Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

CONVENTIONS INTERNATIONALES

1re Civ., 30 septembre 2020, n° 19-14.761, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Accords et conventions divers – Convention de La Haye du 19 octobre 1996 – Compétence internationale – Compétence des autorités de l'Etat de la résidence habituelle de l'enfant – Changement licite de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre Etat contractant en cours d'instance – Conflit de juridiction entre Etats membres de l'Union européenne – Effet – Primauté du Règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 5 mars 2019), deux enfants sont issus du mariage célébré le 11 juin 2004 en Suisse entre M. P..., de nationalités française et suisse, et Mme C..., de nationalités suisse, irlandaise et danoise. A la suite de la séparation des époux, un tribunal suisse a rendu le 9 novembre 2015 une décision par laquelle il s'est déclaré incompétent à l'égard des mesures concernant les enfants et compétent pour statuer sur les obligations alimentaires entre les époux.

2. Le 21 janvier 2016, M. P... a déposé une requête en divorce au tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse. A compter d'octobre 2016, la résidence principale des enfants a été fixée exclusivement en Suisse. Une ordonnance de non-conciliation a été rendue le 6 mars 2017, dont M. P... a interjeté appel.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mme C... fait grief à l'arrêt de dire que le juge français est compétent pour statuer sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, alors « que dans les relations avec la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants, le règlement CE n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, dit Bruxelles II bis, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ne s'applique que lorsque l'enfant concerné a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre ; qu'en vertu de l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens les autorités judiciaires de l'État contractant de la résidence habituelle de l'enfant et, en cas de changement de résidence habituelle, celles de la nouvelle résidence habituelle ; qu'en retenant la compétence de la juridiction française, sur le fondement de l'article 8 du règlement européen dit Bruxelles II bis, en raison de la résidence habituelle de l'enfant en France au moment de la saisine du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse le 7 janvier 2016, tout en constatant que la résidence habituelle des enfants, déjà partiellement en Suisse au moment de l'introduction de l'instance en divorce du fait de leur résidence alternée, y avait été complètement transférée en octobre 2016 à la suite de l'incarcération du père, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que les juridictions suisses de la nouvelle résidence habituelle des enfants étaient compétentes en vertu de l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 seule applicable, violant ainsi ce texte ensemble l'article 61 du règlement CE n° 2201/2003 du 27 novembre 2003. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, entrée en vigueur en Suisse le 1er juillet 2009 et en France, le 1er février 2011, ensemble l'article 61 du règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 :

4. Selon le premier de ces textes, les autorités tant judiciaires qu'administratives de l'Etat contractant de la résidence habituelle de l'enfant sont compétentes pour prendre des mesures tendant à la protection de sa personne ou de ses biens.

En cas de changement licite de la résidence habituelle de l'enfant dans un autre Etat contractant, sont compétentes les autorités de l'Etat de la nouvelle résidence habituelle.

5. Selon le second texte, les dispositions du règlement et, en particulier, l'article 8.1 qui désigne, en matière de responsabilité parentale, les juridictions de l'Etat membre dans lequel l'enfant à sa résidence habituelle à la date où la juridiction est saisie, priment sur celles de la Convention de La Haye dans les seules relations entre les Etats membres.

