Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

CAUTIONNEMENT

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-14.568, (P)

Rejet

Caution – Article 2308 du code civil – Obligation d'information préalable des emprunteurs – Défaut – Effet – Absence de recours contre le débiteur principal

Ayant constaté qu'une caution avait désintéressé une banque à la suite de la présentation d'une lettre de sa part, l'engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d'impayés des emprunteurs, et qu'elle n'avait pas averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient d'un moyen de nullité permettant d'invalider partiellement leur obligation principale de remboursement, une cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'en l'absence d'information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l'article 2308 du code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n'auraient pas eu à acquitter.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 janvier 2019), la société GE Money Bank, devenue My Money Bank (la banque), a consenti à M. et Mme P... Q... (les emprunteurs) un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société SACCEF, devenue la société Compagnie européenne de garanties et cautions (la caution). A la suite d'échéances impayées, la banque a prononcé la déchéance du terme. Après avoir payé à la banque les sommes réclamées, la caution a mis les emprunteurs en demeure de lui rembourser ces sommes.

Les emprunteurs ont alors assigné la banque et la caution en nullité du contrat de prêt et du cautionnement et en paiement de dommages-intérêts et la caution a assigné les emprunteurs en remboursement.

2. La nullité du contrat de prêt a été prononcée, en raison d'un démarchage irrégulier des emprunteurs.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

3. La caution reproche à l'arrêt de limiter la condamnation des emprunteurs à lui payer le capital prêté, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes versées par les emprunteurs, alors :

« 1°/ que le juge est tenu de répondre à tous les moyens qui lui sont soumis ; qu'au cas présent, la caution fondait sa demande en paiement sur son recours personnel et sur son recours subrogatoire ; qu'en ne répondant qu'au moyen fondé sur le recours subrogatoire aux motifs que la caution invoquait « principalement son recours subrogatoire », la cour d'appel, qui n'a pas examiné le moyen fondé sur le recours personnel, a entaché sa décision d'un défaut de réponse à conclusion, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civil ;

2°/ que tout jugement doit être motivé ; qu'en se bornant à énoncer, pour retenir que les deux premières conditions de l'article 2308 du code civil (tenant au paiement sur poursuite de la banque et à l'avertissement du débiteur) étaient remplies, que le tribunal avait relevé que la caution avait désintéressé la banque sur simple lettre de sa part l'engageant à la tenir informée de sa décision suite au non-paiement par les emprunteurs et sans avoir informé préalablement les débiteurs de cette sollicitation, sans se prononcer sur la justesse de ces constatations et donc sans rechercher elle-même, comme elle y était invitée si les emprunteurs n'avaient pas été avertis du prochain paiement par la caution et si la caution n'avait pas payé sur poursuite du créancier, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que la caution ne perd son recours contre le débiteur principal qu'à la triple condition d'avoir payé sans être poursuivie, sans avoir averti le débiteur principal, lequel au moment du paiement avait des moyens de faire déclarer la dette éteinte ; que l'avertissement du débiteur au sens de l'article 2308 du code civil ne résulte pas nécessairement d'une information expresse par la caution de son prochain paiement, mais peut résulter aussi bien des circonstances de l'espèce ; qu'au cas présent, il était constant que la banque avait notifié aux débiteurs, le 11 mai 2013, la déchéance du terme, que le contrat de prêt précisait, d'une part, que le prêt était garanti par la caution solidaire de la SACCEF, et d'autre part, qu'« en cas de défaillance des emprunteurs dans le remboursement de leur prêt et, consécutivement, d'exécution par la SACCEF de son obligation de règlement, la SACCEF exercera son recours contre les emprunteurs, conformément aux dispositions de l'article 2305 et suivant du code civil » ; qu'il en résultait que les débiteurs étaient avertis de ce que, la déchéance du terme ayant été prononcée par la banque, la caution allait payer à leur place ; qu'en retenant néanmoins que les conditions de l'article 2308 du code civil étaient réunies aux motifs que la caution avait désintéressé la banque sans avoir informé préalablement les débiteurs de la sollicitation de la banque, la cour d'appel a violé l'article 2308 du code civil ;

4°/ que le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ; qu'au cas présent, la banque avait adressé un courrier recommandé avec avis de réception à la caution « pour prise en charge » du prêt ; qu'en énonçant néanmoins que la caution avait payé sur « simple lettre » de la banque, l'engageant seulement « à la tenir informée de sa décision suite au non-paiement par les emprunteurs » la cour d'appel a dénaturé le document en question, et partant violé l'article 1134 du code civil, devenu l'article 1103 dudit code. »

Réponse de la Cour

4. L'arrêt constate que la caution a désintéressé la banque à la suite de la présentation d'une lettre de sa part, l'engageant à la tenir informée de sa décision à la suite d'impayés des emprunteurs, et qu'elle n'a pas averti de cette sollicitation ces derniers qui disposaient alors d'un moyen de nullité permettant d'invalider partiellement leur obligation principale de remboursement.

