Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

PRESSE

1re Civ., 26 septembre 2019, n° 18-18.939, n° 18-18.944, (P)

Cassation sans renvoi

Abus de la liberté d'expression – Définition – Diffamation – Allégation ou imputation de faits portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne – Caractérisation – Portée

Viole l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, ensemble l'article 12 du code de procédure civile, une cour d'appel qui, pour écarter le moyen tiré de la nullité de l'assignation et fondé sur l'article 53 de la loi précitée, retient que la simple évocation, dans l'acte introductif d'instance, de faits susceptibles de porter atteinte à l'honneur ne saurait entraîner l'application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881, alors que, selon ses propres constatations, l'une des parties demanderesses invoquait une atteinte à son image et à sa réputation, de sorte que ces faits, constitutifs de diffamation, ne pouvaient être poursuivis que sur le fondement de ladite loi.

Procédure – Action en justice – Assignation – Validité – Conditions – Domaine d'application – Cas – Assignation pour atteinte à l'image et à la réputation de la personne

Procédure – Action en justice – Action devant la juridiction civile – Action exercée préalablement à toute publication – Textes applicables – Article 53 de la loi du 29 juillet 1881 – Domaine d'application – Etendue – Détermination

L'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse doit recevoir application devant la juridiction civile, y compris dans les procédures d'urgence et même dans le cas où l'action est exercée préalablement à toute publication.

Procédure – Action en justice – Assignation – Validité – Conditions – Domaine d'application – Etendue – Détermination – Portée

Joint les pourvois n° 18-18.939 et 18-18.944, qui sont connexes ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que, soutenant que la société France télévisions s'apprêtait à diffuser, le 23 juin 2016, dans le magazine intitulé « [...] », un reportage consacré au harcèlement sexuel, au cours duquel une ancienne salariée du groupe J... mettrait gravement en cause M. J..., président de la société N... international, ces derniers ont, selon acte du 17 juin 2016, assigné en référé à heure indiquée la société France télévisions, M. R..., rédacteur en chef du magazine précité, et M. P..., journaliste ayant réalisé le reportage litigieux, pour voir ordonner la production aux fins de visionnage dudit reportage et dire qu'à l'issue de cette mesure, les débats seraient repris sur la demande d'interdiction de la diffusion des passages portant atteinte à la présomption d'innocence et au droit au respect de la vie privée de M. J..., ainsi qu'à l'image, la marque et la réputation de la société N... international ; qu'invoquant la méconnaissance des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la société France télévisions et MM. R... et P... ont soulevé la nullité de l'assignation ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-18.944, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la nullité de l'assignation, l'arrêt retient que la simple évocation, dans l'acte introductif d'instance, de faits susceptibles de porter atteinte à l'honneur ne saurait entraîner ipsofacto l'application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la société N... international invoquait une atteinte à son image et à sa réputation, de sorte que ces faits, constitutifs de diffamation, ne pouvaient être poursuivis que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur les quatrième et cinquième branches du même moyen :

Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que ce texte doit recevoir application devant la juridiction civile, y compris dans les procédures d'urgence et même dans le cas où l'action est exercée préalablement à toute publication ;

Attendu que, pour statuer comme il a été dit, l'arrêt énonce que le litige est un référé préventif qui trouve son fondement dans les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile, lesquelles permettent au juge des référés de prendre des mesures pour prévenir un dommage imminent, et qu'il ne saurait être fait grief à l'acte introductif d'instance de ne pas avoir précisé, articulé et qualifié des propos qui auraient dû être poursuivis sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que ces propos n'avaient fait encore l'objet d'aucune diffusion, au moment de l'introduction de l'instance, et que les demandeurs ne savaient pas quels propos exacts étaient tenus dans le reportage en cause ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le premier moyen du pourvoi n° 18-18.939 :

Vu l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation de l'arrêt du 14 juin 2018 (RG 17/17459), qui ordonne le visionnage du reportage litigieux, entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 14 juin 2018 (RG 17/17462), interdisant la diffusion de celui-ci, qui en est la suite ;

Et attendu qu'en application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, il y a lieu de casser sans renvoi et d'annuler, en son entier, l'assignation du 17 juin 2016, le litige étant indivisible entre toutes les parties ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois n° 18-18.939 et 18-18.944 :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 14 juin 2018 (RG 17/17459 et 17/17462), entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule l'assignation du 17 juin 2016.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : Mme Ab-Der-Halden - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; article 12 du code de procédure civile ; article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Rapprochement(s) :

Sur l'application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devant la juridiction civile, y compris dans les procédures d'urgence, à rapprocher : 1re Civ., 27 septembre 2005, pourvoi n° 04-15.179, Bull. 2005, I, n° 345 (rejet), et l'arrêt cité ; Ass. plén., 15 février 2013, pourvoi n° 11-14.637, Bull. 2013, Ass. plén. n° 1 (rejet) ; 1re Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 11-28.907, Bull. 2013, I, n° 146 (rejet).

