Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-19.122, (P)

Cassation

Article 14 – Interdiction de discrimination – Article 1er du Premier Protocole additionnel – Sécurité sociale – Allocations spéciales – Pension de retraite des marins – Service pris en compte

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 10 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (2e Civ., 4 avril 2018, pourvoi n° 17-11.071), titulaire d'une pension de retraite servie par l'Établissement national des invalides de la marine (ENIM), M. A... en a demandé la révision aux fins de prise en compte de la campagne double au titre de ses services militaires accomplis pendant la guerre d'Algérie.

Par décision du 30 juillet 2014, l'ENIM lui a notifié qu'il ne pouvait obtenir le bénéfice de cette bonification qu'à hauteur de cent quarante-cinq jours de campagne en sus des cent quarante-cinq jours pendant lesquels il avait été exposé au feu.

2. L'assuré a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Sur le moyen relevé d'office

3. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel de cette Convention, les articles L. 5552-17 du code des transports et R. 6 du code des pensions de retraite des marins, le dernier, dans sa rédaction issue du décret n° 2013-992 du 6 novembre 2013, applicable au litige :

4. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme que le premier de ces textes n'a pas d'existence indépendante puisqu'il vaut uniquement pour la jouissance des droits et libertés garantis par les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome. Pour que l'article 14 trouve à s'appliquer, il suffit que les faits du litige tombent sous l'empire de l'une au moins desdites clauses (CEDH, arrêt du 2 novembre 2010, erife Yi it c/ Turquie [GC], n° 3976/05, § 55, et la jurisprudence qui s'y trouve mentionnée).

5. Les pensions de retraite des marins sont des créances qui doivent être regardées comme des biens au sens de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention.

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ce texte ne comporte pas un droit à acquérir des biens. Il ne limite en rien la liberté qu'ont les Etats contractants de décider s'il convient ou non de mettre en place un quelconque régime de sécurité sociale ou de choisir le type ou le niveau des prestations devant être accordées au titre de pareil régime. Dès lors toutefois qu'un Etat décide de créer un régime de prestations ou de pensions, il doit le faire d'une manière compatible avec l'article 14 de la Convention (CEDH, arrêt du 12 avril 2006, Stec et autres [GC], n°s 65731/01 et 65900/01, § 53 et la décision sur la recevabilité rendue dans cette même affaire, §§ 54-55, CEDH 2005-X ; CEDH, arrêt du 2 novembre 2010, erife Yi it c/ Turquie [GC], 3976/05, 2 novembre 2010, § 56).

6. Selon l'article L. 5552-17 du code des transports, entrent en compte pour le calcul des droits à pension, pour le double de leur durée, les services militaires et les temps de navigation active et professionnelle accomplis, en période de guerre, dans les conditions de date et de lieux fixées par l'article R. 6 du code des pesions de retraite des marins.

7. Ces dernières dispositions, qui ouvrent aux assurés du régime d'assurance vieillesse des marins le bénéfice des avantages reconnus aux assurés en raison des services rendus par les personnes qui ont participé sous l'autorité de la République française à la guerre d'Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962, se bornent à préciser le principe énoncé à cette fin par la loi n° 99-882 du 18 octobre 1999, lequel demeure sans incidence sur les règles de liquidation des droits à pension de retraite propres à chacun des régimes d'assurance vieillesse. Eu égard à leur objet, elles n'engendrent ainsi, en elles-mêmes, aucune discrimination prohibée par les stipulations combinées des articles 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention.

8. Pour accueillir le recours de l'assuré et dire qu'au titre de la campagne double due à ce dernier, deux cents quatre vingt-dix jours devaient être ajoutés aux cent quarante-cinq jours déjà décomptés par l'ENIM pour son service militaire, l'arrêt retient que l'article R. 6 du code des pensions de retraite des marins français du commerce, de pêche ou de plaisance (le CPRM) porte atteinte au principe de stricte égalité et viole notamment l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme en instaurant un régime de décompte des jours différent au titre de l'exposition au feu entre les anciens combattants relevant du régime de protection sociale de l'ENIM et les autres combattants, sans que cette différence soit fondée sur un élément objectif autre que la différence de rédaction entre les dispositions réglementaires du CPRM et celles du code des pensions civiles et militaires de retraite. Il en déduit qu'il y a lieu, en conséquence, de constater que les dispositions de l'article R. 6 précité introduisent une discrimination portant atteinte au principe d'égalité entre les anciens combattants, d'en écarter l'application et par substitution de motifs, de confirmer la décision entreprise.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Le Fischer - Avocat(s) : SARL Cabinet Briard ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Article L. 5552-17 du code des transports ; article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1er du Premier protocole additionnel à ladite Convention.

