Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION

Soc., 30 septembre 2020, n° 18-24.881, (P)

Cassation partielle

Employeur – Modification dans la situation juridique de l'employeur – Continuation du contrat de travail – Conditions – Transfert d'une entité économique autonome – Affectation du salarié – Affectation pour partie à la société cédante et pour partie à la société entrante – Effets – Scission du contrat de travail – Scission au prorata des fonctions exercées – Possibilité – Détermination – Portée

Il résulte de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d'activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l'activité qu'il consacre au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive.

Encourt dès lors la cassation l'arrêt qui, après avoir retenu que le salarié, consacrant 50 % de son activité au secteur transféré, n'exerçait pas l'essentiel de ses fonctions dans ce secteur, juge que l'ensemble du contrat de travail devait se poursuivre avec le cédant.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 21 septembre 2018), Mme U... a été engagée le 19 décembre 1996 en qualité de secrétaire par la société Interbarreaux K...- O...

- Q... -J... et associés, désormais dénommée Interbarreaux K...

- Q...

- J... et associés.

En juillet 2013, la société a cédé à la société DPR Méditerranée l'activité qu'elle exerçait dans son cabinet secondaire de Menton.

Le 2 août 2013, a été notifié à la salariée le transfert de son contrat de travail auprès de la société DPR Méditerranée à hauteur de 50 % de son temps de travail par application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail. Après s'être trouvée en arrêt de travail à compter du 7 août 2013, la salariée a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 23 avril 2014.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale

Examen des moyens

Sur le premier moyen, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. La société Interbarreaux K... -Q... -J... et associés fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il avait dit que la prise d'acte était fondée sur des motifs suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, que cette rupture s'analysait en une rupture aux torts de l'employeur et produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour perte de chance d'utiliser le droit individuel à la formation, alors « qu'en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, dans l'hypothèse d'un transfert partiel d'activité, lorsque l'activité du salarié se répartissait entre l'entité conservée et l'entité économique autonome cédée, le contrat de travail est transféré pour la partie de son activité professionnelle que le salarié consacrait à l'entité cédée ; qu'en l'espèce, il résulte de l'arrêt que la cession par l'employeur à la société DPR méditerranée du droit de présentation de la clientèle portant sur l'ensemble des dossiers du cabinet de Menton, sur les biens mobiliers corporels relatifs à l'exercice de l'activité d'avocat et sur le salarié à hauteur de 50 % de son temps de travail, avait entraîné le transfert d'une entité économique autonome ayant conservé son identité ; qu'en jugeant cependant que le contrat de travail de la salariée, affectée pour 50 % de son temps de travail à l'entité transférée et pour 50 % à l'activité conservée, devait se poursuivre avec la cédante au prétexte que la salariée n'exerçait pas l'essentiel de ses fonctions au sein de l'entité transférée, la cour d'appel a violé le texte susvisé, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du 12 mars 2001. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière des dispositions de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 :

5. Par plusieurs arrêts, la Cour de cassation a jugé, notamment en cas de cession partielle d'une entreprise emportant transfert d'une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité avait été poursuivie, qu'en application de l'article susvisé, lorsqu'un salarié était employé en partie au sein de cette entité, son contrat de travail devait être transféré au cessionnaire pour la partie de l'activité qu'il y consacrait (Soc., 22 juin 1993, pourvoi n° 90-44.705, Bull. 1993, V, n° 171 ; Soc., 9 mars 1994, pourvoi n° 92-40.916, Bull. 1994, V, n° 83 ; Soc., 2 mai 2001, pourvoi n° 99-41.960, Bull. 2001, V, n° 145).

6. Pour limiter les hypothèses d'une telle division du contrat de travail, la Cour de cassation a ensuite jugé que, si le salarié exerçait l'essentiel de ses fonctions dans le secteur d'activité repris par la nouvelle société, l'ensemble de son contrat de travail devait être transféré à cette société et, dans le cas inverse, que son contrat de travail devait se poursuivre avec la société sortante (Soc., 30 mars 2010, pourvoi n° 08-42.065, Bull. 2010, V, n° 78 ; Soc., 21 septembre 2016, pourvoi n° 14-30.056, Bull. 2016, V, n° 169).

7. Par un arrêt du 7 février 1985, (CJCE, arrêt du 7 février 1985, Botzen, aff. 186/83), la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 77/187/CEE du Conseil, du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements devait être interprété en ce sens qu'il n'englobe pas les droits et obligations qui résultent pour le cédant d'un contrat de travail ou d'une relation de travail existant à la date du transfert et conclu avec des travailleurs qui, bien que n'appartenant pas à la partie transférée de l'entreprise, exerçaient certaines activités comportant l'utilisation de moyens d'exploitation affectés à la partie transférée, ou qui, étant affectés à un service administratif de l'entreprise qui n'a pas été lui-même transféré, effectuaient certaines tâches au profit de la partie transférée.

8. Par arrêt du 26 mars 2020, (CJUE, arrêt du 26 mars 2020, ISS Facility Services NV, aff. C-344/18), la Cour de justice de l'Union européenne, en présence d'un transfert d'entreprise impliquant plusieurs cessionnaires, a écarté tant l'hypothèse consistant à transférer le contrat de travail uniquement au cessionnaire auprès duquel le travailleur exerce ses fonctions à titre principal, que l'hypothèse consistant à ne transférer le contrat de travail à aucun des cessionnaires. Elle a dit pour droit que l'article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements, doit être interprété en ce sens que les droits et les obligations résultant d'un contrat de travail sont transférés à chacun des cessionnaires, au prorata des fonctions exercées par le travailleur concerné, à condition que la scission du contrat de travail en résultant soit possible ou n'entraîne pas une détérioration des conditions de travail ni ne porte atteinte au maintien des droits des travailleurs garanti par cette directive, ce qu'il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier.

