Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

FILIATION

1re Civ., 12 septembre 2019, n° 18-20.472, (P)

Rejet

Actions relatives à la filiation – Action en contestation de la filiation – Contestation d'une reconnaissance de paternité – Action reposant sur une convention de gestation pour autrui conclue sur le territoire national – Mise en balance des intérêts en présence – Irrecevabilité de l'action – Convention européenne des droits de l'homme – Article 8 – Droit au respect de la vie privée et familiale – Violation (non)

Ne méconnaît pas les exigences conventionnelles résultant de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une cour d'appel qui, en présence d'une convention de gestation pour autrui conclue sur le territoire national, déclare irrecevable l'action du père biologique en contestation de la paternité de l'homme ayant reconnu l'enfant, au motif que celle-ci repose sur un contrat prohibé par la loi, après avoir mis en balance les intérêts en présence, dont celui supérieur de l'enfant, qu'elle a fait prévaloir.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 31 mai 2018), que MM. X... et L... ont contracté avec Mme G..., épouse W..., une convention de gestation pour autrui, aux termes de laquelle celle-ci devait porter, contre rémunération, l'enfant qu'elle concevrait à l'aide du sperme de l'un ou de l'autre ; qu'au cours de la grossesse, M. L... a reconnu l'enfant ; qu'en mars 2013, Mme G... a indiqué au couple que celui-ci était décédé à la naissance ; qu'ayant appris qu'il était vivant et avait été reconnu par M. K..., au foyer duquel il demeurait depuis sa naissance, M. X... a déposé plainte à l'encontre de Mme G... pour escroquerie ; que tant Mme G... que MM. X... et L... et M. et Mme K... ont été condamnés pénalement ; qu'il a été établi, au cours de l'enquête pénale, d'une part, que M. X... était le père biologique de l'enfant, d'autre part, que Mme G... avait décidé de confier l'enfant à naître à M. et Mme K..., contre rémunération, sans faire état de l'existence de « l'insémination artisanale » à l'origine de sa grossesse et du couple X...-L... ; que, selon son acte de naissance, l'enfant V... K... est né le [...] à [...] de Mme G... et de M. K..., qui l'a reconnu le 17 septembre 2012 ; que, le 19 juillet 2013, M. X... a assigné M. K... et Mme G... en contestation de la paternité du premier et en établissement de sa propre paternité sur l'enfant ; qu'il a demandé le changement de nom du mineur, l'exercice exclusif de l'autorité parentale et la fixation de sa résidence chez lui ;

Sur le moyen unique, pris en ses troisième, cinquième, sixième et septième branches, ci-après annexé :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Sur le moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses demandes en contestation de la paternité de M. K... et en établissement de sa propre paternité sur l'enfant V... K..., alors, selon le moyen :

1°/ qu'en l'état du litige opposant le père biologique de l'enfant au père d'intention qui l'a reconnu à la suite d'une procréation pour autrui, l'illicéité de la gestation pour autrui ne constitue pas une fin de non-recevoir à l'exercice par le père biologique d'une action tendant tant à établir la filiation biologique de son enfant qu'à contester sa filiation à l'égard du parent d'intention qui l'a reconnu frauduleusement après avoir également conclu un contrat de mère porteuse ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 16-7 du code civil et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'en l'état du litige opposant le père biologique de l'enfant au père d'intention qui l'a reconnu à la suite d'une procréation pour autrui, l'illicéité de la gestation pour autrui ne constitue pas une fin de non-recevoir à l'exercice par le père biologique d'une action tendant tant à établir la filiation biologique de son enfant qu'à contester sa filiation à l'égard du parent d'intention qui l'a reconnu frauduleusement après avoir également conclu un contrat de mère porteuse ; qu'en déclarant irrecevables les demandes de M. X..., comme reposant sur un contrat de mère porteuse illicite, quand l'enfant avait été remis par la mère à M. K... qui l'avait reconnu en exécution d'un contrat de mère porteuse, la cour d'appel qui a déduit un motif inopérant, en violation des articles 6 et 16-7 du code civil et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ que l'impossibilité d'établir un lien de filiation paternelle constituant une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée de l'enfant, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, elle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi, et en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et concurrents en jeu ; qu'en se déterminant en considération de l'intérêt supérieur de l'enfant qui a tissé des liens affectifs avec ses parents d'intention depuis quatre ans, à la date à laquelle elle statuait, après avoir déclaré irrecevables les demandes de M. X..., comme reposant sur un contrat de mère porteuse illicite, la cour d'appel, qui n'a pas opéré un tel contrôle de proportionnalité, a violé l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'abord, qu'aux termes de l'article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle ; que, selon l'article 16-9 du même code, ces dispositions sont d'ordre public ; qu'ayant relevé que l'action de M. X... en contestation de la reconnaissance de paternité de M. K..., destinée à lui permettre d'établir sa propre filiation sur l'enfant, reposait sur la convention de gestation pour autrui qu'il avait conclue avec Mme G..., la cour d'appel en a exactement déduit que la demande était irrecevable comme reposant sur un contrat prohibé par la loi ;