Rapprochement(s) :

2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-11.538, Bull. 2009, II, n° 206 (cassation) ; 2e Civ., 9 mai 2019, pourvoi n° 18-16.575, Bull. 2019, (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 16 septembre 2020, n° 19-11.621, (P)

Cassation

Article 6, § 1 – Equité – Violation – Défaut – Cas – Absence de notification des décisions rendues – Connaissance de l'assignation et de l'instance – Délai d'un an à compter de la décision pour former un recours

Article 13 – Droit à un recours effectif – Violation – Défaut – Cas – Absence de notification des décisions rendues – Connaissance de l'assignation et de l'instance – Délai d'un an à compter de la décision pour former un recours

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 25 janvier 2019), la société américaine The Paragon Collection (la société Paragon), ayant pour activité la distribution de logiciels informatiques, a conclu, le 2 avril 1996, avec la société française Extended Software XT Soft (la société XT Soft), société de conseil en informatique, un contrat de licence portant sur la commercialisation et la distribution de produits informatiques. A la suite d'un différend portant sur le montant des redevances, la société Paragon a, en application de la clause attributive de juridiction stipulée au contrat, assigné la société XT Soft devant la Cour de district de Californie (Etats-Unis d'Amérique) en responsabilité et paiement de diverses sommes.

Par une ordonnance et un jugement du 22 septembre 2014, la juridiction américaine a condamné la société XT Soft à payer une somme de 502 391,15 dollars américains. Après avoir procédé, le 10 mars 2016, à une saisie conservatoire sur le compte bancaire de la débitrice, la société Paragon l'a assignée, le 16 mars 2016, devant le tribunal de grande instance de Pontoise en exequatur des décisions américaines.

En cours d'instance, la société XT Soft a, par jugement du 26 mars 2018, été placée en liquidation judiciaire, la société de Keating étant désignée en qualité de liquidateur.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

2. La société Paragon fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'exequatur, alors « que la contrariété à l'ordre public international de procédure d'une décision étrangère ne peut être admise que s'il est démontré que les intérêts légitimes d'une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure ; que s'il est protégé par l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit d'accès à un tribunal n'est pas pour autant absolu et se prête à des restrictions qui concernent notamment les conditions de recevabilité des recours ; que la limitation du droit de faire appel n'est dès lors pas, en soi, contraire à l'ordre public international ; qu'en l'espèce, le défendeur, auquel avait été régulièrement signifiée l'assignation, dans les conditions prévues par la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification des actes judiciaires à l'étranger, n'avait marqué aucun intérêt pour la procédure engagée par la société Paragon devant le juge californien ; qu'il avait, en effet, sciemment fait défaut et avait choisi de ne pas y être représenté ; que s'il ne s'était pas ainsi désintéressé de la procédure qui le visait, il lui aurait été parfaitement loisible de prendre connaissance de la décision de condamnation le concernant dans le délai d'un an qui lui était imparti par le droit californien pour interjeter appel ; que, dans ces conditions, l'application au cas d'espèce des règles de droit californien, fixant à un an le délai pour interjeter appel à compter du jugement, ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge de la société XT Soft ; qu'en refusant néanmoins l'exequatur de l'ordonnance et du jugement californiens du 22 septembre 2014 en raison de leur prétendue contrariété à l'ordre public international français de procédure, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile, ensemble les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 509 du code de procédure civile et les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

3. Pour accorder l'exequatur, le juge français doit, en l'absence de convention internationale, s'assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l'ordre public international de fond et de procédure ainsi que l'absence de fraude.

4. Pour rejeter la demande d'exequatur, l'arrêt relève, d'abord, que l'ordre public international français impose que la loi du for ouvre les recours indispensables contre le jugement de première instance, spécialement lorsqu'il a été rendu par défaut. Il constate, ensuite, que la loi californienne ouvre un délai de recours d'un an, qui court du prononcé du jugement, sans prévoir l'exigence d'un acte de signification. Il retient, enfin, que cette voie de recours ne pouvant être exercée par le défendeur défaillant que si celui-ci a eu connaissance de la décision par la notification qui lui a été faite, l'absence d'exigence légale d'une notification en bonne et due forme alliée à la circonstance que le délai de recours court dès le prononcé de la décision est de nature à priver le défendeur de tout recours effectif et que cette absence de garantie procédurale contrevient aux droits à un procès équitable et à un recours effectif garantis par les articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la connaissance par la société XT Soft de l'assignation et de l'instance devant la juridiction californienne ne démontrait pas que ses droits au procès équitable et au recours effectif, au sens des articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, avaient été respectés, nonobstant l'absence de notification des décisions rendues, dès lors qu'elle disposait d'un délai d'un an à compter de la décision pour former un recours, ce dont il résultait qu'au regard des circonstances de l'espèce, les décisions américaines pouvaient ne pas révéler d'atteinte à l'ordre public international de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Et sur le second moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Paragon fait grief à l'arrêt de la condamner à payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors « que le juge de l'exequatur, dont les pouvoirs se limitent en principe à la vérification des conditions de régularité internationale des décisions étrangères requises pour leur exequatur, ne peut statuer sur une demande accessoire ou reconventionnelle sans lien aucun avec l'instance en exequatur, et ajouter ainsi à la condamnation prononcée par le juge étranger ; qu'en faisant droit à la demande de dommages-intérêts présentée par la société XT Soft, à l'appui de laquelle était alléguée une prétendue faute de la société Paragon relative à une saisie conservatoire dénuée de tout lien avec la procédure d'exequatur, la cour d'appel a violé l'article 509 du code de procédure civile, ensemble les principes régissant l'excès de pouvoir. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 509 du code de procédure civile :

7. Le juge de l'exequatur, dont les pouvoirs se limitent à la vérification des conditions de l'exequatur, ne peut connaître d'une demande reconventionnelle en responsabilité fondée sur une faute qui n'a pas été commise au cours de l'instance dont il est saisi.

