Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

CHOSE JUGEE

2e Civ., 17 septembre 2020, n° 19-17.673, (P)

Cassation

Caractère d'ordre public – Décision antérieure rendue dans la même instance

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 20 novembre 2018), la société Reverdy a vendu un véhicule à Mme O....

2. Ayant constaté des désordres sur le véhicule, Mme O... a assigné les sociétés Reverdy et Renault à fin d'expertise, laquelle a été ordonnée par une ordonnance de référé.

3. Mme O... a, ensuite, assigné la société Reverdy devant un tribunal de grande instance afin de la voir condamnée au titre de sa responsabilité et de la garantie des vices cachés.

La société Reverdy a assigné en intervention forcée la société Renault afin d'obtenir sa condamnation à la garantir des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre.

4. Le tribunal de grande instance a débouté Mme O... de l'ensemble de ses demandes et a dit n'y avoir lieu à statuer sur l'appel en garantie.

5. Mme O... a interjeté appel de cette décision.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Mme O... fait grief à l'arrêt de la débouter de ses entières demandes formées à l'encontre de la société Reverdy en réparation de ses préjudices et de la condamner à verser à la société Reverdy la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur l'irrecevabilité des conclusions d'appel déposées au-delà des délais réglementairement prévus ont autorité de la chose jugée au principal ; que, statuant sur un incident soulevé par Mme O..., le conseiller de la mise en état avait, par une ordonnance du 9 janvier 2018, devenue définitive, déclaré irrecevables comme tardivement notifiées les conclusions d'intimé notifiées le 5 septembre 2017 par la société Reverdy, en ce qu'elles n'avaient pas été signifiées dans le délai de deux mois courant à compter de la notification des conclusions de Mme O... le 25 avril 2017 ; qu'en statuant cependant au fond, en prenant en considération lesdites conclusions de la société Reverdy, expressément visées, pour faire droit à ses demandes, tant de rejet des prétentions de Mme O... que de condamnation de cette dernière à lui verser une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel a méconnu l'interdiction qui lui était faite de statuer à partir de ces conclusions déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état pour cause de tardiveté de leur signification, violant ainsi les articles 902, 909 et 910 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

7. La société Reverdy conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que le moyen est nouveau et mélangé de fait et de droit.

8. Cependant, est recevable le moyen invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation, lorsqu'il est d'ordre public et qu'il résulte d'un fait dont la cour d'appel avait été mise à même d'avoir connaissance.

9.Or, le moyen tiré de la violation de l'autorité de chose jugée est d'ordre public quand, au cours de la même instance, il est statué dans la suite d'une précédente décision.

10. En outre, en application de l'article 727 du code de procédure civile, sont versées au dossier de la cour d'appel les copies des décisions auxquelles l'affaire donne lieu.

11. Il en résulte que le moyen tiré de la violation de l'autorité de chose jugée par la cour d'appel de l'ordonnance du conseiller de la mise en état, rendue au cours de la même instance et qui était versée au dossier de la cour d'appel, est un moyen d'ordre public reposant sur un fait dont la cour d'appel avait été mise à même d'avoir connaissance.

12. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1355 du code civil et 914, dernier alinéa, du code de procédure civile :

13. Selon ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement.

14. Pour confirmer le jugement entrepris et condamner Mme O... à verser à la société Reverdy la somme de 700 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, la cour d'appel s'est fondée sur les conclusions notifiées par la société Reverdy le 6 septembre 2017.

15. En statuant ainsi, alors que ces conclusions avaient été déclarées irrecevables par une ordonnance du conseiller de la mise en état du 9 janvier 2018, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt relatives au rejet des demandes formées par Mme O... à l'encontre de la société Reverdy et à sa condamnation à lui payer une indemnité de procédure entraîne la cassation, par voie de conséquence, des dispositions relatives à la garantie de la société Renault qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

Demande de mise hors de cause

17. Il n'y a pas lieu de mettre la société Renault hors de cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause la société Renault ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Lemoine - Avocat général : M. Girard - Avocat(s) : Me Brouchot ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano ; SCP Spinosi et Sureau -

Textes visés :

Articles 1355 du code civil et 727 du code de procédure civile.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 29 octobre 1990, pourvoi n° 87-16.605, Bull. 1990, I, n° 225 (rejet), et les arrêts cités.

1re Civ., 2 septembre 2020, n° 19-13.483, (P)

Rejet

Décision dont l'autorité est invoquée – Jugement constatant l'extranéité de la personne – Portée – Délivrance d'un certificat de nationalité sur le même fondement juridique – Possibilité (non)

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 27 juin 2018), un jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 13 juin 2008 a constaté l'extranéité de M. M..., originaire du Sénégal, et un jugement du tribunal de grande instance de Nice du 16 décembre 2009 a prononcé, en raison de l'autorité de chose jugée par cette décision, l'irrecevabilité d'une nouvelle action déclaratoire de nationalité française engagée par l'intéressé.

Le 27 juillet 2011, celui-ci a obtenu la délivrance d'un certificat de nationalité française par le tribunal d'instance de Nice.