Attendu, ensuite, que l'arrêt énonce que la réalité biologique n'apparaît pas une raison suffisante pour accueillir la demande de M. X..., au regard du vécu de l'enfant V... ; qu'il relève que celui-ci vit depuis sa naissance chez M. K..., qui l'élève avec son épouse dans d'excellentes conditions, de sorte qu'il n'est pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudicie pas au droit de l'enfant de connaître la vérité sur ses origines ; qu'il observe qu'il en est ainsi même si la façon dont ce lien de filiation a été établi par une fraude à la loi sur l'adoption n'est pas approuvée, et précise que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance de M. K..., a fait savoir qu'il n'entendait pas agir à cette fin ; qu'ayant ainsi mis en balance les intérêts en présence, dont celui de l'enfant, qu'elle a fait prévaloir, la cour d'appel n'a pas méconnu les exigences conventionnelles résultant de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : Mme Caron-Deglise - Avocat(s) : SCP Alain Bénabent ; SCP Piwnica et Molinié ; SCP Boullez -

Textes visés :

Article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 16-7 et 16-9 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur la primauté de l'intérêt supérieur de l'enfant mis en balance avec le droit du père biologique à établir sa filiation, cf. : CEDH, arrêt du 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, n° 33711/96.

1re Civ., 19 septembre 2019, n° 18-18.473, (P)

Cassation partielle sans renvoi

Dispositions générales – Modes d'établissement – Expertise biologique – Demande – Recevabilité – Conditions – Engagement par l'enfant d'une action en recherche de paternité

Il résulte des articles 16-11 et 327 du code civil qu'une demande d'expertise génétique susceptible de révéler un lien de filiation entre un enfant et un tiers suppose, pour être déclarée recevable, l'engagement par cet enfant d'une action en recherche de paternité, qu'il a seul qualité à exercer.

Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'S... X... est décédé le [...], laissant pour lui succéder un fils, M. K..., né le [...], qu'il a reconnu le [...] ; que, par actes des 31 mai et 6 juin 2011, la mère du défunt, Mme A... et son frère, M. X... (les consorts X...), ont assigné M. K... et sa mère, Mme M..., aux fins d'annulation de l'acte de reconnaissance ; que, par assignation en date du 24 juillet 2013, les consorts X... ont appelé en la cause M. B..., désigné par eux comme étant le père biologique ;

Sur le premier moyen :

Attendu que les consorts X... font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'expertise génétique visant à établir un lien de filiation entre M. K... et M. B..., alors, selon le moyen, que l'expertise est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; qu'en refusant d'ordonner une expertise génétique au motif que, la filiation de M. K... étant établie par l'acte de reconnaissance d'S... X..., la demande d'expertise des consorts X... pour établir une filiation contraire avec M. B... était en conséquence irrecevable, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser un motif légitime et a violé l'article 310-3 du code civil ;

Mais attendu qu'il résulte des articles 16-11 et 327 du code civil qu'une demande d'expertise génétique susceptible de révéler un lien de filiation entre un enfant et un tiers suppose, pour être déclarée recevable, l'engagement par cet enfant d'une action en recherche de paternité, qu'il a seul qualité à exercer ; que l'arrêt relève que la demande d'expertise sollicitée par les consorts X... est destinée à établir la réalité d'un lien de filiation entre M. K... et M. B... ; qu'il en résulte qu'en l'absence d'action en recherche de paternité engagée par M. K..., seul titulaire de cette action, la demande visant à révéler un lien de filiation entre ce dernier et M. B... était irrecevable ; que, par ce motif de pur droit, substitué dans les conditions de l'article 1015 du code de procédure civile, à ceux critiqués, la décision d'écarter la demande se trouve légalement justifiée ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil ;

Attendu que, pour condamner les consorts X... à payer la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts à M. B..., l'arrêt relève que ce dernier a été attrait dans la cause sans aucun autre fondement que les rumeurs ou des allégations sur sa possible paternité ;

Qu'en statuant ainsi, alors que M. B... avait été appelé dans la cause par les consorts X... sur invitation de la juridiction de premier degré, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et vu les articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 1015 du code de procédure civile ;

Attendu que la Cour de cassation est en mesure de mettre fin au litige ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne solidairement M. X... et Mme A... à payer à M. B... la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, l'arrêt rendu le 16 janvier 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Fort-de-France ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande en paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Azar - Avocat(s) : Me Bertrand ; SCP Marlange et de La Burgade -

Textes visés :

Articles 16-11 et 327 du code civil.

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