8. Pour retenir la responsabilité de la société Paragon, l'arrêt relève que la signification des décisions de condamnation américaines après expiration du délai de recours caractérise une déloyauté procédurale fautive, cette manoeuvre ayant permis la saisie conservatoire du compte bancaire de la société XT Soft qui présentait, à la date de la saisie, un solde créditeur.

9. En statuant ainsi, alors que la faute imputée à la société Paragon était étrangère à la procédure d'exequatur, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 janvier 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Acquaviva - Avocat général : M. Poirret (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Articles 6 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 509 du code de procédure civile ; article 509 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 9 septembre 2015, pourvoi n° 14-13.641, Bull. 2015, I, n° 187 (rejet), et les arrêts cités. 1re Civ., 7 décembre 2016, pourvoi n° 16-23.471, Bull. 2016, I, n° 237 (cassation), et les arrêts cités ; 1re Civ., 15 janvier 2020, pourvoi n° 18-24.261, Bull. 2020, (2) (cassation).

Com., 9 septembre 2020, n° 19-10.206, (P)

Rejet

Article 6, § 1 – Tribunal – Accès – Redressement et liquidation judiciaires – Créancier n'ayant pas déclaré sa créance – Demande tendant à ce qu'il soit statué par anticipation sur le principe et le montant d'une créance – Défaut d'intérêt du créancier

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Redressement et liquidation judiciaires – Créancier n'ayant pas déclaré sa créance – Demande tendant à ce qu'il soit statué par anticipation sur le principe et le montant d'une créance – Défaut d'intérêt du créancier

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 11 septembre 2018), Mme L... a fait exécuter en 2009 par la société Leluan Map des travaux de bardage qui ont été réceptionnés avec réserves le 10 septembre 2010.

La société Leluan Map a été mise en redressement judiciaire le 26 juillet 2012, M. H... étant désigné administrateur judiciaire et la société Bruno Cambon mandataire judiciaire. Un plan de redressement a été arrêté le 17 juillet 2013, M. H... devenant commissaire à l'exécution du plan.

2. Mme L..., qui n'avait déclaré aucune créance, a, au vu d'un rapport d'expertise, assigné, le 2 octobre 2013, la société Leluan Map ainsi que le mandataire judiciaire et le commissaire à l'exécution du plan en demandant en cause d'appel que la responsabilité de la société soit reconnue et sa créance d'indemnisation évaluée.

3. La société Leluan Map et son mandataire judiciaire ont opposé l'irrecevabilité de la demande.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner à la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et le second moyen, réunis

Enoncé du moyen

5. Mme L... fait grief à l'arrêt de déclarer sa demande irrecevable, alors :

« 1°/ qu'eu égard à la généralité des termes de l'article 2241 du code civil, la demande en justice a un effet interruptif de prescription s'agissant de l'action tendant à faire constater l'existence et le quantum d'un créance, peu important que la créance soit inopposable au débiteur faisant l'objet d'une procédure collective à raison d'un défaut de déclaration dans les délais requis ; qu'en décidant le contraire, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 4 et 30 du code de procédure civile, ensemble l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

2°/ qu'une partie peut toujours saisir le juge pour faire statuer sur l'existence et le quantum d'une créance quand bien même elle ne pourrait pas être immédiatement invoquée ou quand bien elle serait conditionnelle ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, tout en concédant qu'en cas de résolution du plan, Mme L... pourrait faire valoir sa créance, les juges du fond ont à tout le moins violé l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. La cour d'appel a énoncé que Mme L..., qui n'a pas déclaré sa créance de dommages-intérêts pour malfaçons, de sorte qu'en application de l'article L. 622-26, alinéa 2, du code de commerce, cette créance est inopposable à la société Leluan Map pendant l'exécution du plan de redressement de celle-ci et après si les engagements pris ont été tenus, ne pourra recouvrer son droit de poursuite individuel qu'en cas de résolution du plan.

7. Dans ce cas, elle pourra agir en paiement de dommages-intérêts contre la société débitrice, sans que puisse lui être opposée la prescription de son action, dès lors que, jusqu'à la clôture de la procédure collective, cette prescription aura été suspendue par suite de l'impossibilité dans laquelle elle se sera trouvée, comme tout créancier, y compris celui qui n'a pas déclaré sa créance, de poursuivre son débiteur.

8. Il en résulte que Mme L... est sans intérêt à demander qu'il soit statué par anticipation au cours de l'exécution du plan sur le principe et le montant de sa créance de dommages-intérêts.