5. Ayant ainsi procédé à la recherche prétendument omise, sans dénaturer la lettre adressée par la banque à la caution, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, qu'en l'absence d'information préalable des emprunteurs conformément aux dispositions de l'article 2308 du code civil, la caution avait manqué à ses obligations à leur égard et devait être déchue de son droit à remboursement à hauteur des sommes que ces derniers n'auraient pas eu à acquitter.

6. Le moyen, inopérant en sa première branche, en l'absence d'incidence sur la solution du litige du défaut de réponse invoqué, n'est pas fondé pour le surplus.

Sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

7. Les emprunteurs font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la caution le capital prêté avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes qu'ils ont déjà payées, alors « que la caution qui paye sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal n'a pas de recours contre ce dernier dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur avait des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; qu'en retenant, après avoir jugé que la caution avait payé sans être poursuivie et sans en avoir préalablement averti les emprunteurs, que « M. et Mme P... Q..., ayant eu au moment du paiement, les moyens pour faire déclarer leur dette partiellement éteinte, la demande en remboursement de la CEGC, compte tenu de la subrogation et de la nullité du prêt ne peut être qu'égale qu'au capital prêté avec intérêts légaux à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes payées par les emprunteurs », cependant que dès lors qu'elle avait payé sans être poursuivie et sans les avoir préalablement informés, la caution était privée de tout recours à l'encontre des emprunteurs et pouvait uniquement agir en répétition de l'indu envers le prêteur, la cour d'appel a violé l'article 2308, alinéa 2, du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Il résulte des constatations de l'arrêt qu'au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n'avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d'obtenir l'annulation du contrat de prêt.

9. Dès lors que cette annulation conduisait à ce qu'ils restituent à la banque le capital versé, déduction faite des sommes déjà payées, la cour d'appel en a déduit, à bon droit, que leur obligation de remboursement à l'égard de la caution devait être limitée dans cette proportion.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Champ - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Textes visés :

Article 2308 du code civil.

Com., 23 septembre 2020, n° 19-13.378, (P)

Rejet

Extinction – Causes – Subrogation rendue impossible par le créancier – Conditions – Préjudice – Preuve – Charge – Détermination

Il résulte de la combinaison de l'article 1315, devenu 1353, du code civil et de l'article 2314, anciennement 2037, du même code qu'il appartient au créancier qui, par son fait, a fait perdre à la caution un droit préférentiel de démontrer que cette perte était sans conséquence pour la caution.

Dès lors, c'est sans inverser la charge de la preuve qu'une cour d'appel, ayant relevé qu'une opération de fusion-absorption avait eu pour effet de réduire à néant le nantissement inscrit par une banque créancière sur les parts sociales d'une société et énoncé que la banque aurait pu protéger ses intérêts en mettant en oeuvre le droit d'opposition au projet de fusion-absorption que lui conférait l'article L. 236-14 du code de commerce, a retenu, d'abord, que, si elle avait été plus vigilante, la banque aurait pu demander soit le remboursement immédiat du solde de sa créance, soit la constitution de nouvelles garanties destinées à remplacer celle dont elle disposait jusqu'alors, de tels motifs faisant ressortir que la caution établissait le fait fautif exclusivement imputable au créancier, quels qu'aient pu être les résultats de sa démarche, à l'origine de la perte d'un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance, et a constaté, ensuite, que la banque ne justifiait ni de l'incapacité de la société absorbante, au moment de la fusion-absorption, à solder le prêt litigieux, ni de l'impossibilité de cette société de constituer d'autres garanties, de sorte qu'elle ne démontrait pas l'absence de préjudice engendré pour la caution par sa carence.