Le ministère public l'a assigné afin de faire juger que ce certificat avait été délivré à tort.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. M. M... fait grief à l'arrêt de juger que le certificat de nationalité française qui lui a été délivré le 27 juillet 2011 par le tribunal d'instance de Nice l'a été à tort, alors « que la charge de la preuve incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants du code civil ; que pour accueillir l'action négatoire du ministère public et confirmer le jugement ayant admis que le certificat de nationalité française n° 580/2011 établi le 27 juillet 2011 au nom de M. R... M... l'avait été à tort, la cour d'appel a considéré que toute demande visant à établir la nationalité française de M. M... se heurtait à l'autorité de chose jugée des jugements du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de ce dernier et du 16 décembre 2009 du tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré sa demande en déclaration de nationalité française irrecevable en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 ; qu'en statuant ainsi, alors que le certificat de nationalité française dont M. M... s'est prévalu a été délivré postérieurement à ces décisions, si bien que le ministère public devait établir que les documents en vertu desquels il avait été délivré étaient erronés, ainsi qu'il l'alléguait, la cour d'appel a violé l'article 30, alinéa 2, du code civil. »

Réponse de la Cour

3. En premier lieu, aux termes de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.

4. Une offre de preuve nouvelle ne constitue pas un fait ou un événement modifiant la situation antérieurement reconnue en justice qui aurait pour effet d'exclure l'autorité de chose jugée.

5. En second lieu, selon l'article 30 du code civil, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

6. Il résulte de la combinaison de ces textes, que lorsqu'un jugement a constaté l'extranéité d'une personne, un certificat de nationalité française ne peut être délivré ultérieurement à cette même personne sur le même fondement juridique, fût-ce en vertu de pièces nouvelles, sans violer l'autorité de chose jugée.

7. L'arrêt retient que les éléments versés aux dossiers permettent d'établir que l'extranéité de M. M... a été constatée par deux décisions de justice successives, la dernière ayant déclaré l'action irrecevable en raison de l'autorité de la chose jugée. Il ajoute que même si l'instance a été introduite par le ministère public afin de faire établir que le certificat de nationalité délivré à l'intéressé l'a été à tort, il n'en demeure pas moins que toute demande visant à établir qu'il a la nationalité française se heurte à l'autorité de la chose jugée.

L'arrêt relève que les parties sont en effet identiques, que la chose demandée demeure pour M. M... l'obtention de la nationalité française et que la cause reste identique en ce que la demande se fonde sur l'établissement de la nationalité par filiation.

8. La cour d'appel en a exactement déduit, sans inverser la charge de la preuve, que le certificat de nationalité française, délivré en violation de l'autorité de chose jugée, l'avait été à tort.

9. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur la deuxième branche du moyen

Enoncé du moyen

10. M. M... fait le même grief à l'arrêt, alors « que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs ont modifié la situation antérieurement reconnue en justice ; que pour juger que le certificat de nationalité française établi le 27 juillet 2011 au nom de M. M... l'avait été à tort, la cour d'appel a opposé l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008 rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté l'extranéité de M. M... et celle dont était revêtue le jugement rendu le 16 décembre 2009 par le tribunal de grande instance de Nice ayant déclaré irrecevable la demande de M. M... en reconnaissance de nationalité française en raison de l'autorité de chose jugée attachée au jugement précité du 13 juin 2008 ; qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si le certificat de nationalité française délivré le 21 juillet 2011 à M. M... ne constituait pas un fait nouveau, comme le soutenait ce dernier, qui permettait d'écarter l'autorité de chose jugée des décisions précédentes, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1355 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

11. Il résulte de l'article 30 du code civil, ainsi que des articles 31 et 31-3 du même code, suivant lesquels le certificat de nationalité française est délivré par le greffier en chef, un refus de sa part pouvant faire l'objet d'un recours gracieux devant le ministre de la Justice, que ce certificat ne constitue pas un titre de nationalité, mais un document établi par une autorité administrative afin de faciliter la preuve de la nationalité française (1ère Civ., 4 avril 2019, QPC n° 19-40.001, publié).

12. La délivrance d'un tel document, en raison de sa nature, ne saurait constituer un fait nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice, de sorte que la cour d'appel, qui n'était pas tenue de répondre à un moyen inopérant, a légalement justifié sa décision en retenant l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 13 juin 2008.

Sur la troisième branche du moyen

Enoncé du moyen

13. M. M... fait encore le même grief à l'arrêt, alors « que la signification d'un jugement ne fait courir le délai de recours que si elle est régulière ; qu'en l'espèce, M. M... a fait valoir que le jugement du 13 juin 2008 du tribunal de grande instance de Nanterre ayant constaté son extranéité ne lui avait pas été régulièrement signifié ; qu'en considérant que l'extranéité de M. M... était acquise sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

14. Il résulte de l'article 480 du code de procédure civile qu'un jugement a, dès son prononcé, l'autorité de chose jugée relativement à la contestation qu'il tranche.

La cour d'appel n'était dès lors pas tenue de répondre au moyen inopérant tiré du défaut de signification régulière du jugement ayant constaté l'extranéité de l'intéressé.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Guihal - Avocat(s) : SCP Boulloche -

Textes visés :

Articles 30 et 1355 du code civil.

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