En déclarant irrecevable cette demande, la cour d'appel n'a, par conséquent, pas porté atteinte au droit de Mme L... à un procès équitable, ni au droit au respect de ses biens.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Mouillard (président) - Rapporteur : Mme Vallansan - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 622-26, alinéa 2, du code de commerce ; article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 1 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

1re Civ., 16 septembre 2020, n° 18-50.080, n° 19-11.251, (P)

Cassation partielle

Article 8 – Respect de la vie privée et familiale – Intérêt supérieur de l'enfant – Impossible établissement d'une double filiation de nature maternelle hors adoption – Compatibilité

Article 14 – Interdiction de discrimination – Compatibilité – Femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin – Effet – Impossible établissement d'une double filiation de nature maternelle hors adoption

Article 8 – Respect de la vie privée – Exercice de ce droit – Actes de l'état civil – Mention du « parent biologique » – Nécessité (non)

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° H 18-50.080 et X 19-11.251 sont joints.

Intervention

2. L'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) et l'Association commune trans et homo pour l'égalité (ACTHE) sont reçues en leur intervention volontaire accessoire.

Déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251, examinée d'office

3. Selon l'article 978 du code de procédure civile, à peine de déchéance, le demandeur en cassation doit, au plus tard dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

4. Mme Q... s'est pourvue en cassation contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 mais son mémoire ne contient aucun moyen à l'encontre de cette décision.

5. Il y a lieu en conséquence de constater la déchéance partielle du pourvoi, en ce qu'il est dirigé contre cet arrêt.

Faits et procédure

6. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 14 novembre 2018), Mme J... et M. Q... se sont mariés le [...]. Deux enfants sont nés de cette union, C... le [...] et W... le [...].

7. En 2009, M. Q... a saisi le tribunal de grande instance de Montpellier d'une demande de modification de la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil. Un jugement du 3 février 2011 a accueilli sa demande et dit qu'il serait désormais inscrit à l'état civil comme étant de sexe féminin, avec S... pour prénom. Cette décision a été portée en marge de son acte de naissance et de son acte de mariage.

8. Le 18 mars 2014, Mme J... a donné naissance à un troisième enfant, M... J..., conçue avec Mme Q..., qui avait conservé la fonctionnalité de ses organes sexuels masculins.

L'enfant a été déclarée à l'état civil comme née de Mme J....

9. Mme Q... a demandé la transcription, sur l'acte de naissance de l'enfant, de sa reconnaissance de maternité anténatale, ce qui lui a été refusé par l'officier de l'état civil.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi n° X 19-11.251, pris en ses deuxième et quatrième à huitième branches, en ce qu'il est dirigé contre le chef de dispositif rejetant la demande de transcription de la reconnaissance de maternité et les autres demandes de Mme Q...

Enoncé du moyen

10. Mme Q... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité faite avant la naissance et de rejeter ses autres demandes, alors :

« 1°/ que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ; que dès lors, ne peut figurer, sur un acte de l'état civil, le lien de filiation d'un enfant avec un « parent biologique », neutre, sans précision de sa qualité de père ou de mère ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'il était dans l'intérêt supérieur de l'enfant de voir reconnaître la réalité de sa filiation biologique avec Mme Q... ; que l'établissement d'une filiation par la voie de l'adoption était, en l'occurrence, impossible ; que la cour d'appel a également constaté que le droit au respect de la vie privée de Mme Q... excluait qu'il puisse lui être imposé une filiation paternelle ; qu'il se déduisait de ces constatations, relatives à la nécessité, pour l'intérêt supérieur de l'enfant, de reconnaître la filiation biologique avec Mme Q..., mais l'impossibilité de faire figurer sur l'acte de naissance de M... J... une filiation paternelle à l'égard de Mme Q..., que seule la mention de Mme Q... en qualité de mère, était de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée de Mme Q... et de M... J... ; qu'en jugeant le contraire, aux motifs inopérants et erronés qu'une telle filiation « aurait pour effet de nier à M... la filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, violant les articles 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les article 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;

2°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en jugeant que l'intérêt de l'enfant M... J... était de voir reconnaître avec Mme Q... un lien de filiation non sexué, aux motifs que l'établissement d'un lien de filiation maternelle aurait pour effet de lui nier toute filiation paternelle et de brouiller la réalité de la filiation maternelle, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si à l'inverse le fait d'établir une filiation non maternelle avec Mme Q... n'était pas susceptible d'entraîner, pour l'enfant, des conséquences négatives, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 3 § 1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ;

