Numéro 9 - Septembre 2019

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Bulletin des arrêts des chambres civiles

Numéro 9 - Septembre 2019

BANQUE

Com., 11 septembre 2019, n° 17-26.594, (P)

Cassation partielle

Responsabilité – Crédit d'exploitation – Crédit à durée indéterminée – Rupture – Situation irrémédiablement compromise – Comportement gravement répréhensible du souscripteur du crédit – Cas – Faculté de rompre sans préavis les concours accordés – Obligation de vérifier le bénéficiaire du chèque – Faute de la banque – Absence d'influence

L'éventuel manquement d'un établissement de crédit à son obligation de vérifier que le déposant de chèques en était le bénéficiaire ne prive pas cet établissement de la faculté, qu'il tient de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, de rompre, sans préavis, les concours accordés à cette personne en cas de comportement gravement répréhensible de cette dernière ou au cas où sa situation s'avérerait irrémédiablement compromise.

Responsabilité – Chèque – Encaissement – Situation irrémédiablement compromise – Comportement gravement répréhensible du souscripteur du crédit – Cas – Manquement à l'obligation de vérifier le bénéficiaire du chèque – Faute de la banque – Rupture des concours sans préavis – Faculté

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne (la banque) a consenti plusieurs prêts à M. G..., agent général d'assurances, et à son épouse, ainsi que des ouvertures de crédit ; que par un acte notarié du 7 juin 2010, ces derniers ont apporté à la SCI Defran un immeuble sur lequel ils avaient consenti à la banque une promesse d'hypothèque en garantie du remboursement de certains prêts ; que par une lettre du 24 avril 2012, la banque leur a notifié l'interruption de tous ses concours en invoquant le comportement gravement répréhensible de M. G... puis les a assignés en paiement ; qu'elle a également demandé que l'apport immobilier lui soit déclaré inopposable pour fraude paulienne ; que, reconventionnellement, M. et Mme G... ont recherché la responsabilité de la banque ;

Sur le premier moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. et Mme G... font grief à l'arrêt de les condamner à payer à la banque diverses sommes et de rejeter leurs demandes alors, selon le moyen, que tout concours à durée indéterminée autre qu'occasionnel qu'un établissement de crédit consent à une entreprise ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite à l'expiration d'un délai de préavis qui ne peut sous peine de nullité de la rupture du concours être inférieur à soixante jours ; que si la banque est dispensée de respecter ce délai de préavis en cas de comportement gravement répréhensible imputable au bénéficiaire du crédit, un tel comportement doit s'apprécier au regard du propre comportement de la banque ; que la banque présentatrice chargée d'encaisser un chèque doit s'assurer de l'identité du déposant et vérifier qu'il en est bien le bénéficiaire ; qu'en imputant, en l'espèce, à M. G..., un comportement gravement répréhensible pour avoir encaissé sur ses comptes des chèques dont les bénéficiaires étaient ses clients, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la banque n'avait pas elle-même manqué à ses obligations en s'abstenant de vérifier que le déposant était bien le bénéficiaire des chèques litigieux, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, dans sa rédaction applicable en la cause ;

Mais attendu que l'éventuel manquement de l'établissement de crédit à son obligation de vérifier que le déposant était le bénéficiaire des chèques ne le prive pas de la faculté, qu'il tient de l'article L. 313-12 du code monétaire et financier, de rompre sans préavis les concours accordés en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou au cas où la situation de ce dernier s'avérerait irrémédiablement compromise ; que la cour d'appel n'avait donc pas à effectuer la recherche inopérante invoquée par le moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche :

Attendu que M. et Mme G... font grief à l'arrêt de déclarer inopposable à la banque l'acte d'apport alors, selon le moyen, que sont inscrites au livre foncier, à peine d'irrecevabilité, les demandes en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention ou d'une disposition à cause de mort ; que la demande en déclaration d'inopposabilité d'une convention pour fraude paulienne tend à la révocation de celle-ci, peu important que la remise en cause de l'acte ne bénéficie qu'au créancier exerçant l'action paulienne ; qu'une telle demande doit, dès lors, être inscrite au livre foncier ;qu'en ne recherchant pas, comme elle y était invitée, si la demande de la banque, tendant à voir déclarer inopposable à son égard l'apport, à la SCI Defran, de l'immeuble des époux G... situé à [...], n'était pas irrecevable, faute d'avoir été inscrite au livre foncier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 38-4 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle ;