Par ailleurs, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que, dans l'hypothèse où une telle scission du contrat de travail se révélerait impossible à réaliser ou porterait atteinte aux droits dudit travailleur, l'éventuelle résiliation de la relation de travail qui s'ensuivrait serait considérée, en vertu de l'article 4 de ladite directive, comme intervenue du fait du ou des cessionnaires, quand bien même cette résiliation serait intervenue à l'initiative du travailleur.

9. Il résulte ainsi de l'article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, que, lorsque le salarié est affecté tant dans le secteur repris, constituant une entité économique autonome conservant son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise, que dans un secteur d'activité non repris, le contrat de travail de ce salarié est transféré pour la partie de l'activité qu'il consacre au secteur cédé, sauf si la scission du contrat de travail, au prorata des fonctions exercées par le salarié, est impossible, entraîne une détérioration des conditions de travail de ce dernier ou porte atteinte au maintien de ses droits garantis par la directive.

10. Pour juger que la prise d'acte par la salariée était justifiée par un manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail, l'arrêt, après avoir jugé caractérisé le transfert d'une entité économique autonome, retient que, si la partie de l'activité de la société Interbarreaux K...- O...- Q...-J... et associés cédée à la société DPR Méditerranée représentait 50 % de l'activité de la salariée, le contrat de travail devait se poursuivre auprès de la société Interbarreaux K...- O...- Q...

- J... et associés dès lors que la salariée n'exerçait pas l'essentiel de ses fonctions au sein de l'entité transférée.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation sur le second moyen entraîne la cassation par voie de conséquence du chef de dispositif relatif à la mise hors de cause de la société DPR Méditerranée, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause la société DPR Méditerranée, juge que la prise d'acte est fondée sur des motifs suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat de travail, que cette rupture s'analyse en une rupture aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamne la société Interbarreaux K...- O...- Q...

- J... et associés à payer à la salariée diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'indemnité pour perte de chance d'utiliser le droit individuel à la formation, l'arrêt rendu le 21 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Marguerite - Avocat général : Mme Laulom - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol ; SCP Thouvenin, Coudray et Grévy -

Textes visés :

Article L. 1224-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements.

Rapprochement(s) :

Sur le transfert du contrat d'un salarié exerçant pour partie pour la société cédante et pour partie pour la société entrante, évolution par rapport à : Soc., 21 septembre 2016, pourvoi n° 14-30.056, Bull. 2016, V, n° 169 (1) (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 23 septembre 2020, n° 18-23.474, (P)

Rejet

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Domaine d'application – Prévention des risques biologiques – Activités impliquant des agents biologiques pathogènes – Effets – Entretien et nettoyage par l'employeur de la tenue de travail fournis aux travailleurs – Cas – Tenue de travail des ambulanciers – Illiceité d'un accord collectif autorisant l'employeur à ne pas assurer directement l'entretien de la tenue de travail – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 5 juillet 2018), les organisations syndicales et patronales du secteur du transport sanitaire ont conclu, le 4 mai 2000, un accord-cadre sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels de leurs entreprises, qui a par la suite été étendu par arrêté du 30 juillet 2001.

2. Un avenant à cet accord-cadre, relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire a été conclu le 16 juin 2016 entre les organisations patronales, la Fédération nationale des transporteurs sanitaires, la Fédération nationale des artisans ambulanciers, l'Organisation des transports routiers européens ainsi que la Chambre nationale des services d'ambulances, d'une part, et les organisations syndicales représentatives de salariés, la Fédération générale des transports et de l'équipement CFDT, la Fédération générale CFTC des transports et le Syndicat national des activités du transport et du transit, d'autre part.

3. La Fédération nationale des transports et de la logistique Force ouvrière–UNCP, qui avait participé aux négociations sans être signataire de l'accord, a saisi un tribunal de grande instance d'une demande d'annulation de l'article 6 de cet accord, dont le dernier paragraphe était relatif à l'entretien de la tenue professionnelle, et de l'article 10 relatif aux modalités de décompte du temps de travail des personnels ambulanciers.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Les organisations patronales et la Chambre nationale des services d'ambulances font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il annule le dernier paragraphe de l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités de transport sanitaire s'inscrivant dans le cadre de leur nouveau modèle social et portant avenant à l'accord-cadre du 4 mai 2000 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, alors :

« 1°/ que l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée à l'organisation dans les activités du transport sanitaire comprend un article 6 relatif aux temps d'habillage et déshabillage qui, après en avoir établi les contreparties financières, se borne à rappeler, d'une part, qu' « en application des dispositions de l'article 22 bis de la CCNA1 de la CCNTR il appartient à l'employeur d'assurer l'entretien de la tenue professionnelle des personnels ambulanciers. », d'autre part, que " lorsqu'il n'assure pas directement cet entretien, l'employeur doit allouer une indemnité dite d'entretien qui vient compenser les frais professionnels d'entretien exposés par le personnel ambulancier.

Le montant de cette indemnité est fixé dans l'entreprise. » ; que ce texte, tout en réitérant l'obligation pour l'employeur d'assurer l'entretien des tenues professionnelles, a donc pour seul objet de prévoir une compensation financière au profit du salarié dans l'hypothèse où il aurait effectivement assuré cet entretien ; qu'en affirmant que ce texte était contraire à l'obligation de sécurité de l'employeur en tant qu'il autorisait l'employeur à se décharger de son obligation d'entretien, la cour d'appel l'a violé l'article 6 précité par fausse application.