Soc., 18 septembre 2019, n° 18-10.261, (P)

Rejet

Journal – Journaliste professionnel – Contrat de travail – Rupture – Rupture dans le cadre d'un conflit individuel – Procédure de conciliation – Saisine d'une commission paritaire amiable – Saisine obligatoire (non) – Portée

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 12 octobre 2015), que M. E... a été engagé le 18 novembre 2010 par la société Euronews en qualité de journaliste bilingue de langue farsi ; que la relation de travail était soumise à la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 ; que licencié le 31 décembre 2012, le salarié a saisi la juridiction prud'homale ;

Sur le premier moyen :

Attendu que le salarié fait grief à l'arrêt de dire que la procédure applicable à son licenciement a été respectée, alors, selon le moyen :

1°/ que les règles procédurales conventionnelles constituent des garanties de fond pour le salarié dont le non-respect par l'employeur prive le licenciement de cause réelle et sérieuse ; que l'article 47 de la convention collective nationale des journalistes précisait que « les parties sont d'accord pour recommander, avant le recours à la procédure prévue par les articles L. 761-4 et L. 761-5 du code du travail, de soumettre les conflits individuels à une commission paritaire amiable, ayant uniquement mission conciliatrice, composée de deux représentants des employeurs et de deux représentants des journalistes désignés par les organisations patronales et de salariés en cause [...] » ; que pour juger que la procédure applicable au licenciement de M. E... avait été respectée, la cour d'appel a jugé qu'il résulte de la combinaison des articles 3B relatif à la liberté d'opinion et 47 de la convention collective que le préalable de conciliation par cette commission n'était exigé qu'en ce qui concerne les litiges relevant de la liberté d'opinion des journalistes ; qu'en statuant de la sorte, quand l'article 47, qui, selon les termes du conseil de prud'hommes, « existe indépendamment de l'article 3B » énonçait que les parties sont d'accord pour recommander de soumettre les conflits individuels à une commission sans limiter sa saisine aux litiges relevant de la liberté d'opinion, la cour d'appel a violé l'article 47 de la convention collective nationale des journalistes ;

2°/ qu'à supposer même que la saisine de la commission paritaire amiable n'ait pas été obligatoire, l'employeur se devait d'informer le salarié sur la possibilité de saisir une telle commission ; qu'en jugeant que la procédure applicable au licenciement avait été respectée, quand M. E... a été privé, faute d'information de la part de l'employeur de la possibilité d'assurer utilement sa défense, la cour d'appel a violé l'article 47 de la convention collective nationale des journalistes ;

3°/ qu'en tout état de cause, il appartenait au juge de rechercher si le fait que la commission paritaire amiable n'ait pas été saisie ou le fait pour M. E... de ne pas avoir été avisé par la société Euronews de la possibilité de saisir cette commission, l'avait privé d'une possibilité d'assurer utilement sa défense, les règles procédurales conventionnelles constituant une garantie de fond ; qu'en ne procédant pas à cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 47 de la convention collective nationale des journalistes ;

Mais attendu, que selon l'article 47 de la convention collective nationale des journalistes se rapportant aux conflits individuels, les parties sont d'accord pour recommander, avant le recours à la procédure prévue par les articles L. 761-4 et L. 761-5 devenus L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail, de soumettre les conflits individuels à une commission paritaire amiable, ayant uniquement une mission conciliatrice ; qu'il n'en résulte pas pour l'employeur l'obligation de saisir la commission paritaire amiable préalablement à la rupture du contrat le liant au journaliste ;

Et attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé à bon droit que le préalable obligatoire de conciliation concerne les litiges prévus par l'article 3B de la convention collective se rapportant à la liberté d'opinion et constaté que les motifs de rupture du contrat étaient étrangers aux dispositions de cet article, en a exactement déduit, sans avoir à procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, que la saisine préalable de la commission paritaire, qui ne présentait aucun caractère obligatoire, était sans effet sur la régularité du licenciement ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche comme étant nouveau, mélangé de fait et de droit, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : Mme Prieur - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP L. Poulet-Odent ; SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer -

Textes visés :

Articles 3B et 47 de la convention collective nationale des journalistes du 1er novembre 1976 ; articles L. 7112-2 à L. 7112-4 du code du travail.

Rapprochement(s) :

Sur d'autres cas d'absence de violation d'une garantie de fond, en matière de procédure disciplinaire, à rapprocher : Soc., 11 mars 2015, pourvoi n° 13-11.400, Bull. 2015, V, n° 46 (cassation) ; Soc., 6 avril 2016, pourvoi n° 14-21.530, Bull. 2016, V, n° 65 (1) (rejet), et l'arrêt cité.

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