6. Pour dire les juridictions françaises compétentes en matière d'autorité parentale et statuer sur les modalités de son exercice, après avoir énoncé que la règle de compétence générale édictée à l'article 8, paragraphe 1, du règlement n° 2201/2003 du 27 novembre 2003 s'applique à des litiges impliquant des rapports entre les juridictions d'un seul Etat membre et celles d'un pays tiers, l'arrêt retient qu'à la date de l'introduction de la requête en divorce, en janvier 2016, les enfants étaient en résidence alternée, chez leur mère en Suisse et chez leur père en France à l'ancien domicile conjugal, qu'ils étaient scolarisés en France, qu'ils avaient depuis plusieurs années, le centre habituel de leurs intérêts dans ce pays, où ils étaient intégrés dans leur environnement social et familial. Il ajoute que ce n'est qu'à compter d'octobre 2016, à la suite de l'incarcération de leur père, que les enfants ont résidé exclusivement en Suisse, où ils ont été scolarisés avec l'accord de celui-ci donné par lettre du 1er août 2017.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la résidence habituelle des enfants avait été licitement transférée en cours d'instance dans un Etat partie à la Convention du 19 octobre 1996 mais non membre de l'Union européenne, de sorte que seule cette Convention était applicable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. En application de l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, dès lors que la résidence habituelle des enfants a été licitement transférée en Suisse en cours d'instance, la juridiction française est incompétente pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale. Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance du 6 mars 2017, en ce qu'elle a statué en ce sens.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE mais seulement en ce qu'il dit le juge français compétent pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale et la loi française applicable sur ce point, dit que l'autorité parentale sur les enfants mineurs est exercée conjointement par les parents, fixe la résidence des enfants mineurs chez leur mère, ordonne une expertise médico-psychologique et sursoit à statuer sur la demande relative au droit de visite du père, l'arrêt rendu le 5 mars 2019 entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse du 6 mars 2017 en ce qu'elle a dit la juridiction française incompétente pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat général : Mme Marilly - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, entrée en vigueur en Suisse le 1er juillet 2009 et en France, le 1er février 2011 ; article 61 du Règlement (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003.

1re Civ., 16 septembre 2020, n° 18-50.080, n° 19-11.251, (P)

Cassation partielle

Accords et conventions divers – Convention de New York du 20 novembre 1989 – Droits de l'enfant – Article 3, § 1 – Intérêt supérieur de l'enfant – Impossible établissement d'une double filiation de nature maternelle hors adoption – Compatibilité

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 18-50.080 et X 19-11.251 sont joints.

Intervention

2. L'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) et l'Association commune trans et homo pour l'égalité (ACTHE) sont reçues en leur intervention volontaire accessoire.

Déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251, examinée d'office

3. Selon l'article 978 du code de procédure civile, à peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

4. Mme Q... s'est pourvue en cassation contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 mais son mémoire ne contient aucun moyen à l'encontre de cette décision.

5. Il y a lieu en conséquence de constater la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt.

Faits et procédure

6. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 novembre 2018), Mme J... et M. Q... se sont mariés le [...]. Deux enfants sont nés de cette union, C... le [...] et W... le [...].

7. En 2009, M. Q... a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil. Un jugement du 3 février 2011 a accueilli sa demande et dit qu'il serait désormais inscrit à l'état civil comme étant de sexe féminin, avec S... pour prénom. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage.

8. Le 18 mars 2014, Mme J... a donné naissance à un troisième enfant, M... J..., conçue avec Mme Q..., qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins.

L'enfant a été déclarée à l'état civil comme née de Mme J....

9. Mme Q... a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui a été refusé par l'officier de l'état civil.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° X 19-11.251, pris en ses deuxième et quatrième à huitième branches, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif rejetant la demande de transcription de la reconnaissance de maternité et les autres demandes de Mme Q...

Enoncé du moyen

10. Mme Q... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance et de rejeter ses autres demandes, alors :

« 1°/ que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ; que dès lors, ne peut figurer, sur un acte de l'état civil, le lien de filiation d'un enfant avec un « parent biologique », neutre, sans précision de sa qualité de père ou de mère ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de voir reconnaître la réalité de sa filiation biologique avec Mme Q... ; que l'établissement d'une filiation par la voie de l'adoption était, en l'occurrence, impossible ; que la cour d'appel a également constaté que le droit au respect de la vie privée de Mme Q... excluait qu'il puisse lui être imposé une filiation paternelle ; qu'il se déduisait de ces constatations, relatives à la nécessité, pour l'intérêt supérieur de l'enfant, de reconnaître la filiation biologique avec Mme Q..., mais l'impossibilité de faire figurer sur l'acte de naissance de M... J... une filiation paternelle à l'égard de Mme Q..., que seule la mention de Mme Q... en qualité de mère, était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée de Mme Q... et de M... J... ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants et erronés qu'une telle filiation « aurait pour effet de nier à M... la filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les article 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;