2°/ que n'est pas illicite comme susceptible de mettre en danger la sécurité des salariés la stipulation d'un accord collectif qui ne méconnaît aucune des dispositions légales et réglementaires qui déterminent de façon exhaustive les mesures que doit prendre l'employeur pour assurer la prévention des risques professionnels ; qu'en l'espèce, les exposantes faisaient valoir que la sécurité des salariés n'était nullement assurée par la tenue professionnelle, dont il est exclusivement question dans l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016, mais par fourniture d'un équipement obligatoire correspondant aux dispositions d'un arrêté du 10 février 2009 fixant les conditions exigées pour les véhicules et les installations matérielles affectés aux transports sanitaires terrestres (tel que modifié par un arrêté du 28 août 2009) ; qu'en affirmant que l'éventuel transfert de la charge de l'entretien de la tenue professionnelle du salarié était contraire à l'obligation de sécurité de l'employeur, lorsque le dernier paragraphe de l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016, qui se bornait à prévoir la compensation financière au profit du salarié d'une éventuelle charge d'entretien de sa tenue professionnelle, n'avait ni pour objet ni pour effet de dispenser l'employeur de fournir l'équipement spécialement destiné à assurer la prévention des risques professionnels dans le secteur en cause, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et R. 4422-1 du code du travail, ensemble l'arrêté du 10 février 2009 fixant les conditions exigées pour les véhicules et les installations matérielles affectés aux transports sanitaires terrestres, modifié par un arrêté du 28 août 2009, et l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire. »

Réponse de la Cour

5. L'article L. 2251-1 du code du travail dispose qu'une convention ou un accord collectif de travail ne peut déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d'ordre public.

6. Aux termes de l'article R.4422-1 du code du travail l'employeur prend des mesures de prévention visant à supprimer ou à réduire au minimum les risques résultant de l'exposition aux agents biologiques, conformément aux principes de prévention énoncés à l'article L. 4121-2 du même code.

7. Selon l'article R. 4424-5 du code du travail, pour les activités qui impliquent des agents biologiques pathogènes, l'employeur doit notamment fournir aux travailleurs des moyens de protection individuelle, notamment des vêtements de protection appropriés, veiller à ce que les moyens de protection individuelle soient enlevés lorsque le travailleur quitte le lieu de travail et faire en sorte, lorsqu'ils sont réutilisables, que les moyens de protection individuelle soient rangés dans un endroit spécifique, nettoyés, désinfectés et vérifiés avant et après chaque utilisation et, s'il y a lieu, réparés ou remplacés.

8. Ayant relevé qu'il ne pouvait être exclu que des agents biologiques pathogènes vinssent contaminer les tenues de travail des ambulanciers, la cour d'appel en a exactement déduit que les dispositions du dernier alinéa de l'article 6 de l'accord du 16 juin 2016 qui autorisaient l'employeur, dans le domaine du transport sanitaire, à ne pas assurer directement l'entretien de la tenue de travail des ambulanciers en leur allouant une indemnité, étaient contraires aux dispositions des articles L. 4121-1, L. 4121-2 et R. 4422-1 du code du travail qui font obligation à l'employeur de prendre les mesures de prévention nécessaires pour supprimer ou réduire les risques professionnels résultant de l'exposition aux agents biologiques, et à ce titre, d'assurer lui-même l'entretien et le nettoyage des tenues professionnelles.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. Les organisations patronales et la Chambre nationale des services d'ambulances font grief à l'arrêt de confirmer le jugement en ce qu'il annule l'article 10 de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités de transport sanitaire s'inscrivant dans le cadre de leur nouveau modèle social et portant avenant à l'accord-cadre du 4 mai 2000 sur l'aménagement et la réduction du temps de travail des personnels des entreprises de transport sanitaire, alors :

« 1°/ que la conformité des conventions et accords collectifs de travail à l'ordre public s'apprécie à la date de leur entrée en vigueur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que les dispositions de l'accord du 16 juin 2016 relatif à la durée et à l'organisation du travail dans les activités du transport sanitaire entreraient en application le 1er jour du mois civil suivant la parution de son arrêté d'extension au journal officiel, sans que cette date ne puisse revêtir un caractère obligatoire avant le 3 avril 2017, les parties ayant par ailleurs demandé au ministre une évolution de la réglementation applicable ; que l'arrêté d'extension n'étant toujours pas paru au jour où la cour d'appel statuait, cet accord n'était toujours pas entré en vigueur à cette date ; qu'en déclarant néanmoins les dispositions de l'article 10 de cet accord contraires à l'article R. 3312-33 du code des transports en vigueur lors de la conclusion de l'accord du 10 juin 2016, lorsque ce dernier n'était toujours pas entré en vigueur à la date à laquelle elle statuait, la cour d'appel a violé l'article R. 3312-33 du code des transports, l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire et l'article 6 (en réalité 10) de l'accord du 16 juin 2016 ;

2°/ que l'article R. 3312-33 du code des transports dispose que la durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires ; que l'article 1er de l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire précise dans le même sens que les durées de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire sont décomptées au moyen de feuille de route hebdomadaires individuelles ; que l'article 10 de l'accord du 16 juin 2016 concerne en revanche le décompte des heures de prise de service et de fin de service, ainsi que les heures de pause ou coupure, toutes informations se rapportant exclusivement au décompte journalier du temps de travail ; qu'il en résulte que l'accord du 16 juin 2016 ne régit nullement les modes de décompte du temps de travail hebdomadaire ; qu'en affirmant néanmoins que cette disposition qui se rapportait au temps de travail quotidien était contraire aux dispositions réglementaires précitées relatives au décompte hebdomadaire du temps de travail, la cour d'appel a violé l'ensemble de ces dispositions, ensemble l'article 10 de l'accord du 16 juin 2016 ;

