Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

AVOCAT

1re Civ., 23 septembre 2020, n° 19-13.214, (P)

Cassation

Honoraires – Obligation d'information préalable du client – Etendue – Modalité de calcul des honoraires en cas de dessaisissement – Défaut – Effet – Paiement de dommages-intérêts

L'obligation pour l'avocat d'informer son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination de ses honoraires et de l'évolution prévisible de leur montant, implique qu'il l'avertisse des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et s'expose, à défaut, au paiement de dommages-intérêts.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 14 février 2018), M. M..., avocat au barreau de Dijon (l'avocat), a été mandaté par M. X... afin de défendre ses intérêts devant un tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par acte du 12 février 2010, les parties ont conclu une convention d'honoraires stipulant un honoraire forfaitaire pour la première instance et pour l'éventuelle procédure d'appel, ainsi qu'un honoraire de résultat.

2. En cours d'instance, en l'absence d'acte ou de décision juridictionnelle irrévocable, M. X... a dessaisi l'avocat et lui a versé la somme conventionnellement prévue au titre de la première instance.

3. Considérant que ce paiement n'était pas satisfactoire, l'avocat a dressé une facture d'honoraires, qui a été contestée. Une ordonnance du 27 mai 2013, devenue irrévocable après le rejet du pourvoi formé par M. X... (2e Civ., 10 septembre 2015, pourvoi n° 14-15.348), a taxé les honoraires de l'avocat, en application des dispositions de l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

4. Soutenant que l'avocat avait manqué à son obligation d'information relative à la détermination de ses honoraires, M. X... l'a assigné, le 14 octobre 2015, en responsabilité et indemnisation.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. M. X... fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que l'avocat doit informer son client, dès sa saisine, des modalités de détermination des honoraires et de l'évolution prévisible de leur montant, cette information figurant, le cas échéant, dans la convention d'honoraires ; que cette obligation d'information implique que l'avocat avertisse son client dès sa saisine de ce que, en cas de dessaisissement, il sera fait application des critères prévus par l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 pour fixer le montant de ses honoraires, à l'exclusion des dispositions de la convention d'honoraires qu'ils avaient éventuellement conclue ; qu'en retenant que l'avocat avait respecté son obligation d'information, puisque le montant prévisible des honoraires avait été fixé forfaitairement pour chaque étape de la procédure, aux termes d'une convention, que ces derniers sous-entendaient que l'avocat resterait en charge du dossier jusqu'à sa conclusion et qu'aucune disposition n'impose à l'avocat de faire figurer dans la convention d'honoraires les modalités de fixation de sa rémunération dans l'hypothèse d'un dessaisissement anticipé, la cour d'appel a méconnu l'obligation d'information pesant sur l'avocat dès sa saisine quant aux modalités de fixation de sa rémunération, en cas de dessaisissement, et a ainsi violé l'article 1147 ancien du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ensemble l'article 10 du décret du 12 juillet 2005, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-1226 du 2 août 2017, et l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 10 juillet 1991. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, et l'article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 :

6. Il résulte de ces textes que l'avocat informe son client, dès sa saisine, puis de manière régulière, des modalités de détermination des honoraires et de l'évolution prévisible de leur montant. Cette obligation implique que l'avocat avertisse son client des modalités de calcul de ses honoraires en cas de dessaisissement et son inexécution l'expose au paiement de dommages-intérêts.

7. Pour rejeter les demandes de M. X..., l'arrêt retient qu'il a décidé, de façon unilatérale, de dessaisir l'avocat sans l'avoir prévenu préalablement et que, la convention d'honoraires étant devenue caduque, celui-ci était fondé à facturer ses honoraires en application de l'article 11.1 du Règlement intérieur national, de sorte qu'aucune faute ne peut être retenue à son égard.

8. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Teiller - Avocat général : M. Lavigne - Avocat(s) : SCP Claire Leduc et Solange Vigand ; SCP Baraduc, Duhamel et Rameix -

Textes visés :

Article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ; article 10 du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 ; article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 18 juillet 2000, pourvoi n° 97-14.713, Bull. 2000, I, n° 214 (cassation).

