Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (loi du 26 juillet 2005)

Com., 11 septembre 2019, n° 18-11.401, (P)

Cassation partielle

Liquidation judiciaire – Contrats en cours – Contrats interdépendants – Contrat de location financière – Caducité – Contrat de maintenance – Résiliation – Ordonnance du juge-commissaire – Opposabilité

Si l'ordonnance du juge-commissaire constatant ou prononçant la résiliation d'un contrat en cours, en application de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, est dépourvue de l'autorité de la chose jugée à l'égard des tiers, elle leur est cependant opposable en ce qu'elle constate ou prononce cette résiliation. En conséquence, lorsqu'un contrat de prestation de services et un contrat de location financière sont interdépendants, la résiliation du contrat de maintenance prononcée par une ordonnance du juge-commissaire entraîne, à la date de la résiliation, la caducité par voie de conséquence du contrat de location financière.

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable comme étant de pur droit :

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et l'article L. 641-11-1 du code de commerce ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société FF Valentine ménager (la société FF Valentine), preneur, a conclu avec la société Safetic, prestataire de services, deux contrats, l'un portant sur la location financière de matériels, l'autre sur la maintenance desdits matériels, d'une durée de soixante mois, moyennant un loyer mensuel de 110 euros ; que les matériels ont été cédés à la société Parfip France (la société Parfip) ; que le 13 février 2012, la société Safetic a été mise en liquidation judiciaire ; qu'après s'être plainte auprès de la société Parfip du dysfonctionnement des matériels loués, par une lettre du 11 juin 2012, la société FF Valentine a cessé de lui payer les loyers à compter du mois de juillet 2012 ; que dans le cadre de la procédure collective de la société Safetic, le juge-commissaire a prononcé la résiliation du contrat de maintenance par une ordonnance du 26 mars 2013 ; que le 17 décembre 2013, la société Parfip a assigné la société FF Valentine en constatation de la résiliation du contrat de location financière et en paiement des loyers impayés, d'une indemnité de résiliation et d'une clause pénale ; que la société FF Valentine a demandé le rejet de ces demandes et, à titre reconventionnel, la constatation de l'interdépendance des contrats de maintenance et de location financière, et la résiliation de ce dernier avec effet rétroactif à la date de la résiliation du premier ;

Attendu que, pour accueillir les demandes de la société Parfip, tendant notamment à la résiliation du contrat de location financière pour défaut de paiement des loyers, l'arrêt, après avoir relevé que le contrat de maintenance conclu entre les sociétés Safetic et FF Valentine est interdépendant du contrat de location financière liant les sociétés Parfip et FF Valentine, énonce que, la chose jugée ne pouvant nuire à un tiers non partie à une décision de justice, l'ordonnance du juge-commissaire prononçant la résiliation d'un contrat liant une société soumise à une procédure collective à l'un de ses cocontractants ne peut produire d'effet à l'égard de la société qui a financé l'opération ; qu'il en déduit que l'anéantissement du contrat de maintenance résultant de l'ordonnance du juge-commissaire du 26 mars 2013 n'est pas opposable à la société Parfip et que, faute pour la société FF Valentine d'avoir appelé à l'instance le liquidateur de la société Safetic afin de voir prononcer l'anéantissement du contrat de maintenance, sa demande de caducité du contrat de location financière doit être rejetée ;

Qu'en statuant ainsi, alors que si l'ordonnance du juge-commissaire constatant ou prononçant la résiliation d'un contrat en cours, en application de l'article L. 641-11-1 du code de commerce, est dépourvue de l'autorité de la chose jugée à l'égard des tiers, elle leur est cependant opposable en ce qu'elle constate ou prononce cette résiliation, de sorte que la résiliation du contrat de maintenance, prononcée contradictoirement à l'égard de la société Safetic, par l'ordonnance du juge-commissaire du 26 mars 2013, entraînait, à la date de la résiliation, la caducité par voie de conséquence du contrat de location financière interdépendant, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant le jugement entrepris, il donne acte à la société FF Valentine ménager de ce qu'elle ne soutient plus le moyen tiré de la nullité des contrats en cause en application de l'article L. 121-23 du code de la consommation, l'arrêt rendu le 21 décembre 2017, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Barbot - Avocat général : Mme Henry - Avocat(s) : SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret ; SCP Gatineau et Fattaccini -

Textes visés :

Article L. 641-11-1 du code de commerce.

Com., 25 septembre 2019, n° 18-16.178, (P)

Rejet

Liquidation judiciaire – Règlement des créanciers – Créanciers bénéficiant d'une sûreté – Nantissement de compte – Saisie conservatoire – Attribution judiciaire au profit du créancier nanti – Absence de conversion des saisies conservatoires avant l'ouverture de la procédure collective – Sommes figurant au crédit d'un compte nanti – Affectation sur un compte spécial – Absence d'influence

Lorsque les sommes figurant au crédit d'un compte bancaire nanti font l'objet d'une saisie conservatoire, leur affectation sur un compte spécialement ouvert par la banque à cet effet est une simple opération comptable destinée à les isoler dans l'attente du sort qui leur sera réservé, sans incidence sur les droits des parties, de sorte qu'en l'absence de conversion des saisies conservatoires avant l'ouverture de la procédure collective du titulaire du compte, ces sommes sont réputées figurer sur le compte nanti au jour du jugement d'ouverture de cette procédure, le créancier nanti pouvant, dès lors, en demander l'attribution judiciaire.