3°/ que l'article 10 de l'accord du 16 juin 2016 prévoit que les moyens d'enregistrement doivent permettre le contrôle et le décompte des informations suivantes : heure de prise de service ; heure de fin de service ; heures de pause ou coupure (heure de début et de fin pour chaque pause ou coupure) ; lieu des pauses ou coupures (entreprise, extérieur, domicile) ; qu'il précise également que lorsque les temps de travail sont enregistrés par un moyen autre que la feuille de route, ces temps doivent être validés contradictoirement ; que l'exigence d'une validation contradictoire permet donc au salarié de s'assurer que l'ensemble des informations requises lui assureront des garanties au moins équivalentes à celle résultant de l'établissement d'une feuille de route telle que définie par l'annexe à l'arrêté du 19 décembre 2001 relatif à l'horaire de service dans le transport sanitaire ; qu'en retenant que l'article 10 de l'accord du 16 juin 2016 n'était pas conforme aux exigences de l'article R. 3312-33 du code des transports et de l'arrêté du 19 décembre 2001, la cour d'appel a violé l'ensemble de ces textes. »

Réponse de la Cour :

11. Le juge saisi d'un recours en nullité contre les conventions ou accords collectifs apprécie leur conformité au regard des dispositions légales et réglementaires en vigueur lors de la conclusion de ces conventions ou accords collectifs.

12. Selon l'article R. 3312-33 du code des transports, la durée hebdomadaire de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire est décomptée au moyen de feuilles de route hebdomadaires.

13. L'article 1er de l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire dispose, dans le même sens, que les durées de service des personnels ambulanciers roulants des entreprises de transport sanitaire sont décomptées au moyen de feuilles de route hebdomadaires individuelles qui précisent les horaires de début et de fin de service, l'amplitude journalière de travail en heures, les lieux et horaires de prise de repas, l'exécution de tâches complémentaires et d'activités annexes, l'heure de prise de service le lendemain et le véhicule attribué pour la première mission du lendemain avec une partie réservée aux observations et aux signatures.

14. Ayant relevé, par motifs propres et adoptés, d'une part, que les moyens d'enregistrement permettant le contrôle de la durée du travail envisagés par l'article 10 ne reprenaient pas toutes les informations contenues dans la feuille de route rendue obligatoire par l'article 1er de l'arrêté du 19 décembre 2001, et d'autre part, que la procédure de validation contradictoire des temps de travail lorsqu'ils étaient enregistrés par un autre moyen que la feuille de route ne permettait pas de vérifier que les modalités choisies offriraient autant de garanties que la feuille de route, la définition d'un modèle unique de feuille de route applicable à l'ensemble des salariés du secteur évitant pour les intéressés toute incertitude sur les modalités de décompte de leurs temps de travail, la cour d'appel en a exactement déduit que ces dispositions qui autorisaient le décompte du temps de travail par un document autre que la feuille de route obligatoire étaient illicites, peu important que les partenaires sociaux eussent prévu que les dispositions de l'accord litigieux entreraient en application le premier jour du mois civil suivant la parution de l'arrêté d'extension au journal officiel et demandé par ailleurs au ministre une évolution de la réglementation applicable.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Schamber (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Mariette - Avocat(s) : SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, dans leur version applicable au litige ; articles R. 4422-1 et R. 4424-5 du code du travail ; article R. 3312-33 du code des transports ; article 1 de l'arrêté du 19 décembre 2001 concernant l'horaire de service dans le transport sanitaire.

Soc., 30 septembre 2020, n° 19-10.352, (P)

Cassation partielle

Employeur – Obligations – Sécurité des salariés – Obligation de sécurité – Manquement – Préjudice – Préjudice spécifique d'anxiété – Indemnisation – Demande dirigée contre une société n'entrant pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 – Possibilité – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 novembre 2018), M. L..., engagé en qualité de calorifugeur par la société Wanner Isofi isolation, devenue Kaefer Wanner, a été affecté, dans le cadre d'une sous-traitance, du 13 avril 1988 au 31 mai 1998 à l'établissement de Saint-Auban de la société Arkema France.

2. Selon arrêté ministériel du 30 octobre 2007, cet établissement a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1962-1994.

3. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale d'une demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété dirigée contre la société Kaefer Wanner.

Examen du moyen

Sur le moyen pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. M. L... fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété, alors « que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il aurait travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 n'appartenant pas à son employeur ; qu'en refusant au salarié l'indemnisation de son préjudice d'anxiété résultant de son exposition aux poussières d'amiante dans l'établissement de Saint Auban appartenant à la société Arkema où il a été mis à disposition de 1988 à 1998, sans examiner les justificatifs de son exposition aux poussières d'amiante durant cette période d'emploi qu'il produisait quand bien même cet établissement n'appartenait pas à son employeur, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil alors applicable, ensemble l'article L. 4221-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017, applicable au litige :

5. L'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée a créé un régime particulier de préretraite permettant notamment aux salariés ou anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante figurant sur une liste établie par arrêté ministériel de percevoir, sous certaines conditions, une allocation de cessation anticipée d'activité, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle.

6. Par un arrêt du 11 mai 2010 (Soc., 11 mai 2010, pourvoi n° 09-42.241, Bull. 2010 V, n° 106), adopté en formation plénière de chambre et publié au Rapport annuel, la chambre sociale de la Cour de cassation a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante.

