Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

SEPARATION DES POUVOIRS

1re Civ., 26 septembre 2019, n° 18-20.396, (P)

Cassation sans renvoi

Compétence judiciaire – Exclusion – Cas – Litige relatif à un service public – Service public administratif – Personnel non statutaire – Agent travaillant au sein d'un atelier de maître tailleur

L'activité exercée au sein d'un atelier de maître tailleur doit, eu égard à ses modalités de financement et d'organisation, être regardée comme un service public administratif, de sorte que les agents qui y travaillent ont la qualité d'agents de droit public, dont le contentieux ressortit à la juridiction administrative.

Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :

Vu l'article L. 1411-1 du code du travail, ensemble la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant contrat signé le 10 juin 1986, Mme U... a été engagée en qualité de manutentionnaire par M. H..., maître V... ; que J... B..., nommé en remplacement de ce dernier, lui a adressé, le 25 novembre 2009, une lettre de licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement ; que Mme U... a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir diverses indemnités pour rupture abusive de son contrat de travail ; qu'invoquant sa qualité d'agent de droit public, J... B..., décédé en cours d'instance et aux droits duquel vient Mme B..., son épouse, a soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative ;

Attendu que, pour rejeter cette exception, l'arrêt relève, d'abord, que Mme U... a été recrutée par le maître V... aux termes d'un contrat de droit privé régi, selon les parties, par une convention collective, et en exécution duquel elle a occupé, durant plus de vingt ans, des postes de travail au sein de l'atelier de confection, sous la gestion, la direction et la discipline du maître V..., moyennant la perception d'un salaire mensuel payé par celui-ci et le versement des cotisations sociales obligatoires patronales et salariales à la Sécurité sociale et aux différents organismes du régime privé, ainsi qu'en matière de prévoyance, avec le bénéfice, sans statut particulier, des règles protectrices du droit du travail et de la protection sociale ; qu'il retient, ensuite, que l'activité exercée par le maître V..., en tant qu'entreprise individuelle inscrite au registre du commerce et des sociétés, a consisté à réaliser, à titre onéreux, la confection, la réparation et la fourniture de biens et services, dont les paiements ont généré des bénéfices ayant permis le versement de salaires ; qu'il en déduit que cette activité présente le caractère d'un service public industriel et commercial et que, par suite, le litige d'ordre individuel opposant Mme U... à ce service relève de la compétence de la juridiction judiciaire ;

Attendu, cependant, que, d'une part, il a été jugé qu'en l'absence de toute disposition législative en ce sens, un maître V..., qui est un agent de l'Etat de statut de militaire, ne peut exercer son activité de confection d'effets destinés aux armées à titre privé ni employer lui-même, à cette fin, les agents qui travaillent dans son service, que ceux-ci sont des agents de l'Etat et que l'activité ainsi exercée est une activité de service public (CE, 5 novembre 2014, Comité d'entreprise maître V..., n° 364509 et 364518) ; que, d'autre part, selon les constatations de l'arrêt, J... B... était installé dans les locaux de l'armée, laquelle lui fournissait également le matériel, et tenu d'appliquer certaines prescriptions générales et particulières, fixées par l'administration pour l'exécution des travaux qui lui étaient confiés, ainsi que de respecter les dispositions réglementaires et techniques en matière de tenues et d'uniformes ; qu'il en résulte que l'activité exercée au sein de son atelier devait, eu égard à ses modalités de financement et d'organisation, être regardée comme un service public administratif, de sorte que Mme U... avait la qualité d'agent de droit public, dont le contentieux ressortit à la juridiction administrative ;

D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes et le principe susvisés ;

Et vu les articles L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mai 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Déclare la juridiction judiciaire incompétente pour connaître du litige ;

Renvoie les parties à mieux se pourvoir.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : M. Chaumont - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel -

Textes visés :

Article L. 1411-1 du code du travail ; loi des 16-24 août 1790 ; décret du 16 fructidor an III ; principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Rapprochement(s) :

CE, 5 novembre 2014, n° 364509 et 364518.