1re Civ., 9 septembre 2020, n° 19-16.047, (P)

Rejet

Responsabilité – Faute – Défaut de production de pièces à l'appui du recours – Exclusion – Pièces insuffisantes à écarter la présomption tenant au caractère imposable du solde créditeur du compte courant d'associé

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 2 avril 2019), à la suite d'une vérification de comptabilité de la société à responsabilité limitée Mélanie, l'administration fiscale a considéré, d'une part, que M. B..., associé et gérant de cette société, avait bénéficié d'avances laissées à sa disposition, sans intérêts, sur son compte courant d'associé en 2006, 2007 et 2008, d'autre part, que les sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en 2008 au crédit de son compte courant devaient être regardées comme des revenus distribués.

Le 17 décembre 2009, elle a notifié à l'intéressé une proposition de rectification de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales pour les années 2006 à 2008.

2. Après que ses contestations ont été rejetées par un arrêt, devenu définitif, rendu le 18 juillet 2014 par la cour administrative d'appel de Versailles, M. B... a assigné en responsabilité et indemnisation son conseil, M. P... (l'avocat), lui reprochant principalement de ne pas avoir produit, devant la juridiction administrative, l'ensemble des pièces utiles à sa défense. Mme B..., son épouse, est intervenue volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. et Mme B... font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, alors :

« 1°/ que le transfert à une société du solde créditeur d'un compte courant d'un associé correspondant à une créance détenue par l'associé sur une autre société, par l'effet de l'acquisition par la seconde des titres de la première et des droits et obligations en résultant constitue une délégation conduisant à un changement de débiteur et non une cession de créance, si bien que les dispositions de l'article 1690 du code civil sont en la matière inapplicables ; qu'en se fondant, après avoir pourtant constaté que M. B... produisait les actes de cession de parts sociales des SCI à la SARL Mélanie, et les actes de délégation en résultant, sur l'absence de notification du transfert de compte courant d'associé des SCI Majjs et Avner à la société Mélanie pour en déduire que, quels que soient les documents produits, M. B... ne disposait d'aucune chance de voir son recours tendant à la décharge des impositions prospérer, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1690 du code civil ;

2°/ que les juges ne peuvent dénaturer les documents de la cause ; qu'en retenant que M. B... justifiait amplement de ce qu'il disposait de créances en compte courant d'associé provenant des SCI Avner et MJJS lesquelles ont été transférées à la SARL Mélanie, quand les délégations produites ne concernaient pas le transfert des créances de M. B... sur les SCI Avner et Majjs à la SARL Mélanie, mais le transfert des dettes des SCI à l'égard de M. B... à la SARL Mélanie, formalisé par le transfert des soldes créditeurs des comptes courants d'associé, la cour d'appel a dénaturé ces actes de délégation clairs et non équivoques produits aux débats et ainsi violé le principe susvisé ;

3°/ subsidiairement, que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé ne constituent un revenu réputé distribué qu'à défaut de preuve contraire, laquelle peut être rapportée par tous moyens ; qu'en se fondant sur l'absence de respect des formalités prévues à l'article 1690 du code civil pour considérer que M. B... ne disposait d'aucune chance de voir son recours tendant à la décharge des impositions prospérer quand la démonstration de la cession de créance peut s'effectuer par tout moyen pour justifier l'existence d'une créance de l'associé sur la société afin d'écarter la qualification de revenu réputé distribué, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

4°/ qu'indépendamment de la qualification donnée à cette opération, la preuve de l'existence d'un solde créditeur d'un compte courant d'associé dans une société et du transfert de ce solde à une autre société par acquisition des titres de la première justifie le solde créditeur du compte courant d'associé dans la société acquéreuse et fait ainsi obstacle à l'imposition des sommes y figurant comme des revenus réputés distribués ; qu'en jugeant que la production par l'avocat de l'ensemble des pièces n'aurait pas permis d'obtenir une décision plus favorable tout en relevant que les pièces que M. et Mme B... versaient aux présents débats étaient de nature à justifier le transfert à la SARL Mélanie des soldes créditeurs des comptes courants dont M. B... disposait auprès des sociétés civiles immobilières Majjs et Avner, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

5°/ que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en jugeant que la seule justification complète par l'avocat devant le juge de l'impôt des cessions de créances au profit de la SARL Mélanie n'était pas de nature à permettre à M. B... d'obtenir ni du tribunal administratif de Montreuil ni de la cour administrative d'appel de Versailles une décision plus favorable en l'absence de toute justification desdites sommes dans la comptabilité de la SARL Mélanie, après avoir pourtant relevé que les pièces que M. et Mme B... versaient aux présents débats étaient de nature à justifier le transfert à la SARL Mélanie des soldes créditeurs des comptes courants dont M. B... disposait auprès des sociétés civiles immobilières Majjs et Avner, la cour d'appel, qui s'est contredite, a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;

