Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

POUVOIRS DES JUGES

2e Civ., 12 septembre 2019, n° 18-13.791, n° 18-14.724, (P)

Rejet

Appréciation souveraine – Responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle – Dommage – Réparation – Réparation intégrale – Réparation pour le futur – Barème de capitalisation – Choix

Joint les pourvois n° 18-13.791 et 18-14.724 ;

Donne acte à la société d'Exploitation et de participation hôtelière du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Generali assurances IARD ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 16 janvier 2018), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ, 17 février 2016, pourvoi n° 14-16.560), qu'au cours d'un séjour à l'hôtel Vista Palace, propriété de la société Althoff hôtel France, aux droits de laquelle se trouve la société d'Exploitation et de participation hôtelière (la société), L... G..., qui, se trouvant sur le balcon, n'avait pu regagner sa chambre d'hôtel en raison de la défectuosité du système de fermeture de la porte-fenêtre, a fait une chute mortelle en tentant d'accéder au balcon d'une autre chambre ; que Mme S... veuve G..., agissant tant à titre personnel qu'en qualité d'administratrice légale des biens de ses enfants, alors mineurs, N... et O... G..., Mme X..., veuve G... et M. I... G..., mère et frère du défunt (les consorts G...) ont assigné la société et son assureur, la société Generali assurances IARD (la société Generali) en réparation de leurs préjudices ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-13.791 :

Attendu que Mme S..., Mme N... G... et M. O... G... font grief à l'arrêt de constater qu'eu égard aux sommes déjà perçues de la caisse primaire d'assurance maladie et de la CAPAVES prévoyance, aucune indemnisation complémentaire n'est due à Mme N... G... et M. O... G... par la société au titre de leur préjudice économique, et qu'il y a lieu pour la même raison de cantonner l'obligation de cette société à réparer le préjudice économique de Mme T... S..., veuve G... à la somme de 581 131,99 euros, alors, selon le moyen :

1°/ que la victime a droit à obtenir réparation de son préjudice peu important qu'elle ait par ailleurs obtenu certaines prestations de son organisme de prévoyance dès lors que celles-ci revêtent un caractère forfaitaire et non indemnitaire ; qu'à cet égard, les prestations servies en exécution d'un contrat d'assurance de personne en cas d'accident ou de maladie revêtent un caractère forfaitaire, et non pas indemnitaire, dès lors qu'elles sont calculées en fonction d'éléments prédéterminés par les parties indépendamment du préjudice réellement subi ; qu'il en va également ainsi lorsque l'un de ces éléments prédéterminés porte sur le revenu de l'assuré décédé ; qu'en retenant en l'espèce que l'indemnité servie par CAPAVES prévoyance était indemnitaire et non forfaitaire pour cette seule raison qu'il s'agissait d'un revenu de substitution donc les modalités de calcul étaient en relation directe avec les revenus salariaux de la victime, sans rechercher si cet élément de calcul de la prestation n'avait pas été préétablie et n'était pas indépendant du préjudice effectivement subi par les ayants droit, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1134 ancien devenu 1103 du code civil et L. 131-2, alinéa 2, du code des assurances ;

2°/ que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; qu'à cet égard, les notices d'information jointes aux polices d'assurance ont la même valeur contractuelle que ces dernières, qu'elles permettent d'éclairer et de préciser ; qu'en l'espèce, les consorts G... rappelaient que le contrat de prévoyance conclu avec CAPAVES prévoyance excluait toute subrogation en cas de décès de l'assuré ; qu'en retenant que cette exclusion formelle figurant dans la notice d'information n'était pas de nature à priver CAPAVES prévoyance du recours subrogatoire qu'elle tirait d'une stipulation du contrat d'assurance, les juges du fond ont dénaturé par refus d'application la notice d'information de CAPAVES prévoyance, en violation de l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;

3°/ qu'en s'abstenant de rechercher si les termes de la police d'assurance ne devaient pas être interprétés au regard des indications apportées par la notice d'information qui s'y trouvait jointe, les juges du fond ont de toute façon privé leur décision de base légale au regard de l'article 1134 devenu 1103 du code civil ;