7. La chambre sociale a ainsi instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

8.Elle a néanmoins affirmé que la réparation du préjudice d'anxiété ne pouvait être admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel pris sur son fondement et dont l'employeur entrait lui-même dans les prévisions de ce texte, de sorte que le salarié, qui avait été affecté par son employeur dans une autre entreprise exploitant un établissement mentionné par le texte précité, ne pouvait prétendre à l'indemnisation de ce préjudice (Soc., 22 juin 2016, pourvoi n° 14-28.175, Bull. 2016 V, n°131).

9.Il est toutefois apparu, à travers le développement de ce contentieux, que de nombreux salariés, qui ne remplissent pas les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée ou dont l'employeur n'est pas inscrit sur la liste fixée par arrêté ministériel, ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé.

10. Dans ces circonstances, l'assemblée plénière de la Cour de cassation a reconnu la possibilité pour un salarié justifiant d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, d'agir contre son employeur, sur le fondement du droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 (Ass. plén., 5 avril 2019, pourvoi n° 18-17.442, publié au Rapport annuel).

11. Au regard de ces mêmes circonstances, il y a lieu d'admettre que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même cet employeur n'entrerait pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée.

12. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts au titre du préjudice d'anxiété, l'arrêt retient, d'abord, que l'établissement de Saint-Auban dans lequel le salarié a été employé par la société Kaefer Wanner figure au nombre des établissements de la société Arkema listés sur l'arrêté du 30 octobre 2007 comme ouvrant droit à l'ACAATA.

13. L'arrêt retient, ensuite, que l'exposition du salarié à l'amiante résulte de son travail dans l'établissement de Saint-Auban auprès de la société Arkema, société tierce au sein de laquelle il a été mis à disposition par son employeur, dans le cadre d'un contrat de sous-traitance.

14. L'arrêt en déduit que le salarié ne peut rechercher la responsabilité de son employeur, la société Kaefer Wanner, au titre de son préjudice d'anxiété.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. L... de sa demande au titre du préjudice d'anxiété, l'arrêt rendu le 9 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Silhol - Avocat général : Mme Grivel - Avocat(s) : SCP Thouvenin, Coudray et Grévy ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 modifiée ; articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, le premier dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1389 du 22 septembre 2017.

Rapprochement(s) :

Sur la possibilité d'agir en réparation du préjudice d'anxiété à l'encontre d'une entreprise n'entrant pas dans les prévisions légales, dans le même sens que : Soc., 11 septembre 2019, pourvoi n° 17-18.330, Bull. 2019, (cassation), et l'arrêt cité.

Soc., 16 septembre 2020, n° 18-26.696, (P)

Rejet

Harcèlement – Harcèlement moral – Dénonciation de faits de harcèlement moral – Sanction interdite – Exception – Mauvaise foi – Preuve – Moment – Détermination – Portée

Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés. Selon l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

L'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être alléguée par l'employeur devant le juge.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 2 novembre 2018), engagé le 6 juin 2011 par la société Alten Sud-Ouest en qualité d'ingénieur d'études, M. D... a été licencié le 6 novembre 2015.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger son licenciement nul en application des dispositions de l'article L. 1152-3 du code du travail, ordonner sa réintégration et condamner l'employeur au paiement de diverses sommes.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en nullité du licenciement et de sa demande subséquente de réintégration, alors :

« 1°/ que le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n'est pas alléguée, emporte à lui seul la nullité de plein droit du licenciement ; que la lettre de licenciement fixe les limites du litige ; qu'en considérant que M. D... avait dénoncé des faits qu'il savait inexistants de harcèlement moral en persistant à reprocher mensongèrement à l'employeur de ne pas lui avoir donné « pendant plusieurs mois » les motifs de sa sortie de mission, cependant qu'il résultait de la lecture de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, que l'employeur avait, de son propre aveu, reconnu la bonne foi du salarié en énonçant que « vos accusations de harcèlement/dénigrement (dont vous semblez vous-même dans certains de vos écrits, douter de leur caractère approprié à la situation) sont des accusations graves, de surcroît sans aucun fondement ni lien avec la réalité des faits qu'il convient de ne pas utiliser de manière inconsidérée », ce dont il résultait que la lettre de licenciement n'invoquait pas la mauvaise foi du salarié dans sa relation d'agissements de harcèlement moral mais simplement que ceux-ci ne seraient pas avérés et que le salarié lui-même hésitait quant à la qualification adéquate, ce qui était exclusif de toute mauvaise foi, la cour d'appel a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail, ensemble l'article L. 1232-6 du même code ;

2°/ qu'en toute hypothèse aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné ou pour avoir relaté des faits de harcèlement moral ; que toute rupture intervenue en méconnaissance de ces principes est nulle ; qu'il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle doit être caractérisée et ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et d'une intention de nuire ; qu'en énonçant, pour débouter M. D... de ses demandes, que la connaissance qu'il avait de la fausseté de ses allégations se déduisait de la contradiction existant entre son souhait affiché d'obtenir des explications sur les motifs de son retrait de mission et son refus persistant de s'expliquer loyalement avec l'employeur sur lesdits motifs qu'il était en droit d'estimer infondés, en alléguant d'un danger potentiel et inexistant, la cour d'appel qui s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié, a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail ;

3°/ qu'en toute hypothèse aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné ou pour avoir relaté des faits de harcèlement moral ; que toute rupture intervenue en méconnaissance de ces principes est nulle ; qu'il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle doit être caractérisée et ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce ; qu'en énonçant, pour débouter M. D... de ses demandes, que le caractère répétitif et incantatoire des remerciements qu'il adressait à l'employeur et l'expression réitérée de sa volonté d'ouverture au dialogue permettaient de se convaincre de sa mauvaise foi, dès lors qu'il mettait en réalité en échec toutes les tentatives de l'employeur de parvenir à une communication constructive, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser la mauvaise foi du salarié et a violé les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Selon l'article L. 1152-3 du même code, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce.

