s) :

Sur la notion d'ostacle au paiement de l'indemnité d'expropriation pour cause d'utilité publique, à rapprocher : 3e Civ., 12 octobre 1982, pourvoi n° 81-70.551, Bull. 1982, III, n° 199 (cassation) ; 3e Civ., 27 novembre 1984, pourvoi n° 83-70.232, Bull. 1984, III, n° 201 (rejet) ; 3e Civ., 4 mars 1992, pourvoi n° 90-70.011, Bull. 1992, III, n° 75 (rejet), et l'arrêt cité. 1re Civ., 6 octobre 1982, pourvoi n° 81-13.726, Bull. 1982, I, n° 274 (cassation) ; 2e Civ., 14 février 1990, pourvoi n° 88-19.900, Bull. 1990, II, n° 33 (rejet) ; Com., 17 février 1998, pourvoi n° 95-18.686, Bull. 1998, IV, n° 76 (cassation).

3e Civ., 23 septembre 2020, n° 19-15.918, (P)

Rejet

Ordonnance d'expropriation – Procédure – Notification – Délai raisonnable – Violation – Sanction – Préjudice – Réparation – Annulation (non)

L'éventuel préjudice résultant de l'absence de notification de l'ordonnance du juge de l'expropriation dans un délai raisonnable n'est pas susceptible d'être réparé par l'annulation de la procédure.

Faits et procédure

1. L'ordonnance attaquée (juge de l'expropriation du département du Val-de-Marne, 2 mars 2015) déclare expropriée pour cause d'utilité publique, au profit de la Société d'aménagement et de développement des villes et du département du Val-de-Marne (la SADEV 94), une parcelle cadastrée section [...] et appartenant à la société Avenir Ivry.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Énoncé du moyen

3. La société Avenir Ivry fait grief à l'ordonnance de déclarer expropriée une parcelle dont elle est propriétaire, alors « qu'il ne peut être porté atteinte au droit de propriété, à raison de l'utilité publique, que si l'atteinte répond à un besoin qui doit être satisfait dans un délai raisonnable ; que par suite, la notification de l'ordonnance d'expropriation, qui permet de purger les recours et d'exécuter l'envoi en possession au profit de l'expropriant, doit elle-même intervenir dans un délai raisonnable suivant la déclaration d'utilité publique ; qu'en l'espèce, l'ordonnance d'expropriation du 2 mars 2015 n'a été notifiée à la société Avenir Ivry que par acte du 28 mars 2019, soit plus de quatre ans après son prononcé, et près de huit ans après la déclaration d'utilité publique du 11 juillet 2011 ; qu'au regard de l'écoulement de ce délai, l'ordonnance attaquée doit être annulée pour perte de fondement juridique au regard des articles L. 12-1, R. 12-1 à R. 12-4 du code de l'expropriation, de l'article 544 du code civil, de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, et de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

4. Le transfert de propriété du bien faisant l'objet de la procédure d'expropriation est opéré, à défaut d'accord ou de cession amiable, par voie d'ordonnance du juge de l'expropriation.

5. Pour être exécutée à l'encontre de l'intéressé, l'ordonnance doit lui avoir été préalablement notifiée par l'expropriant.

6. Sa notification fait courir les délais de recours.

7. La durée du délai de notification de l'ordonnance est sans effet sur la légalité de cette décision (3e Civ., 5 décembre 2007, pourvoi n° 06-70.003, Bull. 2007, II, n° 224).

8. Il s'ensuit que l'éventuel préjudice résultant de l'absence de notification de l'ordonnance dans un délai raisonnable n'est pas susceptible d'être réparé par l'annulation de la procédure.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : Mme Renard - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles L. 12-1, R. 12-1 à R. 12-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; article 544 du code civil ; article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ; article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.