3°/ qu'en application de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe ; que cette disposition interdit de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables et prohibe les discriminations liées notamment à l'identité sexuelle des personnes ; qu'au cas présent, la cour d'appel a constaté que, depuis un jugement du 3 février 2011, Mme Q... est de sexe féminin à l'état civil ; que la cour d'appel a par ailleurs constaté que l'existence d'un lien biologique entre Mme Q... et M... J... n'était pas contestée ; qu'en refusant de faire produire effet à la reconnaissance prénatale de maternité établie par Mme Q... et de reconnaître Mme Q... comme la mère de M... J..., par des motifs inopérants, cependant qu'une personne née femme ayant accouché d'un enfant peut faire reconnaître le lien de filiation maternelle qui l'unit à son enfant biologique, la cour d'appel a créé entre les femmes ayant accouché de l'enfant et les autres mères génétiques une différence de traitement qui ne peut être considérée comme justifiée et proportionnée aux objectifs poursuivis, peu important à cet égard que cela conduise à l'établissement d'un double lien de filiation maternelle biologique, et a violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que le conjoint de même sexe que le parent biologique d'un enfant est autorisé à adopter l'enfant dans le cadre d'une adoption plénière, de sorte qu'un enfant peut se voir reconnaître un lien de filiation avec deux personnes de même sexe ; que si le législateur a estimé qu'une double filiation maternelle ne pouvait être établie que par la voie de l'adoption, c'est pour ne pas porter atteinte à la vérité biologique ; que dès lors, l'établissement d'une double filiation maternelle par la voie de l'accouchement et de la reconnaissance prénatale doit être admise lorsqu'elle n'est pas contraire à la vérité biologique ; qu'en refusant à Mme Q... l'établissement d'un lien de filiation maternelle avec son enfant biologique, par des motifs inopérants tenant notamment au fait qu'elle était de même sexe que la mère biologique de l'enfant avec lequel un lien de filiation maternelle était déjà établi et que la loi nationale ne permettrait pas l'établissement d'une double filiation maternelle, la cour d'appel a créé une différence de traitement non justifiée entre les personnes pouvant adopter l'enfant de leur conjoint et les personnes liées biologiquement à un enfant et a ainsi derechef violé l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ que, en définitive, en refusant de reconnaître l'existence d'un lien de filiation maternelle entre Mme Q... et l'enfant M... J... aux motifs qu'une déclaration de maternité non gestatrice aurait « pour effet de nier à M... toute filiation paternelle, tout en brouillant la réalité de sa filiation maternelle », tandis que la réalité du lien biologique unissant M... J... tant à Mme J... qu'à Mme Q... n'était pas contestée et que les deux filiations maternelles ainsi établies, l'une par la reconnaissance prénatale et l'autre par la mention du nom de Mme J... sur l'acte de naissance après l'accouchement, n'étaient pas concurrentes et ne se contredisaient pas, la cour d'appel a en réalité refusé de faire droit à la demande de Mme Q... en raison de sa transidentité et a, ainsi, violé les articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

6°/ que, subsidiairement, le droit au respect de la vie privée et familiale doit être reconnu sans distinction selon la naissance ; qu'un lien de filiation maternelle peut être établi à l'égard d'une mère d'intention ; qu'en l'espèce, outre le lien biologique existant entre Mme Q... et M... J..., il n'était pas contesté que Mme Q... s'est toujours comportée, et se comporte toujours, comme une mère d'intention pour l'enfant ; qu'en application du droit au respect de la vie privée et familiale et de l'intérêt supérieur de l'enfant, la filiation maternelle entre Mme Q... et M... J... doit donc être reconnue et inscrite dans les registres d'état civil de l'enfant ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant et l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

11. Aux termes de l'article 61-5 du code civil, toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification.

Selon l'article 61-6 du même code, le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus d'accueillir la demande, de sorte que la modification du sexe à l'état civil peut désormais intervenir sans que l'intéressé ait perdu la faculté de procréer.

12. Si l'article 61-8 prévoit que la mention du sexe dans les actes de l'état civil est sans effet sur les obligations contractées à l'égard des tiers ni sur les filiations établies avant cette modification, aucun texte ne règle le mode d'établissement de la filiation des enfants engendrés ultérieurement.

13. Il convient dès lors, en présence d'une filiation non adoptive, de se référer aux dispositions relatives à l'établissement de la filiation prévues au titre VII du livre premier du code civil.

14. Aux termes de l'article 311-25 du code civil, la filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant.

15. Aux termes de l'article 320 du même code, tant qu'elle n'a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait.

16. Ces dispositions s'opposent à ce que deux filiations maternelles soient établies à l'égard d'un même enfant, hors adoption.

17. En application des articles 313 et 316, alinéa 1er, du code civil, la filiation de l'enfant peut, en revanche, être établie par une reconnaissance de paternité lorsque la présomption de paternité est écartée faute de désignation du mari en qualité de père dans l'acte de naissance de l'enfant.

18. De la combinaison de ces textes, il résulte qu'en l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père.

19. Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

Selon l'article 7, § 1, de cette Convention, l'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.

20. L'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose que :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ».

21. Aux termes de l'article 14, la jouissance des droits et libertés reconnus dans la Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

22. Les dispositions du droit national précédemment exposées poursuivent un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elles tendent à assurer la sécurité juridique et à prévenir les conflits de filiation.

23. Elles sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une part, en ce qu'elles permettent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d'autre part, en ce qu'elles confèrent à l'enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l'état civil la même filiation que celle de ses frère et soeur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l'état civil l'indication d'une filiation paternelle à l'égard de leur géniteur, laquelle n'est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d'actes de naissance qui leur sont communiqués.

24. En ce qu'elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l'établissement d'un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l'enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l'ayant conçu, ces dispositions concilient l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n'est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu'en ce qui la concerne, celle-ci n'est pas contrainte par là-même de renoncer à l'identité de genre qui lui a été reconnue.

25. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu'elles ont ou non donné naissance à l'enfant, dès lors que la mère ayant accouché n'est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin et n'ayant pas accouché.