Mais attendu que la demande tendant à faire déclarer inopposable au créancier un acte accompli par le débiteur, n'entrant pas dans les prévisions de l'article 38-4 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, n'avait pas à être inscrite au livre foncier ; que la cour d'appel n'avait donc pas à procéder à la recherche, inopérante, invoquée par le moyen ; que celui-ci n'est pas fondé ;

Et sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche, sur le deuxième moyen et sur le troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Vu l'article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour condamner M. et Mme G... à payer à la banque une certaine somme au titre du solde débiteur du compte chèque n° [...], l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que M. et Mme G... ne soulèvent aucun moyen de nature à remettre en cause les sommes réclamées par la banque à la suite de l'interruption de ses concours ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. et Mme G... qui faisaient valoir que la banque ne produisait aucun document contractuel justifiant de l'existence de ce compte, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Et sur le quatrième moyen :

Vu l'article 564 du code de procédure civile ;

Attendu que pour déclarer irrecevable comme nouvelle en appel la demande de M. et Mme G... tendant à la déchéance du droit aux intérêts, l'arrêt retient qu'ils n'ont jamais contesté la créance de la banque ;

Qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si cette demande ne tendait pas à faire écarter, en les restreignant, les prétentions adverses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande de M. et Mme G... tendant à la déchéance de la banque de son droit aux intérêts et en ce que, confirmant le jugement, il les condamne solidairement à payer à la société Banque populaire Alsace Lorraine Champagne, au titre du compte chèque n° [...], la somme de 9 033,58 euros avec intérêts au taux contractuel de 14,81 % l'an à compter du 8 mai 2012 et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu, le 12 juillet 2017, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Besançon.

- Président : Mme Mouillard - Rapporteur : M. Remeniéras - Avocat général : M. Richard de la Tour (premier avocat général) - Avocat(s) : SCP Waquet, Farge et Hazan ; SCP Thouin-Palat et Boucard -

Textes visés :

Article L. 313-12 du code monétaire et financier ; article 38-4 de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.

3e Civ., 19 septembre 2019, n° 18-15.398, (P)

Rejet

Responsabilité – Faute – Manquement à l'obligation de mise en garde – Obligation de mise en garde – Domaine d'application – Société civile immobilière – Personne morale – Caractère averti – Appréciation en la personne des associés (non)

Lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, d'une part, seule celle-ci est créancière de l'obligation de mise en garde qui pèse sur le prêteur et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales, d'autre part, le caractère averti de cet emprunteur s'apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés.

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 2018), que, le 28 décembre 2006, Mme A... S... et MM. Y..., V... et H... S... ont constitué la société civile immobilière de la Brie (la SCI) en vue de l'acquisition d'un terrain sur lequel devait être édifié un immeuble à usage industriel et de bureaux ; que, par acte authentique du 11 juillet 2008, les sociétés OSEO financement, devenue Bpifrance financement, CMCIC lease, Natiocrédibail et Fortis lease ont conclu avec la SCI un contrat de crédit-bail destiné à financer l'acquisition du terrain et la construction de l'immeuble ; que, par acte authentique du 4 décembre 2009, les parties ont conclu un avenant destiné à financer la réalisation de travaux supplémentaires, garanti par un engagement de caution solidaire souscrit par M. Y... S..., gérant de la SCI ; que, la SCI étant défaillante, une ordonnance de référé du 6 septembre 2013 a constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat ; que la SCI et ses associés ont assigné les crédits-bailleurs en responsabilité pour manquement à leur devoir de mise en garde et de conseil lors de la conclusion du crédit-bail et de son avenant ; que la SCI a été mise en liquidation judiciaire ; que les crédits-bailleurs ont appelé le liquidateur en intervention forcée et demandé reconventionnellement la fixation de leur créance au passif de la SCI, ainsi que la condamnation des associés et de la caution à leur payer les sommes dues à la suite de la résiliation du crédit-bail ;

Sur le premier moyen, ci-après annexé :