2°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en jugeant que l'intérêt de l'enfant M... J... était de voir reconnaître avec Mme Q... un lien de filiation non sexué, aux motifs que l'établissement d'un lien de filiation maternelle aurait pour effet de lui nier toute filiation paternelle et de brouiller la réalité de la filiation maternelle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si à l'inverse le fait d'établir une filiation non maternelle avec Mme Q... n'était pas susceptible d'entraîner, pour l'enfant, des conséquences négatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 § 1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;

3°/ qu'en application de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ; que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et prohibe les discriminations liées notamment à l'identité sexuelle des personnes ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en refusant de faire produire effet à la reconnaissance prénatale de maternité établie par Mme Q... et de reconnaître Mme Q... comme la mère de M... J..., par des motifs inopérants, cependant qu'une personne née femme ayant accouché d'un enfant peut faire reconnaître le lien de filiation maternelle qui l'unit à son enfant biologique, la cour d'appel a créé entre les femmes ayant accouché de l'enfant et les autres mères génétiques une différence de traitement qui ne peut être considérée comme justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis, peu important à cet égard que cela conduise à l'établissement d'un double lien de filiation maternelle biologique, et a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que le conjoint de même sexe que le parent biologique d'un enfant est autorisé à adopter l'enfant dans le cadre d'une adoption plénière, de sorte qu'un enfant peut se voir reconnaître un lien de filiation avec deux personnes de même sexe ; que si le législateur a estimé qu'une double filiation maternelle ne pouvait être établie que par la voie de l'adoption, c'est pour ne pas porter atteinte à la vérité biologique ; que dès lors, l'établissement d'une double filiation maternelle par la voie de l'accouchement et de la reconnaissance prénatale doit être admise lorsqu'elle n'est pas contraire à la vérité biologique ; qu'en refusant à Mme Q... l'établissement d'un lien de filiation maternelle avec son enfant biologique, par des motifs inopérants tenant notamment au fait qu'elle était de même sexe que la mère biologique de l'enfant avec lequel un lien de filiation maternelle était déjà établi et que la loi nationale ne permettrait pas l'établissement d'une double filiation maternelle, la cour d'appel a créé une différence de traitement non justifiée entre les personnes pouvant adopter l'enfant de leur conjoint et les personnes liées biologiquement à un enfant et a ainsi derechef violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que, en définitive, en refusant de reconnaître l'existence d'un lien de filiation maternelle entre Mme Q... et l'enfant M... J... aux motifs qu'une déclaration de maternité non gestatrice aurait « pour effet de nier à M... toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », tandis que la réalité du lien biologique unissant M... J... tant à Mme J... qu'à Mme Q... n'était pas contestée et que les deux filiations maternelles ainsi établies, l'une par la reconnaissance prénatale et l'autre par la mention du nom de Mme J... sur l'acte de naissance après l'accouchement, n'étaient pas concurrentes et ne se contredisaient pas, la cour d'appel a en réalité refusé de faire droit à la demande de Mme Q... en raison de sa transidentité et a, ainsi, violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que, subsidiairement, le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu'un lien de filiation maternelle peut être établi à l'égard d'une mère d'intention ; qu'en l'espèce, outre le lien biologique existant entre Mme Q... et M... J..., il n'était pas contesté que Mme Q... s'est toujours comportée, et se comporte toujours, comme une mère d'intention pour l'enfant ; qu'en application du droit au respect de la vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation maternelle entre Mme Q... et M... J... doit donc être reconnue et inscrite dans les registres d'état civil de l'enfant ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Aux termes de l'article 61-5 du code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.

Selon l'article 61-6 du même code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d'accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l'état civil peut désormais intervenir sans que l'intéressé ait perdu la faculté de procréer.

12. Si l'article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans effet sur les obligations contractées à l'égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d'établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.

13. Il convient dès lors, en présence d'une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l'établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil.

14. Aux termes de l'article 311-25 du code civil, la filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant.

15. Aux termes de l'article 320 du même code, tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait.

16. Ces dispositions s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption.

17. En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l'enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l'acte de naissance de l'enfant.

18. De la combinaison de ces textes, il résulte qu'en l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père.

19. Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

Selon l'article 7, § 1, de cette Convention, l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

20. L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

21. Aux termes de l'article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

22. Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.

