Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

PRESCRIPTION CIVILE

Soc., 11 septembre 2019, n° 18-50.030, (P)

Cassation

Prescription quinquennale – Actions personnelles ou mobilières – Point de départ – Connaissance des faits permettant l'exercice de l'action – Cas – Action en réparation du préjudice d'anxiété – Détermination

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. Y... et trente-cinq autres salariés ont été engagés par la société Progil, aux droits de laquelle vient la société Rhodia opérations (la société) ; que par un arrêté ministériel du 30 septembre 2005, l'établissement de Pont-de-Claix, au sein duquel ils ont travaillé, a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) pour la période 1916-2001 ; que par un arrêté ministériel du 23 août 2013, cette période a été étendue jusqu'en 2005 ; qu'entre les 31 décembre 2014 et 26 mai 2015, les salariés ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir réparation notamment d'un préjudice d'anxiété ; que le syndicat CGT des personnels du site chimique de Pont-de-Claix (le syndicat) est intervenu à l'instance ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, l'article 26, II, de cette même loi et l'article 2224 du code civil ;

Attendu que pour déclarer recevable l'action des salariés, l'arrêt retient que par un arrêté ministériel du 30 septembre 2005, l'employeur a été classé sur la liste des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante pour les périodes allant de 1916 à 1996 et de 1997 à 2001, qu'un second arrêté ministériel du 23 août 2013 est venu étendre la période d'exposition de 2002 à 2005 ; que c'est donc seulement à cette date que les salariés ont eu pleinement connaissance de la période pendant laquelle ils ont été exposés, qu'ils ont alors eu un délai de cinq ans, en application de l'article 2224 du code civil, pour engager une action en vue de voir réparer leur préjudice d'anxiété, que dès lors qu'ils ont agi entre le 31 décembre 2014 et le 26 mai 2015, leur action n'est pas prescrite ;

Attendu cependant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il résultait de ses constatations que les salariés avaient eu connaissance du risque à l'origine de l'anxiété dès l'arrêté ministériel du 30 septembre 2005 ayant inscrit l'établissement sur la liste permettant la mise en œuvre du régime légal de l'ACAATA, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Et attendu qu'en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef de dispositif relatif à la recevabilité de l'action entraîne, par voie de conséquence, la cassation d'une part des dispositions condamnant la société à payer des dommages-intérêts aux salariés et au syndicat, d'autre part des dispositions rejetant les demandes des salariés en réparation au titre de l'obligation de sécurité et de loyauté ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen du pourvoi principal de l'employeur :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 21 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon.

- Président : M. Cathala - Rapporteur : M. Silhol - Avocat général : M. Desplan - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Article 2262 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, article 26, II, de cette même loi et article 2224 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la détermination du point de départ du délai de prescription de l'action en réparation du préjudice d'anxiété, à rapprocher : Soc., 19 novembre 2014, pourvoi n° 13-19.263, Bull. 2014, V, n° 266 (cassation partielle).

1re Civ., 19 septembre 2019, n° 18-19.665, (P)

Rejet

Prescription trentenaire – Domaine d'application – Action en nullité absolue d'un mariage – Moyen relevé d'office (non)

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 22 décembre 2017), que M. P... et Mme J..., de nationalité française, se sont mariés le 21 juin 1995 à Paris ; qu'en octobre 2009 et janvier 2010, les époux ont tous deux déposé une requête en divorce ; que, soutenant avoir découvert l'existence d'un précédent mariage de Mme J..., célébré avec M. L... à Las Vegas le 8 avril 1981, M. P... l'a assignée en nullité de leur mariage le 3 avril 2012 ; que M. L... a été appelé en intervention forcée ;

Attendu que M. P... fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en annulation de son mariage avec Mme J... et sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

1°/ que la recevabilité d'une action en nullité du mariage pour absence de consentement se prescrit par trente ans à compter du jour de la célébration du mariage ; qu'en matière d'état des personnes, les fins de non-recevoir ont un caractère d'ordre public ; qu'après avoir constaté que, « par acte d'huissier, délivré le 3 avril 2012, M. P... a fait assigner Mme J... devant le tribunal de grande instance de Paris afin de voir annuler leur mariage célébré le 21 juin 1995 à la mairie de Paris 2ème arrondissement compte tenu de l'existence d'un premier mariage contracté par Mme J... avec M. L..., le 8 avril 1981 à Las Vegas (Etats-Unis) », la cour d'appel, qui a prononcé la nullité du mariage célébré le 8 avril 1981, soit plus de trente après sa célébration, sans relever d'office la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en nullité, a violé les articles 146 et 184 du code civil, ensemble les articles 122 et 125, alinéa 1, du code de procédure civile ;

2°/ que le mariage est nul lorsque les époux ne se sont prêtés à la cérémonie qu'en vue d'atteindre un but étranger à l'union matrimoniale, lequel doit être exclusif de toute intention conjugale ; qu'en se bornant à énoncer que les époux ne se sont prêtés à la cérémonie du mariage « qu'en vue manifestement d'atteindre un résultat étranger à l'union matrimoniale », sans préciser quel but étranger au mariage avait pu être recherché par les époux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale des articles 146 et 184 du code civil ;

3°/ qu'en se bornant à énoncer que « les circonstances tant préalables que postérieures à l'événement célébré à Las Vegas, démontrent que leur consentement à mariage faisait défaut », sans rechercher quelle était l'intention des époux au moment de la célébration du mariage, la cour d'appel a de nouveau privé sa décision de base légale au regard des articles 146 et 184 du code civil ;

Mais attendu, d'abord, qu'aux termes de l'article 2247 du code civil, les juges ne peuvent suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ; que cette règle s'applique même lorsque la prescription est d'ordre public ; qu'il en résulte que les juges du fond ne pouvaient relever d'office la prescription trentenaire de l'action en nullité du mariage célébré le 8 avril 1981, prévue à l'article 184 du code civil ;

Attendu, ensuite, que la cour d'appel a relevé que Mme J... avait présenté la cérémonie à Las Vegas à ses amis comme un rite sans conséquences, que le voyage n'avait pas eu pour but ce mariage puisque les bans n'avaient pas été publiés, que Mme J... et M. L... n'avaient entrepris aucune démarche en vue de sa transcription à leur retour en France, qu'ils n'avaient pas conféré à leur enfant le statut d'enfant « légitime » puisqu'ils l'avaient reconnu, sans aucune allusion à leur mariage dans l'acte de naissance, et qu'ils avaient tous deux contracté des unions en France après ce mariage ; qu'elle en a souverainement déduit que le consentement à mariage faisait défaut, de sorte que, l'union célébrée le 8 avril 1981 étant inopposable, la demande d'annulation du mariage du 21 juin 1995 devait être rejetée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Lyon-Caen et Thiriez ; SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés -

Textes visés :

Article 2247 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'impossibilité pour le juge de suppléer d'office le moyen tiré de la prescription, à rapprocher : 1re Civ., 9 décembre 1986, pourvoi n° 85-11.263, Bull. 1986, I, n° 293 (3) (cassation), et l'arrêt cité ; Soc., 29 juin 2005, pourvoi n° 03-41.966, Bull. 2005, V, n° 224 (2) (rejet), et les arrêts cités.

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