26. En conséquence, c'est sans encourir les griefs du moyen que la cour d'appel a constaté l'impossibilité d'établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant M..., en présence d'un refus de l'adoption intra-conjugale, et rejeté la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité de Mme Q... à l'égard de l'enfant.

Mais sur le moyen du pourvoi n° H 18-50.080

Enoncé du moyen

27. Le procureur général près la cour d'appel de Montpellier fait grief à l'arrêt de juger que le lien biologique doit être retranscrit par l'officier de l'état civil, sur l'acte de naissance de la mineure sous la mention de Mme S... Q..., née le [...] à Paris 14e comme « parent biologique » de l'enfant, alors « que selon les dispositions de l'article 57 du code civil, l'acte de naissance d'un enfant mentionne ses seuls « père et mère », qu'en créant par voie prétorienne, une nouvelle catégorie non sexuée de « parent biologique », la cour d'appel de Montpellier, même en faisant appel à des principes supérieurs reconnus au niveau international, a violé les dispositions de l'article 57 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 57 du code civil, ensemble l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

28. La loi française ne permet pas de désigner, dans les actes de l'état civil, le père ou la mère de l'enfant comme « parent biologique ».

29. Pour ordonner la transcription de la mention « parent biologique » sur l'acte de naissance de l'enfant M... J..., s'agissant de la désignation de Mme Q..., l'arrêt retient que seule cette mention est de nature à concilier l'intérêt supérieur de l'enfant de voir établir la réalité de sa filiation biologique avec le droit de Mme Q... de voir reconnaître la réalité de son lien de filiation avec l'enfant et le droit au respect de sa vie privée consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le terme de « parent », neutre, pouvant s'appliquer indifféremment au père et à la mère, la précision, « biologique », établissant la réalité du lien entre Mme Q... et son enfant.

30. En statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait créer une nouvelle catégorie à l'état civil et que, loin d'imposer une telle mention sur l'acte de naissance de l'enfant, le droit au respect de la vie privée et familiale des intéressées y faisait obstacle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les première et troisième branches du moyen du pourvoi n° X 19-11.251 ni de saisir la Cour européenne des droits de l'homme pour avis consultatif, la Cour :

CONSTATE la déchéance partielle du pourvoi n° X 19-11.251 en ce qu'il est dirigé contre l'arrêt avant dire droit du 21 mars 2018 ;

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de transcription sur les registres de l'état civil de la reconnaissance de maternité de Mme S... Q... à l'égard de l'enfant M... J..., l'arrêt rendu le 14 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Déglise - Avocat(s) : SCP Colin-Stoclet ; SCP Delamarre et Jehannin ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; articles 8 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 3-1 et 7 de la Convention de New-York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant ; articles 61-5, 311-25, 313, 316 et 320 du code civil ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 57 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité d'établir une double filiation maternelle ou paternelle, cf. : Cons. const., 17 mai 2013, décision n° 2013-669 DC. Sur l'impossibilité d'établir une double filiation maternelle ou paternelle, à rapprocher : Avis de la Cour de cassation, 7 mars 2018, n° 17-70.039, Bull. 2018, Avis, n° 2.

Soc., 30 septembre 2020, n° 19-12.058, (P)

Rejet

Article 8 – Respect de la vie privée – Exercice de ce droit – Production de pièces en justice – Justifications – Atteinte proportionnée au but poursuivi – Caractérisation – Nécessité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 décembre 2018), Mme M... a été engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau.

Par lettre du 15 mai 2014, elle a été licenciée pour faute grave, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 présentée exclusivement aux commerciaux de la société.

2. Contestant son licenciement, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens :Publication sans intérêt

Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches

Enoncé du moyen

4. La salariée fait grief à l'arrêt de dire le licenciement fondé sur une faute grave et de la débouter de ses demandes au titre de la rupture du contrat, alors :

« 1°/ que l'employeur ne peut accéder aux informations extraites d'un compte Facebook de l'un de ses salariés sans y avoir été autorisé ; qu'il s'ensuit que la preuve des faits invoqués contre un salarié dans une procédure disciplinaire issue de publications figurant sur son compte Facebook privé, rapportée par l'intermédiaire d'un autre salarié de l'entreprise autorisé à y accéder, est irrecevable ; que dans ses conclusions d'appel, la salariée soutenait que la preuve des faits reprochés n'était pas opposable, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau ; qu'en se bornant à retenir que l'employeur n'avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d'atteinte à la vie privée, ayant été informé de la diffusion de la photographie litigieuse sur le compte Facebook de la salariée par un des « amis » de la salariée travaillant au sein de la société, sans s'expliquer sur le caractère inopposable, et donc irrecevable, de la preuve invoquée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 9 et 1353 du code civil, ensemble l'article 9 du code de procédure civile ;

2°/ que l'employeur ne peut porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié ; qu'il s'ensuit qu'il ne peut s'immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux ; qu'en décidant que l'employeur n'avait commis aucun fait illicite ou procédé déloyal d'atteinte à la vie privée quand elle se référait, pour justifier la faute grave, à l'identité et aux activités professionnelles des amis de la salariée sur le réseau Facebook, telles que rapportées par l'employeur et dont il considérait qu'ils travaillaient chez des concurrents, la cour d'appel a violé l'article 9 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. D'abord, si en vertu du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve, la cour d'appel, qui a constaté que la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l'employeur par un courriel d'une autre salariée de l'entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de Mme M..., a pu en déduire que ce procédé d'obtention de preuve n'était pas déloyal.