5. La cour d'appel a constaté que le salarié avait persisté à reprocher mensongèrement à l'employeur de ne pas lui avoir donné « pendant plusieurs mois » les motifs de sa sortie de mission alors qu'ils avaient été portés à sa connaissance par écrit le 1er juin 2015, qu'il était à l'origine du blocage de toute communication sur ce point et qu'en dénonçant des faits qu'il savait inexistants de harcèlement moral, l'intéressé, déniant tout pouvoir d'appréciation de l'employeur sur son comportement et sur son travail, avait adopté une stratégie lui permettant de se soustraire aux différents entretiens qui étaient fixés par l'employeur et à la discussion contradictoire qu'il appelait pourtant de ses voeux. Elle a également retenu que la connaissance que le salarié avait de la fausseté de ses allégations de harcèlement moral se déduisait, d'une part de la contradiction existant entre son souhait affiché d'obtenir des explications sur les motifs de son retrait de mission et son refus persistant de s'expliquer loyalement avec l'employeur sur lesdits motifs, d'autre part du caractère répétitif des remerciements qu'il avait adressés à l'employeur et de l'expression réitérée de sa volonté d'ouverture au dialogue, alors qu'il avait mis en réalité en échec toutes les tentatives de l'employeur de parvenir à une communication constructive en refusant d'honorer tous les rendez-vous qui lui étaient donnés au mépris de ses obligations contractuelles.

6. La cour d'appel a ainsi caractérisé la mauvaise foi du salarié dans la dénonciation des faits de harcèlement moral.

7. Le moyen, inopérant en sa première branche, en ce que l'absence éventuelle dans la lettre de licenciement de mention de la mauvaise foi avec laquelle le salarié a relaté des agissements de harcèlement moral n'est pas exclusive de la mauvaise foi de l'intéressé, laquelle peut être alléguée par l'employeur devant le juge, n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Sommé - Avocat(s) : SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh ; SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol -

Textes visés :

Articles L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la nécessité pour le juge de caractériser la mauvaise foi dans la dénonciation du harcèlement moral, à rapprocher : Soc., 7 février 2012, pourvoi n° 10-18.035, Bull. 2012, V, n° 55 (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-17.551, Bull. 2015, V, n° 235 (cassation).

Soc., 9 septembre 2020, n° 18-22.971, (P)

Rejet

Lieu d'exécution – Travail accompli dans plusieurs Etats membres – Lieu habituel d'exécution du travail – Caractérisation – Compétence judiciaire – Applications diverses – Transport aérien – Personnel navigant – Base d'affectation – Portée

Selon les règles de compétence prévues par l'article 21, § 1, du règlement (UE) n° 1215/12 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. / Crewlink Ltd, C-168/16 et Moreno Osacar / Ryanair, C-169/16) et la Cour de cassation (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754, Bull. 2018, V, n° 38 et 39), l'employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, c'est-à-dire le lieu où ou à partir duquel il s'acquitte de fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. S'agissant de personnel navigant d'une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, les juridictions nationales doivent notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. A cet égard, la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par eux, au sens de l'article 21 du règlement précité. Ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d'espèce, des demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d'affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail. Il en résulte que si la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans la notion de lieu où ou à partir duquel le salarié navigant accomplit habituellement son travail, elle ne saurait y être assimilée.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 17 mai 2018), M. A... a été engagé à compter du 21 mars 2016 par la société SRSI, société de portage international de droit andorran, suivant contrat à durée déterminée d'un an, en qualité de steward exerçant des missions pour des filiales africaines et européennes de la société Regourd aviation ayant son siège social à Paris.

Le 12 septembre 2016, la société SRSI a notifié au salarié la rupture de son contrat de travail avec effet au 11 octobre 2016.

2. Le 7 novembre 2016, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Paris de demandes dirigées contre les sociétés Regourd aviation et SRSI et liées à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La société SRSI fait grief à l'arrêt de dire qu'en application des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi que de l'article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, le conseil de prud'hommes de Paris est compétent pour connaître de l'ensemble des demandes formées par le salarié à l'encontre de la société SRSI SL et de la SA Regourd aviation et, en conséquence, de renvoyer pour le surplus l'affaire devant le conseil de prud'hommes de Paris pour qu'il statue au fond sur le litige, alors :

« 1°/ que pour déterminer le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne, le juge national doit notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail ; qu'à cet égard la notion de « base d'affectation » constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par lui ; que ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque espèce, ses demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la « base d'affectation » que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ; qu'en l'espèce, la cour d'appel s'est bornée à constater que le tableau des vols effectués par M. A... pendant la relation contractuelle montre que sur les 41 vols assurés par l'intéressé, 14 vols étaient des vols intérieurs français, 14 vols avaient été opérés entre une ville et un aéroport français et 13 vols entre des villes européennes pour retenir que le lieu à partir duquel M. A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant, c'est-à-dire d'où il partait et où rentrait, était situé en France, et le plus souvent [...], avant de relever par des motifs surabondants que les consignes concernant le « catering » lui avaient été données en France, pour retenir la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant le travailleur à la société andorrane SRSI ; qu'en statuant ainsi, quand il lui appartenait de se déterminer au regard de l'ensemble des indices sus énumérés, de rechercher la base d'affectation du travailleur et d'apprécier si celle-ci était pertinente pour identifier le lieu à partir duquel le travailleur accomplissait habituellement son travail, la cour d'appel a violé les articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