Mais attendu que selon l'article L. 931-11 du code de la sécurité sociale, pour le paiement des prestations à caractère indemnitaire, les institutions de prévoyance sont subrogées jusqu'à concurrence desdites prestations dans les droits et actions du participant, du bénéficiaire ou de leurs ayants droit contre le tiers responsable ; qu' ayant constaté que la rente éducation servie par CAPAVES prévoyance à chacun des enfants d'L... G... et le capital décès versé à Mme S... constituaient un revenu de substitution dont les modalités de calcul étaient en relation directe avec les revenus salariaux de la victime, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, en a justement déduit, hors de toute dénaturation, que ces prestations, qui revêtaient un caractère indemnitaire, devaient être déduites du préjudice économique de la veuve et des enfants d'L... G... ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 18-13.791 :

Attendu que Mme S..., Mme N... G... et M. O... G... font grief à l'arrêt de les débouter de leur appel en garantie contre la société Generali, alors, selon le moyen, que les clauses d'exclusion de garantie sont strictement limitées aux exclusions qu'elles prévoient ; qu'en l'espèce, la clause figurant dans la police d'assurance de la société Generali excluait la garantie de l'assureur dans le cas où la responsabilité de l'assuré était engagé à raison d'un vice, un défaut ou un dysfonctionnement dont il avait connaissance ; que les juges du fond ont retenu que la responsabilité de l'assuré était engagée pour manquement à son obligation de sécurité à raison, non seulement d'une anomalie du système de fermeture des portes-fenêtres, mais également d'une absence de toute information du client sur le fonctionnement du système de verrouillage ; qu'en excluant toute garantie de la société Generali sur la base d'une clause qui ne visait pas le manquement à une obligation d'information, les juges n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations, et ont violé les articles 1134 devenu 1103 du code civil et L. 113-1 du code des assurances ;

Mais attendu qu'ayant relevé par motifs propres et adoptés que l'article 18 des dispositions générales du contrat stipulait une exclusion de garantie dans le cas où la responsabilité de l'assuré était engagée en raison d'un vice, d'un défaut, d'un dysfonctionnement, dont il avait connaissance pendant la période de validité du contrat si aucune mesure n'était prise pour empêcher le dommage, puis constaté que l'enquête de police avait mis en évidence que la société avait connaissance du défaut du système de fermeture des portes-fenêtres, plusieurs employés et clients ayant été enfermés à l'extérieur antérieurement à l'accident et qu'elle n'avait pris aucune mesure efficace pour remédier aux risques, c'est par une exacte application de l'exclusion litigieuse, qui n'opérait aucune distinction selon le fondement de la responsabilité encourue par l'assuré, que la cour d'appel a décidé que la garantie de la société Generali n'était pas due ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen du pourvoi n° 18-14.724 :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de fixer le préjudice économique de Mme S... veuve G... à la somme de 851 131,99 euros, alors, selon le moyen, que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en relevant d'office le moyen tiré de l'application, pour le calcul du préjudice économique subi par le conjoint survivant, du dernier barème de capitalisation, soit celui de 2016, et non du barème applicable au jour du décès de la victime, soit celui de 2004, qui avait été invoqué par les consorts G..., sans provoquer les observations des parties, et en particulier de la SEPH, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, tenue d'assurer la réparation intégrale du dommage actuel et certain de la victime sans perte ni profit, a fait application du barème de capitalisation qui lui a paru le plus adapté à assurer les modalités de cette réparation pour le futur, sans avoir à recueillir préalablement les observations des parties sur cette méthode de calcul ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen du pourvoi n° 18-14.724, annexé, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois.

- Président : Mme Flise - Rapporteur : Mme Touati - Avocat général : M. Grignon Dumoulin - Avocat(s) : SCP Foussard et Froger ; Me Haas ; SCP Rocheteau et Uzan-Sarano -

Textes visés :

Article 16 du code de procédure civile ; principe de la réparation intégrale du préjudice.

Rapprochement(s) :

Sur le pouvoir souverain des juges quant au choix du barème de capitalisation dans le calcul de la réparation intégrale du dommage, à rapprocher : 2e Civ., 10 décembre 2015, pourvoi n° 14-27.243, Bull. 2015, II, n° 277 (rejet).