6. Ensuite, il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

7. La production en justice par l'employeur d'une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n'était pas autorisé à accéder, et d'éléments d'identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.

8.Cependant, la cour d'appel a constaté que, pour établir un grief de divulgation par la salariée d'une information confidentielle de l'entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l'employeur s'était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l'intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d'activité et qu'il n'avait fait procéder à un constat d'huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l'identité du titulaire du compte.

9.En l'état de ces constatations, la cour d'appel a fait ressortir que cette production d'éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l'exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l'intérêt légitime de l'employeur à la confidentialité de ses affaires.

10.Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le premier moyen, pris en ses autres branches :Publication sans intérêt

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Depelley - Avocat général : Mme Berriat - Avocat(s) : SCP Didier et Pinet ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; article 9 du code civil ; article 9 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

Sur la justification de l'atteinte à la vie privée par la proportionnalité au but poursuivi, à rapprocher : Soc., 9 novembre 2016, pourvoi n° 15-10.203, Bull. 2016, V, n° 209 (cassation partielle), et l'arrêt cité.

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 18-23.626, (P)

Rejet

Article 8 – Respect du domicile – Atteinte – Caractérisation – Cas – Saisie conservatoire de meubles dans un local d'habitation du débiteur sans autorisation du juge

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 septembre 2018), la société T. Imar Bankasi T.A.S.(la banque) ayant fait faillite, la société Müflis T. Imar bankasi T.A.S Iflas idaresi (le liquidateur), a engagé des procédures judiciaires à l'encontre de ses dirigeants, dont M. N.... Ce dernier ayant été condamné par des jugements du tribunal de première d'instance d'Istanbul à payer une certaine somme à la banque, le liquidateur de la banque a fait procéder à plusieurs saisies conservatoires de créances et de droits d'associé et valeurs mobilières, ainsi qu'à une saisie conservatoire de meubles corporels pratiquée au domicile de M. N.... Ce dernier a saisi un juge de l'exécution à fin de contester ces mesures.

Examen des moyens

Sur le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexé

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. Le liquidateur de la banque fait grief à l'arrêt d'annuler la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017, alors « que l'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès leurs conclusions mentionnées à l'article 905-2, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond ; que l'article 954 ajoute que les prétentions sont récapitulées dans un dispositif, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'en prononçant l'infirmation du jugement en ce qu'il avait rejeté la contestation de M. N... portant sur la saisie conservatoire de meubles du 25 août 2017 et en ce qu'il avait condamné M. N... aux dépens, après avoir constaté que dans le dispositif de ses premières conclusions du 13 mars 2018, signifiées dans le délai d'un mois de l'article 905-2 du code de procédure civile, il n'était pas demandé l'infirmation du jugement, la cour d'appel a violé les articles 905-2, 910-4 et 954 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

4. Il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.

5. Cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d' appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

6. Ayant constaté que dans le dispositif de ses conclusions, signifiées le 13 mars 2018, l'appelant ne demandait pas l'infirmation du jugement attaqué mais l'annulation des saisies, leur mainlevée ou leur cantonnement, la cour d'appel ne pouvait que confirmer ce jugement.

7. Toutefois, la déclaration d'appel étant antérieure au présent arrêt, il n'y a pas lieu d'appliquer la règle énoncée au paragraphe 4 au présent litige.

8. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues aux articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Sur le second moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

9. Le liquidateur de la banque fait le même grief à l'arrêt, alors :

« 1°/ que l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, qui dispose qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est applicable qu'aux mesures d'exécution forcée et non aux mesures conservatoires ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte étant inapplicable aux saisies conservatoires, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution ;

2°/ que la référence, par l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, en ce qu'elle laisse penser que le texte se rapporte à la seule saisie vente, ainsi d'ailleurs qu'il ressort des travaux parlementaires, puisque l'exigence d'un commandement de payer pour une saisie conservatoire retirerait tout effet utile à la saisie, en affecte la cohérence et la clarté quant à son champ d'application ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'à supposer l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution applicable aux mesures conservatoires, le non-respect de cette disposition, qui prévoit qu'à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et meubles, n'est pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire ; qu'en annulant les saisies conservatoires mobilières pratiquées le 25 août 2017 pour non-respect de l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, ce texte, à le supposer applicable aux saisies conservatoires, n'étant pas sanctionné par la nullité de la saisie conservatoire, la cour d'appel a violé par fausse application l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution. »

Réponse de la Cour

10. Selon l'article L. 142-3 du code des procédures civiles d'exécution, à l'expiration d'un délai de huit jours à compter d'un commandement de payer signifié par un huissier de justice et resté sans effet, celui-ci peut, sur justification du titre exécutoire, pénétrer dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant, faire procéder à l'ouverture des portes et des meubles.

