Numéro 9 - Septembre 2020

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2020

AGRICULTURE

2e Civ., 24 septembre 2020, n° 19-15.110, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Mutualité agricole – Organismes – Caisses de mutualité sociale agricole – Obligations de la caisse – Remise d'un avis préalable au contrôle – Défaut – Sanction – Effet

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 22 novembre 2018), du 12 juillet 2011 au 17 janvier 2012, M. I... (le cotisant), chef d'exploitation agricole, a fait l'objet d'un contrôle de ses revenus professionnels, au titre des années 2007 à 2010, par la caisse de mutualité sociale agricole de la Gironde (la caisse). Cette dernière lui ayant notifié un redressement suivi d'une mise en demeure, le 26 mars 2012, le cotisant a saisi la commission de recours amiable de l'organisme, laquelle a constaté la nullité du contrôle mais a confirmé l'appel à cotisations sur la base des revenus professionnels tels qu'ils avaient été communiqués à la caisse, le 21 mars 2012, par le centre des finances publiques. Contestant cette décision, le cotisant a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale devant laquelle il a également formé une opposition à la contrainte, signifiée le 12 décembre 2012.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces deux moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. Le cotisant fait grief à l'arrêt de valider la mise en demeure ainsi que la contrainte et de le condamner au paiement des cotisations litigieuses, alors que « les actes annulés sont nuls et de nul effet ; qu'en l'espèce, il est constant et constaté que la caisse de mutualité sociale agricole a opéré un contrôle des revenus professionnels de l'exposant pour les années 2007 à 2010 qui a été jugé nul et de nul effet par la cour d'appel ce dont il résultait que les actes subséquents à ce contrôle étaient nuls d'une part, et il résulte, d'autre part, des propres constatations de la cour d'appel que la lettre de mise en demeure adressée au cotisant le 26 mars 2012 se référait expressément audit contrôle ce dont il résultait que la lettre de mise en demeure était exclusivement fondée et subséquente audit contrôle de l'activité du cotisant ; qu'en refusant néanmoins d'annuler la mise en demeure puis la contrainte décernées par la caisse, au motif inopérant que si la mise en demeure ne précise pas être fondée sur les revenus professionnels obtenus par le centre des finances publiques le 21 septembre 2011, cette mention n'est pas prévue à peine de nullité par l'article R. 725-6 du code rural et de la pêche maritime, quand cet acte mentionnait expressément qu'il se fondait sur le contrôle annulé, de sorte que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qu'imposaient ses propres constatations et a violé les articles L. 724-11 et D. 724-7 du même code, dans leur version applicable au litige et le principe que les actes annulés sont nuls et de nul effet. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 724-11 et D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, dans leur rédaction applicable à la date d'exigibilité des cotisations litigieuses :

4. Il résulte des dispositions du second de ces textes que tout contrôle effectué en application du premier est précédé de l'envoi par la caisse de mutualité sociale agricole d'un avis adressé, par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa réception, à l'employeur, au chef d'exploitation ou au titulaire d'allocation de vieillesse agricole ou de pension de retraite intéressé.

Le non-respect de cette formalité substantielle, destinée à assurer le caractère contradictoire de la procédure de contrôle et la sauvegarde des droits de la défense, entraîne la nullité du contrôle et de la procédure subséquente.

5. Pour valider la mise en demeure et la contrainte, après avoir relevé qu'il est constant que la caisse n'a pas fait précéder le contrôle effectué entre le 12 juillet 2011 et le 17 janvier 2012 de l'envoi d'un avis adressé au cotisant, en violation des dispositions de l'article R. 724-7 du code rural et de la pêche maritime, en sorte que ce contrôle portant sur les activités et revenus professionnels des non salariés agricoles est nul et de nul effet ainsi que la lettre d'observations qui en a résulté, l'arrêt constate que la mise en demeure du 26 mars 2012 adressée au cotisant a été établie sur la base de ce contrôle et ne précise pas être fondée sur les revenus professionnels obtenus par le centre des finances publiques. Il retient qu'il est constant que les revenus professionnels du cotisant ont été obtenus auprès de l'administration fiscale et qu'il résulte de l'article R. 725-6 du code rural et de la pêche maritime que l'indication de l'acte d'enquête à partir duquel la caisse a établi la nature et le montant des cotisations impayées ainsi que des périodes pour lesquelles elles sont dues, objet de la mise en demeure, n'est pas prévu à peine de nullité, de sorte que la mise en demeure de payer est régulière.

6. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle constatait que le contrôle effectué sur place était irrégulier en l'absence de l'envoi d'un avis préalable, ce dont il résultait que la mise en demeure notifiée et la contrainte décernée sur le fondement des opérations de contrôle, étaient elles-mêmes entachées de nullité, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

7. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

8. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'appel et dit que l'instance n'est pas périmée, l'arrêt rendu le 22 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule la contrainte du 20 novembre 2012, signifiée le 12 décembre 2012 à M. I... pour un montant de 84 122,34 euros au titre des cotisations et majorations de retard des années 2008 à 2011.

- Président : M. Pireyre - Rapporteur : Mme Palle - Avocat général : M. de Monteynard - Avocat(s) : SARL Cabinet Munier-Apaire ; SCP Ohl et Vexliard -

Textes visés :

Articles L. 724-11 et D. 724-7 du code rural et de la pêche maritime.

1re Civ., 23 septembre 2020, n° 18-25.260, (P)

Cassation partielle

Organisation interprofessionnelle – Qualification – Portée – Accords interprofessionnels instituant des cotisations obligatoires – Montant – Proportionnalité – Recherche nécessaire

Il incombe au juge saisi d'apprécier lui-même, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant des cotisations volontaires obligatoires appelées par une organisation interprofessionnelle agricole et le but poursuivi par celle-ci.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 17 septembre 2018), la société civile d'exploitation agricole Domaine Amblard (la société) a assigné l'association Union interprofessionnelle des vins Côtes de Duras, désormais dénommée Interprofession des vins de Bergerac et Duras (l'association), aux fins d'obtenir le remboursement de cotisations volontaires obligatoires payées de 1998 à 2008.

2. L'association a formé une demande reconventionnelle en paiement de cotisations volontaires obligatoires appelées de 2008 à 2012.

Examen du moyen

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt d'accueillir la demande reconventionnelle en paiement de l'association, alors « que le juge saisi du contrôle de proportionnalité doit apprécier de manière concrète le rapport raisonnable entre l'atteinte à un droit garanti par la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et la justification de cette atteinte ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que la victime de l'atteinte ne rapportait pas la preuve, qui lui incombe, de l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens tirés et le but visé, lorsqu'elle était saisie d'un moyen de la société qui montrait que les cotisations, appliquées de manière uniforme, s'élevaient à près du tiers de son résultat net et ce sans véritable contrepartie, la cour d'appel a violé l'article premier du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 632-1 et L. 632-6 du code rural et de la pêche maritime et 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. En application de ces deux premiers textes, les organisations interprofessionnelles agricoles reconnues par l'autorité administrative compétente sont habilitées à prélever, sur tous les membres des professions les constituant, des cotisations résultant des accords étendus selon la procédure fixée aux articles L. 632-3 et L. 632-4 du code rural et de la pêche maritime.

5. Selon le dernier, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international, de tels principes ne portant pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.

6. Pour être compatible avec ce texte, une atteinte au droit d'une personne au respect de ses biens doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu, même lorsque se trouve en cause le droit qu'ont les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH, arrêt du 16 novembre 2010, Perdiga o c. France [GC], n° 24768/06, §§ 63 et 64).

7. Il en résulte que la perception de cotisations volontaires obligatoires par une organisation interprofessionnelle agricole doit répondre à ces exigences. A cet effet, il incombe au juge saisi d'apprécier lui-même, de manière concrète, s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant des cotisations dues par la société et le but poursuivi par l'association.

8. Pour accueillir la demande reconventionnelle en paiement de l'association, l'arrêt énonce que celle-ci rappelle qu'elle promeut l'appellation vins des côtes de Duras par des actions sur support papier ou Internet, des dégustations et sa présence à des manifestations, puis retient que la société ne démontre pas l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens tirés et le but visé, au regard des missions menées et décrites par l'association.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser sur la société la charge de démontrer l'absence de rapport raisonnable de proportionnalité entre le montant des cotisations dues par la société et le but poursuivi par l'association, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société civile d'exploitation agricole Domaine Amblard à payer à l'association Interprofession des vins de Bergerac et Duras la somme de 25 492,60 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 février 2011 pour les sommes dues à cette date et de l'arrêt pour le surplus, l'arrêt rendu le 17 septembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : M. Vitse - Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin ; SCP Didier et Pinet -

Textes visés :

Article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles L. 632-1 et L. 632-6 du code rural et de la pêche maritime.

Rapprochement(s) :

1re Civ., 30 novembre 2016, pourvoi n° 15-21.946, Bull. 2016, I, n° 231 (cassation).

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