23. Elles sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une part, en ce qu'elles permettent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d'autre part, en ce qu'elles confèrent à l'enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l'état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l'état civil l'indication d'une filiation paternelle à l'égard de leur géniteur, laquelle n'est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d'actes de naissance qui leur sont communiqués.

24. En ce qu'elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l'établissement d'un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l'enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l'ayant conçu, ces dispositions concilient l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n'est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu'en ce qui la concerne, celle-ci n'est pas contrainte par là-même de renoncer à l'identité de genre qui lui a été reconnue.

25. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu'elles ont ou non donné naissance à l'enfant, dès lors que la mère ayant accouché n'est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin et n'ayant pas accouché.

26. En conséquence, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a constaté l'impossibilité d'établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant M..., en présence d'un refus de l'adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme Q... à l'égard de l'enfant.

Mais sur le moyen du pourvoi n° H 18-50.080

Enoncé du moyen

27. Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier fait grief à l'arrêt de juger que le lien biologique doit être retranscrit par l'officier de l'état civil, sur l'acte de naissance de la mineure sous la mention de Mme S... Q..., née le [...] à Paris 14e comme « parent biologique » de l'enfant, alors « que selon les dispositions de l'article 57 du code civil, l'acte de naissance d'un enfant mentionne ses seuls « père et mère », qu'en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de « parent biologique », la cour d'appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l'article 57 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 57 du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

28. La loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l'état civil, le père ou la mère de l'enfant comme « parent biologique ».

29. Pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l'acte de naissance de l'enfant M... J..., s'agissant de la désignation de Mme Q..., l'arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l'enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le terme de « parent », neutre, pouvant s'appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre Mme Q... et son enfant.

30. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l'état civil et que, loin d'imposer une telle mention sur l'acte de naissance de l'enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du moyen du pourvoi n° X 19-11.251 ni de saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour avis consultatif, la Cour :

CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité de Mme S... Q... à l'égard de l'enfant M... J..., l'arrêt rendu le 14 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ; articles 61-5, 311-25, 313, 316 et 320 du code civil ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 57 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité d'établir une double filiation maternelle ou paternelle, cf. : Cons. const., 17 mai 2013, décision n° 2013-669 DC. Sur l'impossibilité d'établir une double filiation maternelle ou paternelle, à rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 7 mars 2018, n° 17-70.039, Bull. 2018, Avis, n° 2.

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-15.524, (P)

Cassation partielle

Principes généraux – Autorité des conventions – Autorité supérieure à la loi – Application

Désistement partiel

1. Il est donné acte à M. O... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 2019) et les productions, M. O... (l'allocataire), de nationalité américaine, résidant régulièrement en France, a sollicité le bénéfice des prestations familiales auprès de la caisse d'allocations familiales de Paris (la caisse) pour ses trois enfants, entrés sur le territoire national, accompagnés d'au moins l'un de leurs deux parents, sous couvert d'un visa « visiteur ».

3. La caisse lui ayant refusé l'attribution des prestations, l'allocataire a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le même moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

5. L'allocataire fait grief à l'arrêt de le débouter de son recours, alors « que les personnes qui sont ou ont été soumises à la législation de l'Etat français ou des Etats-Unis d'Amérique, qui sont des ressortissants de l'un ou l'autre de ces États, et qui résident sur le territoire de l'autre État contractant, doivent bénéficier d'un traitement égal à celui qui est accordé aux ressortissants de l'autre État contractant en application de la législation de cet autre État relative au droit aux prestations et au versement de celles-ci, notamment en matière de prestations familiales ; que ce principe de non-discrimination interdit d'imposer aux personnes entrant dans le champ d'application de cette disposition des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables aux nationaux de cet État ; que M. O..., ressortissant américain ayant été soumis à la législation américaine était titulaire d'une carte de séjour temporaire valable ; que la CAF avait reconnu que ses enfants mineurs, V... et R..., résidaient légalement en France avec lui ; qu'ainsi, le droit aux prestations familiales ne pouvait être refusé au motif que M. O... ne produisait pas le certificat de contrôle médical délivré dans le cadre du regroupement familial justifiant de la régularité de l'entrée sur le territoire français sans violer les articles 2, 3 et 4 de l'Accord de sécurité sociale entre la France et les Etats-Unis du 2 mars 1987, ensemble les dispositions de l'article L. 512-2, alinéas 2 à 4, du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 55 de la Constitution et les articles 2 § 1, b) iv, 3 et 4 de l'Accord de sécurité sociale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique du 2 mars 1987, publié par décret n° 88-610 du 5 mai 1988, L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale :

6. Selon le deuxième de ces textes, les législations applicables aux fins de l'Accord sont, pour la France, la législation relative aux prestations familiales.