11. Nonobstant l'emplacement de ce texte dans le Livre 1 du code des procédures civiles d'exécution, intitulé « dispositions générales », sa lettre même, qui exige que l'entrée dans un lieu servant à l'habitation et l'ouverture éventuelle des portes et des meubles soient précédées d'un commandement et que l'huissier de justice justifie d'un titre exécutoire, exclut son application à une mesure conservatoire, qui, en application de l'article L. 511-1 du même code, ne nécessite pas la délivrance préalable d'un commandement et peut être accomplie sans titre exécutoire.

12. Toutefois, s'il résulte de l'article L. 521-1 du même code, selon lequel la saisie conservatoire peut porter sur tous les biens meubles, corporels ou incorporels appartenant au débiteur, que le créancier peut faire procéder à la saisie conservatoire des biens de son débiteur situés dans un lieu servant à l'habitation et, le cas échéant procéder à cet effet à l'ouverture des portes et des meubles, le droit, à valeur constitutionnelle, au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile, également consacré par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, exclut qu'une telle mesure puisse être pratiquée sans une autorisation donnée par un juge.

13. Une mesure conservatoire ne peut, par conséquent, être pratiquée dans un lieu affecté à l'habitation du débiteur par le créancier sans que le juge de l'exécution l' y ait autorisé en application de l'article R. 121-24 du code des procédures civiles d'exécution, et ce même dans l'hypothèse prévue à l'article L. 511-2 du même code dans laquelle le créancier se prévaut d'un titre exécutoire ou d'une décision de justice qui n'a pas encore force exécutoire. A défaut, la mesure doit être annulée.

14. Par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, l'arrêt, qui a constaté que l'huissier de justice n'était pas muni de l'autorisation d'un juge pour pénétrer dans le lieu servant à l'habitation de M. N..., se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : SCP Ortscheidt ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 542 et 954 du code de procédure civile ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles R. 121-24 et L. 511-2 du code des procédures civiles d'exécution.

1re Civ., 23 septembre 2020, n° 18-25.260, (P)

Cassation partielle

Premier Protocole additionnel – Article 1er – Protection de la propriété – Perception de cotisations obligatoires par une organisation interprofessionnelle agricole – Montant – Proportionnalité – Recherche nécessaire

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 septembre 2018), la société civile d'exploitation agricole Domaine Amblard (la société) a assigné l'association Union interprofessionnelle des vins Côtes de Duras, désormais dénommée Interprofession des vins de Bergerac et Duras (l'association), aux fins d'obtenir le remboursement de cotisations volontaires obligatoires payées de 1998 à 2008.

2. L'association a formé une demande reconventionnelle en paiement de cotisations volontaires obligatoires appelées de 2008 à 2012.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande reconventionnelle en paiement de l'association, alors « que le juge saisi du contrôle de proportionnalité doit apprécier de manière concrète le rapport raisonnable entre l'atteinte à un droit garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la justification de cette atteinte ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que la victime de l'atteinte ne rapportait pas la preuve, qui lui incombe, de l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens tirés et le but visé, lorsqu'elle était saisie d'un moyen de la société qui montrait que les cotisations, appliquées de manière uniforme, s'élevaient à près du tiers de son résultat net et ce sans véritable contrepartie, la cour d'appel a violé l'article premier du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 632-1 et L. 632-6 du code rural et de la pêche maritime et 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. En application de ces deux premiers textes, les organisations interprofessionnelles agricoles reconnues par l'autorité administrative compétente sont habilitées à prélever, sur tous les membres des professions les constituant, des cotisations résultant des accords étendus selon la procédure fixée aux articles L. 632-3 et L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime.

5. Selon le dernier, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international, de tels principes ne portant pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

6. Pour être compatible avec ce texte, une atteinte au droit d'une personne au respect de ses biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, même lorsque se trouve en cause le droit qu'ont les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, arrêt du 16 novembre 2010, Perdiga o c. France [GC], n° 24768/06, §§ 63 et 64).

7. Il en résulte que la perception de cotisations volontaires obligatoires par une organisation interprofessionnelle agricole doit répondre à ces exigences. A cet effet, il incombe au juge saisi d'apprécier lui-même, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant des cotisations dues par la société et le but poursuivi par l'association.

8. Pour accueillir la demande reconventionnelle en paiement de l'association, l'arrêt énonce que celle-ci rappelle qu'elle promeut l'appellation vins des côtes de Duras par des actions sur support papier ou Internet, des dégustations et sa présence à des manifestations, puis retient que la société ne démontre pas l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens tirés et le but visé, au regard des missions menées et décrites par l'association.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser sur la société la charge de démontrer l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant des cotisations dues par la société et le but poursuivi par l'association, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile d'exploitation agricole Domaine Amblard à payer à l'association Interprofession des vins de Bergerac et Duras la somme de 25 492,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2011 pour les sommes dues à cette date et de l'arrêt pour le surplus, l'arrêt rendu le 17 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vitse - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 632-1 et L. 632-6 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 30 novembre 2016, pourvoi n° 15-21.946, Bull. 2016, I, n° 231 (cassation).

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