2°/ qu'en toute hypothèse le tribunal devant lequel peut être attrait l'employeur qui n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre de l'Union européenne par un membre du personnel navigant sur les avions d'une compagnie aérienne est celui du lieu à partir duquel le travailleur s'acquitte de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur ; qu'en retenant la compétence du conseil de prud'hommes de Paris pour connaître du litige opposant K... A... à la société andorrane SRSI, quand elle constatait que le lieu à partir duquel K... A... s'acquittait de l'essentiel de ses missions de personnel navigant était situé en France, et le plus souvent à [...], non à Paris, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 20 et 21 du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. »

Réponse de la Cour

4. Selon les règles de compétence prévues par l'article 21, paragraphe 1, du Réglement n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 14 septembre 2017, Crewlink et Ryanair, C-168/16 et C-169/16) et la Cour de cassation (Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754 et 16-17.505, Bull. 2018, V, n° 38 et 39), l'employeur peut être attrait devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail, c'est-à-dire le lieu où ou à partir duquel il s'acquitte de fait de l'essentiel de ses obligations à l'égard de son employeur. S'agissant de personnel navigant d'une compagnie aérienne ou mis à sa disposition, les juridictions nationales doivent notamment établir dans quel État membre se situe le lieu à partir duquel le travailleur effectue ses missions de transport, celui où il rentre après ses missions, reçoit les instructions sur ses missions et organise son travail, ainsi que le lieu où se trouvent les outils de travail. A cet égard, la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans l'identification des indices permettant de déterminer le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail et, partant, la compétence d'une juridiction susceptible d'avoir à connaître d'un recours formé par eux, au sens de l'article 21 du règlement précité. Ce n'est que dans l'hypothèse où, compte tenu des éléments de fait de chaque cas d'espèce, des demandes présenteraient des liens de rattachement plus étroits avec un endroit autre que celui de la base d'affectation que se trouverait mise en échec la pertinence de cette dernière pour identifier le lieu à partir duquel des travailleurs accomplissent habituellement leur travail. Il en résulte que si la notion de base d'affectation constitue un élément susceptible de jouer un rôle significatif dans la notion de lieu où ou à partir duquel le salarié navigant accomplit habituellement son travail, elle ne saurait y être assimilée.

5. Or, il résulte des conclusions de la société SRSI devant la cour d'appel qu'au soutien de la compétence de la juridiction andorrane dans le ressort de laquelle elle a son siège, la société SRSI se bornait à soutenir que le salarié n'avait pas exercé l'essentiel de ses activités en France, sans préciser quelle était sa base d'affectation. Dès lors, la cour d'appel n'était pas tenue de faire une recherche qui ne lui était pas demandée.

Par ailleurs, la cour d'appel a retenu que la société Regourd aviation, ayant son siège à Paris, apparaissait comme un défendeur sérieux dès lors que le salarié exerçait contre elle, prise en sa qualité alléguée de coemployeur, une action directe et personnelle connexe à celle engagée à l'encontre de la société SRSI fondée notamment, et selon lui, par l'existence d'une opération de prêt de main d'oeuvre illicite. Elle en a déduit à bon droit que le salarié pouvait bénéficier de la prorogation de compétence prévue par l'article 42 du code de procédure civile et que le conseil de prud'hommes de Paris était territorialement compétent pour statuer sur l'ensemble de ses demandes.

6.Le moyen ne peut donc être accueilli en aucune de ses branches.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Huglo (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SCP Rousseau et Tapie -

Textes visés :

Article 21, § 1, du règlement (UE) n° 1215/12 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Rapprochement(s) :

Sur la notion de « base d'affectation », critère de détermination du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail dans le domaine du transport aérien, à rapprocher : Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-12.754, Bull. 2018, V, n° 38, (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 28 février 2018, pourvoi n° 16-17.505, Bull. 2018, V, n° 39, (cassation), et l'arrêt cité. Sur la notion de « base d'affectation », critère de détermination du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail dans le domaine du transport aérien, cf : CJUE, arrêt du 14 septembre 2017, Nogueira e.a. / Crewlink Ltd, C-168/16 et Moreno Osacar / Ryanair, C-169/16.

Soc., 30 septembre 2020, n° 19-13.122, (P)

Rejet

Maladie – Accident du travail ou maladie professionnelle – Inaptitude au travail – Obligation de reclassement – Obligation de l'employeur – Proposition d'un emploi adapté – Périmètre de l'obligation – Groupe de sociétés – Groupe de reclassement – Caractérisation – Permutation de tout ou partie du personnel – Détermination – Portée

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Riom, 22 janvier 2019), M. G... a été engagé en qualité de chauffeur poids-lourds le 2 décembre 1997 par la société Transports Moulinois et a été victime d'un accident du travail le 9 janvier 2015.

2. Déclaré inapte à son poste, apte à un autre avec réserves, à l'issue de deux examens médicaux le 29 août 2016, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 18 octobre 2016.