Soc., 11 septembre 2019, n° 17-31.321, n° 18-14.971, (P)

Rejet et cassation partielle

Contrat de travail – Licenciement – Salarié protégé – Autorisation administrative – Compétence judiciaire – Inaptitude du salarié – Origine de l'inaptitude – Demande en réparation – Recevabilité – Conditions – Détermination

Si le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement, il demeure compétent, sans porter atteinte à ce principe, pour rechercher si l'inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et accorder, dans l'affirmative, les indemnités spéciales prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail.

Vu la connexité, joint les pourvois n° 17-31.321 et 18-14.971 ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, qu'engagée à compter du 4 juillet 1974 par la société FDG international en qualité de conditionneuse, Mme K... a parallèlement occupé la fonction de membre du comité d'entreprise ; que suivant autorisation accordée par l'inspecteur du travail le 20 mars 2015, la salariée a été licenciée pour inaptitude d'origine non professionnelle ; qu'invoquant l'origine professionnelle de son inaptitude, la salariée a saisi la juridiction prud'homale le 1er septembre 2015 ; qu'à titre principal, elle soutenait que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ; que subsidiairement elle demandait réparation des préjudices résultant de l'origine professionnelle de son inaptitude et l'octroi, à ce titre, d'une indemnité compensatrice de préavis, d'une indemnité spéciale de licenciement, de dommages-intérêts pour procédure irrégulière et pour perte d'emploi ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 18-14.971, qui est recevable :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt avant dire droit du 6 juin 2017 d'inviter les parties à formuler leurs observations exclusivement sur le moyen soulevé d'office de l'irrecevabilité de la contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement, alors, selon le moyen, que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui lui est demandé ; qu'en invitant Mme K... et la société FDG international à formuler leurs observations exclusivement sur le moyen soulevé d'office de l'irrecevabilité de Mme K... à contester la cause réelle et sérieuse du licenciement quand cette dernière sollicitait également l'infirmation du jugement et à voir juger que son inaptitude est d'origine professionnelle et qu'elle est consécutive à une maladie professionnelle de type épicondylite, la cour a modifié l'objet du litige et violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'aux termes de l'arrêt du 13 novembre 2017, ayant rappelé qu'à titre subsidiaire, la salariée sollicitait l'application du régime protecteur découlant de l'origine de l'inaptitude qu'elle considérait comme étant professionnelle, la cour d'appel a examiné la recevabilité des demandes formées à ce titre et ainsi statué sur l'entier litige ; qu'il s'ensuit que le moyen ne peut être accueilli ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° 17-31.321 en ce qu'il vise les demandes de dommages-intérêts pour perte d'emploi et pour procédure irrégulière :

Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt du 13 novembre 2017 de déclarer irrecevables ces demandes subsidiaires, alors, selon le moyen :

1°/ que le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ; qu'en déclarant irrecevable la demande subsidiaire de Mme K... au motif que le licenciement pour inaptitude non professionnelle aurait été autorisé par l'inspection du travail sans qu'aucun recours n'ait été exercé contre cette autorisation quand la décision autorisant le licenciement en date du 20 mars 2015 vise uniquement une demande d'autorisation de licenciement pour inaptitude de Mme K... sans aucunement se prononcer sur l'origine professionnelle ou non de cette inaptitude, la cour a dénaturé les termes clairs et précis de la décision autorisant le licenciement en date du 20 mars 2015 en violation du principe précité ;