Attendu que les consorts S..., la SCI et son mandataire liquidateur font grief à l'arrêt de rejeter leur demande tendant à ce que les pièces 1 à 74 des crédits-bailleurs soient écartées des débats ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les pièces leur avaient été communiquées le 28 octobre 2016 et qu'ils avaient été en mesure de les discuter et d'y répondre, la cour d'appel en a déduit à bon droit que, en l'absence de violation du principe de la contradiction, la demande devait être rejetée ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le deuxième et le quatrième moyens, réunis, ci-après annexés :

Attendu que les consorts S..., la SCI et son mandataire liquidateur font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes, de fixer la créance des sociétés Bpifrance financement, CMCIC lease, Natiocrédibail et Fortis lease au passif de la SCI, de condamner les associés à payer le montant de la dette sociale à proportion de leur part dans le capital social et de condamner M. Y... S... en sa qualité de caution ;

Mais attendu qu'ayant retenu à bon droit que seules les personnes non averties peuvent bénéficier du devoir de mise en garde et que le caractère averti d'une personne morale s'apprécie, lors de la conclusion du contrat, en la personne de son représentant, et relevé que M. Y... S... avait créé le groupe Bergame en 1993 et était le dirigeant de toutes les sociétés de ce groupe, dont il connaissait la situation et les perspectives de développement, qu'il avait choisi le terrain, décidé des travaux et de l'opération dans son ensemble, qu'il avait auparavant réalisé une opération d'acquisition à effet de levier, dite de Leveraged by out (LBO), pour procéder au rachat d'une société en 2001, avant de réaliser une autre opération de croissance externe en 2005, qu'il avait déjà procédé à des financements similaires et disposait de connaissances et d'une expérience avérées dans le domaine de la gestion, lui permettant d'appréhender le crédit contracté ainsi que la teneur et la portée de ses propres obligations en qualité de caution, la cour d'appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, en a souverainement déduit que M. Y... S... était un emprunteur et une caution avertis et a ainsi, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision de ces chefs ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que les consorts S... font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que, lorsque le crédit-preneur est une société civile, au sein de laquelle chaque associé répond indéfiniment des dettes sociales à proportion de sa part dans le capital social, le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde envers chaque associé non averti sur le risque d'endettement excessif qui résulte pour lui, pris individuellement, de l'opération ; qu'en l'espèce, les associés du crédit-preneur, la SCI, soutenaient que les crédits-bailleurs avaient manqué à leur devoir de mise en garde à leur égard, en ce qu'ils étaient des associés non avertis incapables de faire face au risque financier résultant de l'octroi des crédits litigieux à la SCI ; qu'en affirmant que seul le cocontractant du crédit-bailleur, à savoir la SCI, pouvait invoquer le manquement au devoir de mise en garde, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, l'article 1857 du même code, ensemble le principe selon lequel le crédit-bailleur est tenu d'un devoir de mise en garde envers chacun des associés non avertis d'une société civile du risque d'endettement excessif qui résulte pour chaque associé de la conclusion du contrat de crédit-bail avec la société, et l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, d'une part, qu'il ne résulte pas de leurs conclusions d'appel que les consorts S..., la SCI et son liquidateur aient soutenu que la privation pour l'associé d'une société civile du droit à se prévaloir du fait qu'il est profane violait l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le moyen est de ce chef nouveau, mélangé de fait et de droit ;

Attendu, d'autre part, que, lorsque l'emprunteur est une société civile immobilière, seule celle-ci est créancière de l'obligation de mise en garde et non ses associés, même si ceux-ci sont tenus indéfiniment des dettes sociales, et que le caractère averti de cet emprunteur s'apprécie en la seule personne de son représentant légal et non en celle de ses associés ;

D'où il suit que le moyen, pour partie irrecevable, n'est pas fondé pour le surplus ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le cinquième moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.

- Président : M. Chauvin - Rapporteur : M. Jacques - Avocat général : M. Brun - Avocat(s) : SCP Baraduc, Duhamel et Rameix ; SCP Caston -

Textes visés :

Article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ; article 1857 du code civil.

Rapprochement(s) :

Dans le même sens que : Com., 11 avril 2018, pourvoi n° 15-27.798, Bull. 2018, IV, n° 40 (rejet).

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