3. Contestant son licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé

4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes tendant à voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et tendant à la condamnation de l'employeur à lui payer une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que lorsqu'à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur, tenu d'une obligation de reclassement, doit nécessairement consulter les délégués du personnel sur les possibilités de reclassement et éventuelles propositions de reclassement, en leur fournissant au préalable toutes les informations nécessaires et utiles, ces derniers étant parties prenantes du processus de recherche de reclassement ; qu'en considérant en l'espèce que la consultation des délégués du personnel du 12 septembre 2016 avait été régulière, tout en constatant que le procès-verbal de séance faisait état d'un avis favorable aux postes de reclassement émis par Mme J..., qui n'était pourtant pas présente ce jour-là, et que l'intéressée n'avait finalement signé le procès-verbal que le lendemain, prétendant avoir été consultée dans le cadre d'une ''conférence téléphonique'', ce dont il résultait nécessairement que les délégués du personnel n'avaient pas été régulièrement consultés et que le procès-verbal de la séance du 12 septembre 2016 était entaché d'une irrégularité flagrante, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 1226-10 du code du travail ;

2°/ que la recherche des possibilités de reclassement du salarié victime d'un accident du travail et déclaré inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment doit s'apprécier à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur concerné, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel ; qu'il appartient à l'employeur, qui prétend s'être trouvé dans l'impossibilité d'effectuer un tel reclassement, d'en apporter la preuve ; qu'en constatant que la société Transports Moulinois appartenait au réseau France Express, qui est un GIE, mais que le cadre de la recherche de reclassement ne pouvait s'étendre à ce groupement dès lors ''qu'il n'est pas établi que l'organisation de ce réseau permet une permutation de personnel'', cependant que c'était à l'employeur de démontrer l'impossibilité de reclassement dans le cadre du groupement, la cour d'appel qui a inversé la charge de la preuve a violé l'article 1353 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. D'une part, l'article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, n'imposant aucune forme particulière pour recueillir l'avis des délégués du personnel quant au reclassement d'un salarié déclaré inapte, la cour d'appel, qui a constaté que la délégation unique du personnel, dans ses attributions de délégation du personnel, avait été consultée et que chaque élu avait émis un avis, a légalement justifié sa décision.

7. D'autre part, l'adhésion à un groupement d'intérêt économique n'entraînant pas en soi la constitution d'un groupe, la cour d'appel, qui a constaté, en l'état des éléments qui lui étaient soumis tant par l'employeur que par le salarié, qu'il n'était pas établi que l'organisation du réseau France Express permettait entre les sociétés adhérentes la permutation de tout ou partie de leur personnel, a retenu, sans méconnaître les règles relatives à la charge de la preuve, que ces sociétés ne faisaient pas partie d'un même groupe de reclassement.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Capitaine - Avocat général : Mme Courcol-Bouchard (premier avocat général) - Avocat(s) : Me Balat ; SCP Célice, Texidor, Périer -

Textes visés :

Article L. 1226-10 du code du travail, dans sa rédaction applicable en l'espèce.

Rapprochement(s) :

Sur la charge de la preuve relative au périmètre du groupe de reclassement en matière de licenciement pour motif économique, à rapprocher : Soc., 16 novembre 2016, pourvoi n° 15-19.927, Bull. 2016, V, n° 217 (2) (rejet), et l'arrêt cité.

Soc., 23 septembre 2020, n° 19-15.313, (P)

Rejet

Obligation du salarié – Obligation de loyauté – Manquement – Défaut – Cas – Immatriculation d'une société concurrente à celle de l'employeur pendant le cours du préavis – Conditions – Détermination – Portée

Une cour d'appel, qui a relevé qu'un salarié avait constitué une société concurrente de celle de son employeur, immatriculée pendant le cours du préavis, mais dont l'exploitation n'avait débuté que postérieurement à la rupture de celui-ci, alors que le salarié n'était plus tenu d'aucune obligation envers son ancien employeur, en a exactement déduit qu'aucun manquement à l'obligation de loyauté n'était caractérisé.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 12 février 2019), M. E... a été engagé le 1er juillet 2014 par la société Atelier mécanique chaudronnerie maintenance (AMCM). Il a présenté sa démission le 23 mai 2016.

2. L'employeur lui a notifié la rupture de son préavis pour faute lourde le 23 juin 2016, et a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de loyauté.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième branches, ci-après annexé

3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. La société AMCM fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes et de la condamner à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, alors « que manque gravement à son obligation de loyauté le salarié qui, étant au service de son employeur et sans l'en informer, crée une société dont l'activité est directement concurrente de la sienne, peu important que des actes de concurrence déloyale ou de détournement de clientèle soient ou non établis ; qu'en retenant que les manquements de M. E... à son obligation de loyauté n'étaient pas caractérisés, sans avoir tiré les conséquences légales de ses constatations selon lesquelles M. E... avait constitué, avec son épouse, la société MCO (étant acquis aux débats que les statuts avaient été signés le 14 mai 2016 avant la démission de M. E... le 23 mai), immatriculée le 31 mai 2016, soit pendant son préavis, société qui, par son objet social et son implantation territoriale, était en concurrence directe avec la société AMCM, la cour d'appel a violé l'article L. 1222-1 du code du travail.»

Réponse de la Cour

5. La cour d'appel, qui a constaté que si la société constituée par le salarié avait été immatriculée pendant le cours du préavis, son exploitation n'avait débuté que postérieurement à la rupture de celui-ci, alors que le salarié n'était plus tenu d'aucune obligation envers son ancien employeur, en a exactement déduit qu'aucun manquement à l'obligation de loyauté n'était caractérisé.

6. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Valéry - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Rousseau et Tapie ; SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin -

Textes visés :

Article L. 1222-1 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur les conditions d'absence de manquement du salarié à son obligation de loyauté en cas de création d'une société concurrente à celle de l'employeur pendant l'exécution de son préavis, à rapprocher : Soc., 20 février 1975, pourvoi n° 74-40.238, Bull. 1975, V, n°84 (2) (rejet).

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