2°/ que si, par dérogation au principe selon lequel le juge judiciaire ne peut apprécier le caractère réel et sérieux du licenciement du salarié inapte, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations, cette jurisprudence ne s'applique pas à la contestation du caractère professionnel ou non de l'inaptitude ; qu'en déclarant irrecevables les demandes subsidiaires de Mme K... au motif que « le licenciement pour inaptitude non professionnelle ayant été autorisé par l'inspection du travail sans qu'aucun recours n'ait été exercé contre cette autorisation, elle n'allègue à aucun moment que son inaptitude trouve son origine dans un manquement de son employeur à une de ses obligations » tout en constatant que celle-ci sollicitait à titre subsidiaire, sans en tirer de conséquence sur la validité de son licenciement, l'application du régime protecteur découlant de son inaptitude qu'elle considérait comme étant d'origine professionnelle, la cour n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé le principe de la séparation des pouvoirs ;

3°/ que le juge prud'homal est seul compétent pour apprécier le caractère professionnel de l'inaptitude et qu'il lui incombe de rechercher si l'inaptitude a, au moins partiellement, pour origine une maladie professionnelle ou un accident du travail ; qu'en déclarant irrecevables les demandes subsidiaires de Mme K... au motif que « le licenciement pour inaptitude non professionnelle ayant été autorisé par l'inspection du travail sans qu'aucun recours n'ait été exercé contre cette autorisation », la cour a violé la loi des 16-24 août 1790 et les articles L. 1226-10 et L. 1226-14 du code du travail ;

4°/ qu'en tout état de cause, le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevables les demandes subsidiaires de Mme K..., que celle-ci n'allègue à aucun moment que son inaptitude trouve son origine dans un manquement de son employeur à une de ses obligations quand cette dernière invoquait dans ses conclusions d'appel la violation par l'employeur de l'article L. 1226-10 du code du travail, la cour a méconnu l'interdiction faite au juge de dénaturer les documents de la cause et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Mais attendu que le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement ;

Et attendu qu'ayant constaté, sans dénaturation, que la salariée sollicitait des dommages-intérêts pour perte d'emploi et pour procédure irrégulière en raison de l'origine de son inaptitude, c'est à bon droit que la cour d'appel les a déclarées irrecevables ;

Mais sur le moyen unique du même pourvoi en ce qu'il vise les demandes d'indemnité spéciale de licenciement et d'indemnité compensatrice de préavis :

Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article L. 1226-14 du code du travail ;

Attendu que si le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, en l'état d'une autorisation administrative de licenciement pour inaptitude d'un salarié protégé, apprécier la régularité de la procédure d'inaptitude, le respect par l'employeur de son obligation de reclassement et le caractère réel et sérieux du licenciement, il demeure compétent, sans porter atteinte à ce principe, pour rechercher si l'inaptitude du salarié avait ou non une origine professionnelle et accorder, dans l'affirmative, les indemnités spéciales prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail ;

Attendu que pour déclarer irrecevables les demandes de la salariée, l'arrêt retient que le licenciement pour inaptitude non professionnelle ayant été autorisé par l'inspection du travail, la salariée n'allègue à aucun moment que son inaptitude trouve son origine dans un manquement de son employeur à ses obligations, l'origine professionnelle d'une inaptitude ne découlant pas nécessairement d'un comportement fautif de l'employeur ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que la salariée demandait le bénéfice des indemnités prévues par l'article L. 1226-14 du code du travail et qu'il lui appartenait en conséquence de rechercher si l'inaptitude de la salariée avait pour origine une maladie professionnelle ou un accident du travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi n° 18-14.971 dirigé contre l'arrêt du 6 juin 2017 ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevables les demandes de Mme K... tendant à l'octroi d'une indemnité compensatrice de préavis et d'une indemnité spéciale de licenciement, l'arrêt rendu le 13 novembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Poitiers.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Chamley-Coulet - Avocat général : Mme Trassoudaine-Verger - Avocat(s) : SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Loi des 16-24 août 1790 ; article L. 1226-14 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur la compétence du juge judiciaire pour accorder au salarié protégé, licencié pour inaptitude après une autorisation accordée par l'autorité administrative, la réparation du préjudice résultant de l'origine de l'inaptitude, à rapprocher : Soc., 17 octobre 2018, pourvoi n° 17-17.985, Bull. 2018, V, (2) (cassation partielle), et les arrêts cités.

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