1re Civ., 26 septembre 2019, n° 18-18.939, n° 18-18.944, (P)

Cassation sans renvoi

Office du juge – Etendue – Obligation de trancher le litige conformément aux règles de droit applicables – Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 – Détermination – Portée

Joint les pourvois n° 18-18.939 et 18-18.944, qui sont connexes ;

Attendu, selon les arrêts attaqués, que, soutenant que la société France télévisions s'apprêtait à diffuser, le 23 juin 2016, dans le magazine intitulé « [...] », un reportage consacré au harcèlement sexuel, au cours duquel une ancienne salariée du groupe J... mettrait gravement en cause M. J..., président de la société N... international, ces derniers ont, selon acte du 17 juin 2016, assigné en référé à heure indiquée la société France télévisions, M. R..., rédacteur en chef du magazine précité, et M. P..., journaliste ayant réalisé le reportage litigieux, pour voir ordonner la production aux fins de visionnage dudit reportage et dire qu'à l'issue de cette mesure, les débats seraient repris sur la demande d'interdiction de la diffusion des passages portant atteinte à la présomption d'innocence et au droit au respect de la vie privée de M. J..., ainsi qu'à l'image, la marque et la réputation de la société N... international ; qu'invoquant la méconnaissance des dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la société France télévisions et MM. R... et P... ont soulevé la nullité de l'assignation ;

Sur le premier moyen du pourvoi n° 18-18.944, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, ensemble l'article 12 du code de procédure civile ;

Attendu qu'aux termes du premier de ces textes, toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ;

Attendu que, pour écarter le moyen tiré de la nullité de l'assignation, l'arrêt retient que la simple évocation, dans l'acte introductif d'instance, de faits susceptibles de porter atteinte à l'honneur ne saurait entraîner ipsofacto l'application des dispositions de la loi du 29 juillet 1881 ;

Qu'en statuant ainsi, alors que, selon ses propres constatations, la société N... international invoquait une atteinte à son image et à sa réputation, de sorte que ces faits, constitutifs de diffamation, ne pouvaient être poursuivis que sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

Sur les quatrième et cinquième branches du même moyen :

Vu l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que ce texte doit recevoir application devant la juridiction civile, y compris dans les procédures d'urgence et même dans le cas où l'action est exercée préalablement à toute publication ;

Attendu que, pour statuer comme il a été dit, l'arrêt énonce que le litige est un référé préventif qui trouve son fondement dans les dispositions de l'article 809 du code de procédure civile, lesquelles permettent au juge des référés de prendre des mesures pour prévenir un dommage imminent, et qu'il ne saurait être fait grief à l'acte introductif d'instance de ne pas avoir précisé, articulé et qualifié des propos qui auraient dû être poursuivis sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, dès lors que ces propos n'avaient fait encore l'objet d'aucune diffusion, au moment de l'introduction de l'instance, et que les demandeurs ne savaient pas quels propos exacts étaient tenus dans le reportage en cause ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le premier moyen du pourvoi n° 18-18.939 :

Vu l'article 625, alinéa 2, du code de procédure civile ;

Attendu que la cassation de l'arrêt du 14 juin 2018 (RG 17/17459), qui ordonne le visionnage du reportage litigieux, entraîne l'annulation par voie de conséquence de l'arrêt du 14 juin 2018 (RG 17/17462), interdisant la diffusion de celui-ci, qui en est la suite ;

Et attendu qu'en application de l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire, il y a lieu de casser sans renvoi et d'annuler, en son entier, l'assignation du 17 juin 2016, le litige étant indivisible entre toutes les parties ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs des pourvois n° 18-18.939 et 18-18.944 :

CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 14 juin 2018 (RG 17/17459 et 17/17462), entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Annule l'assignation du 17 juin 2016.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Canas - Avocat général : Mme Ab-Der-Halden - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié ; SCP Waquet, Farge et Hazan -

Textes visés :

Article 29, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; article 12 du code de procédure civile ; article 53 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Rapprochement(s) :

Sur l'application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 devant la juridiction civile, y compris dans les procédures d'urgence, à rapprocher : 1re Civ., 27 septembre 2005, pourvoi n° 04-15.179, Bull. 2005, I, n° 345 (rejet), et l'arrêt cité ; Ass. plén., 15 février 2013, pourvoi n° 11-14.637, Bull. 2013, Ass. plén. n° 1 (rejet) ; 1re Civ., 3 juillet 2013, pourvoi n° 11-28.907, Bull. 2013, I, n° 146 (rejet).

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