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 8 mars 2018), que la société Caisse de crédit mutuel Aix Europe (la banque) a accordé deux prêts à la société Sublittoral (la société), les 6 novembre et 7 décembre 2013, garantis notamment par un nantissement sur le compte courant de cette société ouvert dans les livres de la banque ; que deux saisies conservatoires ayant été pratiquées sur le compte par un autre créancier, la banque l'a débité des sommes saisies et a porté celles-ci au crédit d'un compte spécial, ouvert à cet effet ; que la société a été mise en liquidation judiciaire le 16 février 2015, M. V... étant désigné liquidateur (le liquidateur) ; qu'après avoir déclaré sa créance à titre privilégié, la banque, a été, sur sa demande, autorisée à appréhender le solde créditeur du compte courant à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective ; que les saisies conservatoires ayant fait ultérieurement l'objet d'une mainlevée, la banque a crédité les sommes correspondantes sur le compte courant puis en a demandé l'attribution judiciaire ;

Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt d'ordonner l'attribution judiciaire au profit de la banque de la somme complémentaire de 32 409,25 euros à raison du gage résultant du nantissement qu'elle détient sur le compte courant professionnel de la société, de dire que les sommes seront compensées avec celles restant dues au titre des deux encours au marc le franc par application des dispositions de l'article L. 622-7 du code de commerce et de rejeter sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile alors, selon le moyen, que lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d'exécution ; qu'en jugeant que la mainlevée d'une saisie conservatoire relève d'une opération en cours au sens de l'article 2360 du code civil, la cour d'appel a violé cette disposition, ensemble les articles L. 642-20-1 du code de commerce et L. 162-1 du code des procédures civiles d'exécution ;

Mais attendu que l'affectation des sommes sur lesquelles portaient les saisies conservatoires sur un compte spécialement ouvert par la banque à cet effet était une simple opération comptable destinée à les isoler dans l'attente du sort qui leur serait réservé, sans incidence sur les droits des parties, de sorte qu'en l'absence de conversion des saisies conservatoires avant l'ouverture de la procédure collective, ces sommes étaient réputées figurer sur le compte nanti au jour du jugement ayant mis la société en liquidation judiciaire ; que par ce motif de pur droit, suggéré par la défense, substitué à ceux critiqués, la décision se trouve justifiée ; que le moyen ne peut être accueilli ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Rémery (conseiller doyen faisant fonction de président) - Rapporteur : M. Guérin - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau ; SCP Lyon-Caen et Thiriez -

Com., 25 septembre 2019, n° 18-15.655, (P)

Cassation partielle

Prévention des difficultés – Procédure de conciliation – Echec de l'accord de conciliation – Effets – Caducité des nouvelles sûretés

Si, selon l'article L. 611-12 du code de commerce, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dettes dans le cadre de l'accord de conciliation recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord.

En conséquence, doit être approuvée la cour d'appel qui, ayant relevé que de nouveaux engagements de caution avaient été consentis par un dirigeant à une banque en contrepartie des abandons de créance dans le cadre du même accord de conciliation conclu avec la société débitrice principale, retient que l'échec de cet accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, qu'il s'agisse des abandons de créances comme des nouveaux engagements de caution, et qu'il convient donc, pour déterminer l'étendue des engagements de la caution, de se reporter à ses cautionnements antérieurs à la conclusion de l'accord de conciliation, sans que la banque puisse opposer à la caution les stipulations contraires des nouveaux engagements, devenus caducs.

Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la Société générale que sur le pourvoi incident relevé par M. P... ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la Société générale (la banque) a consenti le 3 mars 2005 à la Société de distribution du grand Bordeaux (la SDGB) une ouverture de crédit de 350 000 euros et un prêt de 800 000 euros ; que son dirigeant, M. P..., s'est rendu caution solidaire de la société SDGB, les 25 janvier et 3 mai 2005, en garantie de ces crédits dans la limite respectivement de 260 000 euros et 160 000 euros ; que la SDGB, rencontrant des difficultés financières, a bénéficié d'une procédure de conciliation qui a donné lieu à un protocole de conciliation du 28 avril 2008, homologué par le tribunal le 18 juin 2008 ; qu'aux termes de cet accord, les créances de la banque ont été respectivement réduites à 140 000 euros et 325 418,68 euros, M. P... se rendant caution solidaire, le 15 juin 2008, en faveur de la banque, de leur paiement dans la limite de 182 000 euros et de 325 419 euros ; qu'il s'est aussi rendu caution à hauteur de 130 000 euros en garantie d'un billet à ordre d'un montant de 200 000 euros ramené à 100 000 euros ; que les difficultés de la SDGB ayant perduré, le tribunal a, par un jugement du 18 janvier 2012, ouvert le redressement judiciaire de cette société qui a été mise ensuite en liquidation judiciaire le 9 janvier 2013 ; que la banque a poursuivi M. P... en exécution de tous ses engagements ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que la banque fait grief à l'arrêt d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. P..., sur le fondement de ses engagements du 15 mai 2008 (en réalité 15 juin 2008), à lui payer la somme de 90 115,63 euros au titre du crédit trésorerie d'un montant initial de 200 000 euros, celle de 115 894,89 euros au titre du crédit d'un montant initial de 350 000 euros et celle de 291 648,46 euros au titre du prêt d'un montant initial de 800 000 euros, et de rejeter sa demande en paiement de ces diverses sommes alors, selon le moyen :