Extinction – Causes – Subrogation rendue impossible par le créancier – Conditions – Préjudice – Preuve – Charge – Applications diverses – Absence de mise en oeuvre du droit d'opposition au projet de fusion-absorption d'une société dont les parts sociales ont été nanties

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rennes, 8 janvier 2019), que par un acte du 10 décembre 2003, la société Crédit industriel de l'Ouest, aux droits de laquelle est venue la société Crédit industriel et commercial de l'Ouest (la banque), a consenti à la société Andrea consulting un prêt destiné à l'acquisition des parts de la société Sold'Or, garanti par le cautionnement de Mme Q... et le nantissement des titres de la société Sold'Or ; que suivant une opération de fusion-absorption du 30 juin 2010, la société Altea Finances a absorbé la société Sold'Or ; que la société Altea Finances ayant été mise en redressement puis liquidation judiciaires, la banque a déclaré sa créance, qui a été admise à titre chirographaire, au motif que l'assiette du nantissement avait disparu à la suite de l'absorption ; que la banque a assigné en paiement la caution, qui a demandé sa décharge sur le fondement de l'article 2314 du code civil ;

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes contre la caution alors, selon le moyen :

1°/ qu'il appartient à la caution d'établir quel droit précis, susceptible de permettre une subrogation, a été perdu du fait de la seule inaction du créancier ; que lorsque le fait reproché au créancier consiste en un défaut d'opposition à un projet de fusion-absorption, il revient donc à la caution d'établir la capacité de la débitrice à solder son emprunt ou la possibilité de substituer une autre garantie ; qu'en considérant, que la banque ne justifiait pas de ce que, au moment où la fusion-absorption a eu lieu, la société Altea Finances n'était pas en capacité, soit de solder immédiatement l'emprunt, soit de fournir une autre garantie pour répondre des engagements précédemment contractés (p. 5, dernier § et p. 6, § 1), pour dire qu'il est démontré que le CIC avait négligé de protéger les intérêts de la caution en laissant dépérir la garantie dont il bénéficiait, quand il appartenait à Madame Q... d'établir qu'au moment de la fusion-absorption, la débitrice était en mesure de solder l'emprunt ou de fournir une nouvelle garantie, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé les articles 1353 et 2314 du code civil, ensemble l'article L. 236-14 du code de commerce ;

2°/ que la caution ne peut se prétendre déchargée à défaut de bénéficier de la subrogation qu'à la condition qu'un fait exclusif du créancier lui ait fait perdre un droit certain ; qu'en retenant que, s'il avait été plus vigilant, le CIC aurait formé opposition au projet de fusion-absorption et, devant le tribunal, aurait demandé, soit le remboursement immédiat du solde de sa créance, soit la constitution de nouvelles garanties destinées à remplacer celle dont il disposait jusqu'alors (p. 5, § 14), cependant que le pouvoir d'ordonner la constitution de garanties dans une telle hypothèse relève seulement du juge saisi, si bien que l'abstention du CIC, qui aurait en toute hypothèse vu son sort dépendre du pouvoir du juge saisi de son opposition, ne pouvait constituer un fait exclusif, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil, ensemble l'article L. 236-14 du code de commerce ;

3°/ que la caution ne peut être déchargée qu'à la condition que le droit préférentiel perdu ait pu présenter pour elle un avantage effectif ; qu'en retenant que le préjudice subi par la caution consiste pour celle-ci à devoir répondre personnellement des engagements non tenus par la débitrice principale, sans constater que le créancier aurait pu, par l'exercice du droit d'opposition à la fusion acquisition, effectivement obtenir paiement de sa créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2314 du code civil ;

Mais attendu qu'après avoir relevé que l'absorption de la société Sold'Or par la société Altea Finances avait eu pour effet de réduire à néant le nantissement inscrit par la banque sur les parts sociales de la société Sold'Or et énoncé que la banque aurait pu protéger ses intérêts en mettant en oeuvre le droit d'opposition au projet de fusion-absorption que lui conférait l'article L. 236-14 du code de commerce, l'arrêt retient que, si elle avait été plus vigilante, la banque aurait ainsi pu demander soit le remboursement immédiat du solde de sa créance, soit la constitution de nouvelles garanties destinées à remplacer celle dont elle disposait jusqu'alors ; qu'ayant ainsi fait ressortir que la caution établissait le fait fautif exclusivement imputable au créancier, quels qu'aient pu être les résultats de sa démarche, à l'origine de la perte d'un droit préférentiel conférant au créancier un avantage particulier pour le recouvrement de sa créance, puis constaté que la banque ne justifiait ni de l'incapacité de la société absorbante, au moment de la fusion-absorption, à solder le prêt litigieux, ni de l'impossibilité de cette société de constituer d'autres garanties, de sorte qu'elle ne démontrait pas l'absence de préjudice engendré pour la caution par sa carence, la cour d'appel, qui n'a pas inversé la charge de la preuve, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : Mme Graff-Daudret - Avocat(s) : SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller ; SARL Cabinet Munier-Apaire -

Textes visés :

Articles 1315, devenu 1353, et 2037, devenu 2314, du code civil ; article L. 236-14 du code de commerce.

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