Selon le troisième, l'Accord s'applique aux personnes qui sont ou ont été soumises à la législation de l'un ou l'autre des Etats contractants et qui sont des ressortissants de l'un ou l'autre des Etats contractants, des réfugiés ou des apatrides, ainsi qu'à leurs ayants droit, tels que définis à l'article premier du même accord.

Selon le quatrième, un ressortissant d'un Etat contractant résidant sur le territoire de l'autre Etat contractant et à qui s'appliquent les dispositions du présent Accord bénéficie, de même que ses ayants droit, d'un traitement égal à celui qui est accordé aux ressortissants de l'autre Etat contractant en application de la législation de cet autre Etat relative au droit aux prestations et au versement de celles-ci.

7. Il résulte de ces stipulations, qui l'emportent, en vertu du premier de ces textes, sur les cinquième et sixième, qu'un ressortissant des Etats-Unis d'Amérique résidant régulièrement sur le territoire français avec ses enfants peut prétendre, pour ceux-ci, au bénéfice des prestations familiales dans les mêmes conditions qu'un ressortissant français.

8. Pour dire que l'allocataire ne pouvait prétendre au bénéfice des prestations familiales pour ses trois enfants, l'arrêt retient essentiellement qu'à défaut de dispositions contraires comprises dans la convention bilatérale de sécurité sociale du 2 mars 1987 ou dans un autre accord bilatéral et à défaut d'accord conclu avec l'Union européenne, le principe d'égalité de traitement entre les ressortissants des deux Etats établi par l'article 2 susvisé ne contrevient pas à l'application des conditions légales d'octroi des prestations familiales pour des enfants étrangers édictées par le code de la sécurité sociale ainsi qu'aux conditions d'entrée et de séjour en France, qui restent applicables. Il ajoute que la convention bilatérale de sécurité sociale conclue entre la France et les Etats-Unis le 2 mars 1987 est une convention de coordination des systèmes de sécurité sociale des deux Etats pour leurs ressortissants respectifs se trouvant dans l'autre Etat et que la lettre ministérielle du 20 juin 1988 relative à cette convention ne fait pas obstacle à l'application de la législation française. Ayant rappelé les dispositions des articles L. 512-2, D. 512-1 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale, l'arrêt précise que les enfants sont entrés en France en dehors de la procédure de regroupement familial et que l'allocataire ne peut présenter un certificat médical de l'OFFI pour ses enfants.

9. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'allocataire, ressortissant américain, résidait régulièrement en France avec ses enfants, ce dont il ressortait qu'il pouvait prétendre au bénéfice des prestations familiales dans les mêmes conditions que les ressortissants français, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Conformément à l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le premier moyen entraîne, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif critiqué par le second moyen, se rapportant à la demande d'indemnisation.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre branche du premier moyen, la Cour :

DONNE ACTE à M. O... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre le ministre chargé de la sécurité sociale ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a déclaré l'appel recevable, l'arrêt rendu le 22 février 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Dudit - Avocat général : Mme Ceccaldi - Avocat(s) : SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 55 de la Constitution ; articles 2, § 1, b), iv), 3 et 4 de l'Accord de sécurité sociale entre le gouvernement de la République française et le gouvernement des Etats-Unis d'Amérique du 2 mars 1987, publié par décret n° 88-610 du 5 mai 1988 ; articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'ouverture du droit aux prestations familiales au regard de l'enfant étranger à charge d'un parent étranger résidant régulièrement en France, à rapprocher : 2e Civ., 11 octobre 2018, pourvoi n° 17-22.398, Bull. 2018, II (cassation), et les arrêts cités.

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