Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

ETAT CIVIL

1re Civ., 19 septembre 2019, n° 18-20.782, (P)

Rejet

Acte de l'état civil – Actes dressés à l'étranger – Force probante – Régularité formelle – Appréciation au regard des conditions posées par la loi étrangère

La régularité formelle d'un acte de l'état civil étranger doit être examinée au regard des conditions posées par la loi étrangère.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 11 avril 2018), que O... I..., née le [...] à Delhi (Inde), qui a été recueillie par M. U... et Mme B... M... (les consorts U...), a souscrit le 28 octobre 2013 une déclaration de nationalité sur le fondement de l'article 21-12 du code civil ; que, le greffier en chef ayant refusé de l'enregistrer, les consorts U..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de l'enfant, ont assigné le procureur de la République ;

Attendu que Mme B... M..., M. U... et Mme I..., devenue majeure, font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que l'enregistrement de la déclaration de nationalité soit ordonné alors, selon le moyen :

1°/ que tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que les juges du fond doivent donc déterminer quelles sont les formes usitées dans le pays où l'acte a été dressé et déterminer si elles ont été respectées, sans avoir égard au fond de l'acte ; que la cour d'appel devait ainsi rechercher si, comme il était soutenu, l'acte de naissance produit avait été dressé selon les formes usitées en Inde, lesquelles n'imposaient pas que l'acte fît référence au jugement en vertu duquel il était dressé, de sorte que l'acte faisait foi nonobstant l'absence de mention du jugement, qui n'était pas formellement exigée et de production de ce jugement, ce contrôle de fond étant inopérant pour déterminer la force probante de l'acte ; qu'en omettant cette recherche, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 47 du code civil ;

2°/ que la présomption qui s'attache aux actes de l'état civil dressés en pays étranger selon les formes usitées dans ce pays ne peut être détruite que par la preuve, faite par tous moyens, que l'acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ; que la cour d'appel, qui s'est bornée à relever des motifs dubitatifs tirés du « contexte » et des diverses circonstances du litige qui demeuraient inconnues, n'a pas motivé sa décision et violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que M. U... et Mmes B... M... et I... versaient aux débats l'acte d'adoption dressé à Delhi le 31 octobre 2000 entre les parents naturels et la mère adoptive de la jeune O... I... ; qu'en affirmant, pour rejeter la demande de M. U... et Mmes B... M... et I..., que les époux U... ne communiquaient aucun élément quant aux conditions de l'adoption de l'enfant par Mme I... ni sur la réalité de cette adoption sans examiner cet acte d'adoption régulièrement versé aux débats, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ que dans toutes les décisions qui concernent les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ; qu'en refusant de prendre en considération comme primordial l'intérêt de la jeune O..., au motif qu'il ne pouvait « faire échec aux dispositions de l'article 47 précitées, au risque d'imposer dans le droit français des actes d'état civil qui ne font pas foi », la cour d'appel a violé l'article 3, § 1, de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

5°/ que la cour d'appel devait rechercher si le refus d'enregistrer la déclaration de nationalité française d'un enfant élevé en France depuis l'âge de 2 ans, dans un foyer et un milieu français et n'ayant plus de lien avec son pays d'origine ne portait pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de cet enfant ; qu'elle a ainsi privé sa décision de base légale au regard de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ;

Et attendu, d'abord, que la cour d'appel, après avoir exactement rappelé que la régularité formelle de l'acte de naissance devait être examinée au regard des conditions posées par la loi étrangère, a constaté que celui-ci avait été enregistré quatre ans après la naissance de l'enfant, ce qui, d'après la loi indienne, ne pouvait intervenir que sur décision de justice, et en a déduit qu'en l'absence de mention d'une décision de justice dans l'acte ou de production d'une telle décision par les consorts U..., ce qui lui aurait permis d'en vérifier la régularité internationale, l'acte litigieux n'était pas probant ;

Attendu, ensuite, qu'ayant constaté que les consorts U... ne produisaient aucun élément permettant de connaître les conditions de l'adoption de l'enfant par Mme I..., les circonstances de l'attribution du nom de celle-ci à O... et les conditions dans lesquelles cette dernière avait finalement été confiée au couple, dès 2001, par une mère adoptive disparue sans laisser d'adresse, la cour d'appel en a souverainement déduit, par une décision motivée, sans être tenue de s'expliquer sur les éléments de preuve qu'elle décidait d'écarter, que ce contexte s'ajoutait à l'absence de régularité de l'acte de naissance pour faire douter de la concordance entre ses mentions et la réalité des faits ;

Attendu, enfin, qu'ayant relevé que l'intérêt supérieur de l'enfant ne pouvait faire échec aux dispositions de l'article 47 du code civil, dès lors que les actes de l'état civil produits n'étaient pas probants, et constaté qu'aucun élément ne justifiait que O... I... ne puisse continuer à vivre normalement en France, ce dont il résultait que le refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité ne revêtait pas un caractère arbitraire, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 et de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : Mme Batut - Rapporteur : Mme Le Cotty - Avocat général : M. Sassoust - Avocat(s) : SCP Piwnica et Molinié -

Textes visés :

Articles 21-12 et 47 du code civil ; article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 ; article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; articles 21-12 et 47 du code civil.

Rapprochement(s) :

Sur l'application de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en matière de nationalité, cf. : CEDH, arrêt du 21 juin 2016, Ramadan c. Malte, n° 76136/12.

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