1°/ que si l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard du débiteur principal met fin de plein droit à l'accord de conciliation homologué dans lequel le créancier avait accepté un rééchelonnement et une remise d'une dette préexistante à l'accord, l'anéantissement de cet accord n'entraîne pas l'extinction du cautionnement consenti en contrepartie du rééchelonnement et de la remise de dette, seul l'abandon de créance étant caduc et non la créance en elle-même, qui n'est pas éteinte et reste donc garantie par le cautionnement ; qu'en retenant au contraire que la caducité de l'accord de conciliation homologué le 18 juin 2008 atteignait non seulement les abandons de créances mais également les engagements de caution du 15 juin 2008 « qui en étaient l'accessoire », bien qu'ayant elle-même constaté que ces engagements de caution garantissaient des dettes préexistantes à l'accord de conciliation et définitivement admises au passif de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société SDGB débitrice principale, la cour d'appel a violé les articles L. 611-12 du code de commerce, ensemble les articles 2288 et 2313 du code civil ;

2°/ que chacun des trois actes de cautionnement signés par M. P... le 15 juin 2008 stipulait que « le présent cautionnement s'ajoute ou s'ajoutera à toutes garanties réelles ou personnelles qui ont pu ou qui pourront être fournies au profit de la banque par la caution, par le cautionné ou par tout tiers » ; qu'en déboutant la banque de sa demande tendant à voir condamné M. P... à exécuter ces trois engagements de caution en sus des deux engagements de caution signés par lui le 3 mai 2005, la cour d'appel a violé la clause contractuelle précitée et, partant, l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu que si, selon l'article L. 611-12 du code de commerce, lorsqu'il est mis fin de plein droit à un accord de conciliation en raison de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire du débiteur, le créancier qui a consenti à celui-ci des délais ou des remises de dettes dans le cadre de l'accord de conciliation recouvre l'intégralité de ses créances et des sûretés qui les garantissaient, il ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l'accord ; qu'ayant relevé que les engagements de caution du 15 juin 2008 avaient été consentis en contrepartie des abandons de créance dans le cadre du même accord de conciliation, l'arrêt retient exactement que l'échec de cet accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, qu'il s'agisse des abandons de créances comme des engagements de caution, et qu'il convient donc, pour déterminer l'étendue des engagements de M. P..., de se reporter aux deux cautionnements initiaux du 3 mai 2005, sans que la banque puisse opposer les stipulations contraires des engagements du 15 juin 2008, devenus caducs ; que le moyen n'est pas fondé ;

Mais sur le moyen unique, pris en sa première branche, du pourvoi incident :

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

Attendu que pour rejeter la demande de M. P... tendant à obtenir la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts d'un montant équivalent aux sommes réclamées au titre des cautionnements et ordonner la compensation entre les créances, l'arrêt retient que la caution, qui ne représente pas les intérêts du débiteur principal, ne dispose pas de la qualité pour invoquer une faute de la banque dans le cadre de la procédure de conciliation, qu'aucune demande n'a été formulée à ce titre par la SDGB dans le cadre de la procédure en contestation de la créance, à l'issue de laquelle la créance de la banque a été admise au passif conformément à sa déclaration, que les moyens tirés de l'éventuelle responsabilité de la banque dans le « dépôt de bilan » de la SDGB et dans la perte du principal actif de cette société constituent des exceptions inhérentes à la dette que la caution est d'autant moins fondée à invoquer que ses griefs visent le comportement de la banque en 2010 de sorte qu'ils ne présentent pas de lien avec l'objet de la présente instance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que la caution peut demander au créancier réparation du préjudice personnel et distinct qu'elle impute à une faute de celui-ci commise dans ses rapports avec le débiteur principal, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

REJETTE le pourvoi principal ;

Et sur le pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de M. P... tendant à la condamnation de la banque à lui payer des dommages-intérêts d'un montant équivalent aux sommes réclamées au titre des cautionnements et à la compensation entre les créances, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 12 février 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : Mme Bélaval - Avocat général : Mme Guinamant - Avocat(s) : SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer ; SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret -

Textes visés :

Article L. 611-12 du code de commerce.

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