6°/ que les sommes directement versées à un associé sont, au même titre que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé, imposées comme des revenus distribués si elles ne sont pas justifiées ; qu'en jugeant que le redressement était fondé sur l'absence de remboursement à M. B... du solde créditeur de son compte courant d'associé sur la SARL Mélanie, quand un tel remboursement aurait évidemment également donné lieu à imposition en l'absence de justification du versement de telles sommes, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

7°/ que le transfert d'un compte courant de l'associé d'une société vers le compte courant du même associé d'une autre société n'a pas à apparaître sur les déclarations d'ISF de l'intéressé ; qu'en se fondant notamment sur la circonstance que la délégation de créance invoquée n'apparaissait pas dans les déclarations d'ISF de M. B..., pour en déduire que la production des pièces relatives à la délégation de créance n'auraient pas permis à M. B... d'obtenir la décharge des impositions en cause, la cour d'appel, qui s'est fondé sur un motif inopérant, a privé sa décision de base légale au regard des dispositions de l'article 109 du code général des impôts ;

8°/ que seules des avances, prêts et acomptes peuvent être imposés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers en application des dispositions du a) de l'article 111 du code général des impôts ; qu'en examinant les chances de succès du recours tendant à la décharge des impositions au regard des dispositions de l'article 111 a), du code général des impôts pour ce qui concerne le redressement relatif aux intérêts non versés par M. B... à la SARL Mélanie, la cour d'appel a violé, les dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts ;

9°/ que le juge judiciaire, saisi d'un recours en responsabilité civile professionnelle à l'encontre d'un avocat ayant défendu un client dans un procès, est tenu par l'autorité de chose jugée attachée à la décision ayant clos ce procès ; qu'en examinant les chances de succès du recours tendant à la décharge des impositions au regard des dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts tout en constatant, par motifs adoptés, que la cour administrative d'appel avait jugé que cet article n'était pas applicable, la cour d'appel a ignoré l'autorité de chose jugée attachée à cet arrêt et violé les dispositions de l'article 1355 du code civil ;

10°/ que les sommes portées au crédit d'un compte courant d'associé ne constituent des sommes mises à sa disposition, et devant à ce titre donner lieu à production d'intérêts au profit de la société qu'en l'absence de justification de cette inscription par un autre motif ; qu'en jugeant que la justification du transfert de créances n'aurait pas permis à M. B... d'obtenir gain de cause devant le juge de l'impôt, quand cette justification suffisait à écarter la qualification de somme mise à la disposition de l'associé devant donner lieu à production d'intérêts, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 111, a), du code général des impôts. »

Réponse de la Cour

4. Selon une jurisprudence administrative constante (CE, 20 mars 1989, M. Alaux, n° 63562 et 63563 ; CE, 8 février 1999, Mme Boelcke, n° 140062 ; CE, 27 décembre 2019, n° 420478), il résulte de l'article 109 du code général des impôts que les sommes inscrites au crédit d'un compte courant d'associé ont, sauf preuve contraire apportée par l'associé titulaire du compte, le caractère de revenus imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers.

5. Après avoir retenu l'existence de manquements de l'avocat à son devoir de conseil et à son obligation de diligence, la cour d'appel a estimé que, si les pièces que M. B... versait aux débats, et que l'avocat aurait dû lui réclamer, établissaient qu'il disposait de créances en compte courant d'associé auprès des SCI Avner et Majjs et que ces créances avaient été transférées à la société Mélanie, il ne rapportait la preuve ni du traitement comptable, au sein de cette société, des sommes de 127 013,29 euros et 126 866,71 euros inscrites en juin 2008 au crédit de son compte courant d'associé, ni de l'existence d'une contrepartie justifiant la dispense d'intérêts au titre des soldes débiteurs dudit compte au cours des exercices clos en 2006, 2007 et 2008.

6. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, elle a retenu, à bon droit et sans se contredire, que la production des pièces litigieuses, insuffisante à écarter la présomption instituée par le texte précité, n'aurait pas permis à M. B... d'obtenir une décision plus favorable devant la juridiction administrative, de sorte que la responsabilité de l'avocat n'était pas engagée.

7. Le moyen, inopérant en ses première, deuxième, troisième, septième, huitième et neuvième branches qui critiquent des motifs erronés mais surabondants, n'est pas fondé pour le surplus.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article 109 du code général des impôts.

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